dimanche 12 avril 2020

L’hostilité de l’opinion française (presse, Parlement) au traité de Sèvres (Grande Arménie incluse)




Quelques mots de contexte : le traité de Sèvres, supposé faire la paix avec l’Empire ottoman (lequel n’était déjà plus qu’une fiction en dehors d’Istanbul, le mouvement kémaliste contrôlant toute l’Anatolie, sauf celle sous occupation grecque ou française) a été préparé à la conférence de Londres, en février 1920 puis durci à la conférence de San Remo (avril 1920), le gouvernement britannique ayant exercé un chantage à la livraison de charbon sur le gouvernement français. Après une dernière hésitation britannique, des divergences italo-grecques et de modestes tentatives du gouvernement d’Istanbul pour retarder la signature, il a été signé le 10 août 1920, à la manufacture de porcelaine. Voilà pourquoi les commentaires cités ci-dessous s’étalent de mars à octobre. Délibérément, n’ont pas été inclus ici les articles demandant la révision du traité qui sont parus après le quadruple bouleversement de novembre 1920 : défaite électorale d’Éleuthérios Venizelos, Premier ministre grec, relativement populaire en France et battu par les partisas de l’ex-roi Constantin, très germanophile ; débâcle militaire du général Piotr Wrangel, dernier commandant d’une armée blanche menaçante pour les bolchevique ; défaite électorale du candidat proarménien à la présidentielle américaine, battu par un partisan de la non-intervention ; effondrement militaire de la République d’Arménie, qui renonce au traité de Sèvres.


Édouard Daladier, « À la curée de la Turquie », Le Rappel, 10 mars 1920, p. 1 :
« Il ne saurait y avoir pour nous de politique plus injuste et plus néfaste que de nous associer aux convoitises, aux divers impérialismes qui menacent l’indépendance de la Turquie. L’expansion économique de notre pays, qui est à la fois utile et légitime, ne saurait devenir synonyme de pillage et de démembrement. Internationaliser les Détroits, afin de rendre à jamais impossible dans l’avenir la surprise de 1914, mais respecter l’indépendance du sultan et l’intégrité ottomane, laisser la Turquie aux Turcs, et collaborer avec eux à son relèvement, telle est l’action qui paraît conforme à nos intérêts essentiels autant qu’à la justice internationale. »

Jacques Bainville, « La Turquie à San Remo », L’Action française, 20 avril 1920, p. 1 :
« Nous avons assez d’une paix, celle de Versailles, qui exige déjà des efforts militaires. Nous n’avons pas de soldats ni de crédits disponibles pour monter la garde sur les frontières de deux ou trois Arménies [allusion aux demandes d’une seconde République arménienne autour d’Adana]. La paix avec la Turquie doit être une paix qui économise les efforts et qui ne constitue pas à l’extrémité de l’Europe un nouvel élément de désordre et de trouble. En soutenant cette thèse à San-Remo. M. [Alexandre] Millerand [président du Conseil, c’est-à-dire chef du gouvernement] aura derrière lui le public français qui a compris que notre intérêt majeur en Orient était dans la stabilité et dans la tranquillité. La France n’accepterait ni les conséquences ni les charges d’une politique d’aventure si d’autres [le gouvernement Lloyd George et ses partisans] voulaient l’y entraîner, peut-être pour mieux la dégoûter de tous les pays orientaux. »

Édouard Daladier, « À San Remo », Le Rappel, 21 avril 1920, p. 1 :
« D’autre part, il [le Royaume-Uni de David Lloyd George] a mis la main sur la Perse, la Mésopotamie, le Kurdistan et la Palestine, découvert ou inventé l’émir Feyçal. Pour joindre l’empire anglais d’Afrique à celui des Indes par une chaîne ininterrompue de protectorats et de pays annexés, il reste à constituer une grande Arménie et à détruire le mouvement nationaliste turc dont l’Anatolie est le foyer. […]
Refusons de nous associer à la curée de la Turquie et demeurons fidèles à la doctrine républicaine et française de la liberté des peuples. »

Henri Froidevaux, « Le projet de traité avec la Turquie et la France », L’Asie française, mai 1920, p. 115 :
« Ainsi, comme nous l’indiquions tout à l’heure, voici la France solidaire d’une politique qui crée aux Turcs, contre les alliés, les griefs les plus considérables, d’une politique contraire à ses intérêts comme à son passé. C’est l’abandon de notre attitude traditionnelle, et d’une politique dont nous connaissons depuis longtemps les réels avantages, pour une autre politique qui ne nous promet que des difficultés et qui consacre notre recul… pour ne pas dire davantage. »

