jeudi 29 avril 2021

Les inconditionnels de la page antisémite « Arménie France » menacent de violer la personne qui en a révélé le contenu

 






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Des nationalistes arméniens ravagent la statue de Gandhi à Erevan

 


Rien n’autorise à prendre cet acte de vandalisme pour le fait d’une petite bande d’isolés. Le site arménien d’information news.am a justifié ce saccage, en qualifiant Gandhi d’« allié arménophobe d’Atatürk » — pour les nationalistes arméniens, s’opposer aux délires sur la Grande Arménie et son corollaire, la purification ethnique, c’est être « arménophobe ».

Quant au lectorat des pages nationalistes arméniennes en France, une bonne partie s’est félicitée de ce saccage, voire a regretté qu’il n’ait pas eu lieu plus tôt :








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La collaboration de la Fédération révolutionnaire arménienne avec le Troisième Reich

mercredi 28 avril 2021

La page Instagram « Arménie France » revendique son antisémitisme, son antisionisme et sa violence

 





Avec presque 8 900 abonnés, ce n’est pas une page marginale. Et pour ceux qui l’ignoreraient, les groupes de combats (milices) sont interdits en France (loi du 10 janvier 1936).

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jeudi 22 avril 2021

L’historien Marc Ferro sur les tabous sur l’historiographie arménienne


 


Marc Ferro, Les Tabous de l’histoire, Paris, Robert Laffont, 2013 (1re édition, 2002) :

« Chez les Arméniens, le tabou fonctionne de façon inverse. Leur tradition historique est polarisée par l’idée que les Arméniens sont un peuple martyr. Depuis trente ans, ils ont pris la relève des Juifs, avant que ne les concurrencent les Kurdes, les Bosniaques, etc. Aujourd’hui, où l’idéologie des droits de l’homme a pris le pas sur le culte des États-nations, chaque peuple fait l’inventaire des crimes dont il a été victime. La mémoire arménienne actuelle fait ainsi de l’histoire de ce peuple un long martyre dont le “génocide” de 1915 figure l’apogée. On rappelle néanmoins que les Arméniens ont constitué le premier État chrétien de l’histoire, avant l’Empire romain : ainsi, glorification et martyre, les Arméniens sont un peuple merveilleux.

Les historiens arméniens n’insistent pas, pourtant, sur l’étonnante prospérité des communautés arméniennes du Xe au XVIIIe siècle : Fernand Braudel l’a décrite dans sa Méditerranée, mais les Arméniens répugnent à se la rappeler. Martyrs, oui, riches, non. Ces historiens n’aiment pas se souvenir non plus qu’à la fin du XIXe siècle, avec les Bulgares, ils ont inauguré la pratique du terrorisme, notamment contre les institutions de l’État ottoman, telle la Banque d’Istanbul. Sur ce comportement – qu’ils ont renouvelé dans les années 1970 pour obliger le gouvernement turc à reconnaître la réalité des massacres de 1915 –, ils sont demeurés discrets parce que ces méthodes assassines les ancreraient dans la tradition orientale alors qu’ils se veulent membres de la communauté chrétienne et de l’Occident. »

Les lecteurs attentifs auront remarqué que Marc Ferro ne parlait de « génocide » qu’entre guillemets.

 

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mardi 20 avril 2021

L’antisémitisme de Mevlanzade Rifat, nationaliste kurde, menteur et référence du nationalisme arménien contemporain


 

Résumé : Mevlanzade Rifat (mort en 1930) était un pionnier du nationalisme kurde et de l’alliance de ce dernier avec le nationalisme arménien. En 1929, il publia un livre où il se présentait comme un ancien dirigeant du Comité Union et progrès (CUP, parti autrefois au pouvoir dans l’Empire ottoman), ce qu’il n’avait jamais été. Ce livre reproduit le compte-rendu de réunions imaginaires, notamment une où le CUP aurait décidé d’exterminer les Arméniens. Dans le même livre, ainsi que dans une brochure parue dès 1923, Rifat présentait aussi le CUP comme l’instrument d’un complot juif international. En dépit du parcours de son auteur et de son antisémitisme, Rifat demeure cité de nos jours comme « une source » prouvant le « génocide arménien ».

 

Gwynne Dyer (docteur en histoire militaire ottomane), « Correspondence », Middle Eastern Studies, IX-3, octobre 1973, pp. 379-382 :

« Mevlanzade Rifat n’était pas un Turc mais un Kurde. En outre, il appartenait à la famille Bedrhan, riche et influente, l’une des trois ou quatre principales familles de type féodal au Kurdistan. Il était né à Sulaimani [seule ville où des Kurdes ont attaqué des Juifs, à l’époque ottomane, au nom d’une accusation calomnieuse de « crime rituel »]. À ma connaissance, il n’a jamais été membre de l’Ittihad ve Terakki [Comité Union et progrès, CUP] ; au contraire, à partir de la révolution de 1908, il fut un membre éminent de l’alliance hétéroclite de traditionnalistes, d’anciens ittihadistes qui s’estimaient lésés et de groupes minoritaires qui constituaient “l’opposition” à İstanbul, en dirigeant l’un des principaux journaux d’opposition, Hukuk-u Umumiye autant qu’en appartenant à la Kürt Teavun Cemiyeti [association kurde qui fit la transition entre les révoltes claniques du XIXe siècle et le nationalisme kurde à proprement parler, qui émergea, lui, en 1919].

