Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore le thème complotiste des « banquiers
juifs derrière le sultan Abdülhamit II », devenu le « complot
judéo-maçonnique derrière les Jeunes-Turcs », il est préférable de
commencer par lire ce qui a déjà été expliqué ici sur Paul
de Rémusat (au moins la citation de Bernard Lewis). Cette fois-ci, l’exemple choisi est Betrand Bareilles (1859-1933).
Bertrand Bareilles, Les
Turcs, Paris, Perrin, 1917, pp. XII-XIII :
« Deux voies s'offraient aux Turcs et aux Mongols, à ce flot qui
débordait sur le monde civilisé : embrasser l'Islam ou se faire chrétiens.
L'âme grossière des Djagalhaïs ne pouvait comprendre les spéculations philosophiques
du monde civilisé, elle opta pour la religion la plus tolérante, l'interpréta
suivant les instincts brutaux de sa race et c'est à
corps perdu qu'elle se plongea dans
la barbarie.
Par ses fautes et ses faiblesses, la
pourpre romaine avait compromis la civilisation et l'Empire au moment où
Mahomet s'était levé, faisant renaître les principes asiatiques des vieux âges.
La Loi avait anéanti le Mazdéisme, religion pure, et converti par la force les Aryens
de l'Iran à ses vues. Elle allait peu à peu dominer sur le monde grec quand les
Turcs sont apparus, avides de conquêtes et de jouissances, musulmans eux aussi,
mais Turcs avant tout, c'est-à-dire égoïstes, cruels, ne possédant aucun autre
idéal que les
jouissances matérielles. […]
Ce fut cependant un terrible recul pour la civilisation, car les maîtres
eurent tôt fait de ramener
aux mœurs barbares les gens que péniblement le christianisme tirait des
ténèbres, et la loi de Mahomet, interprétée dans le sens le plus favorable aux
appétits brutaux, permit aux Turcs de donner libre cours à leur paresse et à
leurs passions.
Tant que les sultans, on peut dire tous les souverains mahométans furent
puissants, leur morgue, leur audace, leur
cruauté ne connurent pas de limites. Leurs empires avaient été fondés par
la brutalité, étaient basés sur l'égoïsme le plus révoltant et leurs sujets ne
rêvaient que l'anéantissement
de la chrétienté, afin de pouvoir poser les armes et jouir de la vie. »
Bertrand Bareilles, message
du 17 décembre 1917, reproduit dans Les
Alliés et l’Arménie, Paris, Ernest Leroux, 1918 (ouvrage préfacé par Archag
Tchobanian), pp. 16-17 :
« Parmi les peuples vaillants
et forts que l'on verra figurer dans les batailles de
l'année 1918, se trouvera le peuple arménien. Encore qu'il ait été le
plus cruellement éprouvé parmi ceux que la guerre a ensanglantés, il ne
désertera point sa propre cause. La paix, c'est-à-dire la victoire, le trouvera
à
son poste de combat. Mais les Alliés lui tiendront compte de ce suprême
sacrifice. Ils se souviendront que si l'Arménie fut autrefois, en Asie, l'avant-garde
de la Civilisation, elle s'est inébranlablement montrée fidèle à son passé.
L'heure de la victoire n'a pas encore sonné. Mais
elle sonnera. Elle approche lentement, mais sûrement. La victoire marque le
pas des légions que l'Amérique et l'Asie nous envoient, et dont le nombre ira
grossissant comme un torrent. Le monde entier, uni contre les
forces du mal, réserve à l'Arménie de glorieuses et justes compensations. »
Bertrand Bareilles, Constantinople.
Ses cités franques et levantines (Péra — Galata — Banlieue), Paris,
Bossard, 1918 :
« Pourtant des signes évidents d’un rapprochement s’étaient manifestés
entre rayas Israélites et Turcs au moment même où perçaient les premiers
symptômes de l’influence allemande. On les expliqua d’abord par le besoin
qu’avaient les Turcs du concours des financiers européens que secondent si
activement les agences de publicité, le peuple des boursiers et courtiers, sur
lesquels généralement les Juifs ont la haute main . C’était exact ; mais ce n’était
là que le point de vue turc. S’il en faut croire certaines indiscrétions, le
point de vue Israélite était bien plus intéressant. On raconte que cette
solidarité judéo-ottomane — qui commença au moment même où cessa la campagne
antisémite en Allemagne — n’aurait été que la préface d’un programme d’absorption
méthodique qui eût fait petit à petit de l’empire du Croissant une annexe du
royaume de Juda. Ainsi aurait été résolu, dans sa totale complexité, le
problème posé par le sionisme berlinois. » (p. 283)
« C’est surtout en Turquie, où chaque élément est cantonné dans un
isolement ethnique, qu’il est aisé d’étudier les instincts de race et même les
tendances. C’est le cas pour le Juif. En prenant dans les pays occidentaux lia
couleur de l’ambiance où il vit, il se dérobe à toute investigation. II ne se
révèle en Occident, depuis quelques années, que par l’action occulte d’une
volonté organisée, tendue vers un but, dont seuls les résultats indiquent la
nature et la portée. » (p. 305)
« Les jolies femmes abondent en Orient, mais, à part d’agréables
exceptions, ce n’est pas chez les Juives qu’elles se trouvent. On ne voit parmi
les Rebecca et les Rachel dégénérées que petites créatures sèches, timides, au
teint indécis, aux pommettes saillantes, aux yeux éraillés. Cette dégradation
physique peut s’expliquer par les lieux malsains où la race a végété, mais
aussi par la coutume des mariages consanguins. » (p. 308)
« En ce qui concerne la Turquie, le centre de leur influence était
Salonique, et le pivot de leur action le dunmé [dönme], Juif musulman, qui est
resté assez sémite pour que l’Israélite le considère comme sien, et suffisamment
musulman pour capter la confiance turque [phrase fausse dans chacune de ses
affirmations]. Les Djahid [Hüseyin
Cahit Yalçın, qui n’était pas dönme mais sunnite] et les Djavid [Cavit
Bey, unique dönme qui fût devenu ministre d’un gouvernement jeune-turc]
sont dunmés. Le phénomène du dunmé n’est pas nouveau, ni spécial à Salonique.