Saint-Brice (Louis de Saint-Victor de Saint-Blancard), « Les clauses essentielles du traité turc », Le Journal, 10 mai 1920, p. 1 :
« Après l’expérience du traité de Versailles, on ne doit pas attendre qu’il soit trop tard pour refaire le traité turc. »

« Est-il trop tard pour réagir ?
L’organisation qu’on prétend donner à l’Orient ne paraît guère stable : le nationalisme turc est en pleine révolte ; l’Arménie mal délimitée attend en vain un mandataire [le projet de mandat ayant échoué au Sénat des États-Unis et la Grande-Bretagne refusant d’en assumer le coût] ; le sort du Kurdistan n’est pas défini ; l’émir Fayçal, dont l’Angleterre a fait toute la grandeur, lui échappe et penche vers les tendances extrémistes. La poussée bolcheviste qui atteint la Perse complique encore la situation.
Pour y faire face, il faudra à l’Angleterre un formidable effort. Est-elle disposée à le fournir [après ceux consentis pendant la guerre mondiale] ?
Ne comprendra-t-elle pas qu’en étendant sans mesure ses ambitions, en enfermant dans un empire toujours plus vaste des peuples fiers de leur passé, elle se prépare des problèmes que le libéralisme traditionnel de son administration ne suffira pas à résoudre ? Une Angleterre convaincue de ces vérités et inclinée à la modération ne serait-elle pas à s’entendre avec une France résolue, elle, à exercer tous ses droits et à remplir tous ses devoirs, en Orient comme ailleurs ? »

Édouard Herriot, « La crise de la démocratie », Le Rappel, 14 mai 1920, p. 1 :
« La Turquie a reçu son traité ; on attend ses remarques. Le sultan demeure à Constantinople, mais, le comme l’observe avec raison le Temps [journal officieux du ministère des Affaires étrangères], le sentiment national des Ottomans a été cruellement blessé et, de la même façon que nous n’avons pas su défendre les syndicalistes raisonnables contre les fous, il ne semble pas que le traité puisse s’appuyer chez nos anciens amis  sur un parti modéré.
Nous craignons que l’on ait commis une faute en ne laissant pas subsister, pour reprendre les expressions de notre confrère, “une Turquie indépendante et viable”. Certes, nous n’entendons pas méconnaître les fautes commises par un gouvernement qui commit le crime d’obéir aux ordres de Guillaume II. Mais par combien de fautes n’avions-nous pas préparé les succès de sa politique ?
Ceux qui ont assisté aux deux révolutions turques [juillet 1908 et avril 1909] se souviennent avec émotion du prestige que la France républicaine avait acquis à Constantinople. […]
Le traité actuel met fin à la politique européenne de l’Empire ottoman, inaugurée par la prise de Constantinople : il ne conserve plus, de au-delà dudétroit, qu’un cercle de terre dont le plus grand rayon ne dépasse pas quatre-vingts kilomètres. Mais ce traité met fin aussi à la traditionnelle amitié franco-turque. Du moins, on doit le craindre. Il faudrait beaucoup de sottise pour s’en réjouir. Qui vivra verra ! »

Georges Scelle, « Le traité turc et l’opinion française », L’Information, 19 mai 1920, p. 1 :
« La presse française, dans sa quasi-totalité, a soutenu, défendu les légitimes intérêts ottomans. Sauf des divergences pour savoir s’il fallait se rallier aux nationalistes d’Anatolie ou au gouvernement constitutionnel (?), tout le monde a été d’accord pour désirer le maintien, sur les deux rives du Bosphore, d’un État turc intégré, viable, composé des pays vraiment turcs. Aussi l’opinion accueille-t-elle avec froideur, inquiétude et parfois indignation les stipulations d’étranglement qui ont été remises à la délégation de Tewfik Pacha [durant la conférence de San Remo]. »