C’était aussi un membre éminent de la Fedakârane Millet Cemiyeti, créée dans la foulée de la proclamation de la Constitution en 1908 (Hukuk-u Umumiye était son organe officiel). Le parti devint, dès le tout début, un opposant implacable à l’Ittihad [le CUP] ; ses membres étaient politiquement divers, mais ils étaient très souvent kurdes et son opposition à l’Ittihad devint si extrême, jusqu’à entreposer des armes et recruter des fedai [combattants] qu’il fut visé par une descente de police et que bon nombre de ses membres furent arrêtés le 14 janvier 1909. Le procès commença le 24 mars, mais avant qu’il ne fût terminé, le “31 Mart Olayi” [coup d’État raté du 31 mars] conduisit à l’interdiction totale du parti. (Tarik Zafer Tunaya, Türkiye’de Siyasi Partiler. 1859-1952, Istanbul, 1952, pp. 233-239). […]

Après l’élimination de la contre-révolution, Mevlanzade Rifat s’enfuit à Paris. […] D’après un document que j’ai vu, je pense qu’il a passé les années de guerre [1914-1918] à Vienne.

Il doit être clair que Rifat n’était guère en position d’avoir des informations de première main à propos de décisions essentielles et secrètes qui auraient été prises par les dirigeants de l’Ittihad, ni que ce fût un homme méritant d’être cru lorsqu’il produit les “minutes” accablantes de “réunions secrètes” où l’exécution d’un génocide contre les innocents et pacifiques Arméniens aurait été décidés. Mais il y a plus encore à dire sur sa carrière.

Mevlanzade Rifat retourna à Istanbul immédiatement après l’armistice et le 5 novembre 1918, il fonda l’éphémère Radikal Avam Firkasi (Tunaya, pp. 405-406). Cependant, il abandonna rapidement cette entreprise, au profit du séparatisme kurde. Dès le début de la période de l’armistice, il fut un membre éminent du Comité national kurde (Kürt Taali Cemiyeti), qui, dès le 5 janvier 1919, soumit au haut-commissariat britannique son premier mémorandum réclamant l’indépendance du Kurdistan. Il relança aussi son journal, Serbesti. […]

Mevlanzade Rifat arriva en Irak en octobre 1921, bien fourni en argent grec, pour commencer la préparation d’une révolte kurde contre les kémalistes. Les Britanniques d’Irak refusèrent d’encourager cette initiative, et la mission revint, déçue, à Istanbul, à la fin de 1921. Les nationalistes d’Ankara connaissaient cette tentative et en particulier le rôle de Mevlanzade Rifat là-dedans : il dut donc partir de nouveau en exil, en 1922 ou 1923 (FO 371/5068 ; 5069/11 ; 371/6346 et 6347/43 ; 371/6369/12028 ; 371/10089/88/11625). [Gwynne Dyer cite ici la cote de divers documents diplomatiques britanniques, à l’appui de ce qu’il vient d’écrire.]

[…]

Ce fut dans ces circonstances que Mevlanzade Rifat, une des principales figures de la conspiration arméno-kurde [l’alliance de la Fédération révolutionnaire arménienne et du Hoyboun kurde] publia son tract antiturc à Alep en 1929. »

 



 Mevlanzade Rifat, L’Empire ottoman et les sionistes. Les Juifs qui ont ruiné la Turquie, Constanza (Roumanie), L’Institut graphique du journal Dobrogea Juna, 1923 :

« On voit que les troubles qui, depuis des siècles, désorganisent les affaires intérieures et extérieures de l’Empire ottoman, présentent parfois des phases aussi aigües que dangereuses. Surtout, la dictature militaire exercée depuis ces quatorze dernières années emmena la ruine complète du pays. [Parler de « dictature militaire » est particulièrement ironique pour des gouvernements majoritairement dirigés par des civils, comme Talat, et issus d’élections. C’est un gouvernement « libéral », auquel Rifat était d’ailleurs lié, qui a perdu la Macédoine et c’est le Comité Union et progrès qui a repris Edirne en 1913. Enfin, c’est le mouvement national turc, auquel s’est opposé Rifat, qui a vaincu l’Arménie et la Grèce, convaincu l’Italie, dès 1919, puis la France, en 1920-1921, de composer.] Il est naturel que ces troubles aient des fauteurs et qu’il y ait des personnes qui en profitent. Qui sont ces fauteurs, qui sont ceux qui en profitent ? […]

L’histoire ne parle-t-elle pas en détail du rôle joué, pendant le règne du sultan Sélim II, pour le compte des Juifs, par Yassef Nassi [Joseph Nassi] et par sa sœur Rebecca [sic], qui, dans le harem impérial, avait pris le nom de Nour Banou Halimé [il est possible que la sultane Nur Banu fût juive à l’origine, mais elle n’était, en tout état de cause, pas la sœur de Joseph Nassi], ainsi que les millions qu’ils avaient gagnés et les grandes propriétés qu’ils avaient acquises en Palestine ? [Joseph Nassi a loyalement servi l’Empire ottoman, comme bien d’autres Juifs, notamment au XVIe siècle. Rien n’indique qu’il ait été davantage cherché à s’enrichir davantage que la moyenne des dirigeants de son temps, juifs, chrétiens ou musulmans, ottomans ou non.] […]

Les contemporains du règne du sultan Abdül Hamid se rappellent les noms et qualités des Juifs qui, s’étant introduits au palais de Tzitli Kiosk [le palais de Yıldız, probablement] le 17 septembre 1315 (1899), par le chambellan Arif Bey et par le bibliothécaire Hassib Bey, avaient osé proposer ouvertement au sultan une gratification pour l’autonomie de la Palestine. Ces contemporains cherchent la raison pour laquelle les mêmes personnes avaient été chargées de notifier au même sultan son détrônement. [La fameuse délégation notifiant au sultan Abdülhamit II qu’il était destitué ne comptait qu’un seul Juif sur quatre membres : Emmanuel Carasso, les autres étant deux musulmans et un Arménien catholique, Aram Efendi. Rien n’indique que Carasso ait proposé de l’argent à Abdülhamit II contre une autonomie sioniste, ni en 1899 ni à une autre date.]

