mardi 15 octobre 2024

Les destins parallèles de Simon Petlioura et Talat Pacha

 





Simon Petlioura (Symon Petlura) était un dirigeant social-démocrate ukrainien, indépendantiste, président de la République de 1919 à 1920. Talat (Talaat) Bey, puis Talat Pacha, était un dirigeant du Comité Union et progrès (CUP), ministre ottoman de l’Intérieur de 1909 à 1911, puis de nouveau de 1913 à 1917, et finalement grand vizir de 1917 à 1918. Petlioura a été assassiné en 1926 à Paris, par Samuel Schwartzbard, un repris de justice manipulé, armé et renseigné par le renseignement soviétique. Talat a été assassiné en 1921 à Berlin par un terroriste de la Fédération révolutionnaire arménienne, Soghomon Tehlirian, qui avait assassiné un Arménien loyaliste à Istanbul, l’année précédente.

 

Taras Hunczak (professeur d’histoire à l’université Rutgers, États-Unis), Symon Petlura et les Juifs, Paris, Bibliothèque ukrainienne, 1987 (traduction d’un article publié en 1969 par Jewish Social Studies, revue éditée par les Presses universitaires de l’Indiana) :

« Ainsi qu’il a été indiqué plus haut, dès son instauration, en fait, le Directoire [gouvernement ukrainien] adopta une attitude positive à l’égard de la participation des Juifs à la vie politique de l’Ukraine. Non content d’assurer un statut privilégié a la communauté juive, le Directoire lui donna également des droits strictement égaux pour servir dans les diverses administrations du gouvernement ukrainien. Finalement, nous trouvons plusieurs Juifs qui assument des fonctions ministérielles, certains occupant des postes importants au ministère des Affaires étrangères ukrainien, et plus de deux cents autres détenant des fonctions de moindre importance. Conformément aux principes d’égalité sociale, Petlura imposa l’admission des Juifs à l’École des élèves officiers.

La position du Directoire, en ce qui concerne les problèmes d’éducation des Juifs, fut également pleine de sagesse. Sur les conseils d’Abraham Revuts’ky, ministre des Affaires juives, le  gouvernement édicta une loi plaçant l’ensemble des écoles et des établissements d’enseignement juifs sous son contrôle et l’autorisant, par ailleurs, à leur attribuer le neuvième des crédits du ministère de l’Instruction publique. » (pp. 26-27)

« Selon les témoignages de l’époque et dignes de foi, les nombreux appels et ordres de Petlura et de son gouvernement n’étaient pas un vulgaire écran de fumée à l’abri duquel les éléments criminels pouvaient s’adonner librement à leur coupable industrie. Au contraire, ils sont le reflet des actes et de la politique mentionnée par le Directoire. Le colonel Oleksander Dotsenko, qui était l’aide de camp de Petlura, a relate que quatre Ukrainiens furent fusillés, près de Kiev, pour leur participation aux pogroms. De même, un officier nommé Michtchouk et plusieurs cosaques furent fusillés à la suite du pogrom de Raihorod. Ce même colonel a également confirmé l’exécution du fameux otaman [commandant militaire] Semesenko.

Le colonel Kedrovs’ky, qui etait bien place pour le savoir, a rapporté que rien qu’à Smotrytch  (Volhynie) quatorze cosaques furent fusillés, pour participation à un pogrom. Partout, notamment à Orynyn et à Kytaihorod, ainsi qu’à Talny et Vakhnivka, d’autres, jugés coupables de viol, subirent le même sort.

Arnold Margolin parla également d’exécutions nombreuses, pour participation a des pogroms. Le témoignage ci-dessous est particulièrement édifiant :

“Enfin, je possède une transcription, certifiée conforme, du jugement rendu par une cour miUtaire speciale, le 22 août 1920, concernant Varyvan Vynnyk, accusé d’avoir infligé des blessures a Yossel Aster, au village de Zalukivtsi (près de stanyslaviv, en Galicie) — blessures mettant sa vie en danger. Ce cas fut juge à huis clos. La cour qualifia d’‘inhumain’ le comportement de Vynnyk, et le condamna à être fusille. La sentence fut exécutée le jour même.” » (p. 32)

 

Rémy Bijaoui, Le Crime de Samuel Schwartzbard, Paris, Imago, 2018, pp. 150-152 :