Berthe Georges-Gaulis (collaboratrice de la Maison de la presse, l’office français de propagande, de 1914 à 1918), « Pourquoi le traité turc ne sera pas appliqué », L’Opinion, 22 mai 1920, pp. 561-562 :
« L’Islam tout entier guettait depuis six mois sa venue tardive et suivait sa lente élaboration, ses défaillances, ses rétablissements et ses rechutes. Il est l’œuvre néfaste d’un homme de génie, du grand Crétois qui, emporté au-delà du but par le dangereux élan de son triomphe diplomatique, tailla pour son pays ce trop large domaine dont les frontières ne se garderont pas toutes seules. Il est aussi l’aboutissement d’une politique de réalisation immédiate butée sur quelques données justes hier, fausses aujourd’hui. Cette politique qui s’oppose à la nôtre se refuse encore à tenir compte du présent, de ses rudes exigences, de sa grave menace.
Le traité malencontreux soulève tous les griefs et toutes les haines. Il semble braver à plaisir ce qu’il fallait, à tout prix, ménager, apaiser. Il exalte les fanatismes et attire la foudre. Pendant des mois et des mois, au cours de cet interminable armistice, les résistances eurent le loisir de se former et de se joindre. […]
La capitale de la Turquie vivante est à Angora. Là, les nationalistes que j’ai vus à l’œuvre, sur place, en Anatolie, ceux que j’ai retrouvés tout récemment encore à Constantinople, avant leur fuite, ont groupé autour d’eux tout ce qui pense, agit, combat et espère.
Mustapha Kemal, le chef de la première heure, est toujours le chef d’aujourd’hui, l’âme du mouvement ; Ali-Fouad, son lieutenant le plus actif, le plus âprement résolu; Réfet, le soldat subtil et l’énergie faite homme ; d’autres, tout aussi tenaces, l’entourent. Il a encore, autour de lui, les députés chassés de Constantinople par le coup de force du 16 mars, les intellectuels, tous nationalistes à outrance; une grande partie du clergé, tout récemment rallié, et même ce grand Tchelebi de Koniah, ce « pape des derviches », dont la conversion au nationalisme est un coup de maître. Une adroite manœuvre l’a jeté dans les rangs des forces nationalistes et l’Angleterre vient de perdre ainsi son meilleur partisan. »

Jean Longuet, « L’Islam et le Socialisme », Le Populaire, 29 mai 1920, p. 1 :
« Le meeting qui réunissait, hier soir, aux Sociétés Savantes, une foule ardente de socialistes parisiens et d’Orientaux — de toutes nos colonies de l’Afrique du Nord : Algérie, Tunisie, Maroc ; de l’Égypte, des Indes comme des différentes régions de la Turquie — eut une portée qu’on ne saurait exagérer. Douze à quinze cents personnes se pressaient à étouffer dans une salle qui peut contenir tout au plus un millier. Ce fut un véritable “bain turc”, observait une citoyenne d’esprit. Ils ne cessèrent d’acclamer les paroles des orateurs venus pour dénoncer le démembrement de la Turquie, sa véritable destruction, en un mot le nouveau crime perpétré par le Capitalisme et l’Impérialisme contre le droit des peuples.
Les quelques interruptions inintelligentes ne poignée de jeunes échauffés royalistes et de quelques Grecs embarqués dans la galère de Venizelos et atteints, comme les impérialistes de tous les pays, de la folie des grandeurs, ne firent que souligner davantage la quasi-unanimité des aspirations de cette foule généreuse et enthousiaste. »

