dimanche 31 mai 2020

Les rapports très changeants de Jean-Marc « Ara » Toranian avec des « fascistes »




Libération arménienne (mouvement alors dirigé par Jean-Marc « Ara » Toranian), « Non à la terreur du parti Dashnak », Hay Baykar (journal dirigé par le même Toranian), février-mars 1979, p. 3 :
« Le parti Dashnak [Fédération révolutionnaire arménienne] est un parti bureaucratique, totalitaire. Son but est de s’assurer sa propre pérennité et non de lutter pour l’Arménie. S’il en était autrement, pourquoi s’acharnerait-il donc contre les [autres] révolutionnaires arméniens ?
Le parti Dashnak regroupe presque toutes les caractéristiques d’un parti fasciste : idéologie floue, vaguement socialiste, vaguement militariste, où le slogan remplace l’analyse, fanatisme aveugle entretenu par les militants, hiérarchie étouffante pour l’imagination créatrice des membres, intolérance et brutalité physique envers tous les autres partis.
Pourtant, le parti Dashnak n’est même pas un parti fasciste : il lui manque une caractéristique essentielle : l’efficacité. Avec une régularité curieuse, toutes ses entreprises échouent. Il n’est qu’à regarder sa dernière grande offensive sur le Parti socialiste français pour rentrer à la Deuxième internationale. Résultat : c’est [Bülent] Ecevit qui a chipé le fauteuil promis au Dashnak, pendant que [François] Mitterrand faisait une déclaration en faveur de la minorité turque en Thrace [occidentale]. »



Or, avec qui M. Toranian cogère-t-il le Conseil de coordination des associations arméniennes de France depuis qu’il en est devenu coprésident, en 2010 — cogestion qui se caractérise plus ou moins par la même absence d’efficacité qu’il stigmatisait en 1979 ? Avec la Fédération révolutionnaire arménienne (l’autre coprésident du CCAF est Franck « Mourad » Papazian, dirigeant de la FRA et cousin germain de M. Toranian), laquelle n’a jamais prétendu avoir changé depuis la fin des années 1970.

« La mort d’Hagop Hagopian », Hay Baykar, 15 septembre 1982, p. 6 :
« Hagop Hagopian [dirigeant de l’Armée secrète arménienne pour la libération de l’Arménie, ASALA] est mort [en fait, il a simulé son décès, pour échapper à l’armée israélienne, qui cherchait à l’éliminer durant son opération contre les terroristes palestiniens installés au Liban, Hagopian étant l’un de leurs alliés les plus actifs ; il a été tué à Athènes lors d’un règlement de compte interne à l’ASALA, en 1988].
Avec lui disparaît un héros de la cause arménienne, un précurseur de cette lutte et de cette avant-garde symbolisée par l’ASALA. […]
Pourtant, si mourir à Beyrouth fut une réalité pour des milliers de Libanais et de Palestiniens, ce fut le cas aussi de nombreux Arméniens qui ont — contrairement à d’autres — refusé de subir l’agression israélienne sans réagir. Par solidarité, mais également pour sauvegarder leur dignité d’Arméniens et de combattants. Les bombes israéliennes, en pilonnant le siège de l’ASALA, ne faisaient qu’exécuter un accord existant entre les États turcs et hébreu, accord visant, en vertu d’intérêts communs, à “extirper la gangrène révolutionnaire du Moyen-Orient. »



Astrig Cournalian, « Manifestation de soutien aux combattants arméniens », Hay Baykar, 29 septembre 1982, p. 4 :
« Ara Toranian a enfin rendu hommage à tous ceux qui ont “fait” la lutte arménienne ces dernières années. Depuis Yéghia Kéchichian et Zaven Apétian jusqu’à Hagop Hagopian, décédé au mois d’août dernier sous les bombes israéliennes […]. »

Gaïdz Minassian, Guerre et terrorisme arméniens. 1972-1998, Paris, Presses universitaires de France, 2002, p. 65-66 :
« Le MNA [Mouvement national arménien, ex-Libération arménienne], bras politique de l'ASALA, consolide ses assises en France [en 1981-1982] et son porte-parole, Ara Toranian, devient un interlocuteur du nouveau gouvernement. Coup politique, le MNA, après avoir occupé les plateaux de télévisions et de radio, prend place autour de la table de négociations et renforce ses relations avec les partis français. Enfin, dernier avantage, le succès partisan, l’ASALA est en train de réaliser son objectif : prendre par le biais du MNA le contrôle de la communauté arménienne de France. »

Jean-Marc « Ara » Toranian, « La direction du Mouvement national arménien [ex-Libération arménienne] s’explique sur neuf questions », Hay Baykar, 30 juin 1983, p. 4 :
« […] nous ne nous désolidarisons pas de l’ASALA [dirigée par Hagop Hagopian] et nous reconnaissons toujours son caractère d’avant-garde de la lutte révolutionnaire. »

Jean-Marc « Ara » Toranian, entretien au Nouvel Observateur, 17 octobre 1986, p. 46 :
« Si vous me parlez d’Hagop Hagopian et de son groupe [l’ASALA], je vous répondrai : oui. Hagop Hagopian est un antisémite, un fasciste qui hait à la fois les juifs, les maçons, les sociaux-démocrates, et qui demande l'application de la charia islamique (ce qui pour un Arménien est un comble). »

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samedi 30 mai 2020

L’approbation du terrorisme par les polygraphes de la cause arménienne


Fusillade à l’aéroport d’Ankara-Esenboğa, par l’ASALA, le 7 août 1982.


Plaidoirie de Me Jean Loyrette, avocat de la partie civile et docteur en histoire, au procès de l’attentat d’Orly, 1er mars 1985 :
« Les trois ouvrages publiés en français (Carzou, Chaliand, Ternon), et qui sont sans cesse repris dans les procès arméniens ou dans les tracts des groupuscules révolutionnaires sont l’œuvre d’amateurs qui n’ont pas une véritable formation d’historien, ignorent la langue turque et ne font jamais référence, ne serait-ce que pour le critiquer, au moindre document turc.
Ils portent une responsabilité dans cette œuvre de désinformation, et cette responsabilité est d’autant plus lourde qu’ils savent parfaitement que des deux côtés, les passions devant l’ampleur du drame sont à vif. »

