mercredi 8 mai 2024

L’arménophilie nazie de Johann von Leers


 

Johann von Leers, « Armeniertum und Ariertum », Armeniertum und Ariertum, Postdam, Deutsch-Armenischen Gesellschaft, 1934, pp. 10-11 :

« On peut affirmer sans aucun doute que le peuple arménien, par son origine, sa langue et par son caractère purement nordique [sic] fait partie des peuples aryens [...] D’une façon générale, on peut dire ceci : une grande part de la tragédie qu’a connu ce peuple dans son histoire tient à ce qu’il a su maintenir avec ténacité sa culture et ses coutumes aryennes, dans un territoire de transit géopolitique, où se rencontraient Sémites, Mongols et Ouraliens […]

Il suffit qu’un peuple n’ait pas accueilli d’éléments juifs en son sein, qu’il n’ait pas de sang noir et qu’il ait un lien de sang clairement reconnaissable avec la race nordique, pour le définir comme aryen. Non seulement le peuple arménien réunit ces conditions, mais il est également prouvé qu’il fait partie de la branche européenne de la famille aryenne, qu’il parle une langue et qu’il possède encore aujourd’hui des caractères nordiques clairement reconnaissables. Les Arméniens sont donc un peuple aryen. »

ð  Ce volume a été publié par l’Association Allemagne-Arménie, dirigée par Paul Rohrbach. Rohrbach était nettement favorable au régime nazi, mais ce qui l’attirait avant tout dans le Troisième Reich, c’était sa nature raciste et les projets d’expansion vers l’est ; alors que von Leers se souciait relativement peu de cette expansion et se consacrait surtout à l’antisémitisme (un thème secondaire sous la plume de Rohrbach) et à l’exaltation de l’agriculteur allemand tel qu’il l’imaginait. Toutefois, ces différences ne rendent que plus remarquables la facilité avec laquelle von Leers et Rohrbach ont collaboré pour persuader les militants et sympathisants nazis que les Arméniens étaient « aryens ». 


  


 


Gregory Paul Wegner, « ‘A Propagandist of Extermination:’ Johann von Leers and the Anti‐Semitic Formation of Children in Nazi Germany », Paedagogica Historica, XLIII-3, juin 2007, pp. 299-325 :

« La récente étude du célèbre historien Christopher Browning sur Les Origines de la Solution finale (2004) suggère qu’environ deux groupes d’antisémites allemands dominaient le Troisième Reich. Un groupe, relativement modéré, poursuivait un programme conservateur et xénophobe qui considérait les Juifs comme des étrangers indésirables. En revanche, les antisémites radicaux ont revêtu les qualités d’un antisémitisme “rédemptionniste” et “chimérique”. Pour les membres de ce groupe, les Juifs étaient responsables de tous les malheurs de l’Allemagne et méritaient donc d’être éliminés. Les antisémites radicaux voyaient ainsi dans l’élimination un moyen de racheter l’honneur du pays. Browning a conclu que les antisémites radicaux n’ont jamais été représentatifs de la majorité de la population allemande ni même de la majorité des membres du parti nazi. Ils ont réussi en grande partie à cause de la passivité et de l’indifférence de la plupart des autres Allemands.

Ce qui distingue les antisémites radicaux comme von Leers de membres du monde universitaire allemand comme l’historien Günther Franz (1902-1992), de l’université d’Iéna, ou le philosophe Alfred Bäumler (1887-1968), de l’université de Berlin, qui ont tous deux rejeté le nazisme après 1945 ? , c’est qu’il est resté totalement et sans vergogne fidèle aux idéaux raciaux et antisémites des nazis jusqu’au jour de sa mort. De plus, contrairement à beaucoup d’autres figures nazies, Leers a continué à diffuser la propagande antisémite après 1945, lors de ses années en Argentine (1952-1956), avec le soutien de Juan Peron (1895-1974), et en Égypte (1956-1965) sous les auspices de l’homme fort du pays, Gamel Abdel Nasser (1918-1970) qui lui a donné un poste de conseiller en propagande sur les Affaires juives au Département de l’Information du Ministère de l’Orientation. » (pp. 305-306)