Vu les mobiles secrets exposés plus haut, reste-t-il de doute que le comité “Union et Progrès”, formé à Salonique, sous la fausse devise de liberté, justice, égalité, fût chargé de ruiner le pays, de jeter la discorde parmi les éléments ottomans, au point de s’entretuer [il s’agit là, évidemment, de rejeter sur les Juifs la responsabilité des massacres réciproques entre Kurdes et Arméniens, pendant la Première Guerre mondiale ; autrement, l’alliance du nationalisme kurde, dont Rifat était un précurseur, avec la Fédération révolutionnaire arménienne eût été impossible à justfier], de travailler pour la réalisation de l’idéal des Juifs et non pour le rétablissement de la Constitution ? » (pp. 1-5)

Faisons une pause. Les passages cités ci-dessus (je n’ai pas tout reproduit pour ne pas avoir à réfuter l’ensemble des contrevérités) suffisent à prouver que l’antisémitisme de Mevlanzade ne visait pas uniquement les Juifs sionistes et ceux qu’il considérait comme tels : sa vision du Juif conspirateur prend des exemples antérieurs de plusieurs siècles à la création de la première organisation sioniste (1882).

 

« Nous [le] voyons, la conséquence de la guerre générale (1) fut désastreuse pour l’Empire [ottoman]. Plusieurs petits États furent fondés sur ses ruines. Le société juive de Sion jeta les fondements du royaume d’Israël. Elle bâtit son foyer en pays arabe, en Palestine. Les Juifs, pour ne pas laisser ce foyer s’éteindre parmi la majorité arabe [rappelons ici que Jérusalem avait une majorité juive avant la création de la première organisation sioniste, en 1882 et que Tel-Aviv fut créée à partir d’un terrain nu] et le transformer en État puissant ont vu la nécessité d’exterminer en Palestine et en Syrie cette majorité [la Syrie ne faisait pas partie des projets sionistes ; et s’agissant des Arabes de la Palestine mandataire, le projet des dirigeants sionistes était de leur donner l’égalité civique dans le futur Israël]. Déjà, pendant les années sanglantes de la guerre mondiale, ils sentirent cette nécessité et travaillèrent à la mettre à exécution.

Je crois qu’on n’a pas oublié la persécution des Arabes de Syrie par les commandants appartenant à l’organisation “Union et Progrès” et qu’on se rend compte maintenant que cette persécution avait pour but la réalisation de l’idéal juif. [Outre que le sionisme n’était pas aussi répandu parmi les Juifs en 1914-1918 qu’aujourd’hui, Cemal Paşa n’a pas « persécuté les Arabes de Syrie », mais réprimé les séparatistes ; et il était le dirigeant du CUP le plus opposé au sionisme, bien qu’il fût favorable à l’immigration juive en tant que telle.] 

Cependant, l’armistice fut conclu avant que l’œuvre d’extermination fût arrivée au point désiré. La création du foyer juif en Palestine vient d’augmenter l’importance de cette œuvre.

Les Juifs avaient compris qu’ils ne pourraient pas vivre et se développer, comme ils le désiraient, parmi la majorité arabe. Ils pensèrent que l’unique moyen, c’était de préparer en Anatolie une armée turque “indépendante” et se trouvant sous leurs ordres [sic], pour l’employer, au besoin, à cette œuvre d’extermination. Ils procédèrent à la mise à exécution de ce projet sans que le monde en ait pris connaissance. En Europe, ils employèrent leurs secrètement des influences auprès des puissances de l’Entente et ils firent créer l’incident connu de Smyrne [ce passage délirant se réfute de lui-même]. Ils réussirent à faire envoyer en Anatolie — avec des vastes pouvoirs — contre l’incident créé, et sous le couvert d’une résistance légitime, Moustafa Kemal Pacha, homme de leur confiance, en trompant le sultan Vahid Eddin et en gagnant à leur cause quelques-uns de ses ministres. [La décision d’envoyer Kemal (Atatürk) en Anatolie est antérieure au débarquement grec du 15 mai 1919 et elle a été prise par le gouvernement de Damat Ferit Paşa, celui-là même qui s’était plié à l’injonction de laisser l’armée grecque débarquer.] Nous avons vu : aujourd’hui, l’organisation et l’armée tant désirées se trouvent être créées.

En effet, les Grecs furent battus et chassés d’Anatolie. Mais par la manœuvre juive [sic : le gouvernement de Kemal (Atatürk) ne comptait pas un seul Juif] de séparation du Halifat [califat] et du Sultanat, les Juifs conduisirent l’Empire à la ruine. Comme récompense, ils obtinrent la création d’une soi-disant entente — bien qu’éphémère — entre les puissances de l’Entente et l’organisation de Moustafa Kemal se trouvant sous leurs ordres. [Rappelons ici que la Turquie kémaliste et le Royaume-Uni ne se sont réconciliés qu’à partir de 1926, après l’accord sur Mossoul.]

