dimanche 29 novembre 2020

Quand Jean-Marc « Ara » Toranian reprochait à la FRA de ne pas être assez terroriste (1981)


 Prise d’otages au consulat turc de Paris, par l’ASALA (24 septembre 1981)


Jean-Marc Théolleyre, « Le militant arménien détenu est confronté au diplomate turc blessé à Rome — Le mouvement Libération arménienne a réuni mille cinq cents personnes à Paris », Le Monde, 21 novembre 1981 :

« Quatre heures de chants, de discours, de messages, une salle ardente acclamant sans fin les uns et les autres. Le mouvement Libération arménienne [branche « politique » de l’Armée secrète pour la libération de l’Arménie (ASALA), rebaptisée Mouvement national arménien pour l’ASALA en 1982], et son “Comité de soutien aux prisonniers politiques arméniens”, qui voulait, dans la mouvance de l'affaire Dimitriu Giorgiu [pseudonyme de l’assassin d’enfant Monte Melkonian], attirer l'attention, peut considérer que sa mission est à peu près accomplie après la réunion qu'il a organisée, jeudi soir 19 novembre, à la Mutualité et qui a rassemblé environ mille cinq cents personnes. Cependant, il s'agissait de faire de cette manifestation “le reflet d'une prise de conscience politique et collective de tous les Arméniens”. La fin de la soirée en altéra quelque peu l'unité lorsque M. Ara Toranian, au nom de Libération arménienne, accusa le parti Daschnak, émanation de la Fédération révolutionnaire arménienne [sic : « parti dachnak » est simplement le surnom de la Fédération révolutionnaire arménienne], de “trahison”, lui reprochant d'avoir, “par sa condamnation des actions terroristes, participé à une véritable intoxication”. Une partie de l'assistance en fut ouvertement choquée, le fit savoir, et l'on faillit même en venir aux mains. Beaucoup en cet instant ont considéré qu'une “erreur” avait été commise.

Car jusque-là, tout concourait à ce que le meeting puisse apparaître comme celui de toute une communauté.

Générations et conditions sociales confondues, on avait, en effet, applaudi le message de Me Henri Leclerc, l'un des avocats chargés de la défense des quatre [terroristes ayant réalisé la prise d’otages au] consulat de Turquie, à Paris, le 24 septembre [1981], qui demandaient que “le gouvernement français reconnaisse le génocide du peuple arménien” car “on ne saurait, devant une pareille nécessité morale, se dérober au prétexte d'un éventuel conflit diplomatique avec l'État turc, bastion avancé du militarisme occidental le plus chauvin et le plus agressif”. »

 

Commentaires :

1) La « condamnation » dont parlait M. Toranian était largement (sinon entièrement) imaginaire. Sans même s’attarder sur les torrents d’articles publiés par sa presse aux États-Unis, en faveur du terrorisme, la FRA, en France, soutenait son terroriste Max Hraïr Kilndjian depuis son arrestation pour tentative d’assassinat, en janvier 1980, et plus généralement le terrorisme.

Par exemple, dans son édition de juillet 1981, pp. 5 et 22, Haïastan (alors seul organe de la FRA en français, France-Arménie n’ayant été créé qu’en 1982) avait publié un article de fond intitulé « La lutte armée, une nécessité inévitable », où se trouvaient des phrases telles que « Le “terrorisme” s’affirme de plus en plus aujourd’hui comme un moyen d’expression désespéré pour les minorités politiques nationales, dans un monde qui se dégrade économiquement et socialement avec indifférence, basé sur le profit » ou : « Désespérée par cette situation arbitrairement bloquée, dégoûtée par une atmosphère politique hypocrite, fatiguée de se heurter au mur du silence, la jeunesse arménienne, réveillée enfin, décide dorénavant de mener des actions plus radicales, ayant recours à la violence. » Pas un mot de critique, en deux pages, contre l’ASALA, qui, à ce moment-là, avait déjà frappé le palais de justice de Genève, le 4 novembre 1980.

La seule « condamnation » qui a peut-être eu lieu, à l’automne 1981 (mais dont je n’ai trouvé aucune trace), concernerait l’attentat contre la gare de l’Est et des attentats antifrançais à Beyrouth, perpétrés par l’ASALA pour réclamer la libération de l’assassin d’enfant Melkonian ;

2) Ce n’est pas étonnant de lire qu’Henri Leclerc a utilisé le vocabulaire de la turcophobie stalinienne la plus éculée, qui plus est dans un contexte où l’importance de la Turquie tenait d’abord à son rôle contre l’URSS, cette même URSS qui venait d’envahir l’Afghanistan, y commettant un cortège de crimes. Le même personnage avait milité au Parti communiste « français » de 1953 à 1955 (donc à un moment paroxystique du sectarisme stalinien) et déclarait encore, en 2013 : « Je ne regrette pas mon engagement. »

 

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