« En mai 1936, le Reichsführer Heinrich Himmler (1900-1945) fit de Leers un membre honoraire dans la SS en tant qu’Untersturmbannführer attaché à l’état-major du Bureau des races et de la réinstallation. » (p. 309)

« Le dernier paragraphe de l’histoire [écrite par von Leers à destination des enfants sous le régime nazi] rassemblait ce que Leers considérait comme le message central de l’enseignement de l’histoire. Ce recueil d’histoires n’était pas la seule contribution de Leers à l’éducation raciale, mais il restait l’un des rares qu’il consacrât spécifiquement au lectorat des enfants des classes d’histoire élémentaires. Tout comme son style, Leers faisait appel à l’émotion et utilisait souvent un langage potentiellement explosif pour faire progresser son programme antisémite. Dans ce paragraphe de clôture, Leers a amené les élèves à une conclusion incontournable, dont la nature justifiait une oppression encore plus brutale :

“La communauté juive escroque sans vergogne. Les Juifs, de tous temps, depuis les pères fondateurs jusqu’à nos jours, ont utilisé la tromperie des travailleurs comme arme pour accéder au pouvoir. Dans la vie économique, les Juifs ont apporté pendant des siècles cet esprit sérieux du marché noir qui doit également être retiré de son dernier coin glissant. De plus, les années d’industrialisation rapide à partir de 1872 furent en réalité une époque juive. Les personnes qui subissent chaque jour du mal de la part des Juifs ont été dans une large mesure maltraitées. Profondément honteux, ruinés économiquement et opprimés par des structures de dette tortueuses, imposées par les Juifs, beaucoup de ces gens ont abandonné ou se sont cachées dans les ténèbres de la pauvreté. À cette époque, ceux qui caractérisaient déjà librement la malversation juive ont bien manié la situation. La lutte contre les Juifs est une lutte contre un mal ancien du monde.

Si l’important est de savoir qui survivra à cette lutte, alors nous survivrons et les Juifs périront. Moins il y a de Juifs, plus le monde et tous les travailleurs sont heureux ! [Le point d’exclamation est de von Leers].”

C’est le genre de rhétorique antisémite bruyante et implacable pour laquelle Leers est devenu bien connu. Il existe peu d’autres passages, à l’exception peut-être de Mein Kampf, Der Stürmer ou d’Ernst Hiemer, qui apportent aux enfants une suggestion aussi directe et puissante sur l’anéantissement des Juifs. […]

La vision du monde étroite et inflexible inculquée aux enseignants et aux élèves sur les Juifs était aussi liée à ce que Leers considérait comme une réalité géopolitique proche-orientale. Dans les colonnes du journal enseignant le plus diffusé du Reich, Leers a félicité Hadj Amin-el Husseini (1888-1974), le Grand Mufti de Jérusalem, pour avoir dirigé le monde arabe dans sa “lutte contre l’invasion juive de la Palestine”. »  (pp. 317-318)

« Les enquêtes menées par l’Office of Military Government-United States (OMGUS) en 1946 et 1948 offrent quelques révélations utiles. Les résultats de ces enquêtes ont conclu qu’environ deux Allemands sur dix dans la zone d’occupation américaine étaient “clairement antisémites”. Le rapport de l’OMGUS a noté que les Allemands âgés de quinze à dix-neuf ans manifestaient plus d’attitudes antisémites que n’importe quelle autre catégorie d’âge. Ces jeunes citoyens allemands faisaient partie des élèves auxquels Leers s’était adressé avec son message de propagande. » (pp. 322-323)

 

« Von Leers — nazi notoire en fuite — est au Caire révèle le "Toronto Star" », Le Monde, 29 août 1956 :

« Toronto, 28 août (U.P.). - Le Toronto Star a publié lundi un article de son correspondant au Caire. William Stevenson, qui vient d’être expulsé d’Égypte, apportant des révélations sur les nazis au service de Nasser.