« D’abord, un fait incontestable : il n’existe sous la plume de Petlioura aucun écrit, aucun document, aucun discours antisémite. Bien au contraire, nous le verrons. Ses partisans ne manquent pas de rappeler qu’en 1907 il avait même préfacé une pièce de théâtre de Tchirikov, Les Juifs, dénonçant l’oppression des Juifs en Russie. Cette attitude philosémite est au reste constamment rappelée par les personnalités juives qui ont travaillé, pendant ces années de lutte, aux côtés de Simon Petlioura. M. Sliosberg, ancien président du Comité central de secours aux victimes de guerre et des pogromes, qui témoignera contre lui au cours du procès Schwartzbard, rétablit sur ce point capital la vérité :

“Les amis de Petlioura, selon les rapports des journaux, disent que c’était un homme de grandes qualités, un ami des Juifs. Je ne le nie pas. Je n’admets pas qu’il fût antisémite.”

Vladimir Jabotinski, une grande figure du judaïsme mondial dont nous reparlerons, et qui a bien connu Petlioura, réfute également toute idée d’antisémitisme le concernant :

“C’est un fait, ni Petlioura ni Vynnytchenko, ni aucun membre en vue du gouvernement ukrainien n’ont été des instigateurs de pogroms. J’ai grandi avec eux et, à leurs côtés, j’ai combattu l’antisémitisme ; personne ne parviendra jamais à persuader aucun sioniste du sud de la Russie ni moi-même que des gens de cette qualité peuvent mériter le qualificatif d’antisémites.” […]

Rappelons, pour mémoire, que le gouvernement qu’il présidait comptait plusieurs ministres juifs : le professeur Solomon Goldelman, Abraham Revusky, Moïse Silberfarb, P. A. Krasny, Jacob Latzky-Bertholdi, Arnold Margoline. […]

Ce fut d’abord la loi du 27 mai 1919 qui instaura une Commission extraordinaire d’enquête sur les pogromes, composée de représentants juifs. Cette loi non seulement habilitait la Commission à enquêter sur les pogromes perpétrés, mais elle l’autorisait aussi à traduire directement les coupables devant un tribunal militaire. Une Commission spéciale avait été créée quelques semaines auparavant (9 avril) pour enquêter sur le terrible pogrome de Proskourov.

Dans le même temps, le gouvernement prit la décision d’allouer trois millions de roubles (une somme importante pour l’époque) pour venir en aide à la population juive victime de pogromes. »

 

Robert Belot (professeur d’histoire à l’université de Saint-Étienne), Vladimir Poutine ou la falsification de l’histoire comme arme de guerre, Lausanne, Fondation Jean-Monnet pour l’Europe, 2024, p. 53 :

« Peut-être parce qu’il fut démontré que ces massacres ont été initiés par des commandants locaux et que Petlioura a tout fait pour y mettre un terme. Peut-être aussi parce qu’il paraît évident que les services spéciaux russes ont renseigné et armé la main du meurtrier. »

 

Alla Lazaréva, « L’affaire Petlioura : une grande manipulation venue de Moscou », The Ukrainian Weekly. Édition française, 21 mai 2023 :

« Pour comprendre pourquoi les Français, à l’exception d’un groupe restreint d’amis de l’Ukraine, n’ont pas voulu commémorer cet assassinat commis rue Racine, le 25 mai 1926, il faut se référer aux documents du procès de Sholem Samuel Schwartzbard, l’assassin de Symon Petlioura, très probablement manipulé par les services soviétiques, vu son passé criminel et sa nature aventurière. Son casier judiciaire comporte deux braquages de banques, à Vienne (1908) et à Budapest (1909), et deux passages en prison. Puis il a servi dans l’armée rouge, en 1917, faisaient de lui une proie facile pour le GPOu, l’ancêtre du KGB, même s’il pouvait se croire tranquille à Paris, dans sa petite boutique d’horloger.

Symon Petluoura a donc été tué le 25 mai 1926 à Paris. Samuel Schwartzbard, vêtu d’une blouse blanche d’horloger, lui a tiré sept balles de revolver. Au poste de police, il a expliqué qu’il avait ainsi décidé de venger les pogroms juifs qui ont eu lieu pendant la Première Guerre mondiale et la guerre de libération de l’Ukraine, de 1917 à 1921. Les enquêteurs ont trouvé un portrait de Petlioura découpé dans un journal d’émigrés ukrainiens lors d’une perquisition à son domicile, et la femme de Schwartzbard a témoigné que quelqu’un avait appelé son mari et qu’il s’était précipité hors de la maison et s’était enfui dans ses vêtements professionnels, pour aller commettre son meurtre.

