mercredi 24 janvier 2024

La Légion arménienne, ses soutiens civils, leurs crimes et la dissolution de la légion par les autorités françaises (1919-1920)


Le général Henri Gouraud, liquidateur de la Légion arménienne


 

Lieutenant-colonel Maurice Abadie, Les Quatre sièges d’Aïntab, Paris, Charles-Lavauzelle, 1922, p. 32 :

« 5 novembre [1919] : à Adana, un chef de bureau de l’administration française en Cilicie, Kémal Bey, est assassiné par des Arméniens [légionnaires]. À Erzine, un professeur turc est également assassiné par des Arméniens [légionnaires aussi].

La nouvelle de ces deux crimes se répand très rapidement et cause une grosse émotion. »

 

Sous-lieutenant Georges Boudière, « Extrait de mon carnet de route », annexe à « Notes sur la campagne de Syrie-Cilicie : l’affaire de Maraş (janvier-février 1920) », Turcica, IX/2, 1978, p. 166 :

« 3 février […] Le soir, femmes violées par des [légionnaires] arméniens. »




 

Zaven Der Yeghiayan (patriarche arménien d’Istanbul de 1913 à 1922), My Patriarchal Memoirs, Waltham (Massachusetts), Mayreni Publishing, 2002 (1re édition, en arménien, Le Caire, 1947), p. 228 :

« La ville était le centre administratif d'un kaza et était défendue [en 1920] par environ 1 000 Arméniens armés. Ceux-ci étaient dirigés par un tashnagtsagan [c’est-à-dire un membre de la Fédération révolutionnaire arménienne, comme Der Yeghiayan à cette époque], Sarkis Jebejian. Après que Jebejian fut blessé, il fut remplacé par un autre tashnagtsagan, Aram Gaydzag, dont le premier acte de bravade fut de massacrer sans réfléchir les 300 Turcs qui se trouvaient à Hadjin — pour la plupart des hommes désarmés et dans un état pitoyable — et même le juge musulman de la ville, ainsi que sa famille. »

 

Lieutenant Maxime Bergès, La Colonne de Marach et autres récits de l’armée du Levant, Paris, La Renaissance du livre, 1924 (écrit en 1920-1921) :

« Quand je sors de ma maison, en ce matin du 7 février, ou plutôt à la fin de la nuit, car le jour est encore loin de paraître à l’heure où il faut se lever, je suis tout surpris de voir une des cabanes du village transformée en un immense bouquet de flammes ; j’en ressens d’abord une vive émotion, croyant que c’est la demeure des sous-officiers qui brûle ; je suis vite rassuré en constatant sur les lieux que cette cabane est vide... Oh ! mais, en voilà une autre qui commence à flamber - à  l’extrémité opposée du village, puis une autre, dont le toit s’auréole de petites flammes malfaisantes, puis une autre encore, et bientôt la moitié des maisons brûle avec un éclat sinistre, qui éclaire - tout le camp presqu’aussi fort que le plein jour. Ce sont tout simplement les Arméniens de la colonne qui ont trouvé cet excellent et prudent moyen de se venger des Turcs hors de leur présence, et qui déposent le feu partout, mais sans s’inquiéter de savoir si les maisons sont occupées, et si les soldats français qui y logent se sont éveillés à temps.

Il n’y a, heureusement, pas d’accident, et on attrape quelques-uns des délinquants pour les conduire au colonel. Ceux-ci, bien entendu, protestent avec la plus grande énergie de leur innocence, et, bien qu’ayant été surpris à promener des torches enflammées le long des murs, affirment qu’ils n’avaient pas le moins du monde l’intention d’y mettre le feu, et que ce sont les autres qui sont les incendiaires (il y a toujours « des autres » qui viennent fort à propos dans les discours des Asiatiques pris en faute; on ne peut d’ailleurs les accuser de délation ni de calomnie, car ils ne désignent nominativement personne, et “les autres”, c’est en somme une dénonciation assez vague).

Quoiqu’il en soit, le village a tôt fait de devenir véritable brasier ; à droite, à gauche, des toitures flambent, des charpentes s’effondrent en une pluie de tisons ; et la colonne qui se rassemble sur la place est éclairée d’une lueur fantastique et dansante que le vent active et assombrit tour à tour, en arrachant de temps à autre de grandes rafales d’étincelles. » (pp. 55-57)

« Il est vrai qu’elle l’expie durement, sa cruauté, tant par nos bombardements que par la lutte intestine qui multiplie chaque jour les foyers d’incendie ; en plus des Français et des Turcs qui cherchent à se détruire par le feu, les Arméniens de Marach assouvissent leurs vengeances. On voit, d’heure en heure, de nouvelles fumées noires dénoncer de nouveaux feux à mesure que les anciens s’évanouissent dans les cendres consumées. Ils naissent sournoisement, ces incendies, dans la pénombre du crépuscule neigeux ; on voit tout à coup, au hasard des ruelles, une petite flamme clignotante rosir la grisaille environnante ; elle a le rose vif et transi d’une engelure, le rose douloureux d’une chair qui a froid ; mais, bientôt, elle s’élance en un grand feu de joie bondissant, dévore sa proie et, son œuvre finie, reprend son clignotement transi parmi les décombres fumants : Marach brûle!

Je vois, avec peine, venir le tour de la grande mosquée au dôme brillant, qui disparaît brusquement dans un grand feu aux langues effilochées ; un minaret jaillit comme un fuseau de sa quenouille de flammes. » (p. 81)

 

Raoul Desjardins, Avec les Sénégalais par-delà l’Euphrate, Paris, Calmann-Lévy, 1925, pp. 184-185 :

« 3 juin [1920].— Consternation chez nos Arméniens, on annonce la nouvelle d’une pendaison à Ourfa : vingt Arméniens, dix Syriens, dit-on, tâtent du chanvre. Un vent de terreur souffle chez les chrétiens disséminés dans les douars qui nous entourent, les meuniers de Tell-Abiad demandent à se réfugier dans notre poste.

À la fin, ces gens nous embêtent : quand nous sommes menacés sans qu’eux-mêmes le soient, ils nous abandonnent totalement et ne se donnent même pas la peine de nous faire parvenir des nouvelles. Le fait de les recueillir ici, amènerait sûrement des représailles sur leurs coreligionnaires d’Ourfa.

Et puis, ils sont responsables d’une grande partie de nos malheurs. Dans leur propre intérêt, nous aurions dû nous montrer turcophiles, puisqu’ils se trouvent en minorité dans ces territoires. Cependant, ils n’admettaient pas le partage, il leur fallait un régime de faveur, alors que nous entendions faire régner la justice.