[…]

“Aujourd’hui, poursuit le journaliste, j’ai réussi à ‘coincer’ l’un d’eux, un ancien propagandiste du Dr Gœbbels qui s’était enfui en Argentine et a vendu ses services au dictateur Peron.

Il s’agit de Johann von Leers, docteur en philosophie et ancien professeur d’histoire, ayant un long passé nazi.”

[…]

“Israël, a-t-il dit, est quelque chose d’anormal. Il n’est pas assez grand ou assez fertile pour faire vivre des millions de Juifs. Il doit disparaître. C’est une cause de désordre.

Vous demandez pourquoi Nasser dépense du temps et de l’argent pour rallier les Arabes hors d’Égypte contre Israël, alors qu’il y aurait tant à faire chez lui ? C’est que les sionistes sont responsables de 90 % des attaques de la presse mondiale contre Nasser et l’Égypte.” »

 

Lire aussi, sur l’arménophilie d’extrême droite :

L’arménophilie d’Alfred Rosenberg, inspirateur et ministre d’Hitler

Paul Rohrbach : militant arménophile, référence du nationalisme arménien, théoricien de l’extermination des Hereros et inspirateur d’Hitler

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L’arménophilie fasciste, aryaniste et antisémite de Carlo Barduzzi

L’arménophilie du régime de Vichy

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Camille Mauclair : tournant réactionnaire, antisémitisme, turcophobie, soutien à la cause arménienne, vichysme

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L’arménophilie-turcophobie d’Édouard Drumont, « le pape de l’antisémitisme », et de son journal

La place tenue par l’accusation de « génocide arménien » dans le discours soralien

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Sur des héritiers idéologiques d’Amin al-Husseini :

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Sur d’autres arménophiles obsédés par les « complots juifs » :

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Albert de Mun : arménophilie, antidreyfusisme et antisémitisme

Auguste Gauvain : arménophilie, grécophilie et croyance dans le « complot judéo-bolchevique »

Le complotisme raciste des arménophiles-hellénophiles Edmond Lardy et René Puaux

L’helléniste Bertrand Bareilles : arménophilie, turcophobie et antisémitisme (ensemble connu)

 

Sur les amis arméniens de Johann von Leers :

La popularité du fascisme italien et du nazisme dans la diaspora arménienne et en Arménie même

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Le racisme aryaniste, substrat idéologique du nationalisme arménien

Les massacres de Juifs par les dachnaks en Azerbaïdjan (1918-1919)

 

Sur les racines de l’antisémitisme arménien contemporain :

L’antisémitisme arménien à l’époque ottomane dans le contexte de l’antisémitisme chrétien

1897 : le choc entre le loyalisme juif à l’État ottoman et l’alliance gréco-arménienne

Paul de Rémusat (alias Paul du Véou) : un tenant du « complot judéo-maçonnique », un agent d’influence de l’Italie fasciste et une référence pour le nationalisme arménien contemporain

L’antisémitisme de Mevlanzade Rifat, nationaliste kurde, menteur et référence du nationalisme arménien contemporain

Le soutien d’Arthur Beylerian à la thèse du « complot judéo-maçonnico-dönme » derrière le Comité Union et progrès

Aram Turabian : raciste, antisémite, fasciste et référence du nationalisme arménien en 2020

 

dimanche 5 mai 2024

L’arménophilie d’Alfred Rosenberg, inspirateur et ministre d’Hitler

 


 

Note sur un entretien de Rosenberg avec Hitler, le 8 mai 1942, au sujet de questions touchant à la politique à l’est, Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international de Nuremberg, Nuremberg, Imprimerie du TMI, tome XXVII, 1948, p. 289 :