La personne ayant prévenu Schwarzbard par téléphone que Petlioura était venu déjeuner seul au restaurant Bouillon, sans sa femme et sa fille, a été identifiée assez rapidement. Il s’agit de l’agent tchékiste Mikhail Volodin, qui une fois arrivé à Paris, a passé beaucoup de temps avec Schwartzbard et à l’ambassade soviétique, et a très probablement recruté Schwartzbard pour espionner Petlioura et le tuer. Mais il n’a jamais été jugé par le tribunal français pour complicité de meurtre, contre toute évidence. Il a pu quitter la France rapidement après le meurtre. Pourquoi cela ?

Il faut se rappeler que l’avocat de Schwartzbard, maître Henri Torrès, se rendait régulièrement à l’ambassade soviétique : la presse française en a parlé en 1926, très ouvertement (en particulier, Le Figaro). A l’époque, une habile manipulation, soutenue par une campagne de presse, a su transformer le procès du meurtrier en condamnation sans appel de sa victime, avec un soutien du Parti Communiste Français et de ses amis disposants de multiples relais. Pour appuyer la défense de Schwartzbard, un certain Bernard Lecache qui n’était ni juge d’instruction, ni fondé de pouvoirs dans l’affaire, toujours avec l’aide de l’ambassade de l’URSS, s’est vu faciliter un voyage en Ukraine “pour réunir des preuves” et y sélectionner des documents d’une manière très tendancieuse.

Il n’a pas hésité à utiliser des traductions falsifiées de la presse, comme l’a montré à l’époque un académicien ukrainien, Serhiy Yefremov, dans son Journal intime. Ensuite, à la place des témoins oculaires, ce sont des gens fort éloignés de la scène du crime qui ont pu témoigner lors des audiences. Et enfin, le plus important : pour maître Torrès, l’affaire Schwartzbard est devenue un tremplin pour une carrière fulgurante d’avocat, et pour Lecache, un prétexte pour fonder la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), qui joue un rôle influent en France jusqu’à nos jours. »

ð  Autre manipulation du stalinien Lecache : dans son livre Au pays des pogromes, Paris, éditions du Progrès civique, 1927, il occulte les tueries de Juifs organisées par certains éléments de l’Armée rouge, et à qui Lénine, contrairement à Petlioura, avait garanti l’impunité, y compris après la victoire des communistes, en 1921-1922 (sans joie, il est vrai, mais sans hésitation non plus). Par ailleurs, la nature du régime était dénuée de toute ambiguïté, dès cette époque, notamment après l’invasion de la Géorgie en 1921, en violation du traité russo-géorgien de mai 1920, le procès inique la « conjuration de Tagantsev », toujours en 1921 (96 personnes condamnées à mort et fusillées, sur la base d’accusations fabriquées), l’expulsion d’un groupe d’intellectuels en 1922 et le procès-spectacle, à Moscou, la même année, des sociaux-révolutionnaires (opposants de gauche aux communistes), etc. Ce procès a d’ailleurs conduit l’écrivain Anatole France à rompre avec le communisme (il avait cessé, plus discrètement, de soutenir le nationalisme arménien vers la fin de la Première Guerre mondiale).

 

Odile Moreau, L’Empire ottoman à l’âge des réformes. Les hommes et les idées du « Nouvel Ordre » militaire (1826-1914), Paris, Maisonneuve et Larose, 2007, pp. 70-71 :

« Après la “révolution jeune-turque”, l’École militaire de Harbiye fut ouverte aux élèves non-musulmans en 1910 [Talat est alors ministre de l’Intérieur]. En 1912, les premiers officiers non-musulmans furent promus à l’issue du nouveau cursus de deux ans. Sur 394 officiers, il y avait 3 Grecs, 4 Arméniens et un Israélite. L’un des Grecs était classé parmi les seize premiers, auxquels le sultan remit en cadeau une montre en or. Le sultan, le prince héritier, le ministre et les hautes autorités militaires assistaient à la cérémonie ainsi que le patriarche œcuménique, le grand rabbin et les représentants de l’exarque bulgare et du patriarche arménien. […]

Les musulmans dirent “vallâhi bi-Allâhi” sur le Coran, les chrétiens prêtèrent serment sur l’Évangile et les Israélites sur le Talmud. »

 

« La crise turque — Le nouveau cabinet », Le Temps, 18 juin 1913, p. 2 :

« Le nouveau ministère est officiellement constitué. Il sera constitué comme suit :

Grand vizir : Said Halim Pacha.