Si nous nous sommes bercés du leurre de voir Mardine, Diarbékir, Veranchaïr occupés, c’est que nous n’avons voulu entendre que la voix des chrétiens, nous sommes restés aveugles en ce qui concernait le patriotisme turc. Combien de déceptions encore, nous a fournies cette Légion arménienne, en laquelle nous mettions tant d’espoirs ! Tous ces soldats s’étaient engagés sans aucun esprit militaire, sans patriotisme véritable. Leur but était de trouver mainte occasion de se venger sur les biens ou la personne du Turc honni. Que de meurtres, de pillages à l’actif de ce corps dont les désertions éclaircissent presque totalement les rangs ! »

 

Le ministre de la Guerre à M. le président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, 20 mai 1920, Archives du ministère des Affaires étrangères, La Courneuve, microfilm P 1426 :

« Par lettre n° 290/2L du 1er mai, ci-jointe en copie, le général commandant en chef de l’armée du Levant m’a rendu compte de la nécessité où il s’est trouvé d’ordonner le licenciement immédiat de la Légion arménienne, en raison du mauvais esprit manifesté par les légionnaires.

La constatation de ce mauvais esprit a maintes fois été faite depuis notre installation dans le Levant. En Cilicie, notamment, la présence des auxiliaires arméniens n’a fait que rendre de plus en plus délicat l’exercice de notre commandement, et l’on peut dire que les difficultés éprouvées au cours d’évènements récents proviennent pour une grande part de l’emploi de ces auxiliaires au milieu d’une population en majorité turque, sur laquelle ils n’aspirent qu’à assouvir leur vengeance.

Vous m’avez d’ailleurs fait connaître votre sentiment à cet égard, par vos dépêches n° 5097 et 5978, des 3 octobre et 11 décembre derniers, en me signalant que notre intérêt n’est plus d’accroître, ni même de maintenir, les effectifs arméniens, dont l’importance ne répond plus à l’œuvre qui nous incombe aujourd’hui dans le Levant, et en réservant au gouvernement la faculté de dissoudre la Légion syrienne et arménienne, soit par mesure générale, soit par des décisions individuelles. »   

ð Après avis conforme du ministère des Affaires étrangères, le 18 juin, l’autorisation est donnée en juillet au général Gouraud de licencier la Légion arménienne ; la dissolution est terminée en septembre (le délai étant dû aux offensives kémalistes de l’été).




 

Paul Bernard, Six mois en Cilicie, Aix-en-Provence, éditions du Feu, 1929 (journal tenu en 1920 par l’auteur, responsable des finances à l’administration française d’Adana) :

 « Nous faisons des prisonniers de guerre, trois bœufs et quelques veaux chassés du village par l’incendie. À la vérité, le mérite de la capture revient à des Arméniens, voyageurs de notre train, qui se proposaient de faire transborder avec eux leurs prises et de s’offrir à l’arrivée à Adana quelques festins à bon  compte. Mais un officier supérieur, mon compagnon de compartiment, donne l’ordre au piquet de garde du train de rassembler le bétail dans un fourgon et de le remettre au retour au gouverneur militaire de Tarsous. Désespoir des Arméniens dont le zèle pour la razzia est arrêté, ce qui permet à quelques autres bœufs et veaux que nous apercevons encore errants d’échapper à la boucherie militaire. » (pp. 16-17)

« Nous sommes en plein gâchis. Nous sommes alertés à chaque moment. On n’est plus maître des chrétiens ; tous les jours, des assassinats isolés sont commis en ville ; il y a quatre jours, tous les habitants d’un village turc ont été massacrés avec un odieux raffinement de cruauté. » (p. 49, entrée 18 juin 1920)

« En ville, ce sont tous les jours des meurtres  isolés, des pillages et des paniques. Il faut le reconnaître, les Arméniens, puisant du courage dans le fait de notre présence, sont le plus souvent les provocateurs, et depuis quelques semaines que dure la situation, la correction est du côté des Turcs. Au surplus, il n’y aura bientôt plus de Turcs dans Adana ; menacés chaque jour de pillage et d’égorgement, ils s’en vont les uns après les autres. Il y a certainement de la part des Arméniens une manœuvre, pour tenter de forcer la main à la Conférence de la paix, et en toute éventualité, rester maîtres de la ville. Mais si nous évacuons, ils n’en seront pas longtemps maîtres, et pour parler comme nos poilus, ils prendront quelque chose ; franchement, ils l’auront un peu cherché. » (pp. 59-60, entrée 4 juillet 1920)

« La potence a servi. Avant-hier, en entrant dans mon bureau, j’ai eu la désagréable surprise de voir un Arménien se balancer devant ma fenêtre dans la cour du Konak ; j’ai joui par force de ce spectacle macabre toute la matinée ; des exécutions clandestines ne frapperaient pas suffisamment les esprits ; aussi n’est-ce qu’à midi qu’on a décroché mon pendu. Hier on a dressé une autre potence en face de la première, afin de pouvoir à l’occasion faire un double exemple.

L’avertissement ne paraît pas avoir été compris. Cet après-midi, il s’est produit des événements gros de conséquences, mais dont on ne pourra sans doute jamais préciser la cause initiale.

Je venais de m’étendre pour faire un peu de sieste après le déjeuner, lorsque plusieurs coups de feu tirés à n’en pas douter de l’intérieur de la ville attirent mon attention ; j’ai l’impression qu’on tire de tous les côtés, des fenêtres, des terrasses.

Peu après m’arrive, armé en guerre, mon fidèle Joubert, un des jeunes officiers attachés à mon service, qui, au risque de recevoir une balle vient se mettre à ma disposition dans l’éventualité d’une attaque de la maison que j’occupe en commun avec un officier français de gendarmerie. Il nous renseigne sur le début de l’échauffourée ; les premiers coups de fusil semblent avoir été tirés d’une usine arménienne sur des Turcs qui passaient dans la rue, et en quelques instants tous les Arméniens se sont mis à tirailler d’un peu partout. Une généralisation aussi subite du mouvement peut paraître étrange.

Et cela a duré d’une heure à quatre heures, trois heures pendant lesquelles ont été tirées des centaines de coups de fusil au petit bonheur. Comment n’y a-t-il eu que six tués et quelques blessés, tous musulmans ; ce sont les seules victimes connues au moins jusqu’ici ? Et comment n’avons-nous pas eu de pertes parmi nos officiers et nos soldats qui ont dû prendre presque d’assaut certaines maisons transformées en forteresses ? C’est extraordinaire.

Les Turcs et les Arabes qui sont encore à Adana se sauvent, et ils n’ont pas tort. Il ne reste presque plus de musulmans dans la gendarmerie, et ce soir on est venu annoncer au gouverneur militaire de la ville, chez qui je dînais, que les policiers ont déserté en masse. » (pp. 63-64, entrée 10 juillet 1920)

 « Au moment où j’écris, les 75 entrent en action, nos batteries postées au nord tirent par-dessus la ville. On me téléphone que les Arméniens recommencent à fusiller les Turcs dans la ville ; cette complication nous manquait. » (pp. 70-71, entrée 20 juillet 1920).

« Au petit jour, une section d’artillerie a pu se mettre en batterie de l’autre côté du fleuve et a pris les bandits en enfilade. Mais nos obus ou les Arméniens, les Arméniens plutôt, ont mis le feu à des immeubles près de notre popote et tout le quartier flambe. […]

Ce soir, le quartier turc commence à brûler.

Au coucher du soleil, on a pendu un Arménien arrêté pour pillage dans des maisons abandonnées par des Turcs sortis de la ville. » (p. 71, entrée 21 juillet 1920)

« D’abord au coucher du soleil, double pendaison d’Arméniens pillards. […]

 À dix heures, immense incendie, sans doute encore allumé par les Arméniens ; la ville entière y passera.

