Quelques mots de contexte : le traité de Sèvres, supposé faire la paix avec l’Empire ottoman (lequel n’était déjà plus qu’une fiction en dehors d’Istanbul, le mouvement kémaliste contrôlant toute l’Anatolie, sauf celle sous occupation grecque ou française) a été préparé à la conférence de Londres, en février 1920 puis durci à la conférence de San Remo (avril 1920), le gouvernement britannique ayant exercé un chantage à la livraison de charbon sur le gouvernement français. Après une dernière hésitation britannique, des divergences italo-grecques et de modestes tentatives du gouvernement d’Istanbul pour retarder la signature, il a été signé le 10 août 1920, à la manufacture de porcelaine. Voilà pourquoi les commentaires cités ci-dessous s’étalent de mars à octobre. Délibérément, n’ont pas été inclus ici les articles demandant la révision du traité qui sont parus après le quadruple bouleversement de novembre 1920 : défaite électorale d’Éleuthérios Venizelos, Premier ministre grec, relativement populaire en France et battu par les partisas de l’ex-roi Constantin, très germanophile ; débâcle militaire du général Piotr Wrangel, dernier commandant d’une armée blanche menaçante pour les bolchevique ; défaite électorale du candidat proarménien à la présidentielle américaine, battu par un partisan de la non-intervention ; effondrement militaire de la République d’Arménie, qui renonce au traité de Sèvres.
Édouard Daladier, « À la curée de la
Turquie », Le Rappel, 10 mars
1920, p. 1 :
« Il ne
saurait y avoir pour nous de politique plus injuste et plus néfaste que de nous
associer aux convoitises, aux divers impérialismes qui menacent l’indépendance
de la Turquie. L’expansion économique de notre pays, qui est à la fois utile et
légitime, ne saurait devenir synonyme de pillage et de démembrement.
Internationaliser les Détroits, afin de rendre à jamais impossible dans l’avenir
la surprise de 1914, mais respecter l’indépendance du sultan et l’intégrité
ottomane, laisser la Turquie aux Turcs, et collaborer avec eux à son
relèvement, telle est l’action qui paraît conforme à nos intérêts essentiels
autant qu’à la justice internationale. »
Jacques Bainville, « La Turquie à
San Remo », L’Action française,
20 avril 1920, p. 1 :
« Nous avons
assez d’une paix, celle de Versailles, qui exige déjà des efforts militaires. Nous n’avons pas de soldats ni de crédits
disponibles pour monter la garde sur les frontières de deux ou trois Arménies
[allusion aux demandes d’une seconde République arménienne autour d’Adana]. La
paix avec la Turquie doit être une paix qui économise les efforts et qui ne
constitue pas à l’extrémité de l’Europe un nouvel élément de désordre et de
trouble. En soutenant cette thèse à San-Remo. M. [Alexandre] Millerand [président du Conseil, c’est-à-dire chef du gouvernement] aura derrière lui le
public français qui a compris que notre intérêt majeur en Orient était dans la
stabilité et dans la tranquillité. La France n’accepterait ni les conséquences ni
les charges d’une politique d’aventure si d’autres [le gouvernement Lloyd
George et ses partisans] voulaient l’y entraîner, peut-être pour mieux la
dégoûter de tous les pays orientaux. »
Édouard Daladier, « À San Remo »,
Le Rappel, 21 avril 1920, p. 1 :
« D’autre part,
il [le Royaume-Uni de David Lloyd George] a mis la main sur la Perse, la
Mésopotamie, le Kurdistan et la Palestine, découvert ou inventé l’émir Feyçal. Pour
joindre l’empire anglais d’Afrique à celui des Indes par une chaîne ininterrompue
de protectorats et de pays annexés, il reste à constituer une grande Arménie et
à détruire le mouvement nationaliste turc dont l’Anatolie est le foyer. […]
Refusons de nous associer
à la curée de la Turquie et demeurons fidèles à la doctrine républicaine et
française de la liberté des peuples. »
Henri Froidevaux, « Le projet de traité avec la
Turquie et la France », L’Asie française,
mai 1920, p. 115 :
« Ainsi,
comme nous l’indiquions tout à l’heure, voici la France solidaire d’une
politique qui crée aux Turcs, contre les alliés, les griefs les plus considérables,
d’une politique contraire à ses intérêts comme à son passé. C’est l’abandon de
notre attitude traditionnelle, et d’une politique dont nous connaissons depuis
longtemps les réels avantages, pour une autre politique qui ne nous promet que
des difficultés et qui consacre notre recul… pour ne pas dire davantage. »
Saint-Brice (Louis de Saint-Victor de Saint-Blancard), « Les clauses
essentielles du traité turc », Le
Journal, 10 mai 1920, p. 1 :
« Après l’expérience
du traité de Versailles, on ne doit pas attendre qu’il soit trop tard pour refaire
le traité turc. »
« Le traité
avec la Turquie — Le règlement oriental est-il définitif ? », L’Écho de Paris, 12 mai 1920, p. 3 :
« Est-il
trop tard pour réagir ?