« J'ai expliqué [à Hitler] que l'Arménie était la meilleure barrière entre la Turquie et l'Azerbaïdjan, empêchant le mouvement pantouraniste vers l'Est. Le peuple arménien lui-même est en grande partie sédentaire, un peuple agricole doté de nombreux talents industriels. »

 

Jürgen Matthäus et Franck Bajohr (éd.) The Political Diary of Alfred Rosenberg and the Onset of the Holocaust, Lanham, Rowman & Littlefield,  2015, p. 288 :

« Puis, nous passâmes à la question de Crimée. […] Le Führer a une nouvelle fois évoqué les Arméniens, et déclara qu’il avait toujours pensé que c’étaient des escrocs. Évidemment, c’est une vieille image encore présente dans l’esprit du Führer. Il souligna qu’il avait dû corriger certaines choses au fil du temps. J’ai expliqué au Führer que les paysans et petits commerçants arméniens vivaient dans les vallées depuis des siècles, qu’ils travaillaient dur, qu’ils étaient désireux de travailler et que par-dessus tout ils formaient un rempart entre les Turcs et les Azerbaïdjanais. Concernant la forme [administrative] que prendrait le Caucase, je suggérai de ne pas y appliquer la formule du Reichskommissar. À la place, je proposai au Führer quelques noms à choisir, soit Protektor, soit Reichschutzherr, la Géorgie, par exemple, était désignée comme Land plutôt que comme Generalbezirk [en d’autres termes, Rosenberg propose une formule d’autonomie arméno-géorgienne sous protectorat allemand plutôt que l’administration directe]. Le Führer mentionna la proposition de confédération d’États caucasiens, Staatenbund. Je dis au Führer qu’au lieu de Staatenbund, je suggérais le terme caucasien de Länderbund, correspondant aux désignations de Land Georgien, Land Armenien, etc. [notons que l’Azerbaïdjan n’est pas cité comme possible territoire autonome !] Là aussi, le Führer était d’accord. »         

 

ð  Il n’est pas étonnant qu’Hitler ait eu, jusqu’en 1942, des préjugés envers les Arméniens, qu’il considérait alors comme des Aryens trop portés à l’escroquerie ; sa vision des Japonais était encore plus compliquée et il considérait que les Italiens ne méritaient pas Mussolini, ce qui ne l’a pas empêché de faire alliance avec le Japon et l’Italie à partir de 1936. Ce qui est remarquable, c’est que Rosenberg ait convaincu Hitler de revoir sa position sur les Arméniens et d’accepter les plans qu’il lui présentait à leur sujet, de même que Paul Rohrbach (peut-être aidé par Rosenberg) avait obtenu le classement des Arméniens comme Aryens dès juillet 1933.

 

Christopher Walker (auteur britannique très arménophile), Armenia. The Survival of a Nation, Londres, Routledge, 1990, p. 357 :

« Un an plus tard, le 15 décembre 1942, un Conseil national arménien reçut la reconnaissance officielle d’Alfred Rosenberg, le ministre allemand des régions occupées. Le président de ce conseil était le professeur Ardashes Abeghian, son vice-président Abraham Giulkhandanian, et il comptait parmi ses membres Nejdeh et Vahan Papazian [tous membres de la Fédération révolutionnaire arménienne]. À partir de cette date, et jusqu’à la fin de 1944, fut publié un journal hebdomadaire, Armenien, dirigé Viken Shant (le fils de Levon), qui parlait aussi à Radio Berlin. »

 

Ernst Pipper, « Alfred Rosenberg » (traduit de l’allemand par Olivier Mannoni), Revue d’histoire de la Shoah, n° 208, 2018, pp. 228-229 :