Meeting franco-hindou en faveur de la Turquie, tenu à la salle Wagram le 25 juin 1920, sous la présidence de M. A[natole] de Monzie, sénateur, ancien ministre — Discours de M. P[aul] Bourdarie, Revue indigène, avril-juin 1920 :
« Alors, pour la punir, ira-t-on, après avoir libéré les peuples allogènes qu’elle gouvernait, jusqu’à détruire sa propre indépendance en déchirant son territoire dont on attribue, avant la lettre du traité, les plus gros lambeaux à la Grèce qui assassina nos marins et soldats dans les rues d’Athènes [en décembre 1916] et qui n’a qu’un seul grand homme, Venizelos, qui n’est même pas Grec, qui est Crétois ? (Applaudissements) […]
En tous cas, pour nous, c’est un sujet de vigilance, car, et nous le déclarons ici hautement, nous ne voulons pas que la France soit entraînée, malgré elle, en Orient, dans des guerres nouvelles dont notre grande alliée et sa nation de paille la Grèce, seraient les bénéficiaires. Nous n’avons aucune raison impérieuse ou simplement sérieuse de faire la guerre aux Turcs, et nous avons à reconstituer nos régions dévastées et notre population décimée.
Et n’aperçoit-on pas la contradiction monstrueuse qu’il y aurait, d’un côté, à présenter à un gouvernement turc constitué sous les canons anglais un traité de paix plus dur que celui qui fut imposé à l’Allemagne, et, d’un autre côté, à donner à la Grèce mission ou autorisation de frapper à coups redoublés sur la Turquie turque jusqu’à ce que mort s’ensuive? Il me semble que l’honneur des Puissances en sera comme souffleté.
[…]
Mais j’ai la conviction absolue que le projet de traité actuellement présenté à la Turquie n’a pas encore trouvé sa rédaction définitive. Nous sommes réunis ici pour demander et obtenir qu’on y introduise une plus grande somme de justice objective, un meilleur esprit politique et plus de désintéressement ; enfin, pour que soit maintenue, suivant le mot de M. [Alexandre] Millerand [président du Conseil], une Turquie viable et indépendante. (Applaudissements). » (pp. 69-70)
« Ah ! l’on parle de châtier la Turquie, et l’on invoque, avec des accents d’indignation qui trop souvent sonnent faux, les massacres turcs. Expliquons-nous là-dessus en trois mots, car je ne veux pas esquiver l’objection. Personne ici ne me fera l’injure de penser que j’approuve les massacres. Je les réprouve de toute la force de ma conscience indignée, qu’ils soient venus des Turcs, ou qu’ils aient été “rendus” par les Arméniens, ce qui s’est produit maintes fois. Mais il ne s’agit pas aujourd’hui des massacres, car à l’époque où les plus grands se produisirent, les puissances auraient pu les arrêter par la force ; leur rivalité politique les en empêcha. Aujourd’hui il s’agit de savoir si la Turquie subsistera comme nation libre et indépendante. Le “massacre” c’est le traquenard sentimental tendu par l’impérialisme britannique à la générosité instinctive des Français, et trop d’entre eux y sont tombés. La politique anglaise se guide, sous ce couvert, par d’autres raisons qui n’ont rien de sentimental ! Pour l’Arménie, le massacre, c’était l’argument puissant, et je conçois fort bien qu’elle en ait usé jusqu’à en abuser. Mais, pour notre Alliée [britannique], c’était l’excuse, ou la raison d’agir dans des buts parfaitement et égoïstement intéressés. (Applaudissements.) » (p. 77)

Paul Cambon (ambassadeur à İstanbul de 1890 à 1898, puis à Londres jusqu’en 1920), lettre à son fils, 26 juin 1920 (Correspondance, Paris, Bernard Grasset, tome III, 1946, pp. 384-385, texte établi et annoté par Henri Cambon) :
« On proclame les victoires des Grecs non loin de Smyrne, mais après ? Ils n’ont pas de moyens de transport et, s’ils avancent, ils ne pourront se ravitailler. Tous les militaires envisagent avec pessimisme cette remise à l’armée grecque de la charge de venir à bout des nationalistes turcs. Lloyd George ne voit que par les yeux de Venizelos et nous-mêmes nous suivons tous les caprices de Lloyd George. Jamais politique plus décousue que la nôtre. Et le pis est que nous le voyons, que nous le savons, que M. [Alexandre] Millerand [président du Conseil] voit juste et que nous sommes embringués malgré nous dans une aventure qui ne peut que mal finir. C’est l’effet du traité turc, dont la stupidité dépasse les limites permises, traité dû à ce que nous n'avons jamais adopté une ligne de conduite raisonnée avec la Turquie. »

Journal officiel de la République française, 26 juin 1920, p. 2430 :
« M. [Édouard] Daladier. Je parlerai tout à l’heure de la question des Arméniens. Je constate, en passant, que nul ne parle plus [en France] de la grande Arménie, dans la presse ou le Parlement. »

René d’Aral, « Notre politique en Orient », Le Gaulois, 27 juin 1920, p. 1 :
« Troisième erreur, enfin ne pas avoir su dégager suffisamment vis-à-vis des Turcs notre responsabilité dans l’élaboration de ce fameux traité qu’on s’apprête à leur imposer et qui n’a réussi qu’à soulever contre les alliés le monde musulman. »