Aujourd’hui, les sionistes sont occupés à préparer des agressions pour porter atteinte à la tranquillité de la Syrie et des régions du Jourdain et pour faire attaquer les pays arabes par l’armée d’Anatolie, qui se trouve à leur disposition. » (pp. 6-7)

Ici, il suffira de rappeler que l’armée turque n’a jamais attaqué la Syrie et n’y est intervenue qu’à l’occasion de la guerre civile syrienne, 92 ans après la parution de cette brochure. Citer le reste de façon exhaustive serait rébarbatif, tant le thème des « Juifs contrôlant la Turquie » se répète. Un seul passage mérite d’être relevé ici, pour des raisons qui vont être explicitées juste après.

« Il est connu qu’après le détrônement [en 1909] du sultan Abdul Hamid, le gouvernement ottoman tomba dans les mains des hommes d’État et commandants appartenant à l’organisation de l’“Union et Progrès” [affirmation inexacte : outre l’intermède « libéral » de juillet 1912-janvier 1913, le CUP ne prit que progressivement le contrôle du gouvernement, n’exerçant le pouvoir seul, ou presque, qu’à partir de l’été 1913], dépendant elle-même de la Société juive de Sion [sic]. En octobre 1325 [1909] — je ne me souviens pas le jour —, l’Union et Progrès tint à Salonique son grand congrès, avec la participation de toutes ses succursales. En dehors de cette assemblée générale, un conseil composé des principaux membres et des présidents tint une séance secrète, au cours de laquelle elle étudia la question suivante posée par la société de Sion et par la loge maçonnique dépendant de cette Société [aucune loge maçonnique ne dépendait la Société des amants de Sion, laquelle n’avait pas de liens particuliers avec le CUP et avait d’ailleurs perdu beaucoup de son importance après 1897] : “À l’avenir, comment sera gouvernée la Turquie ?” Il fut répondu à cette question par une décision de quatre points, à savoir :

1.       À l’avenir, briser en Turquie la force et l’influence de la religion ;

2.     Partager entre les frères [allusion au fameux « complot judéo-maçonnique »] les ressources financières et économiques de la Turquie ;

3.       Séparer le Sultanat du Halifat afin de réduire ce dernier à la faiblesse ;

4.       Proclamer la République et exterminer la dynastie ottomane dès que possible.

L’exécution de cette décision à l’intérieur du pays, ainsi que la propagande à faire en sa faveur à l’étranger furent confiées à des émissaires de la Société de Sion. Ces émissaires, avant tout, gagnèrent, par différents moyens, à leur cause la presse turque et procédèrent à la diriger vers ce but. »

Il est à peine besoin de préciser que, loin de « briser en Turquie la force et l’influence de la religion », le CUP élut comme secrétaire général Sait Halim Paşa (pour qui l’islam était la source de sa pensée politique), en 1913, non pas certes que Sait Halim représentât beaucoup de monde au CUP, mais parce qu’il fallait se choisir un dirigeant rassurant pour les masses. Le CUP ne chercha jamais à supprimer le califat ou le sultanat.

Ce passage a été choisi pour être le dernier cité ici, car c’est le même Mevlanzade Rifat qui a donné, en 1923, ce compte-rendu entièrement faux (et foncièrement antisémite) d’une réunion du CUP, et qui, en 1929, dans un ouvrage tout aussi imprégné du thème du « complot judéo-maçonnique » (et même davantage : en 1929, il y ajoutait le « judéo-bolchevisme »), voulait persuader ses lecteurs qu’une autre réunion du CUP, en 1915, a eu lieu pour décider de « l’extermination des Arméniens ». Ce n’est sûrement pas un hasard si la brochure de 1923 fut publiée en Roumanie. En effet, le congrès de 1923 de la Fédération révolutionnaire arménienne s’est tenu dans ce même pays.

Malgré la réfutation dévastatrice, par Gwynne Dyer, des mensonges de Rifat sur sa vie et sur la prétendue réunion de 1915, son livre de 1929 a continué d’être utilisé dans la littérature nationaliste arménienne. Raymond Kévorkian (qui ne répugne pas non plus à s’appuyer sur l’antisémite Jean Naslian), persiste à faire de Rifat « une source », certes pas toujours complètement fiable, mais utilisable (sans dire un mot des mensonges du même Rifat sur sa vie, ni sur la place centrale de l’antisémitisme dans sa production écrite) : Raymond Kévorkian, Le Génocide des Arméniens, Paris, Odile Jacob, 2006, pp. 311 et 325, n. 707 (référence maintenue intacte, cinq ans plus tard, dans la traduction en anglais du livre).

La nationaliste kurde Fatma Müge Gökçek (très appréciée par Vincent Duclert : décidément…) s’appuie sans réserve aucune sur Rifat : Denial of Violence, 2014, pp. 580, 586 et 591. Le même faux est cité dans un ouvrage collectif dirigé par Richard Hovannisian, un universitaire très apprécié par les nationalistes arméniens, sur les deux rives de l’Atlantique : R. Hrair Dekmejian, « Determinants of Genocide: Armenians and Jews as Case Studies », dans Richard G. Hovannisian (dir.), The Armenian Genocide in Perspective, New Brunswick-Londres, Transaction Publishers, 2007, p. 96, n. 6 (cette référence en dit d’autant plus long sur le sérieux des auteurs qu’un compte-rendu critique de la première édition avait pointé diverses atteintes à la vérité, notamment la citation de Rifat : Michael M. Gunter, « Book review », International Journal of Middle East Studies, XXI-3, août 1989, pp. 419-421).

Vahakn Dadrian, encore plus apprécié par les militants arméniens et leurs amis sur les deux rives de l’Atlantique, cite aussi Mevlanzade Rifat : Vahakn Dadrian, « The Convergent Roles of the State and a Governmental Party in the Armenian Genocide », dans Levon Chorbajian et George Shirinian, Studies in Comparative Genocide, New York-Londres, St Martin’s Press, 1999, p. 100. La raison est limpide : dans le même chapitre, vingt pages plus loin, il reprend explicitement à son compte la théorie du « complot judéo-maçonnico-dönme ».