Gérard Chaliand et Yves Ternon, Le Génocide des Arméniens, Bruxelles, Complexe, 1980, p. 177 (partie écrite par Gérard Chaliand) :
« Durant trois ou quatre ans, sans échec grave, au terme d’opérations préservant l’anonymat des exécutants, le terrorisme des groupes arméniens a servi la cause arménienne dans la mesure où la réalité et l’ampleur du génocide motivant ces attentats dépassaient largement dans leur horreur la réprobation à l’égard de ces crimes.
Le terrorisme publicitaire, qu’on le déplore ou non, trouve là sa justification. »

« Compte-rendu du meeting-débat du 21 septembre — Mise au point sur sept années d’actions armées », Haïastan, octobre 1982, pp. 6-8 :
« Les orateurs de ce meeting, à savoir : Yves Ternon (historien), [Philippe] Raffi Kalfayan (porte-parole de la F.R.A. Nor Seround), Gérard Chaliand (écrivain, journaliste et professeur à l’E.N.A.) et Kevork Kepenekian (représentant de la F.R.A. Dachnaktsoutioun) ont pris tour à tour la parole.
Le meeting était présidé par M. Ara Biberian, qui a fermement condamné l’horreur des massacres de Sabra et Chatlia. Rappelant que Sabra et Chatila sont “des images sorties de notre mémoire”, il a exigé une minute de silence à la mémoire de ceux qui sont morts, victimes d’un assassinat collectif prémédité.
Ensuite, Ara Biberian a donné la parole à Yves Ternon, qui a abordé le thème en faisant un historique des actions armées arméiennes depuis près d’un siècle. M. Ternon souligna que ces actions armées étaient menées par la F.R.A. Dachnaktsoutioun [affirmation exagérée : les premières insurrections et les premiers attentats, par des nationalistes arméniens, sont antérieurs à la création de ce parti, en 1890, même si la F.R.A. a commis beaucoup d’attentats et organisé plusieurs soulèvements après cette date].
Puis, M. Yves Ternon insista sur le fait qu’il voyait trois causes justifiant le recours aux actions armées :
— Un réveil de la diaspora arménienne, consciente que les seules démarches diplomatiques ne pouvaient aboutir ;
— L’attitude de la Turquie, qui refuse de dialoguer avec les Arméniens pour une juste résolution de notre cause [allusion aux revendications territoriales de la F.R.A.] ;
— Le Liban. En effet, selon M. Yves Ternon, le “terrorisme” arménien est né au Liban [affirmation pour une fois exacte]. La communauté arménienne du Liban, la mieux structurée, ne pouvait pas ne pas réagir, “ils devaient faire quelque chose”.
D’autre part, M. Ternon regrette l’attitude des gouvernements occidentaux qui sont complices de la Turquie en refusant de reconnaître la réalité du génocide arménien. […]
Puis, ce fut au tour du camarade [Philippe] Raffy Kalfayan de prendre la parole au nom de la F.R.A. Nor Seround. Il rappela que les premiers attentats d’octobre 1975 [assassinat de l’ambassadeur turc à Vienne, le 22, puis de l’ambassadeur à Paris, le 24], revendiqués par les Commandos des justiciers du génocide arménien [branche terroriste de la F.R.A., à ne pas confondre avec l’Armée secrète pour la libération de l’Arménie], marquent “le retour de la donnée militaire dans la lutte de libération du peuple arménien.”
“Le retour aux actions armées dans le combat national a créé un immense espoir au sein de la jeunesse arménienne de la diaspora.”
Il insiste aussi sur le réveil des jeunes qui ont pris conscience que le peuple arménien devait récupérer ses [sic !] territoires pour assurer sa survie en tant que peuple.
[…]
Enfin, M. [Gérard] Chaliand insista sur une idée fondamentale : “Depuis les attentats, les Arméniens ne sont plus seulement des victimes, ce sont aussi des gens qui peuvent récupérer une identité.” Mais le combat doit continuer sans renier aucune forme de lutte.
[…]
En effet […], nous n’avons fait en aucun cas le procès de l’A.S.A.L.A. »

« Meeting de la FRA à Paris », Hay Baykar, 29 septembre 1982, p. 16 :
« Gérard Chaliand […] approuva la prise d’otages à l’aéroport d’Ankara [il s’agit plutôt d’une fusillade sur des civils désarmés, qui fit neuf morts, dont deux touristes étrangers, sans compter un des deux terroristes, tué dans la fusillage] et au consulat de Turquie à Paris [prise d’otages qui fit un mort]. »

Yves Ternon, entretien à Hay Baykar, 2 juin 1983, pp. 6-7 :
« J’ai essayé d’être historien [sic]. […] Je me suis toujours battu pour une vision des choses qui était celle de la non-violence, sans récuser la violence : elle doit être nécessaire et analysée comme nécessaire. […] Il y a quelque chose de positif dans cette lutte, c’est l’association avec les Kurdes. Je me souviens, alors que l’ASALA n’était pas encore connue, avoir dit aux Arméniens : “Mais qu’est-ce que c’est que cette lutte où vous vous placez tout seuls, comme s’il n’existait que vous ?”
L’association des Arméniens avec les Kurdes est quelque chose de fondamental, d’indispensable. »

Michel Marian, « Le terrorisme arménien après l’âge d’or », Esprit, n° 10-11, octobre-novembre 1984, p. 47 :
« Il y a eu un âge d’or du terrorisme arménien. Entre 1975 et 1981, les attentats sont apparus à la communauté purs, utiles et agréables. Purs parce qu’ils visaient des représentants de l’État turc, auteur, profiteur et apologiste du génocide. Utiles parce qu’ils ont fait en quelques années avancer une cause qui stagnait depuis plus d’un demi-siècle. Agréables parce que les Arméniens savouraient cette ironie de l’histoire qui mettait aux quatre coins de la planète les héritiers des bourreaux sous la menace permanente des petits-fils des rescapés éparpillés dans le monde. »

Jean Marie-Carzou (Zouloumian), Discours prononcé à l’appel du Comité de défense de la cause arménienne (branche de la Fédération révolutionnaire arménienne), à Marseille, le 21 octobre 1972, reproduit dans Arménie 1915. Un génocide exemplaire, Paris, 2006, p. 322 :
« Si le terrorisme a connu depuis un certain temps la recrudescence que l’on sait, c’est bien parce qu’il offre aux vrais pauvres, à ceux qui sont dénués de tout moyen et de toute aide [sic : l’Organisation pour la libération de la Palestine est alors abondamment financée par l’Arabie saoudite et ses dirigeants vivent dans le luxe], la possibilité, désespérée mais efficace, d’attirer à eux la lumière : quelles que soient leurs erreurs et leurs excès, les Palestiniens [discours prononcé peu après le massacre des athlètes israéliens à Munich par un commando terroriste de l’O.L.P.] et les Tupamaros en fournissent la démonstration évidente. Et je crois que [souligné dans l’original] si les Arméniens d’Europe se décidaient à des actions terroristes contre tout ce qui est turc, il n’y a pas de doute qu’une actualité en surgirait, ramenant au grand jour les vrais problèmes demeurés en suspens de la cause arménienne. »