L’organisation qu’on
prétend donner à l’Orient ne paraît guère stable : le nationalisme turc est en pleine révolte ; l’Arménie
mal délimitée attend en vain un mandataire [le projet de mandat ayant échoué au Sénat des États-Unis et la Grande-Bretagne refusant d’en assumer le coût] ; le sort du Kurdistan n’est
pas défini ; l’émir Fayçal, dont l’Angleterre a fait toute la grandeur,
lui échappe et penche vers les tendances extrémistes. La poussée bolcheviste
qui atteint la Perse complique encore la situation.
Pour y faire
face, il faudra à l’Angleterre un formidable effort. Est-elle disposée à le
fournir [après ceux consentis pendant la guerre mondiale] ?
Ne comprendra-t-elle
pas qu’en étendant sans mesure ses ambitions, en enfermant dans un empire
toujours plus vaste des peuples fiers de leur passé, elle se prépare des
problèmes que le libéralisme traditionnel de son administration ne suffira pas
à résoudre ? Une Angleterre convaincue de ces vérités et inclinée à la
modération ne serait-elle pas à s’entendre avec une France résolue, elle, à exercer
tous ses droits et à remplir tous ses devoirs, en Orient comme
ailleurs ? »
Édouard Herriot, « La crise de
la démocratie », Le Rappel,
14 mai 1920, p. 1 :
« La Turquie
a reçu son traité ; on attend ses remarques. Le sultan demeure à Constantinople,
mais, le comme l’observe avec raison le Temps
[journal officieux du ministère des Affaires étrangères], le sentiment national
des Ottomans a été cruellement blessé et, de la même façon que nous n’avons pas
su défendre les syndicalistes raisonnables contre les fous, il ne semble pas que
le traité puisse s’appuyer chez nos anciens amis sur un parti modéré.
Nous craignons
que l’on ait commis une faute en ne laissant pas subsister, pour reprendre les expressions
de notre confrère, “une Turquie indépendante et viable”. Certes, nous n’entendons
pas méconnaître les fautes commises par un gouvernement qui commit le crime d’obéir
aux ordres de Guillaume II. Mais par combien de fautes n’avions-nous pas préparé
les succès de sa politique ?
Ceux qui ont
assisté aux deux
révolutions turques [juillet 1908 et avril 1909] se souviennent avec
émotion du prestige que la France républicaine avait acquis à Constantinople. […]
Le traité actuel met
fin à la politique européenne de l’Empire ottoman, inaugurée par la prise de
Constantinople : il ne conserve plus, de au-delà dudétroit, qu’un cercle de
terre dont le plus grand rayon ne dépasse pas quatre-vingts kilomètres. Mais ce
traité met fin aussi à la traditionnelle amitié franco-turque. Du moins, on doit
le craindre. Il faudrait beaucoup
de sottise pour s’en réjouir. Qui vivra verra ! »
Georges Scelle, « Le traité turc et l’opinion
française », L’Information, 19 mai
1920, p. 1 :
« La presse
française, dans sa quasi-totalité, a soutenu, défendu les légitimes intérêts
ottomans. Sauf des divergences pour savoir s’il fallait se rallier aux nationalistes
d’Anatolie ou au gouvernement constitutionnel (?), tout le monde a été d’accord
pour désirer le maintien, sur les deux rives du Bosphore, d’un État turc
intégré, viable, composé des pays vraiment turcs. Aussi l’opinion
accueille-t-elle avec froideur, inquiétude et parfois indignation les
stipulations d’étranglement qui ont été remises à la délégation de Tewfik Pacha
[durant la conférence de San Remo]. »
Berthe Georges-Gaulis (collaboratrice de la Maison
de la presse, l’office français de propagande, de 1914 à 1918), « Pourquoi
le traité turc ne sera pas appliqué », L’Opinion,
22 mai 1920, pp. 561-562 :
« L’Islam tout entier guettait depuis six mois sa venue tardive et
suivait sa lente élaboration, ses défaillances, ses rétablissements et ses
rechutes. Il est l’œuvre néfaste d’un homme de génie, du grand Crétois qui,
emporté au-delà du but par le dangereux élan de son triomphe diplomatique,
tailla pour son pays ce trop large domaine dont les frontières ne se garderont
pas toutes seules. Il est aussi l’aboutissement d’une politique de réalisation immédiate
butée sur quelques données justes hier, fausses aujourd’hui. Cette politique
qui s’oppose à la nôtre se refuse encore à tenir compte du présent, de ses
rudes exigences, de sa grave menace.