Tous les Turcs qui ne se sont pas fait brigands évacuent la Cilicie ; les Arméniens s’y installent en maîtres et font ce qu’ils peuvent pour nous compromettre, voilà la vérité. » (p. 72, 23 juillet 1920)

« Nos postes ont réoccupé notre ancien quartier ; mais le feu continue à dévorer les quartiers turcs ; actuellement une centaine de maisons sont détruites. » (p. 73, entrée 24 juillet 1920)

« La ville est plus calme ; les Arméniens continuent à piller ; mais on signale à peine quelques petits incendies facilement localisés. » (p. 78, entrée 29 juillet 1920)

« Le péril kémaliste paraît à peu près conjuré ; il va falloir maintenant agir contre le péril arménien. Car il y a un péril arménien. Il paraît acquis que l’émeute du 10 juillet n’était qu’une mesure d’exécution du plan de réalisation de la Cilicie arménienne. Le rapporteur du Conseil de guerre, qui est saisi de l’affaire, arrivera-t-il à étayer son accusation, et pourra-t-il faire envoyer au poteau d’exécution les meneurs dont tout le monde ici prononce les noms ?

On a la certitude de l’existence d’un véritable gouvernement arménien occulte ; un tribunal prononcerait même, au nom de ce gouvernement, des condamnations qui, chose plus grave, seraient exécutées.

En tout cas, depuis trois semaines, certains des Arméniens d’Adana ou réfugiés à Adana se sont déshonorés par leurs crimes, pillages, incendies, meurtres commis dans des conditions de cruauté particulièrement odieuses. On a transporté à l’hôpital le cadavre d’une femme turque qui avait été atrocement mutilée. Des disparitions mystérieuses ont été constatées ; les puits ont leurs secrets.

Si l’on veut repeupler la ville de musulmans, il est indispensable de mettre fin à la situation ; on sait que la plupart des habitants partis à la suite des événements du 10 juillet, par peur des Arméniens, ne demanderaient qu’à rentrer s’ils savaient pouvoir le faire sans danger. Il faut donc réparer au plus vite l’erreur que nous avons commise en fournissant aux Arméniens des armes dont ils n’avaient pas besoin, ils n’en demandaient que pour donner une consécration légale à la détention de celle qu’ils avaient déjà en abondance.

Je m’en voudrais certes de prendre à mon compte l’assertion lancée en juin dernier, en plein séance du Parlement nationaliste d’Angora. Les Anglais, déclarait un député, auraient provoqué les événements de Marach en armant et en excitant les Arméniens, afin de se ménager un motif pour réoccuper la Cilicie ; le député en question affirmait même leurs relations étroites avec l’évêque arménien de Marach. Il n’en est pas moins exact, en ce qui concerne Adana, qu’avant leur départ de cette ville, les autorités militaires anglaises ont imprudemment vendu ou laissé vendre aux Arméniens, à des prix dérisoires, de nombreux fusils et des munitions provenant des stocks abandonnés par les troupes turco-allemandes. » (p. 82, entrée 31 juillet 1920)

« J’espère aussi que ce sera la fin du pillage et de la destruction de la ville turque. Une répression impitoyable devra mettre fin à une situation dont la prolongation serait une honte pour notre drapeau qui flotte sur la ville. On pend bien quelques voleurs pris sur le fait ; avant-hier, à sept heures du soir, ce fut le tour d’un Assyrien chrétien ; le lendemain à midi, un Arménien prenait sa place ; mais ce sont des milliers de pillards qui opèrent sans trêve et on n’arrêtera ce désordre qu’en faisait parcourir incessamment la ville par des patrouilles qui abattraient sur le champ les voleurs et les incendiaires. » (p. 85, entrée 3 août 1920)

« La proclamation d’une République chrétienne de Cilicie est un fait accompli. Une délégation des divers partis et rites arméniens, à laquelle s’étaient joints, pour la forme d’ailleurs, des représentants des autres groupements chrétiens, est venue hier en faire la notification officielle aux autorités françaises. La jeune République veut bien demander le protectorat de son aînée, la République française. Toute la ville est pavoisée aux couleurs arméniennes.

Le second acte s’est joué cet après-midi. Les membres du nouveau gouvernement, après s’être assurés pendant quelques instants du central téléphonique, grâce à la complicité d’employés leurs coreligionnaires, ont pénétré au nombre de cinq, le président de la République et quatre de ses ministres, dans le Konak, et du cabinet du Vali ont fait connaître qu’ils s’installaient aux lieu et place du représentant du gouvernement ottoman.

Le colonel Brémond leur a fait répondre par une sommation d’avoir à déguerpir au plus vite. Le président de la République, qui connaît l’histoire en sa qualité d’ancien pédagogue, a voulu parodier la réponse de Mirabeau au marquis de Dreux-Brézé : ‘personnellement, il aurait été disposé à déférer à un ordre de l’autorité française, mais, mandaté par le peuple arménien, il ne pourrait abandonner la place qu’après avoir consulté son peuple ; coïncidence curieuse, le jeune officier délégué pour notifier l’ultimatum est un marquis authentique. La suite ne s’est pas fait attendre ; un piquet de tirailleurs algériens a fait faire une sortie plutôt piteuse au gouvernement cilicien, plus exactement aux quatre de ses membres qui restaient ; le cinquième, le ministre de l’Instruction publique, pourtant officier des volontaires assyriens qui contribuent, très courageusement, à la défense de la ville, s’était prudemment esquivé lorsqu’il a vu que les choses se gâtaient.

Et le traité de paix qui, dit-on, rend la Cilicie à l’administration turque a dû être signé aujourd’hui à Sèvres !

Quelle comédie ces gens-là tentent-ils de jouer sous notre égide ? Pourvu que la comédie ne finisse pas en tragédie.

Le Konak est occupé militairement ; la ville est sillonnée de patrouilles et tout rassemblement est interdit. Le Général, commandant de la Division, va lancer ce soir une proclamation dont les termes ne seront pas des plus agréables aux Arméniens. » (pp. 87-89, entrée 5 août 1920).

« Les Arméniens s’étaient jurés d’empêcher par la force la rentrée des musulmans. Ils n’en ont rien fait, naturellement ; mais ils se sont servis de l’arme qu’ils manient si volontiers, la torche incendiaire ; profitant de l’absence de forcée de surveillance en ville, ils ont encore mis le feu sur plusieurs points et de nombreux immeubles sont en flammes. » (p. 100)

« Bien que toutes les indications que nous recevons à ce sujet soient tenues secrètes, il en filtre assez pour que les Arméniens sachent que les négociateurs du traité de paix ont écarté leur rêve d’une Cilicie arménienne. Aussi l’agitation des partis extrémistes, renforcés d’éléments révolutionnaires et même bolchevistes étrangers au pays, s’est encore accentuée dans ces dernières semaines, et un coup de force était à craindre.

Mais la fermeté de notre politique intérieure s’affirme de plus en plus, et on n’hésite pas à aller au-devant du danger. Ce matin, on a procédé à l’arrestation des principaux meneurs qui ont été dirigés séance tenante sur Karatache, d’où ils vont être conduits dans un lieu de déportation.