Jean-Marie Carzou (Zouloumian), « Et alors ? », ibid., p. 264 (ajout de 2005) :
« Vint cependant un jour où, après des scissions et, de multiples scissions et secousses souterraines, une bombe placée devant le comptoir de la compagnie aérienne nationale turque (T.H.Y., Turkish Airlines) fit des victimes non concernées [d’où il faut déduire que, selon M. Zouloumian, la Française Renée Morin, tuée par une bombe de l’A.S.A.L.A. le 28 février 1983, était « concernée », de même évidemment que les diverses victimes turques, dont aucune n’était née en 1915] : c’était à Orly, le 15 juillet 1983. Le problème changeait de dimension et l’on se retrouva aussitôt dans la dialectique habituelle du terrorisme ; mais je dois avouer que ce qui me choqua le plus alors, ce fut de voir la communauté arménienne de France, plus encore qu’à l’époque de l’occupation [sic] du consulat [de Turquie à Paris] (où elle était venue jusqu’à la télévision faire littéralement acte d’obédience au ministre français de l’Intérieur — Gaston Defferre en l’occurrence, de surcroît maire de Marseille, qui compte l’une des trois plus fortes concentrations d’originaires arméniens en France), se dresser unanime contre les auteurs de l’attentat [faux : le Mouvement national arménien a payé leurs frais de justice jusqu’à la rupture de la fin de 1984, non désirée par le M.N.A., et a quand même appelé à venir les soutenir, lors du procès de février-mars 1985 ; par ailleurs, le mensuel Arménia de Marseille a explicitement refusé de condamner l’attentat]. Pour regrettables [sic !] que fussent ses conséquences, ils l’avaient quand même perpétré pour nous, afin que cessent l’oubli et l’injustice. »

Il est donc clair comme le jour que les polygraphes, sans formation d’historien, ceux-là même que les Claire Mouradian et les Vincent Duclert nous présentent comme de respectables et courageux pionniers, ont pris très nettement parti pour le terrorisme, que leurs publications sont indissociables de leur engagement en faveur des auteurs d’attentats.

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vendredi 29 mai 2020

L’assassin Hampig Sassounian échoue pour la sixième fois à obtenir une libération conditionnelle


Manifestation de la Fédération révolutionnaire arménienne, en soutien à son terroriste Hampig Sassounian, aux États-Unis, en 1984.


« Motion envoyée à l’ambassade des U.S.A. à la fin de [la] manifestation pour SASSOUNIAN le 5 mai », Haïstan, mai 1982, p. 8 :
« Monsieur l’ambassadeur,
À la suite de l’attentat contre le Consul général de Turquie à Los Angeles, le 28 janvier dernier, Hampig Sassounian, un jeune Arménien de 19 ans, a été arrêté et emprisonné.
La F.R.A. Nor Seround et les Arméniens de France tiennent à affirmer, au moment où s’ouvre son procès [sic : le procès a eu lieu en 1984] que ni la justice américaine, ni la justice d’un autre pays ne peut juger coupable un Arménien, alors que la Turquie, responsable du génocide des Arméniens (1 500 000 victimes) n’a jamais été condamnée pour son crime.
La communauté arménienne de France a été affectée, d’une part, des attitudes du gouvernement américain et du président Reagan, qui ont condamné sans appel et classé au titre du terrorisme international cet acte de résistance et, d’autre part, des perquisitions illégales [sic : elles n’avaient rien d’illégal] que la Police fédérale américaine a effectuées aux domiciles des Arméniens [comprendre : de membres de la FRA et notamment de sa branche de jeunesse, et de non pas d’un quelconque Michael Kuyumjian, citoyen américain sans histoires et n’ayant jamais appartenu à aucune organisation extrémiste telle que la FRA].
Nous, Arméniens de France, exigeons [sic] la libération immédiate de Hampartsoum [Hampig] Sassounian, ainsi que l’arrêt de l’aide économique et militaire fournie par votre gouvernement à la Turquie, jusqu’à ce que ce pays rétablisse un régime démocratique [on rappellera que l’assassinat de l’ambassadeur İsmail Erez, le 24 octobre 1975, par la branche terroriste de la FRA, a eu lieu à un moment où la Turquie était démocratique, et même relativement instable] et ouvre des négociations pour la restitution des territoires arméniens [des provinces où les Arméniens ottomans étaient minoritaires en 1914, et ce, depuis le XVIe siècle]
Comité central [de la] F.R.A. Nor Seround. »

« LES FAITS EN CAUSE
En 1982, Kemal Arikan, consul général de Turquie à Los Angeles, se rendait en voiture sur son lieu de travail. Harry [Hampig] Sassounian et le coauteur du crime [membres de la Fédération révolutionnaire arménienne et de sa branche terroriste, les Commandos des justiciers du génocide arménien], qui attendaient M. Arikan, s’approchèrent de son véhicule quand il s’arrêta à un croisement et tirèrent plusieurs coups de feu à bout portant, tuant M. Arikan. M. Sassounian et le coauteur du crime s’enfuirent. M. Sassounian fut plus tard arrêté, condamné pour homicide volontaire avec circonstances aggravantes, à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une peine de sûreté de vingt-cinq ans. Le coauteur du crime, lui, a fui notre pays et n’est jamais passé en jugement pour cet acte. M. Sassounian possède une carte de séjour et devra donc être expulsé s’il obtient une libération conditionnelle.

LE DROIT APPLICABLE
La question à laquelle je dois répondre est de savoir si M. Sassounian posera un danger présent à l’ordre public s’il sort de prison. Les circonstances du crime peuvent fournir la preuve de la dangerosité présente quand lorsque le dossier établit également que quelque chose dans les antécédents du détenu avant ou après son incarcération, ou le comportement et l'état mental actuels du détenu, indiquent que les circonstances du crime continuent de prouver une dangerosité présente. En outre, je dois donner “une grande importance à la moindre culpabilité des plus jeunes par rapport aux adultes, les caractéristiques distinctives des jeunes et toute amélioration de la maturité du détenu” lorsqu’il s’agit de savoir si un repris de justice, très jeune au moment des faits, mérite ou non la libération conditionnelle. (Code pénal, § 4801, alinéa c.)

