mercredi 8 mai 2024

L’arménophilie nazie de Johann von Leers


 

Johann von Leers, « Armeniertum und Ariertum », Armeniertum und Ariertum, Postdam, Deutsch-Armenischen Gesellschaft, 1934, pp. 10-11 :

« On peut affirmer sans aucun doute que le peuple arménien, par son origine, sa langue et par son caractère purement nordique [sic] fait partie des peuples aryens [...] D’une façon générale, on peut dire ceci : une grande part de la tragédie qu’a connu ce peuple dans son histoire tient à ce qu’il a su maintenir avec ténacité sa culture et ses coutumes aryennes, dans un territoire de transit géopolitique, où se rencontraient Sémites, Mongols et Ouraliens […]

Il suffit qu’un peuple n’ait pas accueilli d’éléments juifs en son sein, qu’il n’ait pas de sang noir et qu’il ait un lien de sang clairement reconnaissable avec la race nordique, pour le définir comme aryen. Non seulement le peuple arménien réunit ces conditions, mais il est également prouvé qu’il fait partie de la branche européenne de la famille aryenne, qu’il parle une langue et qu’il possède encore aujourd’hui des caractères nordiques clairement reconnaissables. Les Arméniens sont donc un peuple aryen. »

ð  Ce volume a été publié par l’Association Allemagne-Arménie, dirigée par Paul Rohrbach. Rohrbach était nettement favorable au régime nazi, mais ce qui l’attirait avant tout dans le Troisième Reich, c’était sa nature raciste et les projets d’expansion vers l’est ; alors que von Leers se souciait relativement peu de cette expansion et se consacrait surtout à l’antisémitisme (un thème secondaire sous la plume de Rohrbach) et à l’exaltation de l’agriculteur allemand tel qu’il l’imaginait. Toutefois, ces différences ne rendent que plus remarquables la facilité avec laquelle von Leers et Rohrbach ont collaboré pour persuader les militants et sympathisants nazis que les Arméniens étaient « aryens ». 


  


 


Gregory Paul Wegner, « ‘A Propagandist of Extermination:’ Johann von Leers and the Anti‐Semitic Formation of Children in Nazi Germany », Paedagogica Historica, XLIII-3, juin 2007, pp. 299-325 :

« La récente étude du célèbre historien Christopher Browning sur Les Origines de la Solution finale (2004) suggère qu’environ deux groupes d’antisémites allemands dominaient le Troisième Reich. Un groupe, relativement modéré, poursuivait un programme conservateur et xénophobe qui considérait les Juifs comme des étrangers indésirables. En revanche, les antisémites radicaux ont revêtu les qualités d’un antisémitisme “rédemptionniste” et “chimérique”. Pour les membres de ce groupe, les Juifs étaient responsables de tous les malheurs de l’Allemagne et méritaient donc d’être éliminés. Les antisémites radicaux voyaient ainsi dans l’élimination un moyen de racheter l’honneur du pays. Browning a conclu que les antisémites radicaux n’ont jamais été représentatifs de la majorité de la population allemande ni même de la majorité des membres du parti nazi. Ils ont réussi en grande partie à cause de la passivité et de l’indifférence de la plupart des autres Allemands.

Ce qui distingue les antisémites radicaux comme von Leers de membres du monde universitaire allemand comme l’historien Günther Franz (1902-1992), de l’université d’Iéna, ou le philosophe Alfred Bäumler (1887-1968), de l’université de Berlin, qui ont tous deux rejeté le nazisme après 1945 ? , c’est qu’il est resté totalement et sans vergogne fidèle aux idéaux raciaux et antisémites des nazis jusqu’au jour de sa mort. De plus, contrairement à beaucoup d’autres figures nazies, Leers a continué à diffuser la propagande antisémite après 1945, lors de ses années en Argentine (1952-1956), avec le soutien de Juan Peron (1895-1974), et en Égypte (1956-1965) sous les auspices de l’homme fort du pays, Gamel Abdel Nasser (1918-1970) qui lui a donné un poste de conseiller en propagande sur les Affaires juives au Département de l’Information du Ministère de l’Orientation. » (pp. 305-306)

« En mai 1936, le Reichsführer Heinrich Himmler (1900-1945) fit de Leers un membre honoraire dans la SS en tant qu’Untersturmbannführer attaché à l’état-major du Bureau des races et de la réinstallation. » (p. 309)