Une mention toute spéciale mérite, néanmoins, d’être attribuée à l’Association pour la recherche et l’archivage de la mémoire arménienne (ARAM, Marseille) : depuis quelques années, ils ont mis en ligne, sans prise de distance, le tiré à part (réimpression sous forme de brochure) d’un article publié en 1965 par H. Kazarian, traduisant les principaux passages du livre publié par Rifat en 1929, et paraphrasant sans la moindre critique une de ses affirmations sur le « complot judéo-maçonnique derrière le CUP ». La même ARAM a aussi mis en ligne, sans avertissement aucun, les Mémoires de l’antisémite Jean Naslian (qui reprend les mêmes obsessions). Toujours sur le site de l’ARAM, on trouve en PDF, et, là encore, sans le moindre avertissement, Le Désastre d’Alexandrette (1938) et Chrétiens en péril au Moussa Dagh (1939), deux ouvrages marqués par le complotisme antimaçonnique, rédigés par un agent d’influence de l’Italie fasciste (pas moins). On ne peut donc pas dire que la lutte contre les théories du complot répandues parmi leurs coreligionnaires soit une priorité pour les membres de l’ARAM.

 

Lire aussi, sur Mevlanzade Rifat et le contexte de son action :

Mevlanzade Rıfat : mensonges grossiers et antisémitisme

Contre le kémalisme : le rapprochement entre les dachnaks, les nationalistes kurdes et les réactionnaires ottomans

La France briando-poincariste contre l’axe FRA-Hoyboun (alliance de nationalistes arméniens et kurdes)

 

Sur le thème du « complot judéo-maçonnico-dönme » :

Paul de Rémusat (alias Paul du Véou) : un tenant du « complot judéo-maçonnique », un agent d’influence de l’Italie fasciste et une référence pour le nationalisme arménien contemporain

Le soutien de Vahakn Dadrian à la thèse du « complot judéo-maçonnico-dönme » derrière le Comité Union et progrès

Le soutien d’Arthur Beylerian à la thèse du « complot judéo-maçonnico-dönme » derrière le Comité Union et progrès

L’antijudéomaçonnisme de Jean Naslian, référence du nationalisme arménien contemporain

Le vrai visage de l’« alternative libérale » au Comité Union et progrès et au kémalisme

L’helléniste Bertrand Bareilles : arménophilie, turcophobie et antisémitisme (ensemble connu)

 

Sur l’antisémitisme arménien en général :

Les massacres de Juifs par les dachnaks en Azerbaïdjan (1918-1919)

L’antisémitisme arménien à l’époque ottomane dans le contexte de l’antisémitisme chrétien

Jean-Marc « Ara » Toranian semble « incapable » de censurer la frénésie antijuive de son lectorat

La propagande nationaliste arménienne sur le réseau social Facebook : de la turcophobie à l'antisémitisme (sa forme mortifère incluse), il n'y a qu'un pas, allégrement franchi par ces excités potentiellement dangereux

 

Sur la corrélation entre antisémitisme et soutien au nationalisme arménien, des années 1890 aux années 1940 :

L’arménophilie-turcophobie d’Édouard Drumont, « le pape de l’antisémitisme », et de son journal

L’arménophilie aryaniste, antimusulmane et antisémite de D. Kimon

Maurice Barrès : de l’antisémite arménophile au philosémite turcophile

Albert de Mun : arménophilie, antidreyfusisme et antisémitisme

Auguste Gauvain : arménophilie, grécophilie et croyance dans le « complot judéo-bolchevique »

L’arménophilie de Johann von Leers

L’arménophilie d’Alfred Rosenberg

L’arménophilie du nazi norvégien Vidkun Quisling

L’arménophilie fasciste, aryaniste et antisémite de Carlo Barduzzi

Paul Chack : d’un conservatisme républicain, philosémite et turcophile à une extrême droite collaborationniste, antisémite, turcophobe et arménophile

Camille Mauclair : tournant réactionnaire, antisémitisme, turcophobie, soutien à la cause arménienne, vichysme

dimanche 18 avril 2021

Le Hossank, l’autre parti nazi arménien

 


Souren Begzadian, fondateur du Hossank


 Bernard Lewis, The Multiple Identities of the Middle East, New York, Schocken Books, 1999, pp. 45-46 :

« [En 1936], le ministre allemand de l’Économie, Hjalmar Schacht fit une visite en Iran, et assura les Iraniens que, puisqu’ils étaient de “purs Aryens”, les lois raciales de Nuremberg ne s’appliquaient pas à eux.

Le même douteux privilège fut accordé par le Troisième Reich aux Kurdes et aux Arméniens. Un certain nombre d’entre eux répondirent en fondant une organisation nationale-socialiste nommée le Hossank et en formant nombre de bataillons arméniens pour l’armée allemande. Leurs membres étaient recrutés parmi les prisonniers de guerre de l’Armée rouge et parmi les Arméniens diasporiques de l’Europe occupée, auxquels s’ajoutaient des volontaires venus d’Amérique du nord [allusion à Garéguine Nejdeh], qui voyaient là l’opportunité de libérer l’Arménie du gouvernement soviétique [et d’imposer à la place un gouvernement nazi]. »

 

Si Souren Begzadian (alias Begzadian-Païkar), fils de l’ancien ambassadeur d’Arménie à Bakou et fondateur du Hossank[1], n’est pas l’objet d’une célébration officielle en Arménie, contrairement à d’autres Arméniens nazis plus importants, comme Garéguine Nejdeh et Drastamat « Dro » Kanayan, c’est à l’inverse le silence de la plupart des historiens, notamment français, qui doit frapper, car ce disciple d’Hitler est mort en France, en 1972.