DÉCISION
La Commission des audiences de libération conditionnelle a jugé que M. Sassounian peut bénéficier de la libération conditionnelle, notant que dans son enfance il avait été victime de traumatismes dus à la guerre [civile libanaise] et à des conflits politiques, qu'il avait participé à des programmes d'entraide en prison, qu'il avait beaucoup préparé ce qu’il ferait en cas de de libération conditionnelle, qu'il avait assumé la responsabilité du préjudice qu'il a causé, il a démontré avoir changé, avoir mûri, et qu’il a sérieusement réfléchi à la façon dont ses actions sont perçues par les autres. Le Conseil a conclu qu'il était dans un étant lui permettant d’éviter de recourir [de nouveau] à la violence.
Je reconnais que M. Sassounian a commis ce crime à l'âge de 19 ans, un coupable jeune au moment des faits, et qu'il a depuis été incarcéré pendant 38 ans et qu'il a maintenant 57 ans. J'ai également examiné les circonstances qui ont façonné la vie de M. Sassounian. […]
Je reconnais aussi que M. Sassounian a fait des efforts pour s’amender en prison. […]
J’ai soigneusement examiné le dossier à la recherche de preuves démontrant que la maturité de M. Sassounian s’est accrue, qu’il s’est amendé, et j’ai accordé une grande importance à tous les facteurs pertinents quant à sa moindre culpabilité due à son âge au moment des faits et sa maturation ultérieure en prison. Je félicite M. Sassounian pour ses efforts faits en prison pour s’amender, mais je trouve qu'ils sont contrebalancés par des facteurs négatifs, facteurs qui montrent qu'il n'est toujours pas apte, pour le moment, à la libération conditionnelle.
M. Sassounian et le coauteur du crime ont planifié et exécuté un assassinat d'un diplomate dans un lieu public, un crime qui a eu des répercussions nationales et internationales, notamment en augmentant la menace pour les diplomates et les membres de leurs familles à travers  monde. Lorsque M. Sassounian a tué M. Arikan — qui était un fils, un mari et un père — il a infligé une douleur incommensurable et permanente à la famille de sa victime.
M. Sassounian a reconnu avoir tué M. Arikan en représailles aux actions du pays que M. Arikan a servi, en particulier le génocide de 1,5 million d'Arméniens entre 1915 et 1923, et la négation de la Turquie qui s’en est suivie à ce sujet. Le contexte historique et politique du crime de M. Sassounian ne justifie pas ce dernier. Il alourdit la charge qui incombe à M. Sassounian pour se donner les moyens nécessaires à la maîtrise du risque spécifique qui résulterait de sa remise en liberté.
Je pense que M. Sassounian n'a pas encore démontré qu'il a développé et maintenu les connaissances et les compétences nécessaires pendant une période suffisamment longue. En particulier, je suis préoccupé par le fait que M. Sassounian a continué de sous-estimer la vigilance qui est exigée de lui, maintenant et à l'avenir, pour se conduire d’une manière qui soit de nature à promouvoir l'État de droit et à éviter de fomenter la violence, même par inadvertance.
Pendant de nombreuses années, M. Sassounian a adopté une violente idéologie nationaliste arménienne. En 2012, M. Sassounian a écrit une lettre aux soldats arméniens qui a été publiée dans Hay Zinvor, un journal militaire arménien. Il a écrit: “Je vous promets que lorsque je reviendrai [en Arménie], je voudrai aller, si cela est permis, à la frontière pendant quelques jours, pour la garder et défendre les frontières de notre pays. Je le ferai même lorsque j’aurai atteint un âge avancé […] Je suis un soldat de ma patrie jusqu'au jour de ma mort — c'est quelque chose que mon sang arménien m'a appris. ”
M. Sassounian a reconnu devant la Commission que l'envoi de cette lettre à Hay Zinvor était une “mauvaise décision” mais a déclaré que “dans [son] esprit [il] ne préconisait pas la violence” et il ne pensait pas qu'il y ait quelque chose de violent dans lettre. Il a précédemment affirmé qu'il en avait fini avec la politique.
M. Sassounian peut penser qu’il en “fini avec la politique” mais parce qu'il a choisi de commettre un crime politique et a ciblé une victime de haut niveau, les actions de M. Sassounian auront toujours une portée politique exceptionnelle et seront sujettes à des manipulations à des fins politiques. M. Sassounian n'est pas tenu de désavouer ses convictions politiques pour être jugé apte à la libération conditionnelle. Avant de pouvoir être libéré de prison en toute sécurité, il doit cependant démontrer qu'il comprend parfaitement le lien entre nationalisme et violence, ainsi que les risques pour la sécurité publique qui vont de pair avec sa notoriété.
Le psychologue qui a étudié M. Sassounian en 2019 a noté que s'il était mis en liberté conditionnelle, “il sera probablement expulsé vers l'Arménie, ce qui pourrait présenter plusieurs défis particuliers quant aux risques qu’il représente” et que “[bien] que M. Sassounian nie avoir connaissance des organisations ou des factions arméniennes qui utilisent la violence, le risque d'une association future avec celles-ci pourrait augmenter le risque de violence future de M. Sassounian.” Le clinicien a noté que M. Sassounian semble avoir travaillé pour atténuer ce risque, et je suis encouragé par les efforts récents à cet égard. En 2019, M. Sassounian a fait publier une deuxième lettre dans Hay Zinvor dans laquelle il désavouait ses déclarations de 2012.
De plus, lors de la dernière audience de libération conditionnelle de M. Sassounian, qui s’est également tenue en 2019, il a déclaré à la Commission qu'il n'avait, auparavant, pas pleinement pris en compte l'impact que son nationalisme pouvait avoir, et il a reconnu qu'en raison de la nature de son crime, il était inconvenant pour lui d'écrire quoi que ce soit avec une charge politique qui pourrait être sorti de son contexte. Enfin, je salue les déclarations de M. Sassounian lors de sa dernière audition sur son attachement à la non-violence et son espoir de paix entre les Turcs et les Arméniens.
Ce sont des développements positifs, mais ils sont très récents. Le psychologue évaluateur a également noté que la transformation de M. Sassounian est relativement nouvelle et a écrit : “il est difficile d'ignorer la passion avec laquelle il s'est identifié aux soldats arméniens et impossible de savoir avec certitude que son point de vue sur la question a changé de manière tellement significative en seulement six ans.” M. Sassounian doit continuer à développer sa compréhension de ses facteurs de risque et démontrer un engagement soutenu à éviter les comportements qui pourraient être utilisés pour inciter à la violence ou radicaliser les autres, car lui-même a été radicalisé quand il était jeune.
Après avoir étudié et examiné les éléments de preuve versés au dossier, je pense que M. Sassounian doit faire un travail supplémentaire avant de pouvoir être libéré en toute sécurité. En conséquence, j'estime qu'il représente toujours un risque pour la société s'il est libéré, risque qu’il serait déraisonnable de prendre, et j'infirme la décision de la Commission de libérer M. Sassounian.
GAVIN NEWSOM, gouverneur de l’État de Californie, le 25 mai 2020. »