« Le dernier paragraphe de l’histoire [écrite par von Leers à destination des enfants sous le régime nazi] rassemblait ce que Leers considérait comme le message central de l’enseignement de l’histoire. Ce recueil d’histoires n’était pas la seule contribution de Leers à l’éducation raciale, mais il restait l’un des rares qu’il consacrât spécifiquement au lectorat des enfants des classes d’histoire élémentaires. Tout comme son style, Leers faisait appel à l’émotion et utilisait souvent un langage potentiellement explosif pour faire progresser son programme antisémite. Dans ce paragraphe de clôture, Leers a amené les élèves à une conclusion incontournable, dont la nature justifiait une oppression encore plus brutale :

“La communauté juive escroque sans vergogne. Les Juifs, de tous temps, depuis les pères fondateurs jusqu’à nos jours, ont utilisé la tromperie des travailleurs comme arme pour accéder au pouvoir. Dans la vie économique, les Juifs ont apporté pendant des siècles cet esprit sérieux du marché noir qui doit également être retiré de son dernier coin glissant. De plus, les années d’industrialisation rapide à partir de 1872 furent en réalité une époque juive. Les personnes qui subissent chaque jour du mal de la part des Juifs ont été dans une large mesure maltraitées. Profondément honteux, ruinés économiquement et opprimés par des structures de dette tortueuses, imposées par les Juifs, beaucoup de ces gens ont abandonné ou se sont cachées dans les ténèbres de la pauvreté. À cette époque, ceux qui caractérisaient déjà librement la malversation juive ont bien manié la situation. La lutte contre les Juifs est une lutte contre un mal ancien du monde.

Si l’important est de savoir qui survivra à cette lutte, alors nous survivrons et les Juifs périront. Moins il y a de Juifs, plus le monde et tous les travailleurs sont heureux ! [Le point d’exclamation est de von Leers].”

C’est le genre de rhétorique antisémite bruyante et implacable pour laquelle Leers est devenu bien connu. Il existe peu d’autres passages, à l’exception peut-être de Mein Kampf, Der Stürmer ou d’Ernst Hiemer, qui apportent aux enfants une suggestion aussi directe et puissante sur l’anéantissement des Juifs. […]

La vision du monde étroite et inflexible inculquée aux enseignants et aux élèves sur les Juifs était aussi liée à ce que Leers considérait comme une réalité géopolitique proche-orientale. Dans les colonnes du journal enseignant le plus diffusé du Reich, Leers a félicité Hadj Amin-el Husseini (1888-1974), le Grand Mufti de Jérusalem, pour avoir dirigé le monde arabe dans sa “lutte contre l’invasion juive de la Palestine”. »  (pp. 317-318)

« Les enquêtes menées par l’Office of Military Government-United States (OMGUS) en 1946 et 1948 offrent quelques révélations utiles. Les résultats de ces enquêtes ont conclu qu’environ deux Allemands sur dix dans la zone d’occupation américaine étaient “clairement antisémites”. Le rapport de l’OMGUS a noté que les Allemands âgés de quinze à dix-neuf ans manifestaient plus d’attitudes antisémites que n’importe quelle autre catégorie d’âge. Ces jeunes citoyens allemands faisaient partie des élèves auxquels Leers s’était adressé avec son message de propagande. » (pp. 322-323)

 

« Von Leers — nazi notoire en fuite — est au Caire révèle le "Toronto Star" », Le Monde, 29 août 1956 :

« Toronto, 28 août (U.P.). - Le Toronto Star a publié lundi un article de son correspondant au Caire. William Stevenson, qui vient d’être expulsé d’Égypte, apportant des révélations sur les nazis au service de Nasser.

[…]

“Aujourd’hui, poursuit le journaliste, j’ai réussi à ‘coincer’ l’un d’eux, un ancien propagandiste du Dr Gœbbels qui s’était enfui en Argentine et a vendu ses services au dictateur Peron.

Il s’agit de Johann von Leers, docteur en philosophie et ancien professeur d’histoire, ayant un long passé nazi.”

[…]

“Israël, a-t-il dit, est quelque chose d’anormal. Il n’est pas assez grand ou assez fertile pour faire vivre des millions de Juifs. Il doit disparaître. C’est une cause de désordre.