[…]

Intérieur : Talaat bey.

[…]

Postes et télégraphes: Oskan [Mardikyan] Effendi (unioniste) [c’est-à-dire membre du Comité Union et progrès, le CUP, appelé à l’étranger « les Jeunes-Turcs »] »

 

Şinasi Orel et Sürreya Yuca, Les « Télégrammes » de Talât Pacha. Fait historique ou fiction ?, Paris, Triangle, 1986, p. 125 :

« DOCUMENT AUTHENTIQUE N° LII

Télégramme chiffré du ministère de l’Intérieur aux préfectures de Hudavendigâr, Ankara, Konya, Adana, Alep, Sivas, Mamuretilaziz, Diyarbakır, Erzurum; aux sandjaks d’Izmit, Maraş, Urfa, Zor, Kütahya, Karesi, Niğde, Karahisârisahib, Kayseri.

“L’objectif visé par le gouvernement en faisant déplacer les Arméniens de leurs lieux de résidence vers les régions prévues est d’empêcher leurs agissements contre le gouvernement et de les neutraliser afin qu’ils renoncent à leurs aspirations relatives à la création d’un gouvernement arménien.

L’objectif visé par le gouvernement n’étant pas l’extermination des innocents, le gouvernement exige que toutes les mesures adéquates soient prises pour la protection des Arméniens pendant le transport et pour leur ravitaillement grâce aux allocations des émigrés. Il ordonne de ne plus déplacer les Arméniens, sauf ceux qui sont déjà en train de l’être, de ne plus transférer, comme il a été indiqué auparavant, les familles des soldats, ainsi que les artisans dont on a besoin et les Arméniens protestants et catholiques.

Procéder immédiatement à des enquêtes judiciaires afin de punir sévèrement d’une part les personnes qui s’attaquent aux convois, qui commettent des vols, qui, emportées par des sentiments bestiaux, violent des femmes et d’autre part les fonctionnaires et les gendarmes qui les ont incitées. Limoger les fonctionnaires qui sont mêlés à ce genre d’affaires, les traduire devant les tribunaux militaires et communiquer leurs noms. Dans ce genre d’incident, la responsabilité incomberait à la préfecture/au sandjak.

16 août 1331 (29 août 1915)

Le Ministre de l’Intérieur [54].” »

 

Ibid., p. 104 :

« DOCUMENT AUTHENTIQUE N° IX

Télégramme chiffré du ministère de l’Intérieur au sandjak de Kal’a-i Sultaniye (Çanakkale).

“Réponse à la lettre du 16 mai 1331 (29 mai 1915).

Il n’y a aucun inconvénient au voyage du sous-préfet de Bayramiç, Karabet Efendi [un Arménien, comme son nom l’indique], à Istanbul. 23 mai 1331 (5 juin 1915) [9].” »

 

Télégramme de Talat, 22 juillet 1915, traduit dans Erman Şahin, « Review Essay : the Armenian Question », Middle East Policy, XVII-1, printemps 2010, p. 155 :

« En conséquence, il est de la plus haute importance de renforcer vigoureusement la sécurité publique aux limites de la province [de Diyarbakır], en particulier sur la route empruntée par les convois d’Arméniens, et d’éviter tout retard dans le transport militaire. Les résultats des mesures prises devront être rapportés. »

 

Télégramme de Talat à la préfecture d’Ankara, 29 août 1915, Hikmet Özdemir et Yusuf Sarınay, Turkish-Armenian Conflict Documents, Ankara, TBMM, 2007, p. 235 :