Soulignons, à ce sujet, que si le déni d’évidence (Hampig Sassounian et ses partisans ont nié sa participation à l’assassinat jusqu’en 2000) n’est plus de mise, et si l’apologie explicite de l’assassinat se fait moins fréquente, à la suite des refus opposés par la Commission des libérations conditionnelles en 2006, 2010 et 2013, le ton pleurard et gémissant reste de mise, sans la moindre espèce d’empathie pour la famille de la victime.

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samedi 23 mai 2020

Non, Hitler n’a jamais dit « Après tout, qui se souvient encore de l’anéantissement des Arméniens ? »


Procès de Nuremberg (1945-1946).


Une des falsifications les plus maladroites — et pourtant aussi une des plus durablement utilisés dans la propagande nationaliste arménienne[1] — est une phrase attribuée à Adolf Hitler. L’origine de cette phrase est un livre publié par l’ancien correspondant de l’Associated Press, livre où l’auteur reproduit ce qui est censé être une transcription du discours prononcé le 22 août 1939 par le Führer : Louis Lochner, What About Germany?, New York, Dod, Mead, & C°, 1942, pp. 1-2. Outre que même dans la version Lochner, il n’est nullement question des Juifs mais de la Pologne (sans aucune référence à sa minorité israélite), du racisme antislave et non de l’antisémitisme, cette version a été rejetée par tout le monde lors du procès de Nuremberg.

Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international de Nuremberg, Nuremberg, Imprimerie du TMI, tome II, Débats. 14 novembre 1945-30 novembre 1945, 1947 :
« M. [Sidney] ALDERMAN [procureur américain]. — […] En présentant ces documents accablants, relatifs au déclenchement de la guerre en septembre 1939, je dois attirer l’attention du Tribunal sur un groupe de documents concernant un discours, ou plutôt une allocution adressée par Hitler, le 22 août 1939, à ses grands chefs militaires à Obersalzberg, juste une semaine avant l’attaque de la Pologne. Nous avons trois de ces documents ; ils se tiennent et constituent un groupe unique. Je ne vais pas déposer le premier. Je vous présenterai les deux autres.
La raison en est la suivante: le premier de ces trois documents, qui nous est parvenu par l’intermédiaire d’un journaliste américain [Louis Lochner], prétendait être le compte rendu original de cette réunion d’Obersalzberg, remis à ce journaliste américain par une tierce personne, mais nous n’avons aucune preuve que le document ait été réellement remis à cet intermédiaire par celui qui avait pris les notes. Ce document n’a donc servi qu’à donner l’éveil à notre Ministère Public et à lui faire chercher des documents plus satisfaisants. Heureusement, nous avons pu obtenir les deux autres documents, qui montrent que Hitler prononça, ce jour-là, deux discours, un le matin peut-être et l’autre l’après-midi comme le montrait le compte rendu original que nous avons saisi. En rapprochant ces deux documents du premier, nous arrivons à la conclusion que le premier document était une combinaison légèrement tronquée des deux discours.
Le 22 août 1939, Hitler avait convoqué à Obersalzberg, les trois chefs suprêmes des trois armes de la Wehrmacht, ainsi que les généraux portant le titre d’« Oberbefehlshaber», ou Commandants en chef.
Je vous ai dit comment, ce premier document découvert, le Ministère Public s’est mis à la recherche de preuves plus solides des événements de cette journée. Il y est parvenu. Dans les dossiers de l’OKW, ou Oberkommando der Wehrmacht, à Flensburg, nous avons découvert deux discours prononcés par Hitler à Obersalzberg, le 22 août 1939. Ces pièces portent les numéros PS-798 et PS-1014 dans nos séries de documents. » (pp. 289-290)
« Dr OTTO STAHMER (avocat de l’accusé Goring). — Puis-je faire une courte déclaration, Monsieur le Président, au sujet des deux documents qui viennent d’être lus ? La Défense ne reconnaît pas les deux documents qui viennent d’être lus ainsi que le troisième qui ne l’a pas été, mais auquel on s’est référé [donc, le premier chronologiquement, celui de Lochner]. […]
Quant au troisième document qui n’a pas été lu, d’après la photocopie, il s’agit d’un texte simplement dactylographié, déposé à la section de documentation de la Défense. Il n’est fait mention ni de la date, ni du lieu où il a été établi.
LE PRÉSIDENT. — Le troisième document ne nous intéresse pas puisqu’il n’a pas été lu.
Dr STAHMER. — Monsieur le Président, ce document a pourtant été publié dans la presse qui semble l’avoir reçu des mains du Ministère Public. C’est pourquoi il est d’une extrême importance pour la Défense et les accusés, que quelques brèves explications soient données sur ces documents.
LE PRÉSIDENT. — Le Tribunal juge d’après les preuves déposées et non d’après les articles parus dans les journaux. Le troisième document n’a pas été déposé devant le Tribunal. » (pp. 294-295)

Le compte-rendu sténographique du procès de Nuremberg est limpide : l’accusation considérait la version Lochner comme apocryphe, la défense comme un faux grossier et le président comme un texte dépourvu de toute valeur. Dans la controverse qui a opposé Türkkaya Ataöv, alors directeur du département des sciences politique à l’université d’Ankara, et Norman Ravitch, alors professeur à l’université de Californie, Riverside, M. Ravitch s’est soigneusement abstenu de répondre quoi que ce fût sur la phrase faussement attribuée à Hitler, et qu’il avait malencontreusement citée, reconnaissant implicitement s’être trompé : Türkkaya Ataöv et Norman Ravitch, « The Armenian Question », Encounter, mai 1982, pp. 91-94.

