René Puaux
Un peu de contexte d'abord pour comprendre les textes ensuite.
Lettre du consul général de France à Smyrne (İzmir) à Son
Excellence M. le ministre des Affaires étrangères, 29 mars 1901, Archives du
ministère des Affaires étrangères, La Courneuve, microfilm P 16737 :
« La croyance au meurtre
rituel [calomnie selon laquelle les Juifs assassinent des enfants chrétiens et
se servent de leur sang pour faire du pain], répandue dans tout l’Orient et
particulièrement chez les Grecs orthodoxes, vient de jeter encore une fois la
perturbation dans la ville de Smyrne. […]
Dans la matinée du 28 mars, l’agitation
dégénérait en émeute […] La force armée, qui avait fait preuve jusque-là de
beaucoup de calme et de patience, intervint alors énergiquement et n’eut pas de
mal à faire évacuer les abords de l’église [où des Grecs accusaient leur
métropolite de « lâcheté » face aux Juifs] ; une quarantaine de
Grecs furent blessés. […]
Aujourd’hui, le calme est
revenu. On s’accorde à louer le sang-froid et l’excellence des dispositions
prises par Kiamil
Pacha [préfet d’İzmir], qui n’a eu recours à la force qu’à la dernière
extrémité, et qui ne l’a employée que dans les limites strictement nécessaires.
On ne fait pas le même éloge du
métropolite : certains de ses diocésains lui reprochaient d’avoir fourni
un aliment à l’agitation populaire en accueillant de prime abord comme avéré un fait que l’événement
a démenti [l’« enlèvement » d’un adolescent grec, retrouvé puis montré par
la police ottomane] et en ne s’employant pas avec assez d’énergie à calmer la
famille de l’enfant puis les meneurs du mouvement [antisémite]. »
Bernard Lewis, Islam et Laïcité. L’émergence de
la Turquie moderne, Paris, Fayard, 1988, p. 458 :
« Les Turcs de la période jeune-turque étaient très
loin de s’attacher au “pur sang turc” et il est certain que des musulmans
turcophones ottomans d’origine balkanique, caucasienne ou autre ont eu une part
considérable dans le mouvement. Rien ne semble attester, dans la masse
d’ouvrages turcs sur les Jeunes-Turcs que les juifs aient joué un rôle un tant
soit peu important dans leurs conseils, ou que les loges maçonniques n’aient
jamais servi qu’à couvrir à l’occasion leurs réunions secrètes. L’avocat
de Salonique, Emmanuel Carasso, dont le nom est souvent mentionné par les
adversaires européens des Jeunes-Turcs, était un personnage mineur. Cavid, qui
joua effectivement un rôle de grande importance [comme ministre des Finances],
était un dönme (membre d’une secte syncrétiste judéo-islamique
fondée au XVIIe siècle), et non un juif véritable ; quoi qu’il
en soit, c’est, semble-t-il, le seul de sa communauté qui soit parvenu au
premier plan. »
Feroz
Ahmad, The Young Turks and the Ottoman
Nationalities, Salt Lake City, University of Utah Press, 2014, p. 105 :
« L’ambassade
britannique [à İstanbul] (et le Times),
qui soutenaient la faction libérale des Jeunes-Turcs [c’est-à-dire l’Entente
libérale, opposée au Comité Union et progrès et financée par des Grecs et
des Britanniques] après juillet 1908 en vint à voir dans le mouvement unioniste
un complot judéo-maçonnique, jusqu’à décrire le CUP comme “le Comité juif Union
et progrès”.
Cette conception
de la politique reflétait deux attitudes qui prévalaient à l’époque en Europe :
d’abord l’antisémitisme et la théorie du complot juif visant à dominer le monde ;
ensuite la conviction que les peuples non-occidentaux, comme les musulmans et
les Turcs, étaient incapables d’avoir un gouvernement moderne et avaient besoin
d’être guidés par une main européenne. »
Edmond Lardy (ancien chirurgien en chef de l’hôpital
français d’İstanbul, arménophile de nationalité suisse et très lié à l’Entente
libérale), « Lettre
ouverte à S. E. le général Chérif Pacha à Paris », Mècheroutiette, 1er décembre
1910, p. 8 :
« […] et
tout ce qui arrive m’étonne encore moins depuis que le “Mècheroutiette” [organe
« libéral » d’opposition CUP] m’a appris que le premier sbire d’Ahmed-Riza
[Ahmet Rıza], le trop célèbre Mahmoud Chevket Pacha est un Tzigane [faux], que
Talaat Bey, en est un autre [faux encore], que Djavid bey, le docteur Nazim et
tant d’autres sont des “mamins”, ou juifs renégats évadés des ghettos de Salonique
[il n’y a jamais eu de ghetto à Salonique à l’époque ottomane et le docteur Nazım
n’était pas un dönme, ce que Lardy appelle un mamin] ! »
Edmond Lardy, « Lettre
ouverte à S. E. le général Chérif Pacha à Paris », Supplément au « Mècheroutiette », avril 1914 (non paginé) :
« On n’a mis
à la tête de l’Empire que des Turcs qui étaient des arrivistes affamés et des deunmés
(juifs renégats) qui ne demandaient qu’à manger les restes. »
René Puaux (« journaliste » au
service du gouvernement grec et soutien du nationalisme arménien), « La Grèce et la question d’Orient », Revue
bleue, 4 février 1922, p. 80 :
« Il faut ne
pas connaître la mentalité des nationalistes turcs [il confond ici les
kémalistes et les unionistes, deux groupes qui se recoupaient en partie mais ne
se confondaient pas entièrement, loin de là] pour fonder quelque espoir sur un
relèvement possible de la Turquie, en tous cas sous leur administration.
La Turquie,
jusqu'en 1908, était sous le régime de la monarchie absolue dont Abdul Hamid
fut le dernier et célèbre représentant. La révolution, faite, en 1908. par les
jeunes turcs, amena un semblant de régime parlementaire qui n'était qu'une
parodie des constitutions occidentales et qui eut surtout pour résultat de
faire venir au pouvoir un petit clan d'arrivistes révolutionnaires Talaat,
Djemal, Djavid, Enver
et autres. Sous le nom de Comité
Union et Progrès ces hommes, qui n’étaient
nullement de vieux croyants musulmans, mais des métis de Juifs et [de] Turcs de
Salonique, se mirent à exploiter l'empire pour leur bénéfice personnel. »
Merci à l’auteur
du blog turquisme.blogspot.com d’avoir attiré mon attention sur le docteur
Lardy, cité comme un
courageux défenseur de la vérité par le sémillant Vincent Duclert dans son
livre La France face au génocide des
Arméniens, Paris, Fayard, 2015, où se trouve aussi, parmi les références, Paul du Véou (Paul de Rémusat), tenant du complot judéo-maçonnique et agent d’influence de l’Italie fasciste.
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