« En 1922 parut aussi le texte de combat de Rosenberg Pest in Russland. Der Bolschewismus, seine Häupter, Handlanger und Opfer (Peste en Russie. Le bolchevisme, ses chefs, ses hommes de main et ses victimes). Comme Les Fossoyeurs de la Russie d’Eckart, il parut au Deutscher Volksverlag, la maison d’édition de l’antisémite Ernst Boepple. La couverture fut là aussi conçue par Otto von Kursell. Le motif central est un bolchevik portant une étoile de David sur sa casquette. Les deux publications se complètent parfaitement ; le texte de Rosenberg dut toutefois attendre 1924 pour bénéficier d’un deuxième tirage, et fut réimprimé à plusieurs reprises après 1933. Alors que le pamphlet d’Eckart ne contenait que 32 pages, divertissantes et d’une consommation facile avec leurs caricatures antisémites et leurs vers satiriques, Peste en Russie comportait 144 pages, ce qui avait rendu sa publication plus coûteuse. C’était en outre un texte saturé d’un nombre monstrueux de faits concernant un pays lointain, c’est-à-dire une lecture plutôt astreignante. Mais les deux textes contribuèrent indubitablement à implanter dans les cerveaux des Allemands l’image terrifiante de la révolution russe, avec ses assassins bestiaux déchaînés, et à l’associer avec une vision du monde radicale et brutalement antisémite. Le pendant du bolchevisme juif, de la révolution russe comme œuvre du judaïsme mondial [malgré son hostilité aux Russes en général et au régime tsariste en particulier, Rosenberg ne faisait que reproduire un thème inventé et développé par l’extrême droite russe], était le judaïsme allemand comme exécutant du bolchevisme victorieux en Union soviétique. Ce lien entre judaïsme et bolchevisme contribua à ouvrir la voie à l’antisémitisme éliminationniste des nationaux-socialistes, qui trouva ensuite son exutoire dans la guerre d’extermination portée par l’idéologie raciale à l’Est.

On retrouve dans Peste en Russie tous les grands thèmes que le lecteur avait rencontrés dans l’avant-propos écrit par Rosenberg aux Fossoyeurs de la Russie d’Eckart : le Tartaro-Talmouk Lénine [le père de Lénine était effectivement un Kalmouk, mais sa mère était allemande et non tatare ; que Rosenberg l’ait cru et y ait vu un trait négatif est remarquable, encore plus en considérant son arménophilie], qui, à l’aide d’aventuriers et de la “lie du peuple russe”, se hisse à la tête du gouvernement, Trotsky qui est le véritable tyran de la Russie après avoir travaillé pendant vingt-cinq ans à la destruction du pays. C’est avec Trotsky que Zinoviev était arrivé de New York : “Ce Juif gras aux cheveux laineux est peut-être la personnalité la plus répugnante de tout le gouvernement soviétique.” »

 

Anne Quinchon-Caudal, Avant « Mein Kampf ». Les années de formation d’Adolf Hitler, Paris, CNRS, 2023, p. 216 :

« Plus encore : selon toute vraisemblance, c’est [Dietrich] Eckart (et Alfred Rosenberg dans son sillage) qui a convaincu Hitler de la “dangerosité” des Juifs, et à considérer que la race juive serait omniprésente dans l’espace — contrôlant les gouvernements, la presse, les théâtres, ou encore le monde de l’éducation —, mais aussi dans le temps. On constate en effet qu’Hitler élargit de plus en plus [en 1920-1922] sa vision du “péril juif”. D’abord simples alliés des ennemis de l’Allemagne durant la Grande Guerre, le Juif prend progressivement les traits du révolutionnaire “bolchevique” qui rêve de “domination mondiale”. »   

 

« La publication des journaux d’Alfred Rosenberg. Entretien avec Jürgen Matthäus », Revue d’histoire de la Shoah, n° 203, 2015, pp. 364-365 :

« Pourquoi avez-vous décidé de publier une édition critique de ce que l’on appelle les Journaux d’Alfred Rosenberg ? Dans quelle mesure Rosenberg était-il un « dirigeant nazi » à part ? Et dans quelle mesure ses écrits ont-ils une valeur singulière pour l’histoire du national-socialisme ?