Le traité malencontreux soulève tous les griefs et toutes les haines. Il semble
braver à plaisir ce qu’il fallait, à tout prix, ménager, apaiser. Il exalte les
fanatismes et attire la foudre. Pendant des mois et des mois, au cours de cet
interminable armistice, les résistances eurent le loisir de se former et de se
joindre. […]
La capitale de la Turquie vivante est à Angora. Là, les nationalistes que j’ai
vus à l’œuvre, sur place, en Anatolie, ceux que j’ai retrouvés tout récemment
encore à Constantinople, avant leur fuite, ont groupé autour d’eux tout ce qui
pense, agit, combat et espère.
Mustapha Kemal, le chef de la première heure, est toujours le chef d’aujourd’hui,
l’âme du mouvement ; Ali-Fouad, son lieutenant le plus actif, le plus âprement résolu;
Réfet, le soldat subtil et l’énergie faite homme ; d’autres, tout aussi
tenaces, l’entourent. Il a encore, autour de lui, les députés chassés de
Constantinople par le coup de force du 16 mars, les intellectuels, tous
nationalistes à outrance; une grande partie du clergé, tout récemment rallié,
et même ce grand Tchelebi de Koniah, ce « pape des derviches », dont la
conversion au nationalisme est un coup de maître. Une adroite manœuvre l’a jeté
dans les rangs des forces nationalistes et l’Angleterre vient de perdre ainsi
son meilleur partisan. »
Jean
Longuet, « L’Islam
et le Socialisme », Le Populaire,
29 mai 1920, p. 1 :
« Le meeting qui
réunissait, hier soir, aux Sociétés Savantes, une foule ardente de socialistes
parisiens et d’Orientaux — de toutes nos colonies de l’Afrique du Nord : Algérie,
Tunisie, Maroc ; de l’Égypte, des Indes comme des différentes régions de la
Turquie — eut une portée qu’on ne saurait exagérer. Douze à quinze cents
personnes se pressaient à étouffer dans une salle qui peut contenir tout au
plus un millier. Ce fut un véritable “bain turc”, observait une citoyenne d’esprit.
Ils ne cessèrent d’acclamer les paroles
des orateurs venus pour dénoncer le démembrement de la Turquie, sa véritable
destruction, en un mot le nouveau crime perpétré par le Capitalisme et l’Impérialisme
contre le droit des peuples.
Les quelques
interruptions inintelligentes ne poignée de jeunes échauffés royalistes et de
quelques Grecs embarqués dans la
galère de Venizelos et atteints, comme les impérialistes de tous les pays,
de la folie des grandeurs, ne firent que souligner davantage la quasi-unanimité
des aspirations de cette foule généreuse et enthousiaste. »
Meeting franco-hindou en faveur de la Turquie,
tenu à la salle Wagram le 25 juin 1920, sous la présidence de M. A[natole] de
Monzie, sénateur, ancien ministre — Discours de M. P[aul] Bourdarie, Revue indigène, avril-juin 1920 :
« Alors,
pour la punir, ira-t-on, après avoir libéré les peuples allogènes qu’elle gouvernait,
jusqu’à détruire sa propre indépendance en déchirant son territoire dont on
attribue, avant la lettre du traité, les plus gros lambeaux à la Grèce qui
assassina nos marins et soldats dans les rues d’Athènes [en décembre 1916] et
qui n’a qu’un seul grand homme, Venizelos, qui n’est même pas Grec, qui est
Crétois ? (Applaudissements) […]
En tous cas, pour
nous, c’est un sujet de vigilance, car, et nous le déclarons ici hautement,
nous ne voulons pas que la France soit entraînée, malgré elle, en Orient, dans
des guerres nouvelles dont notre grande alliée et sa nation de paille la Grèce,
seraient les bénéficiaires. Nous n’avons aucune raison impérieuse ou simplement
sérieuse de faire la guerre aux Turcs, et nous avons à reconstituer nos régions
dévastées et notre population décimée.
