Le scandale des piastres est un des plus gros scandales politico-financiers de l’histoire de France. Il a consisté en des opérations jouant sur la différence entre la valeur réelle de la piastre indochinoise (monnaie du Vietnam, du Cambodge et du Laos, à l’époque coloniale) et le cours artificiellement fixé en 1945. Les montages les plus lucratifs utilisaient des dollars américains, voire aussi des dollars de Hong Kong, et usaient en général de montages assez complexes pour l’époque, recourant à des complicités aux États-Unis, en France, à Hong Kong, parfois en Thaïlande ou en Suisse, et, bien entendu, au Vietnam. Le coût (plusieurs milliards d’euros actuels) était, in fine, supporté par le contribuable français. L’aspect qui fit le plus scandale est que les communistes vietnamiens, en guerre contre l’armée française, prenaient largement part à plusieurs montages financiers, notamment les plus gros, car ils pouvaient ainsi échanger leurs piastres indochinoises, obtenues de gré ou de force auprès de civils vietnamiens, contre des dollars, fort utiles pour acheter les armes servant à tuer les soldats français — une participation que les plus gros trafiquants, notamment certains banquiers, ne pouvaient ignorer.
Le scandale fut révélé en novembre 1952 par un article publié dans Le Monde par Jacques Despuech, qui avait
travaillé à l’Office indochinois des changes, puis par un livre du même Jacques
Despuech, paru pour la première fois en janvier de l’année suivante (malgré
des menaces proférées contre l’auteur). Le cours officiel de la piastre fut alors abaissé. Une commission
d’enquête parlementaire, constituée en 1953, rendit son rapport l’année
suivante, portant des accusations aussi graves qu’étayées.
Jacques Despuech, Le Trafic des Piastres, Paris, La Table
ronde, 1974, seconde édition revue et augmentée :
« M. V. W. était, en 1945, jeune administrateur des Colonies, embauché
par son “cousin” T. U., comme attaché de cabinet au ministère des Colonies. En
1949, ayant fait entre-temps un petit stage au Cameroun, il faisait deux à
trois fois par an l’aller et le retour par l’avion Paris-Saïgon. À Saïgon, il
descendait à l’hôtel Continental (le plus cher de la ville, appartenant à son
ami D.) et à Paris, avait un appartement au Commodore [hôtel de luxe ouvert en 1927, et qui s’appelle aujourd’hui l’hôtel
Millenium Paris Opéra] ou aux Ambassadeurs [autre grand hôtel], roulant carrosse dans une somptueuse voiture
américaine. Il faisait, disait-il, de la “représentation commerciale”.
Des preuves accumulées pendant trois ans, il ressort que W. n’était pas un
trafiquant ordinaire, en ce sens qu’il ne trafiquait pas avec son argent
propre, mais pour le compte de différents personnages, dont un ou deux hommes
politiques en vue. Il était en quelque sorte leur représentant, ce qui
justifiait dans un certain sens sa profession avouée. […]
Or, à la même époque [1950], R., qui en était à son troisième séjour en
moins d’un an […] avait également des difficultés à rapatrier ses piastres [pour les échanger et faire ainsi un
bénéfice brut de 100 %]. Il en avait trop. Ce sont des choses qui arrivent.
Ils projetèrent donc de fonder une association destinée à faciliter l’obtention
de transferts [de piastres] sur la France.
[…]
Le circuit de MM. W. et R., pour en finir avec eux, passait par Genève, banque
Borgeaud ou correspondant, la [banque]
Lombard suisse, Manhattan, l’Union
générale arménienne de bienfaisance à Londres (par l’entremise d’une Mme
Hachette), l’United States Trust C° et la Chase Bank, évidemment. Les preuves
ne manquent pas : photocopies de lettres, numéros de comptes en banques,
rapports de douanes, etc., tout cela suffisamment clair pour mettre hors d’état
de nuire ces messieurs, mais M. Pignon [haut-commissaire
en Indochine] a déclaré, ne l’oublions pas : “Il n’y a pas de délit en
matière de transfert de piastres.” » (pp. 106-109)
« Le correspondant, en 1951, du réseau chinois [de financement occulte au profit de la guérilla communiste vietnamienne] en France, et qui continue certainement son activité à l’heure actuelle [1953], est un Chinois de nationalité portugaise [rappelons que la ville chinoise de Macao fut une colonie portugaise jusqu’en 1999], domicilié aux environs de Paris, et qui se nommait L. P. Grand voyageur devant l’Éternel, il se rend fréquemment en Angleterre, où il a des contacts avec les milieux arméniens de bienfaisance et a des relations suivies avec la Suisse. » (pp. 119-120)
L’Union générale arménienne de bienfaisance (UGAB) est une émanation du parti
Ramkavar, lequel résulte de la fusion, en 1920-1921, du comité Ramkavar, créé
en 1907 par Boghos Nubar, du parti Armenakan, créé en 1885, et du parti Hinchak
réformé, créé en 1896. Sur cette mouvance :
De
l’anarchisme au fascisme, les alliances très variables d’Archag Tchobanian
Gabriel
Noradounghian : du "libéralisme" ottoman au nationalisme
grand-arménien
Alain
Soral de nouveau mis en examen : rappels sur Jean Varoujan Sirapian et le
soralisme
Vandalisme
et débuts de lynchages lors de la manifestation arménienne de Bruxelles (22
juillet 2020)
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