[…] Avec cette édition, nous avons voulu, Frank Bajohr et moi-même, mettre en lumière avant toute chose l’importance politique de Rosenberg – non seulement parce qu’il n’écrit pratiquement rien dans son Journal sur sa vie privée, mais avant tout parce que la recherche présente sur ce point des déficits manifestes. Même l’historiographie sur la Shoah, qui a connu une forte croissance ces dernières années, n’a traité Rosenberg qu’en marge – et ce bien que la transition entre la persécution des Juifs et l’extermination systématique des Juifs ait d’abord eu lieu dans la région d’Europe de l’Est placée sous son administration. Notre édition apporte aussi les preuves documentées du fait que Rosenberg a contribué de manière déterminante, pendant l’automne 1941, aux plans de la direction nationale-socialiste visant à mener à bien la “Solution finale de la question juive” par le biais de l’assassinat de masse dans sa zone d’influence. Le 18 novembre 1941, Rosenberg affirme dans un discours que “cet Est [était] appelé à résoudre une question posée aux peuples d’Europe : il s’agit de la question juive”. Cette question, poursuit Rosenberg, “ne peut être résolue que par une élimination biologique de tout le judaïsme en Europe”. Pour lui, l’objectif était fermement défini ; pour ce qui concernait la mise en œuvre, il s’est adapté aux possibilités existantes. »

 

Christopher Browning, « La décision concernant la Solution finale », Colloque de l’École des hautes études en sciences sociales, L’Allemagne nazie et le génocide juif, Paris, Le Seuil/Gallimard, 1985 p. 208 :

« L’autorisation donnée en juillet à Göhring se référait à un plan incluant la totalité de la sphère d’influence allemande en Europe et datait d’une époque où on comptait encore sur une victoire rapide en Russie. En août, avant qu’un tel plan ait pu être établi et alors que l’espoir d’une victoire proche était encore vivace, Hitler résista aux pressions de Heydrich et Goebbels et s’opposa à la déportation des Juifs d’Allemagne “pendant la guerre”. Le 13 septembre encore, Eichmann annonça de même au ministère des Affaires étrangères qu’il n’était pas possible de déporter les Juifs serbes vers le Gouvernement général ou vers la Russie puisqu’on ne pouvait même pas y loger les Juifs allemands. L’espoir d’une victoire totale dès l’automne s’évanouissant alors rapidement, Hitler semble avoir brusquement changé d’avis. Le 14 septembre, Rosenberg insista auprès de Hitler pour qu’il autorisât la déportation immédiate des Juifs allemands en réponse à la déportation vers la Sibérie des Allemands de la Volga décidée par les Russes. Quatre jours plus tard, Himmler informait Geiser, Gauleiter du Wartheland, que des déportations provisoires avaient lieu vers Lodz parce que le Führer souhaitait voir l’ancien Reich [l’Allemagne dans ses frontières de 1937] et le Protectorat [la République tchèque actuelle, moins les Sudètes] judenrein [c’est-à-dire sans Juifs] aussi rapidement que possible, de préférence avant la fin de l’année. Peu après, Heydrich déclara de même que, dans la mesure du possible, les Juifs allemands fussent déportés vers Lodz, Riga et Minsk avant la fin de l’année. »         

 

Lire aussi :

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Sur les amis arméniens de Rosenberg :

La popularité du fascisme italien et du nazisme dans la diaspora arménienne et en Arménie même

La collaboration de la Fédération révolutionnaire arménienne avec le Troisième Reich

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jeudi 2 mai 2024

Paul Rohrbach : militant arménophile, référence du nationalisme arménien, théoricien de l’extermination des Hereros et inspirateur d’Hitler

 


 

Résumé : Paul Rohrbach (1869-1956) était un universitaire, journaliste et (un temps) administrateur colonial allemand, très marqué à l’extrême droite, militant arménophile à partir de 1898, cofondateur de l’Association Allemagne-Arménie en 1914, qu’il a présidée de 1925 à sa mort ; né dans l’actuelle Lettonie, qui faisait alors partie de l’Empire russe, il a préconisé une expansion de l’Allemagne en Afrique mais aussi à l’est, contre la Russie puis l’URSS ; ses ouvrages et articles sur ce point ont largement inspiré Hitler pour ses propres plans d’expansion vers l’Europe orientale.   