Concurremment, deux bataillons d’infanterie et un escadron de cavalerie cernaient les vaillantes troupes de la République arméno-cilicienne, une république dissidente qui s’est constituée après l’effondrement lamentable de l’autre. Cette armée, qui n’avait pas jugé prudent de tenir garnison dans la capitale, avait installé son quartier général dans la plaine entre Adana et Karatache, où elle luttait désespérément contre le bétail et les basses-cours des paysans, n’hésitant pas à punir par les armes et le feu ceux-ci lorsqu’ils émettaient la prétention de s’opposer à son ravitaillement gratuit. La vérité m’oblige à die que l’affaire n’a pas été chaude, l’ennemi a de suite mis bas les armes et nous avons capturé l’armée entière, 400 hommes environs, avec deux commissaires du peuple qui étaient sur la liste des proscrits et qu’on avait vainement cherchés le matin dans Adana ; tous ont pris le chemin de l’exil. » (pp. 107-108, entrée 22 septembre 1920)

« Les mesures énergiques prises contre quelques dirigeants et contre l’armée de la République [arménienne autoproclamée] n’ont pas intimidé les partis avancés [Fédération révolutionnaire arménienne et Hintchak], qui tout au contraire viennent de nous donner une série d’avertissements. Ils ont mis à prix plusieurs têtes, dont celle du général commandant la division. Fait assez curieux, l’ex-président de leur République mort-née, ainsi que l’évêque arménien orthodoxe [Kévork Arslanian] (1), qui leur ont cependant donné assez de gages, sont sur la liste des condamnés ; sans doute ont-ils été jugés coupables de mollesse ; on est toujours le réactionnaire de quelqu’un. Dans la nuit du 24 au 25, un attentat était commis contre le nouveau vali, une bombe jetée dans la cour de sa maison, ne causant heureusement que des dégâts matériels. Le lendemain, vers neuf heures du matin, d’autres bombes détruisaient et incendiaient deux maisons.

(1) Ce dernier devait être, quelques semaines plus tard, victime d’un attentat dans sa cathédrale ; un coup de clef bien asséné lui fendit le crâne ; trépané à l’hôpital militaire, il se rétablit assez vite. » (pp. 109-110, entrée 27 septembre 1920)

 

Général Henri Gouraud, Réponse à la note 9153/A du général de La Panouse, au sujet des Arméniens, 25 novembre 1920, Archives du ministère des Affaires étrangères, microfilm P 17784 :

« Précédemment, en effet, des armes avaient été distribuées aux Arméniens, soit pour défendre leurs villages, soit pour former des contingents auxiliaires, adjoints aux colonnes françaises opérant en Cilicie.

Dans chaque circonstance, les Arméniens ont profité de ce qu’ils étaient armés pour se conduire à l’égard des Turcs précisément comme ils se plaignaient d’avoir été traités par eux, pillant et incendiant les villages, massacrant les musulmans désarmés.

Quand, au contraire, on a fait appel à leur concours pour débloquer Tarsus, sur 2 000 volontaires promis, 17 se sont présentés pour marcher avec nos troupes. Il a fallu en conséquence désarmer les Arméniens ; quant aux expulsions, elles ont été prononcées, non à la suite de la dissolution du contingent arménien destiné à secourir Hadjin, mais à la suite d’une tentative faite le 4 août par les Arméniens d’Adana pour proclamer, à la faveur de l’exode des Turcs, la République arménienne de Cilicie. »




 

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jeudi 18 janvier 2024

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Robert de Caix



 

Journaliste de profession, rédacteur au Journal des Débats et rédacteur en chef de L’Asie française (voir ci-dessous) pendant les premières années, Robert de Caix (1869-1970) est une éminence grise du ministère français des Affaires étrangères jusqu’en 1919 ; il théorise la domination française au Liban et en Syrie au lendemain de la Première Guerre mondiale, avant de devenir secrétaire général du haut-commissariat de Beyrouth (1919-1923), haut-commissaire par intérim (1923), puis représentant de la France à la commission de la Société des nations chargée des territoires sous mandat (1923-1938).

 

Robert de Caix, « La question kurdo-arménienne », L’Asie française, avril 1914, pp. 151-157 :

« La Revue de Paris du 15 avril a publié une étude très intéressante de M. Zarzecki , qui vient d’être pendant longtemps consul de France à Van, sur la question kurdo -arménienne. Comme l’indique ce titre, l’auteur estime qu’il ne faut pas s’occuper exclusivement de l’élément arménien lorsque l’on se préoccupe de donner des réformes à l’Arménie [terme utilisé abusivement pour désigner tout ou partie de l’Anatolie orientale]. “Le seul fait, dit-il, de parler constamment de la ‘question arménienne’, des ‘réformes arméniennes’, comme la presse arménophile le fait à tout propos sans y adjoindre le mot ‘Kurde’ , blesse ceux-ci profondément dans leur amour-propre national et religieux, leur fait croire que ces réformes ont pour unique but de les subordonner aux Arméniens et développe dans l’âme kurde contre les Arméniens les ferments de haine qu’Abdul Hamid y avait déposés.”

[…] Et M. Zarzecki nous signale l’opposition que les réformes rencontreront chez les privilégiés kurdes et les meneurs révolutionnaires arméniens. Les uns et les autres sont, de manières différentes, bénéficiaires, du désordre actuel. “L’application d’un plan de réformes, écrit M. Zarzecki, se heurtera à deux grands obstacles : les beys kurdes et les chefs des organisations révolutionnaires  arméniennes. Ces deux grands ennemis de l’instauration d’un régime d’ordre, de paix et de concorde dans ces contrées agitées sont guidés par des intérêts purement personnels. En effet, par l’application consciencieuse des réformes, le système féodal serait petit à petit aboli et les beys et aghas kurdes ne pourraient plus opprimer et exploiter les malheureux paysans vivant sous leur coupe. D’autre part, ces mêmes réformes, en assurant à la population arménienne la sécurité et la justice, enlèveraient aux chefs révolutionnaires arméniens tout prétexte d’intervention ; ils perdraient ainsi leur influence auprès d’elle et ne pourraient plus lui vendre des armes au double de leur valeur ni lui extorquer de l’argent à tout propos et sous mille prétextes. Or, comme les chefs révolutionnaires de cette contrée sont pour la plupart des aventuriers, originaires généralement du Caucase, incapables de vivre en dehors d’une agitation qui leur est profitable, ils mettront tout en œuvre, aussi bien que les beys et aghas kurdes, pour faire avorter les réformes.”