Et n’aperçoit-on
pas la contradiction monstrueuse qu’il y aurait, d’un côté, à présenter à un gouvernement
turc constitué sous les canons anglais un traité de paix plus dur que celui qui
fut imposé à l’Allemagne, et, d’un autre côté, à donner à la Grèce mission ou
autorisation de frapper à coups redoublés sur la Turquie turque jusqu’à ce que
mort s’ensuive? Il me semble que l’honneur des Puissances en sera comme
souffleté.
[…]
Mais j’ai la
conviction absolue que le projet de traité actuellement présenté à la Turquie n’a
pas encore trouvé sa rédaction définitive. Nous sommes réunis ici pour demander
et obtenir qu’on y introduise une plus grande somme de justice objective, un
meilleur esprit politique et plus de désintéressement ; enfin, pour que soit
maintenue, suivant le mot de M. [Alexandre] Millerand [président du Conseil], une Turquie viable et indépendante.
(Applaudissements). » (pp. 69-70)
« Ah ! l’on
parle de châtier la Turquie, et l’on invoque, avec des accents d’indignation
qui trop souvent sonnent faux, les massacres
turcs. Expliquons-nous là-dessus en trois mots, car je ne veux pas esquiver
l’objection. Personne ici ne me fera l’injure de penser que j’approuve les
massacres. Je les réprouve de toute la force de ma conscience indignée, qu’ils
soient venus
des Turcs, ou qu’ils aient été “rendus” par les Arméniens, ce qui s’est produit maintes
fois. Mais il ne s’agit pas aujourd’hui des massacres, car à l’époque où
les plus grands se produisirent, les puissances auraient pu les arrêter par la
force ; leur rivalité politique les en empêcha. Aujourd’hui il s’agit de savoir
si la Turquie subsistera comme nation libre et indépendante. Le “massacre” c’est
le traquenard sentimental tendu par l’impérialisme britannique à la générosité
instinctive des Français, et trop d’entre eux y sont tombés. La politique
anglaise se guide, sous ce couvert, par d’autres raisons qui n’ont rien de
sentimental ! Pour l’Arménie, le massacre, c’était l’argument puissant, et je
conçois fort bien qu’elle en ait usé jusqu’à
en abuser. Mais, pour notre Alliée [britannique], c’était l’excuse, ou la
raison d’agir dans des buts parfaitement et égoïstement intéressés. (Applaudissements.) » (p. 77)
Paul Cambon
(ambassadeur à İstanbul de 1890 à 1898, puis à Londres jusqu’en
1920), lettre à son fils, 26 juin 1920 (Correspondance,
Paris, Bernard Grasset, tome III, 1946, pp. 384-385, texte établi et annoté par Henri
Cambon) :
« On proclame les victoires des Grecs non loin de Smyrne, mais après ? Ils n’ont pas de moyens de transport et, s’ils avancent, ils ne pourront se ravitailler. Tous les militaires envisagent avec pessimisme cette remise à l’armée grecque de la charge de venir à bout des nationalistes turcs. Lloyd George ne voit que par les yeux de Venizelos et nous-mêmes nous suivons tous les caprices de Lloyd George. Jamais politique plus décousue que la nôtre. Et le pis est que nous le voyons, que nous le savons, que M. [Alexandre] Millerand [président du Conseil] voit juste et que nous sommes embringués malgré nous dans une aventure qui ne peut que mal finir. C’est l’effet du traité turc, dont la stupidité dépasse les limites permises, traité dû à ce que nous n'avons jamais adopté une ligne de conduite raisonnée avec la Turquie. »
Journal officiel de la
République française, 26 juin 1920, p.
2430 :
« M.