 

Vahan Papazian (dirigeant de la Fédération révolutionnaire arménienne et personnellement impliqué dans la collaboration avec le Troisième Reich), « The Armenian National Congress in Paris (24 février 1919-22 avril 1919) », Armenian Review, XII/4, hiver 1960, p. 64 :

« Il y avait beaucoup d’organisations et d’individus arménophiles. […] En Allemagne, le Dr Lepsius, Rohrbach et d’autres. »

 

Paul Rohrbach, « Impression de mon voyage à travers l’Arménie », transcription d’une émission de Radio Lepzig, le 19 octobre 1926, traduite dans Hagop Krikor (Djirdjirian), Les Arméniens connus et inconnus : de Noé à nos jours, Paris, La Pensée universelle, 1975 :

« Le malheur des Arméniens venait des trois causes principales :

1. Leur amour indestructible envers leur peuple et leur Église nationale.

2. Leur grande capacité culturelle et

3. Leur éloignement (géographique) de l’Europe.

La domination turque s’étendait au début du XIXe siècle sur un nombre de peuples chrétiens parmi lesquels les Grecs, les Bulgares, les Serbes, les Roumains, les Arméniens, etc. Les trois premiers se sont soulevés les armes à la main et ont eu la sympathie et le soutien militaire des grandes puissances européennes ; les Roumains, par contre, ont eu leur indépendance presque sans tirer un coup de feu. Les Arméniens étaient trop éloignés de l’Europe et leur sort peu connu. Il est injuste de leur reprocher leur exigence de devenir libres et indépendants comme les Grecs, Serbes, Bulgares, etc. [Rohrbach fait ainsi fi des réalités démographiques, mais ce n’est pas étonnant, vu le reste de ses idées. Voir ci-dessous] Il n’y eut jamais de révoltes armées en Arménie [Rohrbach entend par là l’Anatolie orientale. Cette affirmation est absolument fausse, notamment pour la Première guerre mondiale, mais aussi pour les années 1890.] mais les Arméniens ont essayé de faire connaître leur sort tragique à l’opinion publique européenne et mondiale. »

 

La traduction française de ce texte a été reproduite, quatre décennies plus tard, par le collectif VAN (créé à l’initiative de Jean-Marc Ara Torian, coprésident du Conseil de coordination des associations arméniennes de France) sur son site (disparu en 2020).




 Elle figure toujours sur Imprescriptible.fr, qui est le principal site où les militants nationalistes arméniens trouvent des « arguments » en langue française. Nil Agopoff, ancien vice-président du Conseil de coordination des associations arméniennes de France, renvoie, sur son propre site, à cette publication.

 

Site officiel du Musée-Institut du génocide arménien (Erevan) :

« À l’été 1914, l’ONG “Société germano-arménienne” fut créée par une personnalité publique allemande, orientaliste et grand arménophile, docteur en théologie Johannes Lepsius.

[…]

En juin 1914, la première réunion de cette association eut lieu à Berlin, où le président Johannes Lepsius, ses adjoints Paul Rohrbach et James Greenfield, ainsi que les assistants E. Shtir et A. Isahakyan discutèrent de la mission de l’association. »

 

Lilit Demuryan, « Raffi Kantian: It is Good for Armenia to Have a Partner Like Germany », EAParnews, 7 décembre 2018 :

« Dans le cadre du programme “Forum d’échange de journalistes arméniens et allemands” tenu du 14 au 19 octobre 2018 à Berlin, le Dr Raffi Kantian, président de l’Association germano-arménienne [celle cofondée par Paul Rohrbach] a d’abord parlé de l’histoire et des activités de leur organisation, puis a parlé de l’histoire et des activités de leur organisation au passé historique des deux pays, aux perspectives des relations entre l’Allemagne et l’Arménie, etc.