Il appartient donc aux Puissances de sauver Arméniens et Kurdes d’eux-mêmes ou plutôt de ceux de leurs compatriotes qui vivent de leurs maux […]

Comme on peut en juger maintenant, l’étude donnée à la Revue de Paris par un homme qui a vu présente un très grand intérêt. Elle nous apporte des aperçus nouveaux sur la question arménienne. Elle la fait de plus en plus sortir des déclamations humanitaires faciles qui opposent simplement le peuple des agneaux arméniens aux hordes de loups kurdes. Les choses sont un peu plus complexes. Mais cela ne veut pas dire que les Puissances doivent moins s’y intéresser. Il s’agit avant tout de permettre le maintien de l’empire ottoman. Il s’agit d’assurer une vie tolérable à plusieurs millions d’hommes et des possibilités de durée et de développement à deux populations intéressantes. Comme M. Zarzecki nous ne séparerons pas les Kurdes des Arméniens. Nous espérons que les premiers se cultiveront et que les seconds sauront écouter ceux d’entre eux qui préconisent une politique d’ordre et éliminer les agités qui les compromettent à tous égards. C’est pour les Kurdes aussi bien que pour les Arméniens que nous désirons voir introduire des réformes dans les vilayets de l’Arménie orientale. Telle est la vue que nous avons toujours eue lorsque le Comité de l’Asie Française a fondé sa section arménienne. Aussi enregistrons-nous avec plaisir l’avertissement de M. Zarzecki disant qu’il ne faut pas parler simplement de réformes arméniennes. »

 

Lettre de Robert de Caix au général Julien Dufieux, commandant la division d’Adana, 25 novembre 1920, Centre des archives diplomatiques de Nantes, 1SL/1V/137 :

« Ceci veut dire qu’il ne peut pas être question de songer à une autonomie quelconque au profit des Arméniens. Vous rendriez notre situation impossible si vous laissiez espérer la moindre espérance d’une pareille solution aux Arméniens dans vos conversations avec eux. Ils me paraissent dépasser les autres Orientaux dans l’art de biaiser, dans le sens qui leur convient, les paroles qu’on leur a dites. Je n’ai jamais eu, pour ma part, jusqu’ici, une conversation avec un Arménien, même des hommes vivant en Europe comme TCHOBANIAN et NUBAR Pacha sans les avoir vu fausser, avec une mauvaise foi si parfaite que je me demande si elle n’est pas ingénue, le sens de mes paroles. C’est ainsi qu’il avait été formellement entendu à Aley avec M. Tchobanian et avec le Catholicos qu’il n’était pas question d’une autonomie arménienne, de forces arméniennes en Cilicie [la Légion arménienne ayant été dissoute à l’été 1920], et encore moins du débarquement du général Andranik. C’est seulement à la condition de ne rien soutenir de tout cela que M. Tchobanian a été autorisé par le général [Henri Gouraud, haut-commissaire à Beyrouth] à se rendre en Cilicie. Or, je vois qu’il vous a parlé de tout cela, dans l’espoir de vous embarquer, et sans doute le haut-commissariat avec vous. »    


  

 


De Caix est évidemment seul responsable de sa dureté de ton, à replacer dans le contexte de sa lettre ; cette dureté même ne perd rien pour autant de sa valeur documentaire, puisque le passé est de nos jours complètement manipulé par les nationalistes arméniens et leurs perroquets. 

Le haut-commissaire par intérim de la République française en Syrie et au Liban à Son Excellence Monsieur le président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, Archives du ministère des Affaires étrangères, 23 janvier 1922,  La Courneuve, P 17787 :

« Le rôle de la Légion arménienne en Cilicie, les représailles et excès de toutes sortes commis par les Arméniens et qui ont si lourdement grevé notre politique pacificatrice en Cilicie, sont des faits assez éloquents pour faire justice des allégations mensongères et des accusations injustes portées contre nous et que les chefs des communautés arméniennes [grégorienne, catholique, protestante], respectant les convenances élémentaires et la vérité, auraient dû s’interdire de formuler dans la lettre présentée par eux au Conseil de la Société des nations au nom du Conseil mixte arménien. »



Hubert Lyautey



Général puis maréchal à partir de 1921, membre de l’Académie française et mentor du général Gouraud (cité ci-dessus), Hubert Lyautey (1854-1931) est résident général au Maroc de 1912 à 1925 et organisateur de l’exposition coloniale de 1931.

 

À M. Georges Leygues, président du Conseil, 21 décembre 1920, Pierre Lyautey (éd.), Lyautey l’Africain. Textes et lettres du maréchal Lyautey, Paris : Plon, volume IV, 1919-1925, 1957, p. 109 :

« Ce qu’il y a à en conclure [des renseignements recueillis auprès de la famille royale marocaine et des grands notables, économiques aussi bien que religieux], c’est qu’ici, au Maroc, la révision du traité de Sèvres, la reconstitution au moins partielle de l’Empire turc, l’entente avec Kémal, lieutenant du sultan de Stamboul, sur l’initiative et sous l’égide de la France, seraient accueillies avec un véritable soulagement, étaient même escomptées dès la nouvelle des événements grecs.

Il ne m’appartient pas d’intervenir dans quoi que ce soit de la politique générale et, me limitant strictement à la mission qui m’est confiée, je me garderai bien de toute incursion dans un domaine qui n’est pas de mon ressort. En restant scrupuleusement dans les obligations de la charge que j’occupe, j’ai le devoir de mettre le gouvernement au courant et de dire qu’au point de vue exclusif du Maroc, la France retirerait un bénéfice formidable d’une entente avec la Turquie, donnant à celle-ci les plus larges satisfactions. »

 

À M. Briand, ministre des Affaires étrangères, 25 novembre 1921, ibid., p. 112 :

« Je ne saurais vous dire assez, en effet, quelle répercussion favorable avait eu ici [au Maroc] la nouvelle de cet accord [l’accord d’Ankara, signé avec le gouvernement kémaliste, prévoyant l’évacuation d’Adana et honni comme tel par les nationalistes arméniens].

Elle s’est répandu rapidement par tout le Maroc, comme je l’ai constaté dans ma dernière tournée auprès des notables de toutes régions et apporte un facteur et apporte un facteur des plus favorables pour le progrès de la pacification et par suite pour l’allègement ultérieur de notre effort militaire.

Le sultan ainsi que son entourage l’a apprécié si hautement qu’il m’a demandé de lui en parler dans mon allocution du Mouloud, pour avoir ainsi l’occasion d’y répondre, comme vous le verrez par des documents que je vous rapporte par la valise.

Je crois utile de vous donner sans délai cette information qui, en considération des intérêts spéciaux de la France dans l’Afrique du nord ne peut pas être négligeable à l’occasion des débats que pourrait soulever cet accord. » 

 

Le président Mustapha Kémal au maréchal Lyautey, 25 décembre 1921, ibid., p. 113 :

« Sur ma prière, Mme Berthe Georges-Gaulis a bien voulu ajouter une nouvelle preuve d’amitié à tant d’autres, en se chargeant de vous faire parvenir ces quelques lignes. Je profite donc de cette occasion pour vous exprimer ma profonde reconnaissance pour la sympathie que vous avez bien voulu nous témoigner dans notre lutte pour l’Indépendance. La France n’a pas déçu les espoirs que nous avions en elle, et par la voix de ses chefs les plus autorisés, elle a su nous réconforter par d’affectueuses paroles aux moments difficiles que nous avons vécus. Parmi ceux qui, dans une claire vision des intérêts supérieurs de la France et de la situation particulière qu’elle occupe en Méditerranée, se sont déclarés pour le maintien de la politique traditionnelle de la France au Proche-Orient, Votre Excellence figure au premier rang, et, nul doute, Votre haute intervention a fait pencher la balance dans ce sens. Nous sommes heureux de voir que les efforts déployés, de part et d’autres, ont porté leurs fruits sous la forme de la conclusion de l’Accord d’Angora, et nous fondons de grands espoirs sur cet instrument, qui ne manquera pas d’exercer le plus heureux effet sur les liens d’amitié séculaires entre les deux peuples, qui viennent d’être rétablis dans un si large esprit de cordialité. »  


 

 

Le Comité de l’Asie française et le Comité Dupleix



Le Comité de l’Asie française est fondé en 1901, sous la présidence du sénateur Eugène Étienne (1844-1921, centre gauche), « le pape du parti colonial ». Centré sur l’Extrême-Orient à l’origine, il commence à s’intéresser au Proche-Orient à partir de 1909. Plus généraliste et plus marqué à droite, le Comité Dupleix est créé dès 1894.