[Édouard] Daladier. Je parlerai tout à l’heure de la question des Arméniens. Je constate, en passant, que nul ne parle
plus [en France] de la grande Arménie, dans la presse ou le Parlement. »
René d’Aral, « Notre
politique en Orient », Le
Gaulois, 27 juin 1920, p. 1 :
« Troisième erreur,
enfin ne pas avoir su dégager suffisamment vis-à-vis des Turcs notre
responsabilité dans l’élaboration de ce fameux traité qu’on s’apprête à leur
imposer et qui n’a réussi qu’à soulever contre les alliés le monde
musulman. »
« La
journée », La Croix, 27-28
juin 1920, p. 1 :
« À l’occasion
du budget des affaires étrangères, M. [Aristide] Briand, dans son discours
extrêmement applaudi, puis MM. Lenail et Noblemaire ont, en effet, souligné
avec une telle force l’importance internationale des pertes que la France
consentirait, si elle adoptait le traité [de Sèvres], que M. [Alexandre] Millerand paraît
sérieusement armé pour en demander la révision. »
Saint-Brice (Louis de Saint-Victor de Saint-Blancard), « La révision
de la liquidation orientale », Correspondance
d’Orient, 30 juin 1920, p. 531 :
« Comme l’a
très justement fait remarquer M. [Pierre] Bernus, correspondant parisien du Journal de Genève, il serait absurde de
reconnaître dans un cas particulier la nécessité de ménager les susceptibilités
ottomanes et de provoquer de gaîté de cœur un conflit général en maintenant un projet de règlement [le traité de
Sèvres] absolument inacceptable. Allons-nous par exemple ouvrir la conquête de
l’Arménie [nord-est de l’Anatolie] alors que nous venons de reconnaître [en
signant un armistice avec Ankara] l’inefficacité et les dangers de la manière
violente en Cilicie ? »
Démètre Pournaras, « Le traité
avec la Turquie », Le Populaire,
7 août 1920, p. 2 :
« Les
négociateurs — ou plutôt les « faiseurs » — de la paix orientale sont vraiment
trop naïfs pour voir le sable sur lequel repose leur édifice.
Il suffit de
regarder la carte de l’ancien Empire ottoman. C’est un frisson d’indignation qui est ressenti. Car c’est de l’asservissement
complet d’une nation qu’il s’agit.
Au point de vue
politique, les quelques territoires qui demeurent sous la souveraineté du
sultan sont mis, à vrai dire, sous le contrôle des grandes puissances qui n’ont
pas hésité à faire de la majorité des régions — purement turques, avec des
minorités grecques, arméniennes, etc. — du nouvel État turc, des zones d’influence.
Et puis, on célèbre la libération des
Yougo-Slaves, des Arméniens, des Tchécoslovaques et des Polonais !
En dehors de cela
quelles sont les garanties assurées, aux populations turques de régions
européennes ou asiatiques accordées à la Grèce par la France et l’Angleterre ?
Peut-on avoir confiance en la loyauté des bureaucrates et des militaires qui
les gouverneront ? Espérons que le peuple grec particulièrement saura lui-même
défendre ceux des allogènes qu’un traité monstrueux cède à son pays. C’est son
intérêt. Car c’est seulement par une union fraternelle de deux éléments — qui se
sont tant entredéchirés sous l’œil bienveillant des grands « protecteurs » —
que se fera la vraie paix en Orient et s’établira le régime d’égalité politique
et sociale. »
Raymond Poincaré (ancien président de la
République), « Chronique
de la quinzaine », Revue des deux
mondes, 1er septembre 1920, p. 213 :
« La ville
de Sèvres a maintenant, elle aussi, son fleuron dans la couronne de la paix. Le
traité turc a été signé, à la manufacture nationale, au milieu des biscuits et
des flambés. C’est lui-même un objet fragile, peut-être un vase brisé. »
René Johannet, « Il faut réviser le traité turc —
Conclusion », La Croix, 1er
octobre 1920, p. 3 :
« Loin d’être
diminué par le traité de Sèvres, le chaos oriental redouble, grâce à lui, de
violences. En Thrace, en Asie Mineure, des millions de Turcs sont soumis au
joug hellénique. La création de l’Arménie
institue au carrefour de la Turquie, de la Mésopotamie, du Caucase, de la Perse
et de la Russie une zone immense de dépression politique, d’où les cyclones les
plus dévastateurs peuvent surgir. »
Bernard Guinaudeau, « La paix turque »,
Le Radical, 4 octobre 1920, p. 1 :
« Il n’en reste
pas moins, après la signature du traité de Sèvres, qui n’est pas encore ratifié
que la situation s’obscurcit et se complique- il est à craindre que l’Europe et
l’Orient, qui en souffrent déjà, n’en ressentent davantage, à l’avenir, la
dangereuse répercussion.
La Turquie pourrait
être, dans une certaine mesure du moins, une barrière et un rempart contre le bolchevisme
et l’anarchie. Veut-on, au contraire, qu’elle en devienne l’un des plus redoutables
foyers ?
Ce n’est pas,
sans doute, ce que l’on désire, ni à Paris, ni à Londres. Peut-être, alors, serait-il
bon d’agir en conséquence. »
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