« La journée », La Croix, 27-28 juin 1920, p. 1 :
« À l’occasion du budget des affaires étrangères, M. [Aristide] Briand, dans son discours extrêmement applaudi, puis MM. Lenail et Noblemaire ont, en effet, souligné avec une telle force l’importance internationale des pertes que la France consentirait, si elle adoptait le traité [de Sèvres], que M. [Alexandre] Millerand paraît sérieusement armé pour en demander la révision. »

Saint-Brice (Louis de Saint-Victor de Saint-Blancard), « La révision de la liquidation orientale », Correspondance d’Orient, 30 juin 1920, p. 531 :
« Comme l’a très justement fait remarquer M. [Pierre] Bernus, correspondant parisien du Journal de Genève, il serait absurde de reconnaître dans un cas particulier la nécessité de ménager les susceptibilités ottomanes et de provoquer de gaîté de cœur un conflit général en maintenant un projet de règlement [le traité de Sèvres] absolument inacceptable. Allons-nous par exemple ouvrir la conquête de l’Arménie [nord-est de l’Anatolie] alors que nous venons de reconnaître [en signant un armistice avec Ankara] l’inefficacité et les dangers de la manière violente en Cilicie ? »

Démètre Pournaras, « Le traité avec la Turquie », Le Populaire, 7 août 1920, p. 2 :
« Les négociateurs — ou plutôt les « faiseurs » — de la paix orientale sont vraiment trop naïfs pour voir le sable sur lequel repose leur édifice.
Il suffit de regarder la carte de l’ancien Empire ottoman. C’est un frisson d’indignation qui est ressenti. Car c’est de l’asservissement complet d’une nation qu’il s’agit.
Au point de vue politique, les quelques territoires qui demeurent sous la souveraineté du sultan sont mis, à vrai dire, sous le contrôle des grandes puissances qui n’ont pas hésité à faire de la majorité des régions — purement turques, avec des minorités grecques, arméniennes, etc. — du nouvel État turc, des zones d’influence. Et puis, on célèbre la libération des Yougo-Slaves, des Arméniens, des Tchécoslovaques et des Polonais !
En dehors de cela quelles sont les garanties assurées, aux populations turques de régions européennes ou asiatiques accordées à la Grèce par la France et l’Angleterre ? Peut-on avoir confiance en la loyauté des bureaucrates et des militaires qui les gouverneront ? Espérons que le peuple grec particulièrement saura lui-même défendre ceux des allogènes qu’un traité monstrueux cède à son pays. C’est son intérêt. Car c’est seulement par une union fraternelle de deux éléments — qui se sont tant entredéchirés sous l’œil bienveillant des grands « protecteurs » — que se fera la vraie paix en Orient et s’établira le régime d’égalité politique et sociale. »

Raymond Poincaré (ancien président de la République), « Chronique de la quinzaine », Revue des deux mondes, 1er septembre 1920, p. 213 :
« La ville de Sèvres a maintenant, elle aussi, son fleuron dans la couronne de la paix. Le traité turc a été signé, à la manufacture nationale, au milieu des biscuits et des flambés. C’est lui-même un objet fragile, peut-être un vase brisé. »

René Johannet, « Il faut réviser le traité turc — Conclusion », La Croix, 1er octobre 1920, p. 3 :
« Loin d’être diminué par le traité de Sèvres, le chaos oriental redouble, grâce à lui, de violences. En Thrace, en Asie Mineure, des millions de Turcs sont soumis au joug hellénique. La création de l’Arménie institue au carrefour de la Turquie, de la Mésopotamie, du Caucase, de la Perse et de la Russie une zone immense de dépression politique, d’où les cyclones les plus dévastateurs peuvent surgir. »

Bernard Guinaudeau, « La paix turque », Le Radical, 4 octobre 1920, p. 1 :
« Il n’en reste pas moins, après la signature du traité de Sèvres, qui n’est pas encore ratifié que la situation s’obscurcit et se complique- il est à craindre que l’Europe et l’Orient, qui en souffrent déjà, n’en ressentent davantage, à l’avenir, la dangereuse répercussion.
La Turquie pourrait être, dans une certaine mesure du moins, une barrière et un rempart contre le bolchevisme et l’anarchie. Veut-on, au contraire, qu’elle en devienne l’un des plus redoutables foyers ?
Ce n’est pas, sans doute, ce que l’on désire, ni à Paris, ni à Londres. Peut-être, alors, serait-il bon d’agir en conséquence. »

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