 

Lire aussi :

La popularité du fascisme italien et du nazisme dans la diaspora arménienne et en Arménie même

Le racisme aryaniste, substrat idéologique du nationalisme arménien

La collaboration de la Fédération révolutionnaire arménienne avec le Troisième Reich

Misak Torlakian : du terrorisme de Némésis au renseignement du Troisième Reich

Après tout, qui se souvient de ce que faisait Vahan Papazian pendant la Seconde Guerre mondiale ? Du maquis des fedai à la collaboration avec le IIIe Reich, en passant par le soutien au Khoyboun : l'engagement de toute une vie au service de la FRA-Dachnak

L’arménophilie d’Alfred Rosenberg

L’arménophilie de Johann von Leers

L’arménophilie de Paul Rohrbach

Racisme antiturc et antirusse dans la pensée de l’arménophile nazi Paul Rohrbach

L’arménophilie du nazi norvégien Vidkun Quisling

Les massacres de Juifs par les dachnaks en Azerbaïdjan (1918-1919)

L’antisémitisme arménien à l’époque ottomane dans le contexte de l’antisémitisme chrétien



[1] Christophe Dolbeau, Face au bolchevisme : Petit dictionnaire des résistances nationales à l'est de l'Europe (1917-1989), Lyon, Arctic, 2006, p. 19 ; Patrick von Zur Mühlen, Zwischen Hakenkreuz und Sowjetstern: der Nationalismus der sowjetischen Orientvölker im Zweiten Weltkrieg, Düsseldorf, Droste Verlag, 1971, p. 106.

samedi 17 avril 2021

L’arménophilie du nazi norvégien Vidkun Quisling

 



 Hans Fredrik Dahl, Quisling: A Study in Treachery, Cambridge-New York, Cambridge University Press, 1999, p. 59 :

« Les Arméniens s’étaient vus promettre une patrie par les grandes puissances, mais ces promesses ne furent jamais concrétisées [affirmation doublement inexacte : aucune des grandes puissances, pas même la Russie, n’a fait de promesse précise pour « une patrie » ; et la nouvelle URSS a non seulement créé une République soviétique d’Arménie, mais pris acte de la purification ethnique au Zanguezour, en attribuant à l’Arménie soviétique cette région, majoritairement azerbaïdjanaise jusqu’en 1920]. À la Société des nations, leur cause menaçait de devenir un scandale international [aux yeux de qui ?] lorsque [Fridtjof] Nansen la prit en charge en 1924. Ses motifs étaient entièrement humanitaires ; durant sa visite en Sibérie avant la guerre, il avait rencontré de malheureux exilés arméniens, envoyés là-bas en raison de leur lutte pour l’indépendance [vision simpliste : il s’agissait de membres de la Fédération révolutionnaire arménienne, souvent terroristes, qui avaient combattu la Russie aux côtés des Jeunes-Turcs, avant de se retourner contre ses derniers, au profit de la Russie justement, en 1912]. Quisling [alors très lié à Nansen, y compris sur la question arménienne] ajoutait à cette question une part d’idéologie : les Arméniens, déclara-t-il quelques années plus tard [en 1933, ce qui n’est pas innocent, vu son évolution idéologique] “représentent le dernier avant-poste de l’Europe chrétienne et constituent dès lors le principal canal par lequel les idéaux et la culture occidentaux pénètrent en Asie.”

Le voyage que Nansen et Quisling firent en Arménie et dans le reste du Caucase en juin 1925 fut prometteur et marqué par l’optimisme. Partout ils rencontrèrent des autorités qui se montraient coopératives. Au moins semblait-il possible de faire quelque chose pour les Arméniens. L’idée était d’aider la République soviétique d’Arménie à rapatrier autant que possible — peut-être cinquante mille — des trois cents mille Arméniens qui vivaient en Turquie ou comme réfugiés au Proche et Moyen-Orient. »

Le projet périclita, au grand déplaisir de Nansen et Quisling.

 

Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, Paris, Gallimard, 2006, tome II, pp. 1017-1022 :

« En 1939, quelque 1 800 Juifs vivaient en Norvège sans être inquiétés, principalement à Oslo et Trondheim. Un demi-Juif, Hambro, avait accédé à la direction du Parti conservateur et au poste de délégué principal de la Norvège auprès de la Société des nations. La position d’Hambro, ainsi que le statut dont jouissaient tous les Juifs du pays, agaçait un petit groupe politique, le Rassemblement national (Nasjonal Samling, ou NS) d’inspiration nationaliste, pronazie et antisémite, fort de 15 000 membres, et qui avait à sa tête un ancien officier de l’état-major et du ministère de la Guerre, Vidkun Quisling [le NS a été créé en 1933, l’année même où Quisling a exprimé son arménophilie de suprémaciste chrétien].

Quand, au printemps de 194[0], la Norvège fut occupée à la suite d’une invasion éclair Quisling devint le chef du gouvernement norvégien. […] Au-dessous de lui, Quisling se heurtait à un peuple frondeur, dont les éléments indisciplinés se rebellaient, même au sein de son propre parti.