Il existait en Andalousie, au temps de la domination arabe [affirmation
complètement fausse : s’il y eut des Juifs convertis à l’islam en
Andalousie, avec plus ou moins de sincérité, les dönmes sont spécifiques à l’Empire
ottoman]. » (p. 311)
« Nul n’ignore, à cette heure, le rôle du Juif dans l’organisation du
coup d’État qui a renversé Abdul-Hamid et quelle a été sa part dans la direction
des affaires turques. Le comité « Union et Progrès » se composait de dunmés
[faux : parmi les dirigeants, seul Cavit Bey l’était]. Son organe
officiel, le Tanin, était dirigé par
le dunmê Hussein Djahid [un Turc sunnite, comme vu plus haut]. Le Jeune Turc, autre organe du comité, était
subventionné organe du comité, rédigé en français, par le Sionisme [inexact] et
comptait des collaborateurs juifs. Non moins dunmé était le fallacieux Djavid.
Juif était le député Carasso, qui avait assumé les attributions les plus
variées [sans parvenir au sommet de la hiérarchie du Comité Union et progrès],
et qui, fait inouï, faisait partie de la délégation parlementaire qui se rendit
à Yildiz pour signifier que la nation ne voulait plus de lui [cette délégation
comptait deux parlementaires musulmans et un parlementaire arménien catholique ;
la focalisation sur le seul Carasso, sans autre fondement que la paranoïa
antisémite, est un plagiat du journal
anti-unioniste Mècheroutiette].
Ajoutons que c’est un judaïsant, Salomon effendi, qui, depuis l’année 1914,
occupe le poste de rédacteur en chef du Tanin,
en remplacement de Hussein Djahid resté administrateur [doublement faux :
Hüseyin Cahit Yalçın n’a plus occupé aucune fonction au Tanin après le 30 janvier 1914 ; et
son successeur ne s’appelait pas Salomon mais Muhittin Birgen, ni juif, ni
dönme]. » (pp. 315-316)
« Ce qu’étaient ces associations [sionistes], de quoi était fait leur
crédit, par qui elles étaient dirigées, nul ne l'ignore à cette heure. On ne
peut s’empêcher de remarquer qu’elles se composaient de Juifs allemands [pas
seulement, loin de là], ni de souligner que cela ne les empêchait point de
s’engager vis-à-vis d’un gouvernement étranger au nom des Juifs d’autres pays
qui occupent de hautes situations, assurés qu’ils ne seraient pas désavoués par
les cercles qui les dirigent. Ayant des ramifications partout, elles pouvaient
effectivement — pour ne parler que de l’Amérique sur les puissants organismes
financiers que sont les Kahn, Loeb et Cie et leurs sous-ordres Jacob
Schili, Félix Warburg et James Speyer. En Angleterre, sur le banquier Cassel et
sur Adam Block qui se signala par son dévouement inlassable aux intérêts jeunes-turcs,
ainsi que sur les puissantes organisations israélites de Russie [tellement
puissantes qu’elles n’ont jamais pu empêcher un seul pogrome…]. Cette alliance
offrait à la Porte cet avantage particulier qu’à l’occasion elle aurait un pied
chez l’allié allemand, et l’autre chez ses adversaires éventuels. » (p.
319)
Les passages cités ici sont suffisamment clairs pour montrer que la vision
du monde de Bertrand Bareilles était structurée par le racisme (au sens strict
du mot : un déterminisme pseudo-biologique) et les théories du complot.
Or, loin d’être un auteur laissé de côté avec honte, Bareilles demeure une
référence dans la littérature défendant les thèses nationalistes arméniennes. L’urologue
Yves Ternon ne répugne pas se référer à lui dans Les Arméniens, histoire d’un génocide, de même que le littérateur
Jean-Marie Carzou (Zouloumian) dans Arménie
1915, un génocide exemplaire. Edmond Khayadjian en fait une figure positive
et incontestable (Archag Tchobanian et le
mouvement arménophile en France, Marseille, CRDP, 1986, pp. 238-239 et 260)
contre Pierre Loti et Claude Farrère, diabolisés. Richard Hovannisian va jusqu’à
le ranger parmi les « hommes hautement respectés » (The Republic of Armenia, Berkeley-Los
Angeles-Londres, University of California Press, tome II, 1982, p. 94). À part
M. Khayadjian, tous ceux que je viens de mentionner ont témoigné pour un ou
plusieurs terroristes arméniens, dans les années 1980.
La continuité, toujours.
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