Une dernière observation : entre autres manipulations, Vahakn Dadrian cite dans son Histoire du génocide arménien, Paris, Stock, 1996, un entretien prétendument accordé par Hitler en 1931, et resté inédit de son vivant, pour des raisons inconnues, puis publié pour la première fois en 1969 par le journaliste italo-croate Édouard Calic. Dans cet entretien, un des passages attribués à Hitler lie le déplacement forcé d’Arméniens ottomans en 1915-1916 à ses projets d’expansion à l’est (mais là encore, rien sur les Juifs). Or, l’authenticité de cet entretien a été critiquée dès les années 1970 et l’évolution de la controverse tourna tellement au désavantage de Calic dans les années 1980, qu’il cessa de prétendre que ce texte était authentique. Calic est mort en 2003 sans avoir su répondre aux preuves de la falsification. Sur ce sujet, voir Benjamin Carter Hett, Burning the Reichstag. An Investigation into the Third Reich’s Enduring Mystery, Oxford-New York, Oxford University Press, 2014, pp. 309-314.

Lire aussi :











[1] Peter Balakian, The Burning Tigris, New York, Perennial, 2004, p. 129 ; Comité de soutien à Max Kilndjian, Les Arméniens en cour d’assises. Terroristes ou résistants ?, Roquevaire, Parenthèses, 1983, p. 199 (plaidoirie d’Henri Leclerc) ; Jacques Nazarian, Robert Donikian et Vartkès Solakian, Le Deuil national arménien, Lyon, Centre d’études arméniennes, 1965, p. 129. Plus récemment, Vincent Duclert, qui n’en rate pas une, a encore repris ce faux dans La France face au génocide des Arméniens, Paris, Fayard, 2015.

vendredi 22 mai 2020

Cinq témoignages américains contredisant la prétendue « extermination des chrétiens du Pont-Euxin » en 1921


Mary Caroline Holmes


J’ai réfuté, en détail, avant-hier, les élucubrations de MM. Ternon et Duclert sur la prise de Kars en 1920, et renvoyé à diverses références pour leurs prudhommeries concernant İzmir. Je voudrais revenir aujourd’hui sur la question du Pont-Euxin, en 1921.
Mary Caroline Holmes (1859-1927), chevalière de la Légion d’honneur pour son dévouement envers des prisonniers de guerre français, était une missionnaire américaine, qui fut notamment responsable de la branche du Near East Relief (NER, Assistance au Proche-Orient) à Urfa de 1918 à 1922. Elle a tiré de cette expérience un livre, Between the Lines in Asia Minor, New York-Chicago-Londres, Fleming H. Revell Company, 1923 — non dépourvu d’intérêt, mais moins favorable aux Turcs et moins critique vis-à-vis des nationalismes chrétiens que sa correspondance de l’époque, à cause du lectorat de la littérature missionnaire anglo-saxonne, à ce moment-là. C’est une de ses lettres qui va être reproduite ici, ainsi qu’un article de Walter E. Curt, directeur du NER à Elazığ), puis les déclarations de Julian Gillespie, attaché commercial des États-Unis à İstanbul (qui s’était rendu sur place), de Florence Billings, responsable du Near East Relief à Ankara, et de Horace C. Jaquith, directeur général du NER en Turquie ;  mais avant d’en venir à ces sources, il faut les contextualiser.