 

Henri Froidevaux, « Le projet de traité avec la Turquie et la France », L’Asie française, mai 1920, pp. 144-145 :

« Tel est, en particulier, le cas pour les avantages consentis à la Grèce par les alliés. On sait déjà quels ils sont ; il convient cependant d’y revenir pour en signaler le très réel danger. Autant il est naturel  de donner à la Grèce des îles de la mer de l’Archipel dont la population est indiscutablement grecque, autant il est peu juste de leur consentir les annexions continentales que stipule le traité. Voici la Turquie d’Europe à l’Ouest des lignes de Tchataldja ; comment peut-on en légitimer l’attribution au royaume de Grèce ? Sur le principe des nationalités ? Nullement, car le pays n’est pas grec, ou, du moins, il ne l’est qu’en minorité, et même les statistiques les plus truquées ne parviendront jamais à empêcher qu’en 1920 les campagnes de la région d’Andrinople ne soient beaucoup plus turques qu’autre chose. Serait-ce donc sur la très faible participation des Grecs à la guerre que vont s’appuyer les rédacteurs du traité ? Bien peu défendable est leur thèse, et je croirais volontiers que l’habileté de M. Venizelos constitue en réalité le seul fait qui ait déterminé les alliés à attribuer à la Grèce, dans la Turquie d’Europe, une si belle part.

Qu’est toutefois cette concession à côté de celle que les alliés ont consentie aux Grecs en Anatolie ? Sous une forme détournée, et plus ou moins dissimulée, les puissances de l’Entente donnent au royaume de Grèce, Smyrne et sa banlieue, ou plutôt une très grosse banlieue dont les termes très vagues du Résumé officiel (“un territoire adjoint”) (1) ne permettent pas de se faire une idée exacte ; attendons, pour la déterminer, la publication de la carte jointe au Traité. Mais n’attendons pas jusqu’alors pour constater qu’en Asie comme en Europe, les acquisitions helléniques motivent de très sérieuses réserves. En Asie Mineure, en effet, une très étroite bande côtière est seule grecque, avec deux ou trois presqu’îles dont la plus importante est celle de Vourlou. Peut-être la ville même de Smyrne est-elle grecque en grande partie, mais toute la campagne située en arrière est turque… Que devient, dès lors, en Anatolie, ce fameux principe des nationalités, devant lequel on nous invite, d’autre part, à nous incliner ? »

 

Henri Froidevaux, « Au lendemain de la signature du traité de Sèvres », L’Asie française, juillet-août 1920, p. 213 :

« Que va devenir cette Arménie, sur laquelle personne ne veut accepter le mandat et qui, telle que l’a conçue le traité de paix, semble vraiment incapable de vivre une vie propre ? […] Dans tous les cas, une chose est certaine : on doit s’attendre, et dans un avenir relativement proche, à de sérieuses modifications de la géographie politique dans  les parties nord-orientales de l’ancien Empire turc. »

 

Henri Froideveaux, « Vers la révision du traité de Sèvres », L’Asie française, décembre 1920, p. 394 :

« Qui reste-t-il donc, à l’heure actuelle, pour préconiser le maintien du traité de Sèvres ? Le roi Constantin? Celui-ci déclare en effet, dans le message qu’il vient d’adresser à son peuple à l’occasion de son retour, devoir “poursuivre à l’extérieur l’achèvement de la reconstruction nationale en s’appuyant sur son héroïque armée”, et devoir “suivre dans sa politique étrangère l’orientation ,séculaire depuis la renaissance nationale et même avant la fondation du royaume, cette politique qui répond aux sentiments et aux intérêts de la nation”, mais les Alliés doivent-ils se soucier de l’avis de Constantin ? —- Restent donc les Anglais. Que ceux-ci méditent deux des principales clauses de l’accord conclu entre la Russie des soviets et les nationalistes turcs! Les voici : “La Russie et la Turquie joindront leurs efforts et leurs ressources pour libérer du joug étranger des pays musulmans tels que l’Inde, l’Algérie, l’Égypte, le Maroc et Tunis, et pour garantir leur indépendance, — la Russie reconnaît l’indépendance de tous les États mahométans et garantit leur intégrité territoriale”. Est-ce pour obtenir ce beau résultat que l’Angleterre persiste à tenir pour intangible la paix du 10 août 1920, qu’elle gêne moralement la France, fidèle à ses alliances, dans ses initiatives vis-à-vis des nationalistes turcs ? Ne vaut-il pas mieux renoncer à soutenir les Grecs, qui ne témoignent aux Alliés que du mépris ? Révoquer les mandats, obtenus naguère par M. Venizelos, en vertu desquels les troupes helléniques occupent certaines positions importantes en Thrace orientale et en Asie mineure ? Réviser franchement un traité qui, en réalité, ne peut satisfaire personne, ou à peu près personne, sinon nos ennemis d’hier, et de toujours ?... Avant même l’élaboration définitive du traité de Sèvres, les Italiens ont été convaincus qu’il n’était pas viable : nous en avons été persuadés également de très bonne heure. Les Anglais ne sauraient, quant à eux, fermer les yeux à la leçon la plus éloquente, à celle des faits, c’est-à-dire à celle qui présente le plus de poids à leurs yeux. Si, par grand hasard, ils se refusent à le faire, s’ils nient l’évidence même, reprenons une fois encore, très amicalement, mais très franchement, notre liberté d’action et agissons vis-à-vis des Turcs comme le commande impérieusement l’intérêt bien entendu de la France. »

 

« Une manifestation en faveur de la Turquie », Échos de l’Islam, 1er février 1921, p. 2 :

 « Le Comité Dupleix, au sein duquel nous comprenons un grand nombre d’amis, vient de faire afficher sur les murs de Paris des milliers d’affiches dont nous sommes heureux de reproduire le texte ci-dessous. 

 

Pour avoir la paix en Orient

LE TRAITÉ DE SÈVRES NE DOIT PAS ÊTRE RATIFIÉ

Le traité de Sèvres installe en Orient une guerre interminable et il dépouille la France.

Le traité de Sèvres installe la guerre en Orient parce qu’il traite les Turcs avec une sévérité excessive, qui contraste avec la mansuétude et les égards que l’on a prodigués aux Allemands.