« La question arménienne qui se posait dans les provinces orientales est résolue. Pour autant, il est inutile d’endommager l’image de notre nation et de notre gouvernement par des actes de cruautés qu’aucune nécessité ne justifie. En particulier, l’attaque récente qui a eu lieu contre des Arméniens près d’Ankara a causé beaucoup de regret au ministre, qui a constaté que l’évènement s’est produit suite à l’évidente incompétence des officiers chargés de superviser le transfert des Arméniens, et à l’audace de gendarmes et d’habitants de la région, qui ont agi en suivant leurs instincts bestiaux, violant et volant les Arméniens. Le transfert d’Arméniens, qui doit être appliqué dans l’ordre et avec prudence, ne doit jamais, à l’avenir être confié à des individus animés d’une hostilité fanatique, et les Arméniens — tant ceux qui sont transférés que les autres — doivent absolument être protégés contre toute agression, contre toute attaque. Dans les lieux où une telle protection ne pourrait pas être assurée, le transfert doit être reporté. À partir de maintenant, les officiers chargés [du transfert] seront tenus pour responsables, compte tenu de leur rang, de toute attaque qui se produirait, et renvoyés en cour martiale. Il est nécessaire de donner des ordres très stricts à cet égard, au personnel concerné.

Le ministre [de l’Intérieur Talat]. »

 

Télégramme de Talat à la préfecture de Konya, 9 septembre 1915, ibid., p. 261 :

« Ahmed de Siroz et son ami Halil ont été transférés à Konya aujourd’hui, afin d’être jugés devant une cour martiale de la 4e armée, pour avoir assassiné des Arméniens et dérobé leurs biens. Il faut veiller à ce qu’ils ne s’échappent pas, à ce qu’ils soient mis sous bonne garde, jusqu’à réception des instructions de Cemal Paşa à leur égard.

Le ministre [de l’Intérieur Talat]. »

 

Yusuf Sarınay, « Le jugement des agents ayant transgressé les dispositions relatives au transfert des Arméniens devant la Cour martiale »

« Ahmed de Siroz et son ami Halil, jugés pour homicides et vols commis contre les Arméniens avaient été emprisonnés à Konya sur ordre du général Cemal Pacha afin d’empêcher une éventuelle évasion lors de leur transfert de la cour martiale de la 4ème Armée vers Konya, puis jugés devant la cour martiale de Syrie, ils furent pendus à Damas (BOA, HR, SYS, nr.2882/29-25) (BOA, DH, SFR, nr.55 A /177) »

ð  Cette double exécution est aussi mentionnée par Hilmar Kaiser, historien partisan de la qualification de « génocide arménien », mais sans citer l’intervention de Talat, qu’il ne peut pourtant pas ignorer.

 

Yusuf Sarınay, « The Relocations (Tehcir) of Armenians and the Trials of 1915–16 », Middle East Critique, XX-3, automne 2011, p. 307 :

« En conséquence, après le mémorandum du ministre de l'Intérieur Talat Pacha du 28 septembre 1915, le Cabinet a décidé de créer trois commissions d'enquête. Cette décision importante reflétait la position du gouvernement ottoman : les preuves évidentes de mauvaise conduite et de violation de la loi par certains fonctionnaires et citoyens locaux lors de la réinstallation ont nécessité la création de ces commissions, chacune ayant pour tâche d'enquêter sur les conditions locales, d'identifier les personnes responsables et de les traduire devant les cours martiales. […]

Avant même que cette décision ne fût prise par le cabinet, le gouvernement avait ordonné aux membres de chaque commission de se préparer à cette responsabilité, ce qui montre à quel point il était sensible aux rapports sur l'échec de certains responsables locaux à empêcher une rupture de l'ordre public pendant la réinstallation forcée. »

 

Kâmuran Gürün, Le Dossier arménien, Paris, Triangle, 1984 :

« La note codée du 14 juin 1915 (1er juin 1331) est assez importante :

“La préfecture d’Erzurum nous a informé qu’une colonie de 500 Arméniens qu’on avait fait partir d’Erzurum a été tuée par des tribus entre Erzincan et Erzurum. Il faudra veiller à défendre la vie des Arméniens que l’on met sur les routes ; il faudra, bien entendu, châtier ceux qui, pendant leur transfert, tenteront de fuir ainsi que ceux qui attaqueront les personnes chargées de la protection. Mais il ne faudra jamais mêler à cela la population. Nous ne devons laisser absolument aucune possibilité à ce que se reproduise ce genre d’événements. En conséquence, il faudra prendre toutes les mesures qui s’imposent pour protéger les Arméniens contre les attaques des tribus et des villageois ; il sera également nécessaire de punir sévèrement les meurtriers et les voleurs.” » (p. 256) 

« Ceux qui furent reconnus coupables furent déférés au tribunal de siège. Voici le nombre des cas dans quelques provinces et arrondissements :