Vous demandez pourquoi Nasser dépense du temps et de l’argent pour rallier les Arabes hors d’Égypte contre Israël, alors qu’il y aurait tant à faire chez lui ? C’est que les sionistes sont responsables de 90 % des attaques de la presse mondiale contre Nasser et l’Égypte.” »


John Rogge (ancien procureur chargé de d’enquêtes sur les agents nazis et leurs réseaux aux États-Unis dans les années 1930 et 1940), The Official German Report, New York-Londres, Thomas Yoseloff, 1961, p. 380 :

« Le Dr Johann von Leers, qui avait été l'un des agitateurs antisémites les plus efficaces de Goebbels, fut nommé conseiller politique au ministère [égyptien] de l’Information. […] L’ancien grand mufti de Jérusalem [Amin al-Husseini] avait obtenu pour lui ce poste au Caire et, à son arrivée, l’avait salué publiquement en ajoutant : ”Nous vous remercions d'avoir osé entreprendre la bataille contre le pouvoir des ténèbres qui s'est incarné dans la juiverie mondiale.” »


Lire aussi, sur l’arménophilie d’extrême droite :

L’arménophilie d’Alfred Rosenberg, inspirateur et ministre d’Hitler

Paul Rohrbach : militant arménophile, référence du nationalisme arménien, théoricien de l’extermination des Hereros et inspirateur d’Hitler

L’arménophilie du nazi norvégien Vidkun Quisling

L’arménophilie fasciste, aryaniste et antisémite de Carlo Barduzzi

L’arménophilie du régime de Vichy

Paul Chack : d’un conservatisme républicain, philosémite et turcophile à une extrême droite collaborationniste, antisémite, turcophobe et arménophile

Camille Mauclair : tournant réactionnaire, antisémitisme, turcophobie, soutien à la cause arménienne, vichysme

L’arménophilie vichyste d’André Faillet — en osmose avec l’arménophilie mussolinienne et collaborationniste

L’arménophilie-turcophobie d’Édouard Drumont, « le pape de l’antisémitisme », et de son journal

La place tenue par l’accusation de « génocide arménien » dans le discours soralien

Dissolution du groupuscule néonazi « Les zouaves », fervent soutien du nationalisme arménien

 

Sur des héritiers idéologiques d’Amin al-Husseini :

L’arménophilie de Mahmoud Abbas

La « brigade Nubar-Ozanyan » soutient le Dijihad islamique palestinien contre Israël

 

Sur d’autres arménophiles obsédés par les « complots juifs » :

« L’Assiette au beurre » : soutien à la cause arménienne, turcophobie et antisémitisme prénazi

Albert de Mun : arménophilie, antidreyfusisme et antisémitisme

Auguste Gauvain : arménophilie, grécophilie et croyance dans le « complot judéo-bolchevique »

Le complotisme raciste des arménophiles-hellénophiles Edmond Lardy et René Puaux

L’helléniste Bertrand Bareilles : arménophilie, turcophobie et antisémitisme (ensemble connu)

 

Sur les amis arméniens de Johann von Leers :

La popularité du fascisme italien et du nazisme dans la diaspora arménienne et en Arménie même

La collaboration de la Fédération révolutionnaire arménienne avec le Troisième Reich

Le Hossank, l’autre parti nazi arménien

La Fédération révolutionnaire arménienne rend encore hommage à son ex-dirigeant Garéguine Nejdeh (nazi)

Le racisme aryaniste, substrat idéologique du nationalisme arménien

Les massacres de Juifs par les dachnaks en Azerbaïdjan (1918-1919)

 

Sur les racines de l’antisémitisme arménien contemporain :

L’antisémitisme arménien à l’époque ottomane dans le contexte de l’antisémitisme chrétien

1897 : le choc entre le loyalisme juif à l’État ottoman et l’alliance gréco-arménienne

Paul de Rémusat (alias Paul du Véou) : un tenant du « complot judéo-maçonnique », un agent d’influence de l’Italie fasciste et une référence pour le nationalisme arménien contemporain

L’antisémitisme de Mevlanzade Rifat, nationaliste kurde, menteur et référence du nationalisme arménien contemporain

Le soutien d’Arthur Beylerian à la thèse du « complot judéo-maçonnico-dönme » derrière le Comité Union et progrès

Aram Turabian : raciste, antisémite, fasciste et référence du nationalisme arménien en 2020

 

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