Pourquoi traiter plus mal la Turquie que l’Allemagne, la grande coupable de la guerre ?

Le traité de Sèvres dépouille la France. Il est la négation de mille ans de notre histoire. […]

D’autre part — les événements récents le démontrent —, ce traité de Sèvres fut une erreur et il est impossible à appliquer.

Le bon moyen de faire la paix en Orient, c’est d’examiner les revendications turques et de soutenir celles qui sont légitimes. »

 

Maurice Honoré (voix officieuse des milieux coloniaux), « La France en Orient. L’accord franco-turc », La Nouvelle Revue, 15 décembre 1921, p. 328 (article réimprimé par le Comité Dupleix) :

« Enfin, on [les nationalistes arméniens et leurs soutiens anglo-saxons] nous reproche de vouer au massacre, par notre départ, les chrétiens de Cilicie mais c’est le texte de Sèvres lui-même, dicté par l’Angleterre, qui rend la Cilicie aux Turcs. L’accord d’Angora garantit les droits des chrétiens, et des délégués français veillent à l’exécution de cette clause ; la France a le souci de son honneur et du salut des populations qui ont eu foi en elle. Si du sang chrétien coulait, les plus grands coupables seraient ceux qui ont exaspéré l’Islam en traquant le nationalisme turc, en laissant la Grèce débarquer à Smyrne, s’avancer en Asie Mineure, et commettre d’innombrables cruautés ; le navire de guerre anglais qui vient d’arriver devant Mersine aurait plus efficacement protégé les chrétiens en empêchant les Grecs, en mai et juin, de brûler vifs les femmes et les enfants turcs d’Yalova et d’Ismidt, préalablement arrosés de pétrole. »

 

Maurice Honoré, « Vers la fin du conflit oriental ? », La Nouvelle Revue, 15 juillet 1922, pp. 111-112 et 117 (article également réimprimé par le Comité Dupleix) :

« Les sujets grecs de la Turquie vivaient tranquilles sous l’autorité du sultan, qui les laissait gouverner par le patriarcat œcuménique peuple de commerçants et de gens d’affaires, ils s’enrichissaient librement et ne demandaient rien de plus. Un rêve de folle grandeur est soudain venu les griser la Grande Idée, “Megali Hellas”, s’est emparée d’eux, sous l’inspiration de M. Venizelos, dont les statistiques classent comme terre “irredenta” tout pays, toute ville où se trouvent des habitants grecs, et qui veut accroître l’État hellène jusqu’à l’hypertrophie mortelle.

Pour la réalisation de ce rêve extravagant, l’armée grecque a été mise au service de la politique britannique ; celle-ci a non seulement fourni des armements, mais facilité des violations de neutralité, toléré des atrocités, des stupres sans nombre ; si l’on ose démentir, nous préciserons. Après des alternatives de succès et de revers, cette armée maniée de Londres a subi un grave échec sur la Sakharia, l’été dernier, alors que son objectif proclamé était la prise d’Angora. […]

On a fait beaucoup de bruit au sujet d’atrocités que les Turcs auraient commises, et le gouvernement anglais a proposé une enquête sur ce point ; la France a fort sagement demandé que l’enquête fût symétrique et portât aussi sur les faits analogues imputés aux Grecs. On a reproché aux Turcs, notamment, les exécutions de la région du Pont ; il faut savoir que, les Grecs de cette région, sujets ottomans, ayant à l’instigation d’Athènes tenté de fonder un Etat indépendant, les principaux coupables furent pendus ; sir Roger Casement, pendu, et ses complices, fusillés, n’en avaient pas fait davantage en Irlande, en 1916. […]

Malgré cela, le 20 avril dernier, à l’insu des Turcs, les Italiens évacuèrent la région, qui fut aussitôt occupée par les Grecs cela n’était possible que si ceux-ci avaient été avisés plusieurs jours à l’avance les Grecs marquèrent leur arrivée par des incendies. »

 

Saint-Brice

De son vrai nom Louis de Saint-Victor de Saint-Blancard (1878-1952), le journaliste Saint-Brice était responsable de la politique étrangère au quotidien à fort tirage Le Journal, tout en étant l’un des principaux rédacteurs de la Correspondance d’Orient (bulletin des milieux coloniaux intéressés au Proche- et Moyen-Orient) et un contributeur occasionnel de la Revue universelle.

 

Saint-Brice, « L’éternelle Turquie », Correspondance d’Orient, 30 octobre 1919, pp. 241-247 :

« On ne viole pas impunément les principes les plus élémentaires de la logique. Josué avait arrêté la marche du soleil pendant quelques heures. Les Alliés ont eu la prétention de suspendre le cours des événements pendant des semaines et des mois, de cristalliser la situation au point de rupture, à la minute même de l’armistice. Ils ont fait fi de tous les enseignements du passé. Les hommes qui ont soulevé le monde aux cris du droit des peuples et des nationalités se sont flattés de malaxer les nations à leur fantaisie, d’interpréter les nouveaux dogmes au seul gré de leurs caprices. N’ont-ils point poussé la fatuité jusqu’à imaginer que le l’eu des passions allumé par eux se disciplinerait au rythme de leur impuissance? La force souveraine qui préside aux destinées de l’univers, appelez-la Destin ou Providence, prend une cruelle revanche. Au souffle des réalités, les idéologies chimériques s’écroulent comme des châteaux de caries et l’irrésistible puissance des faits déjoue les calculs sournois. […]

La France, elle, ne devait pas hésiter, semble-t-il. Pour elle, la leçon du passé parlait nettement on faveur du maintien de l’intégrité ottomane et de la reprise des liens noués par François Ier et Louis XIV. Malheureusement, les hommes chargés de nos intérêts étaient foncièrement anti-traditionnalistes. Les fautes qui nous coûtèrent jadis l’Egypte allaient se renouveler. […]

Et pourtant, il faudra bien se décider à regarder les réalités en face. Il y a actuellement en Asie Mineure une armée que Mustapha Kemal prétend porter à 300 000 hommes. Une soixantaine de mille Kurdes sont à l’instruction. Vingt mille gendarmes poursuivent activement Je recrutement. Les restes de la guerre fournissent un abondant matériel. Les Turcs sont des soldats et ils ont appris la guerre. Qui se chargera de briser leur nouvel effort ? Où sont les énergies combattives? Où sont les armées ? Je mets au défi un seul des gouvernements européens de lever actuellement un corps pour recommencer à détruire la Turquie.