[…]

À la suite d’une demande de Redless, le ministre norvégien de la Police, Jonas Lie, ordonna le 17 janvier 1942 qu’un J soit apposé sur les cartes d’identité des Juifs. Cette mesure nécessitait une définition du mot “Juif” : on suivit alors le principe de Nuremberg, avec une stipulation complémentaire, à savoir que tous les membres de la communauté religieuse juive devaient être considérés comme “Juifs”. […]

Le samedi 24 octobre 1942, l’Hauptsturmführer Wagner [officier de la Gestapo chargé des Juifs en Norvège] se rendit au domicile du chef de la Police d’État norvégienne Karl Mathinsen, avec pour instruction d’étendre ces arrestations à tous les Juifs du pays. Cette police d’État était une petite organisation formée dans le courant de l’été 1941 et exclusivement composée de SS sûrs. Pendant le week-end, elle dressa des listes avec l’aide du Bureau de la statistique et, le 26 octobre, Marthinsen lança les rafles avec ses propres hommes, secondés par des membres de la Police criminelle, de la Police régulière dans les zones rurales et les circonscriptions policières, ainsi que d’hommes de la division norvégienne Germanske SS-Norge. […]

Toujours le 26 octobre, le cabinet Quisling s’empressa de décréter la mise sous séquestre des biens juifs. […]

Le 17 novembre le gouvernement Quisling ordonna à tous les citoyens qui avaient au moins un grand-parent juif de se faire connaître aux bureaux locaux de la police. À ce moment-là, la rumeur de ce qui se tramait se propageait déjà rapidement. Beaucoup de Juifs se cachèrent, et les dimanches 15 et 22 novembre des services spéciaux furent célébrés dans les églises luthériennes de Suède pour les victimes des arrestations. […]

Après que ce premier lot de victimes eut été embarqué [vers l’Allemagne, puis Auschwitz], une vive agitation s’empara de toute la péninsule norvégienne. L’émoi de la population gagna les cercles de la collaboration, qui firent preuve d’un “manque de compréhension” (Verständnislosigkeit) manifeste, et l’on parla même de démissions dans le propre mouvement de Quisling. »

 

Lire aussi, sur le versant nationaliste arménien :

La popularité du fascisme italien et du nazisme dans la diaspora arménienne et en Arménie même

La collaboration de la Fédération révolutionnaire arménienne avec le Troisième Reich

Les massacres de Juifs par les dachnaks en Azerbaïdjan (1918-1919)

 

Sur l’arménophilie nazie et fasciste :

L’arménophilie d’Alfred Rosenberg

L’arménophilie de Johann von Leers

L’arménophilie de Paul Rohrbach

L’arménophilie fasciste, aryaniste et antisémite de Carlo Barduzzi

L’arménophilie de Lauro Mainardi

Paul de Rémusat (alias Paul du Véou) : un tenant du « complot judéo-maçonnique », un agent d’influence de l’Italie fasciste et une référence pour le nationalisme arménien contemporain

 

Sur l’arménophilie d’extrême droite en France à la même époque :

L’arménophilie du régime de Vichy

Paul Chack : d’un conservatisme républicain, philosémite et turcophile à une extrême droite collaborationniste, antisémite, turcophobe et arménophile

L’arménophilie vichyste d’André Faillet — en osmose avec l’arménophilie mussolinienne et collaborationniste

De l’anarchisme au fascisme, les alliances très variables d’Archag Tchobanian

Camille Mauclair : tournant réactionnaire, antisémitisme, turcophobie, soutien à la cause arménienne, vichysme

L’arménophilie-turcophobie du pétainiste Henry Bordeaux

jeudi 15 avril 2021

Les massacres d’Azéris par les dachnaks et les divisions entre Arméniens à ce sujet (1918-1920)


Cadavres d’Azerbaïdjanais (Azéris) massacrés par les dahcnaks à Bakou (printemps 1918)
 


Firuz Kazemzadeh, The Struggle for Transcaucasia, New York-Oxford, Philosophical Library/George Ronald Publisher, 1952, pp. 71-75 :

« Mais ce ne sont ni les Kadets [constitutionnels-démocrates], ni les mencheviks [socialistes], ni les SR [sociaux-révolutionnaires, parti divisé entre partisans et adversaires de bolcheviks] qui ont sauvé le Soviet [de Bakou] pendant les jours de mars [1918]. Ce fut la Dashnaktsutiun [Fédération révolutionnaire arménienne, FRA, aussi appelée « les dachnaks »], avec son organisation militaire, qui fit pencher la balance en sa faveur. Au début, le Conseil national arménien a proclamé sa neutralité dans la querelle entre le Musavat [parti national azerbaïdjanais] et le Soviet. Il a même été sous-entendu que les Arméniens [de la FRA] auraient dit au Musavat que ce dernier pourrait s'attendre à leur aide contre les bolcheviks. Si c'était le cas, alors les Arméniens [de la FRA] étaient en grande partie responsables du massacre qui s'en est suivi, car le Musavat s'est plongé dans le conflit armé en pensant qu'il n'avait qu'un seul ennemi [les bolcheviks] à affronter. […]

Les Arméniens qui avaient jusque-là proclamé, avec force, leur neutralité, se tournèrent soudain vers les Soviétiques et se joignirent à l’attaque contre le Musavat. […]

Du côté arménien, l’archevêque Bagrat écrivit une lettre à la mission américaine de Bakou. […]

En ce qui concernait le massacre de la population musulmane, l’archevêque Bagrat nia que les Arméniens y aient pris part [rappelons ici que ses héritiers idéologiques hurlent « négationnisme » quand ils font face à des arguments qu’ils ne savent pas contrer]. Il prétendait au contraire que les Arméniens avaient accueilli vingt mille musulmans pendant l’affrontement.