Sivas : 648

Mamuretelazi: 223

Diyarbakir : 70

Bitlis : 25

Eskisehir : 29

Sebinkarahisar : 6

Nigde : 8

Izmit : 33

Ankara : 32

Kayseri : 69

Syrie : 27

Hüdavendigar : 12

Konya : 12

Urfa : 189

Canik : 14 » (pp. 258-259)

 

Norman Stone (professeur d’histoire à l’université d’Oxford, puis à l’université Bilkent), « Armenia and Turkey », Times Literary Supplement, 15 octobre 2004 :  

« Il y a une erreur qui ruine vraiment les efforts de [Peter] Balakian. Il s’appuie sur un faux qui a été révélé comme tel il y a plus de quatre-vingts ans, les “documents Naim-Andonian”. Il écrit ici, page 344 : “Les Britanniques ont libéré, à l’été 1921, quarante-trois prisonniers turcs accusés d’avoir perpétré les massacres arméniens” ; il suggère que cela s’est produit parce que les Turcs nationalistes avaient capturé des officiers britanniques. Mais le fait est que les officiers de police judiciaire ont indiqué qu’il n’y avait aucune charge contre ces Turcs (internés à Malte). Certains documents les incriminant ont été retrouvés, colportés par un certain Andonian, sur la base de prétendues confessions d’un certain Naim (“Massacrez tout le monde mais gardez le secret”, telle était la teneur générale, et, à la page 346, Balakian en reproduit une partie). Mais les juristes [britanniques] ont écarté les documents comme étant des faux, et les avocats allemands [de la défense] au procès de l’assassin de Talaat Pacha en 1921 ont également écarté Andonian (préférant, de manière assez bizarre, le témoignage par ouï-dire d’un ecclésiastique nommé, en l’occurrence, Balakian). »

 

La Licra n’a jamais fait amende honorable pour avoir été fondée par un propagandiste stalinien. Bien au contraire, en 2006, son président d’alors, Patrick Gaubert (ancien conseiller de Charles Pasqua, homme probe s’il en est…) s’était fendu d’une tribune diffamatoire dans Le Monde, contre Petlioura, et contre les Ukrainiens en général, dont « la belle aventure “atlantiste” » (pourquoi cet adjectif plutôt qu’« européenne », « occidentale » ou tout simplement « démocratique » ?) commencée en 2004 aurait « viré au cauchemar » (exactement le vocabulaire qu’aime lire l’ambassade de Russie à Paris), avec pour unique « argument » une commémoration de Petlioura en Ukraine et une autre à Paris. Cela provoqua une réplique très argumentée de Daniel Beauvois, professeur émérite d’histoire à l’université de Paris-I-Sorbonne, que Le Monde n’eut pas le courage de publier — pas plus qu’il n’avait eu le courage de publier un droit de réponse de Bernard Lewis en 1995. En 2012, la Licra a publié un éloge de l’assassin, salissant encore sa victime, au mépris de toute vérité historique. En 2017, elle est allée encore plus loin dans le délire, en qualifiant Petlioura de « génocidaire », pas moins. Or, c’était après l’invasion de la Crimée, après celle du Donbas, après qu’un avion civil d’une compagnie néerlandaise fut abattu par les forces russes et après la tentative de faire élire Marine Le Pen en France.

Encore en 2021, alors que les menaces russes contre l’Ukraine se multipliaient et que la propagande poutiniste battait son plein, la Licra n’a rien trouvé de mieux que d’y apporter sa contribution en réitérant sa calomnie contre Petlioura et en approuvant l’acquittement de son assassin. Le texte ajoute : « On peut ainsi rapprocher le geste de Schwartzbard de celui de Soghomon Tehlirian sur la personne de Talaat Bey, en 1921. Cet Arménien dont la famille avait été exterminée au cours du génocide de 1915 avait identifié l’ancien ministre de l’intérieur de l’Empire ottoman réfugié à Berlin et l’avait abattu. »  Ce faisant, la Licra répétait un mensonge de Tehlirian à son procès : en réalité, son père, son frère et ses deux oncles avaient déménagé à Belgrade avant 1914, pour des raisons de pure opportunité professionnelle, et ils y sont décédés de mort naturelle bien après 1918 ; par ailleurs, il n’a jamais eu de sœur, or il a prétendu, au procès, avoir vu sa sœur se faire violer puis tuer. La Licra omettait aussi de préciser que Tehlirian s’est engagé, dès 1914, et bien qu’il ne fût pas de nationalité russe mais ottomane, dans l’armée de Nicolas II, le tsar le plus antisémite de l’histoire russe, qui finançait la propagande antijuive et couvrait les auteurs de… pogromes.