Alors faudra-t-il se décider à laisser vivre la Turquie ? Ce n’est pas certes nous qui y objecterions, à condition que l’on prenne quelques précautions indispensables et surtout que l’on ne mette pas de l’huile à côté du feu. Le grand danger à l’heure actuelle n’est pas que les puissances reviennent à l’idée de rayer de la carte, d’un trait de plume, les quinze millions d’Ottomans. Le péril est que les Augures croient possible de maintenir à la fois la Turquie et les occupations déjà réalisées en Asie Mineure. Nous n’hésitons pas à déclarer que ce projet serait insensé. Une Turquie, même réduite, ne peut pas vivre sans Smyrne. Placer côte à côte des Italiens, des Grecs et des Turcs, c’est provoquer comme à plaisir le renouvellement des fantaisies balkaniques qui ont troublé le monde un siècle durant. C’est sacrifier délibérément la seule chance peut-être qu’il y ait d’établir un peu de calme en Orient. La conférence aura-t-elle l’énergie d’inviter les Italiens à renoncer à Adalia et les Grecs à évacuer Smyrne? Nous l’en défions bien. La question d’Orient ne relève déjà plus de la diplomatie. »

 

Saint-Brice, « Les clauses essentielles du traité turc », Le Journal, 10 mai 1920, p. 1 :

« Après l’expérience du traité de Versailles, on ne doit pas attendre qu’il soit trop tard pour refaire le traité turc. »

 

Saint-Brice, « La révision de la liquidation orientale », Correspondance d’Orient, 30 juin 1920, p. 531 :

« Comme l’a très justement fait remarquer M. Bernus, correspondant parisien du Journal de Genève, il serait absurde de reconnaître dans un cas particulier la nécessité de ménager les susceptibilités ottomanes et de provoquer de gaîté de cœur un conflit général en maintenant un projet de règlement absolument inacceptable. Allons-nous par exemple ouvrir la conquête de l’Arménie [Anatolie orientale] alors que nous venons de reconnaître l’inefficacité et les dangers de la manière violente [par un armistice avec les kémalistes] en Cilicie [région d’Adana] ? »

 

Saint-Brice, « La vraie question d’Orient, c’est la question des Détroits », Le Journal, 17 septembre 1922, p. 1 :

« La sagesse commande donc de ramener la Turquie en Europe et de discipliner par le frein de la civilisation les forces qui viennent de s’affirmer. La chose est parfaitement possible. Les chefs du mouvement d’Angora ont une conception très nette des possibilités politiques. Leur programme n’a rien de déraisonnable. Il prévoit simplement les mesures indispensables pour assurer l’indépendance réelle de Constantinople, capitale ottomane. Indépendance du côté de la terre,  par une zone de couverture suffisante, d’autant aisée à réaliser que la Thrace a une population en grande majorité turque. Indépendance du côté de la mer, par une véritable liberté des Détroits, c’est-à-dire une liberté réservée exclusivement aux honnêtes gens. »

 

Saint-Brice, « Tout craque », Correspondance d’Orient, 15 septembre 1922, p. 514 :

« Non content d’avoir exalté les, Grecs dans son discours du 5 août, le chef du gouvernement anglais a adressé à Paris, le 19, une note qui laissait entrevoir l’intention bien arrêtée de remettre en question l’évacuation de Smyrne. En même temps, on refusait à Londres de recevoir le ‘ministre de l’Intérieur du gouvernement d’Angora, Fethy bey, venu en mission de conciliation. Les Turcs ont compris et ont essayé de profiter des derniers beaux jours pour montrer aux Anglais qu’il faut encore compter avec eux.

La, démonstration a été facile. Une offensive vigoureuse a enfoncé le front grec aux points les plus sensibles. En trois jours, du 26 au 29 août, les Kémalistes ont enlevé Afioum-Kara-Hissar, la plaque tournante de tout le système de communication du front grec. En deux semaines ils ont atteint Smyrne.

La preuve est faite de l’impossibilité pour les Grecs de garder une tête de pont en Asie Mineure. La plus grande partie de l’opinion britannique l’a compris. Si M. Lloyd George se décide à entendre raison, le règlement oriental pourra en être avancé plus que par tous les échanges de notes qui cherchaient à saboter la Conférence de Venise plus qu’à en hâter la réunion. La France et l’Italie sont décidées depuis longtemps à accepter les conditions indispensables du rétablissement de la paix en Orient. Que l’on se hâte à Londres d’écarter les conseillers néfastes qui ont soulevé contre l’Angleterre toutes les forces de l’Islam et sont en train de refaire en Asie un bloc de soixante millions de Turcs. La Grande-Bretagne devrait être la première à voir ce péril, si M. Lloyd George avait assez de clairvoyance et de bonne foi. »

 

Saint-Brice, « La lutte pour Constantinople », La Revue universelle, 15 octobre 1922, p. 226 :

« Le canon est brutal, mais franc. Quinze jours d’opérations militaires en Orient ont dissipé les équivoques accumulées par trois années de jongleries diplomatiques. L’effondrement du camouflage de la mégalomanie grecque a découvert les convoitises d’hégémonie britannique. Derrière l’exploitation des aspirations nationales et des rivalités religieuses est apparu l’éternel conflit de domination qui résume la question d’Orient : la lutte pour Constantinople, clef des Détroits, trait d’union entre l’Orient et l’Occident. »

 

Lire aussi, sur les positions et sources françaises :

1920-1921 : l’irréductible conflit des points de vue français et nationaliste arménien sur Çukurova (« la Cilicie »)

L’hostilité de l’opinion française (presse, Parlement) au traité de Sèvres (Grande Arménie incluse)

Turcs, Arméniens : les violences et souffrances de guerre vues par des Français

La gauche française et la question turco-arménienne dans les années 1920

La vision communiste du conflit turco-arménien (avant le tournant turcophobe imposé par Staline)

Nationalisme arménien et nationalisme assyrien : insurrections et massacres de civils musulmans

Le soutien public d’Henri Rollin (officier de renseignement) aux conclusions de Pierre Loti

L’évolution d’Émile Wetterlé sur la question arménienne et les Turcs

Maurice Barrès : de l’antisémite arménophile au philosémite turcophile

La France briando-poincariste contre l’axe FRA-Hoyboun (alliance de nationalistes arméniens et kurdes)

La crise arménienne de 1895 vue par la presse française

La conflagration arménienne et la fin de l’Empire ottoman vues par le journaliste et ex-diplomate Francis Charmes

1895 : quand un terroriste arménien voulait assassiner le consul de France à Sivas

 

Sur la question de Cilicie :

La conduite exécrable des légionnaires arméniens en 1918-1919

Février-mars 1920 : une campagne francophobe et turcophobe des organisations nationalistes arméniennes

23 avril 1920 : la justice française condamne l’ex-archevêque Moucheg Séropian pour terrorisme

 

Sur la question gréco-arménienne :

Cinq témoignages américains contredisant la prétendue « extermination des chrétiens du Pont-Euxin » en 1921

Le soutien nationaliste arménien à l’irrédentisme grec-constantinien, massacreur de marins français et de civils turcs

Le témoignage de l’ingénieur français Camille Toureille sur la politique de la terre brûlée mise en œuvre par l’armée grecque et sur l’incendie d’İzmir

L’amiral Charles Dumesnil et Raymond Poincaré sur les causes de l’incendie d’İzmir (« Smyrne »)

Le consensus de la presse française pour attribuer l’incendie d’İzmir (« Smyrne ») aux nationalistes arméniens (1922)

Le régime baasiste s’effondre en Syrie : la Fédération révolutionnaire arménienne perd un allié historique

  Logo du parti baasiste syrien   Gaïdz Minassian, Guerre et terrorisme arméniens. 1972-1998 , Paris, PUF, 2002 : « En Syrie, après pl...

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