Stéphane Yerasimos, « La question du Pont-Euxin (1912-1923) », Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 153, janvier 1989, pp. 9-34 :
« L’hiver et le printemps 1919, période pendant laquelle les Alliés prennent progressivement possession des points stratégiques du territoire ottoman, Turcs et Grecs s’accusent mutuellement d’agressions et les seconds réclament une occupation alliée. Yakup Çevki Pacha, commandant de l’armée du Caucase, en cours de démobilisation, envoie des renforts à Samsun pour faire face aux bandes grecques, mais les effectifs squelettiques et démoralisés de l’armée régulière sont loin de faire le poids. Les notables turcs de Samsun et des environs invitent alors les bandes Lazes pour rétablir l’équilibre. Celles-ci prennent rapidement l'habitude de vivre sur le pays sans trop distinguer les Grecs des Turcs. De son côté, le métropolite Ghermanos organise à Samsun un comité des notables grecs qui dispose des sous-comités dans les villages. Ceux-ci se chargent des collectes locales des fonds, assurent les contacts avec les chefs des bandes et la coordination en cas d’alerte générale.
La position des Alliés face à cette situation est assez complexe. Pris entre la tendance à occuper le vide et la peur de l’engrenage, ils sont en même temps en concurrence. Dans ces conditions, les agents locaux, travaillés par les populations chrétiennes, sont les plus favorables à l’intervention, tandis que les gouvernements, effrayés du désordre mondial de l’après-guerre, sont plus que réticents. Entre les deux, les hauts-commissaires à Constantinople hésitent et font pression sur le gouvernement ottoman pour maintenir l’ordre.
[…] L’engagement britannique entraîne quasi automatiquement la méfiance française. [Paul] Lepissier, consul à Trabzon, dénonce le mouvement du Pont qui « revêt actuellement un caractère presque officiel »*°. Enfin, le gouvernement grec veut avant tout mesurer les chances d’un soulèvement armé au Pont. Ainsi, sous couvert de la Croix-Rouge hellénique, une mission arrive avec le vapeur grec loannina à Samsun en avril 1919. Ghermanos s’y embarque et la mission continue sa tournée jusqu’à Batoum.
Les hésitations des Alliés et les discussions entre eux entraînent une solution de compromis. Demander au gouvernement ottoman de maintenir l’ordre, ceci ne devant être pour les interventionnistes que l’occasion de démontrer son incapacité et de justifier un débarquement allié, en application de l’article 7 de l’armistice. Conscientes du danger, les autorités turques décident d’envoyer une mission d’inspection avant à sa tête un jeune général prestigieux, Mustafa Kémal. » (pp. 18-19)
« En attendant, les bataillons du Pont, qui atteignent les 2 000 hommes, sont envoyés sur le front de Smyme. Cette décision suscite la grogne chez les officiers et un d’entre eux, le sous-lieutenant Karaïskos, décide, en accord avec le Comité pontique d’Athènes, de partir pour Samsun afin d’organiser les bandes dispersées dans la région. Débarqué dans cette ville en mars 1920, il apprécie le travail de l’évêque de Zilon, qui remplace Ghermanos, absent à Constantinople, mais reste abasourdi devant l’absence de toute discrétion. Les chefs de bande entrent ouvertement nuit et jour dans le siège de l’archevêché et Karaïskos entend un jour l’évêque menacer au téléphone le gouverneur de la ville de faire descendre 5 000 hommes armés dans Samsun si ce dernier ne relâchait pas immédiatement un chef de bande.
L'arrivée de Karaïskos donne l’occasion aux notables, inquiets du comportement de l’évêque, de lui confier l’organisation des bandes. Celui-ci, après avoir calmé les dissensions entre les bandes, qui semblaient avoir atteint leur paroxysme, établit également des contacts avec les Circassiens à un moment où ceux-ci étaient en révolte contre l'autorité de Mustafa Kémal. Mais, quand il se rend à Constantinople, au mois de mai, pour chercher des armes, le haut-commissaire hellénique lui interdit d’y retourner. » (pp. 27-28)
« La situation sur le terrain, tout au long de l’année 1920, est marquée par l’attentisme. Les bandes grecques essaient de contrôler les environs des villages grecs en attendant une intervention extérieure et le gouvernement d’Ankara, tout en essayant d’armer les villages turcs, a les mains liées par les multiples révoltes et par l’avance de l’armée grecque. Le seul endroit où les bandes turques imposent leur présence est la région de Giresun où sévit Topal Osman [combattant irrégulier, finalement tué, en 1923, par des militaires turcs qui tentaient de l’arrêter en raison de sa violence incontrôlée]. Celui-ci, tout en terrorisant également les Turcs, semble procéder à une élimination systématique des notables grecs.
[…]
La première action officielle du gouvernement d’Ankara contre le mouvement du Pont date du 8 novembre 1920, quand 72 citoyens grecs de Samsun sont arrêtés et expulsés le lendemain. Le pas décisif est franchi avec la création, par décret du 9 décembre, de Tannée du Centre, destinée à réprimer le mouvement du Pont. Toutefois, cette force ne sera opérationnelle qu’à partir de l’automne 1921.
Le 4 février 1921, 72 notables grecs de Samsun et 11 de Bafra sont arrêtés. Parmi eux se trouve l’évêque de Zilon, Euthymios, et une perquisition à l’évêché conduit à la saisie des listes des contributions financières des notables au mouvement. Le 12 février, un enseignant turc du collège américain de Merzifon est assassiné. Le collège est perquisitionné le 16, quatre professeurs et deux étudiants grecs arrêtés. Sur ordre du ministère de l’Intérieur, le collège sera fermé le 22 mars et les Américains, à l’exception de deux personnes, seront expulsés.
La progression grecque [en Anatolie occidentale], reprise le 23 mars, est arrêtée le 30 à la bataille d’Inônü. Le 5 avril, l'Armée du Centre commence ses premières opérations contre les bandes grecques de la région de Bafra. Le résultat fut sans doute médiocre puisqu’il a encore fallu faire appel à Topal Osman, qui n’a pu intervenir qu’à partir du mois de juin, puisque avant cette date il était occupé par la répression de la révolte kurde de Koçgiri, avec une violence qui attirera les protestations de l’Assemblée d’Ankara.
Topal Osman attaque directement les villages, aussi bien pour couper les bases arrière des bandes que pour motiver ses troupes. Ainsi, ce sont les non-combattants qui subissent les effets et les sources grecques n’omettent aucun détail d’une large série de massacres dans les villages grecs des régions de Bafra et de Niksar, là précisément où l’armée régulière avait échoué le mois précédent.
Un autre événement va toutefois précipiter les choses. A la veille de la grande offensive grecque du mois de juillet 1921, le littoral de la mer Noire acquiert une grande importance en tant que lieu de passage obligé des armes et des munitions envoyées par la Russie soviétique au gouvernement d’Ankara. Ainsi, malgré les appréhensions britanniques, le croiseur grec Kilkis bombarde le 9 juin le port turc d’Inebolu, principale porte d’accès de la Turquie kémaliste. Le même jour, Nureddin Pacha, le commandant de l’Armée du Centre, réclame la déportation des Grecs. Le Conseil des Ministres, réuni à Ankara le 12, déclare tout le littoral « zone de guerre » et décide le 16, formellement, la déportation des hommes valides. » (pp. 29-31)

Walter E. Curt, « Work in the Harpoot Region », Near East Relief, 24 décembre 1921, p. 2 :
« À cause du manqué de personnel et de la charge de travail qui a pesé sur nous pendant l’année qui se termine, l’unité de Harpoot [Elazığ] n’a pas trouvé un moment pour vous parler de ce qui se passait. Mais le travail de cette unité a été actif — les milliers d’orphelins sont pris en charge, instruits et formés pour le commerce utile ; des centaines et des centaines de pauvres qui n’auraient pas pu trouver un autre travail reçoivent un emploi en fournissant le nécessaire aux orphelins, en travaillant au lavage, au peignage, au filage de la laine, au filage du coton, tricoter des chandails et des bas et des casquettes, au tissage de la laine et du coton brut en tissu, à la confection de vêtements, etc. ; des milliers des réfugiés, venus des régions de Konya et d’Eski Shehir [Eskişehir] et de la région de la Mer Noire, tant arméniens que grecs, ont reçu des soins médicaux et de la nourriture ; quelques centaines qui ne pouvaient pas être employés ont reçu de petites sommes d’argent au titre de l’assistance. »
ð  La campagne de diffamation sur le déplacement forcé de 1921 n’ayant pris de l’ampleur qu’en mai 1922 (voir ci-dessous), l’article de Walter E. Curt ne peut en aucune manière être présenté comme une réponse, d’autant moins qu’il s’agit d’un texte publié dans un bulletin interne.