En effet, la Licra s’est placée, depuis les années 1990 au moins, du côté du nationalisme arménien. On vit ainsi, en 1995, cet effarant spectacle de la Licra se joignant à Patrick Devedjian — l’ancien cogneur néofasciste, condamné au moins deux fois, complice de François Duprat dans la dissémination du négationnisme à l’extrême droite, puis apologiste enflammé de l’ASALA, groupe terroriste à l’antisémitisme meurtrier — contre l’historien anglo-américain Bernard Lewis.

Obsédée par la répression légale de ce qui ne va pas dans le sens de l’ultranationalisme arménien, la Licra fut ensuite, en 2015, tiers intervenant devant la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Perinçek contre Suisse, en soutien au très poutiniste gouvernement arménien de l’époque — lequel soutenait le point de vue russe sur la famine en Ukraine de 1932-1933… La Grande chambre a confirmé la décision de la 2e chambre, qui donnait raison à M. Perinçek. La Licra n’a tiré aucune leçon de cet échec, bien au contraire. Inversement, elle n’a jamais jugé utile de poursuivre l’antisémite Jean Varoujan Sirapian, ancien vice-président du Conseil de coordination des associations arméniennes de France, pas plus qu’elle n’a poursuivi ne fût-ce qu’un seul des innombrables agitateurs arméniens qui ont déversé leur haine raciste contre Robert Badinter.

 

Lire aussi, sur la politique arménienne des jeunes-turcs :

Talat Pacha et les Arméniens

Le grand vizir Sait Halim Pacha et les Arméniens

Hamit (Kapancı) Bey et les Arméniens

Le rôle des Arméniens loyalistes dans l’Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale

Artin Boşgezenyan : un Jeune-Turc à la Chambre des députés ottomane

Le rôle du député jeune-turc Dikran Barsamian dans la reconstitution du Comité Union et progrès, fin 1918

Florilège des manipulations de sources dont s’est rendu coupable Taner Akçam

L’urologue Yves Ternon : menteur sous serment

 

Sur l’assassinat de Talat :

L’assassin et menteur Soghomon Tehlirian : un modèle récurrent pour le terrorisme arménien contemporain

Le mensonge selon lequel cinq des « documents Andonian » auraient été « authentifiés » au procès Tehlirian (1921)

 

Sur le rôle de la Russie tsariste, de l’URSS et de la Russie poutinienne :

Arthur Tchérep-Spiridovitch : arménophile militant, antisémite professionnel, raciste aryaniste et inspirateur du nazisme

1914-1915 : la mobilisation du nationalisme arménien au service de l’expansionnisme russe

Le caractère mûrement prémédité de la révolte arménienne de Van (avril 1915)

La participation de la Fédération révolutionnaire arménienne à la répression sanguinaire des Soviétiques contre les patriotes d’Asie centrale en 1918-1919

L’alliance soviéto-nazie (1939-1941) et les projets staliniens contre la Turquie

L’agitation irrédentiste dans l’Arménie soviétique à l’époque de l’alliance entre Staline et Hitler

La popularité du stalinisme dans la diaspora arménienne

Le consensus poutiniste chez les nationalistes arméniens

Margarita Simonyan (Russia Today) en appelle à « la famine »

 

Sur l’ukrainophobie démentielle et compulsive que manifestent beaucoup de nationalistes arméniens :

La rage ukrainophobe des nationalistes arméniens : des exemples en septembre 2023

L’hostilité intangible des nationalistes arméniens à l’égard de l’Ukraine

 

Sur leurs combats contre la liberté d’expression :

4 mai 2011 : le Sénat de la République française dit non au tribalisme et au terrorisme arméniens

La triple défaite des nationalistes arméniens devant le Conseil constitutionnel (2012, 2016, 2017)

La Cour constitutionnelle belge rejette les prétentions liberticides du Comité des Arméniens de Belgique

Quand l’avocat Philippe Krikorian se prenait pour la justice française

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Les destins parallèles de Simon Petlioura et Talat Pacha

  Simon Petlioura (Symon Petlura) était un dirigeant social-démocrate ukrainien, indépendantiste, président de la République de 1919 à 192...

Textes les plus consultés