Les Azerbaïdjanais portèrent la contradiction sur chaque affirmation de cette version arménienne. Ils dirent que c’était un désir de vengeance nationale, ou celui de partager le pouvoir avec les bolcheviks qui était à l’origine des attaques par des Arméniens et du massacre de la population civile [musulmane] de Bakou. Il ne fait aucun doute que l’attaque était dirigée tout autant contre la population civile que contre les détachements militaires du Musavat. Tout Azerbaïdjanais que les bandes dachnaks attrapaient était tué. Beaucoup de Persans y perdirent la vie, eux aussi. Les Arméniens iraniens de Bakou essayèrent de sauver la vie de leurs compatriotes et y réussirent en effet, ce qui est peut-être la base à partir de laquelle l’archevêque Bagrat présenta son affirmation exagérée, selon laquelle vingt mille musulmans avaient été sauvés par des Arméniens. […]

Sur la base des éléments présentés ci-dessus, il est possible d’affirmer que le Soviet a provoqué la “guerre civile” dans l’espoir de briser la puissance de son plus redoutable rival, le Musavat. Cependant, une fois que le Soviet eut appelé la Dachnaktsoutioun à prêter son assistance dans la lutte contre les nationalistes azerbaïdjanais, la “guerre civile” a dégénéré en massacre, les Arméniens [de la FRA] tuant les musulmans quelle que fût leur affiliation politique ou leur position sociale et économique. Les Russes non bolcheviques se rangèrent du côté du soviétique pour la simple raison qu'ils étaient Russes et préféreraient voir le triomphe du soviétique qui obéit à Moscou, plutôt que la victoire du Musavat indépendantiste.

Quand enfin un semblant d'ordre a été rétabli à Bakou, les rues débarrassées des milliers de cadavres et les incendies éteints, le Soviet est apparu comme la plus grande force de la ville. Les musulmans ont été vaincus et complètement désarmés, tandis que les Arméniens étaient affaiblis. »


Gaston Gaillard, Le Mouvement panrusse et les alllogènes, Paris, Chapelot, 1919, pp. 40-41 :

« Bien que les représentants du parti nationaliste arménien, Daschnaktsoutioim, qui n'étaient pas bolchevistes et avaient même mené au Conseil municipal une campagne acharnée contre ces derniers, et les représentants des autres partis arméniens qui composaient le Conseil national arménien, aient engagé, peu de temps avant ces événements, des pourparlers avec les représentants du Comité central musulman de la Transcaucasie pour régulariser les relations politiques et nationales des éléments arméniens et musulmans, dès que les bolcheviki eurent engagé le combat contre les Azerbaïdjaniens, plus de 3.000 soldats arméniens revenus du front occidental se joignirent à eux contre les -Musulmans. Près de 12.000 Musnlmans périrent de la main des boicheviki aussi bien que de celle des ennemis de l'islamisme qui profitèrent de ces circonstances pour régler entre eux leurs comptes nationaux. Ces deux éléments détruisirent de concert de nombreux villages musulmans et, parmi ceux-ci, une des plus anciennes villes de l’Azerbaïdjan : Chemaka (Chirvan). Les Arméniens de Bakou prirent seuls part à ce mouvement qui fut désapprouvé par les autres éléments arméniens habitant hors de Bakou. »

 

Justin McCarthy, Death and Exile. The Ethnic Cleansing of Ottoman Muslims, 1821-1922, Princeton, Darwin Press, 1995, p. 215 :

« Le gouvernement turc a déclaré que 199 villages musulmans de la République arménienne avaient été détruits [en 1919], ce qui n’est probablement pas très exagéré. En mars 1920, la République d’Azerbaïdjan a officiellement protesté contre les massacres en République d’Azerbaïdjan, énumérant nommément les villages détruits et estimant que l'État arménien “avait dévasté plus de 300 villages et massacré la plupart des musulmans qui peuplaient lesdits villages”. Même le gouvernement persan, qui ne n’est pas plaint parce qu'il était largement sous le contrôle des soldats du corps d’occupation britannique, s'est prononcé contre le massacre. Cependant, les critiques les plus éloquentes sont venues d’Arméniens — du  Parti social-révolutionnaire de la République arménienne :

“Au président du Parlement :

Nous vous prions d'adresser au ministre de l'intérieur la demande suivante. Le Ministre est-il informé qu'au cours des trois dernières semaines, sur le territoire de la République arménienne, dans les limites des districts d'Echmiadzin, Erivan et Sourmalin, une série de villages tatars, par exemple Pashakend, Takiarli, Kouroukh-Giune, Oulalik de la société Taishouroukh, Agveren, Dalelar, Pourpous, Alibek Arzakend, Djan-Fida, Kerim-Arch, Agdjar, Igdalou, Karkhoun, Kelani-Aroltkh du district d'Echmiadzin, de même qu’une série d'autres villages ont été purgés de la population tatare [azérie] et ont été par visés par vols et des massacres ? Est informé que la police locale, non seulement n'a pas empêché, mais a même participé à ces vols et à ces massacres, que ces événements ont laissé une très mauvaise impression sur la population locale qui est dégoûtée de ces vols et désordres et qui souhaite vivre en paix avec ses voisins et demander que les coupables soient jugés et punis en conséquence, car ils sont à ce jour impunis ?” »

Il va sans dire que cette protestation est restée sans effet.

 

Lire aussi :

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Nationalisme arménien et nationalisme assyrien : insurrections et massacres de civils musulmans

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Turcs, Arméniens : les violences et souffrances de guerre vues par des Français

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Non, il n’y a pas eu de « massacre d’Arméniens » à Kars en 1920 (ce fut le contraire)

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