Lettre de Mary Caroline Holmes (récemment installée à Beyrouth) à l’amiral Mark Bristol, haut-commissaire américain à İstanbul, 29 mai 1922, National Archive and Records Administration, College Park (Maryland), RG 59, M 353, bobine 45 (867.4016/708), reproduite dans Hakan Özoğlu, « Political and Human Landscapes of Anatolia in American Diplomatic Correspondence after World War I », dans Hakan Yavuz et Feroz Ahmad (dir.), War and Collapse, Salt Lake City, University of Utah Press, 2016, pp. 989-990 :
« […] Toute cette introduction ne sert qu’à amener la protestation que je vous adresse contre les protestations générales lancées par M. [Forrest D.] Yowell, ex-directeur du Near East Relief à Kharput [Elazığ], telles qu’elles ont été imprimées dans le Times de Londres, dans son édition du 5 mai [1922]. Certaines de ses déclarations ne peuvent être validées par les faits.  Ce faisant, il a mis en danger, non seulement les activités du N.E.R. dans le “Kemalistan” [la majorité de l’Anatolie, sous contrôle kémaliste] mais aussi le travail des missionnaires.
M. Yowell a déclaré que les travailleurs humanitaires qui se trouvaient le long de la route suivie par les déportés grecs ne furent pas autorisés à porter quelque assistance que ce fût aux agonisants ni à prendre soin des orphelins. Dans une conversation aujourd’hui avec M. Mackensie, qui fut le trésorier du N.E.R. à Kharput, j’appris que les autorités de cette ville ont autorisé le N.E.R. à distribuer du pain aux déportés “par moments”. Il est vrai que les déportés ont été envoyés à Diyabakır à travers une région montagneuse, dans le froid et sous la neige, et que beaucoup ont péri, par conséquent, sur le chemin. Et c’est ce qui est arrivé à plus de mille Arméniens qui tentaient de quitter Marash [Maraş] quand les Français ont évacué la ville pendant l’hiver 1920. Ils sont partis avec les Français, une terrible tempête de neige est arrivée, et pas moins de milles sont tombés sur le côté de la route. Ceux qui ont survécu au voyage depuis Kharput et ont atteint Diyarbakır furent tous pris en charge par le N.E.R. à la demande des autorités [souligné dans l’original]. Les adultes furent habillés, nourris et soignés ; les orphelins furent recueillis dans notre orphelinat. Non seulement les responsables civils et militaires ont coopéré avec Mme Wade, la directrice, mais quand il était prouvé qu’un gendarmes gardant les déportés se comportait de façon immorale [allusion probable à l’échange de faveurs sexuelles contre tel ou tel avantage] ou abusive, il était promptement remplacé à la demande de Mme Wade et souvent renvoyé de la gendarmerie.
Il est des plus manifestement inéquitable et injuste, pour ne pas dire mal avisé, de porter des accusations généralisatrices [mot souligné dans l’original] contre un gouvernement avec lequel le nôtre n’a pas à ce jour de relations diplomatiques, sur le territoire duquel nous vivons par courtoisie et, d’après mon expérience, qui a donné toute l’assistance qu’il était possible aux autorités de fournir. En tant que résidente de longue date en Turquie, je proteste de tout mon cœur et de toute mon âme contre les accusations généralisatrices de M. Yowell, dont beaucoup ne sauraient être vérifiées, comme je l’ai indiqué plus haut.
Je ne prends pas parti pour les nationalistes [turcs]. Ni pour les Grecs et les Arméniens. Nous, Américains, sommes ici pour soulager la souffrance des enfants sans foyers. Le chrétien comme le Turc ont commis des atrocités, sans nul doute. Mais nous travailleurs humanitaires, n’avons pas à juger de la culpabilité de quiconque. »
ð  Écrivant cette lettre (non destinée à publication) depuis Beyrouth, Mary Caroline Holmes ne peut en aucune manière être suspectée de s’exprimer sous la pression des kémalistes.

Jean Schlicklin, Angora. L’aube de la Turquie nouvelle, Paris, Berger-Levrault, 1922, pp. 183-185 :
« Ces calomnies furent imprimées dans certains grands journaux anglais au mois de mai dernier [1922].
Quelques jours plus tard, M. Gillespie, attaché commercial du haut-commissariat des États-Unis d'Amérique à Constantinople, faisait à un journal turc les déclarations suivantes :
“Les publications que Yowell a faites par le journal Times ne sont que la répétition des rumeurs non confirmées relatées par les journaux d'Amérique et de l'Europe il y a plusieurs mois, au sujet de soi-disant [erreur de traduction : prétendues] persécutions perpétrées à l'égard des chrétiens d'Anatolie. Yowell avait d'abord essayé de placer son rapport aux correspondants des éminents journaux américains comme le Chicago Tribune, l’Associated Press, le Chicago Daily News. Mais les correspondants américains, sachant que l’objet de ce rapport était une invention contraire à la vérité, refusèrent de l'accepter. Sur ce fait, le rapport fut vendu aux Arméniens, qui le firent publier par le Times.
Les Américains qui connaissent l'Anatolie sont d'accord pour reconnaître que les imputations contenues dans, ce rapport sont de purs mensonges. Moi-même, Miss Billings, Mr. McDowell et la regrettée Miss Helen avons constaté de près combien les Turcs sont nobles, braves et doués de caractère distingué, et nous nous fîmes les interprètes de ces vérités auprès des départements intéressés [ministères des Affaires étrangères].
Les Américains qui ont voyagé en Anatolie ainsi que tous les étrangers ont été de tout temps l'objet de bon accueil soit par les autorités locales, soit par la population. Les publications faites autour du prétendu mauvais traitement appliqué par le Gouvernement sont, ainsi que les constatations et les études des Américains l’ont prouvé, des choses contraires à la vérité. Le fait que Yowell a voulu rafraîchir les fausses nouvelles précédemment publiées contre le Gouvernement d'Anatolie et les efforts qu'il a entrepris pour provoquer l'opinion publique occidentale en les publiant, ont provoqué l'indignation de tous les Américains qui se trouvent ici et qui connaissent la vérité.
D'autre part, Miss Billings, représentant[e] du Comité de Secours américain en Proche-Orient [Near East Relief] depuis de longs mois, et que j'ai eu à maintes reprises l'occasion d'approcher à Angora, d'où elle rayonne à travers toute l'Anatolie, adressait la 11 mai [1922] la dépêche suivante à l'amiral Bristol, haut commissaire des États-Unis à Constantinople :
“À Son Excellence l'amiral Bristol.
Je viens d'apprendre qu'à Constantinople certains bruits circulent au sujet de nouvelles atrocités commises à Kharpout, je suis en correspondance continue avec les Américains qui se trouvent à Kharpout et j'ai parlé avec des personnalités éminentes récemment arrivées de la localité en question. Je suis convaincue que toutes ces rumeurs ne sont pas vraies.
Florence Billings.”
Quelques jours plus tard, M. [Horace C.] Jaquith, directeur du Comité de Secours américain en Proche Orient, arrivait lui-même à Angora et faisait les déclarations officielles suivantes :
“Le but de mon arrivée à Angora est d'assurer la collaboration la plus convenable et la plus amicale du Gouvernement nationaliste avec le Comité américain qui travaille depuis longtemps en Anatolie.
Quant aux publications de Mr. Yowell et de ses collègues, je suis sérieusement touché soit par cet incident, soit par suite de cas similaires. Car de pareils cas produisent des malentendus inutiles entre nous et le Gouvernement anatolien.
Au temps où Mr. Yowell se trouvait en Anatolie comme mon employé, il pouvait être considéré comme dépendant de moi. Mais une fois que son contrat fut annulé à cause de son expulsion de l'Anatolie, ses inventions appartiennent à sa personne.” »

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