La Société germano-arménienne a été fondée en 1914, juste avant le début de la Première Guerre mondiale. La Société a été créée par Johannes Lepsius, Paul Rohrbach et Avetik Isahakyan à Berlin. Lepsius fut le premier président de l’association — la plus ancienne ONG existante en Allemagne. “Nous ne sommes pas une société arménienne : nous sommes une société germano-arménienne. Nous avons des membres arméniens et allemands, c’est pourquoi nous sommes une société-relais. L’association s’emploie avant tout à promouvoir la compréhension mutuelle entre Allemands et Arméniens et à défendre les intérêts des Arméniens vivant en Allemagne. La société soutient également les droits et les intérêts des minorités arméniennes en Turquie et dans d’autres pays du Proche-Orient”, a déclaré Kantian. »

 

Woodruff D. Smith, The Ideological Origins of Nazi Imperialism, New York-Oxford, Oxford University Press, 1986, p. 163 : 

« Rohrbach défend le colonialisme de peuplement blanc et la priorité absolue devant être donnée aux colons de deux manières. D’abord, il soutient que les colonies blanches sont plus profitables pour l’Allemagne que ne le sont les autres colonies, se fondant sur l’expérience britannique et sur son racisme invétéré : “Un Canadien ou un Australien vaut quarante fois un Hindou, or, combien sont en retard les pays nègres d’Afrique, en termes de production et de consommation, de même par rapport à l’Inde !” La rationalité économique que, chaque fois que l’entreprise blanche est possible en Afrique, elle doit être au détriment de l’activité économique des Africains natifs de la région. »

 

Ingolf Diener, Namibie, une histoire en devenir, Paris, Karthala, 2000, p. 323 :

« Boudant les Africains éduqués qui ne pouvaient, du coup, trouver un emploi qu’aux échelons inférieurs de l’État colonial, les colons se retrouvaient, au contraire, parfaitement dans la thèse des tenants de la “politique de violence” résumées par Paul Rohrbach, commissaire à l’installation des colons. Planifiant une économie d’élevage extensive, il conclut qu’un vacher ou un valet “indigène” éduqué était un luxe inutile, et surtout dangereux, parce que l’éducation ne pouvait qu’élever la conscience politique de l’Africain. »  

 

David Olugosa et Casper Erichsen, The Kaiser’s Holocaust Germany’s Forgotten Genocide and the Colonial Roots of Nazism, Londres, Faber & Faber, 2011, p. 112 :

« L’homme qui a le plus fortement promu et déformé les théories du darwinisme social [qui sont elles-mêmes une manipulation de ce qu’a réellement écrit Charles Darwin] telles que Lebensraum [l’espace vital, au départ simple notion géographique, reprise ensuite par une partie de l’extrême droite allemande dès avant 1914, et naturellement par Hitler dans les années 1920] dans le Sud-Ouest africain allemand n’était pas le gouverneur Theodor Leutwein — qui n’aimait pas les justifications théoriques au colonialisme — mais le commissaire aux colonies, le Dr Paul Rohrbach.

Rohrbach fut envoyé dans le Sud-Ouest africain en 1903 par le Département des Colonies, pour évaluer le potentiel de la colonie en matière d’agriculture à grande échelle et de peuplement de masse, et pour mener une étude comparative des méthodes coloniales utilisées par les Britanniques en Afrique du Sud et celles utilisées par les Britanniques en Afrique du Sud et celles déployées dans le Sud-Ouest africain allemand. Plus précisément, il cherchait à déterminer si le système d’expropriation forcée des terres, utilisé avec succès par les Britanniques, pouvait être appliqué dans la colonie allemande.

La mission de Rohrbach faisait partie d’un projet plus vaste soutenu par le gouvernement, visant à accélérer le rythme de la colonisation allemande. Même si en 1903 le rythme de colonisation était plus rapide qu’il ne l’avait jamais été, la migration vers les colonies allemandes n’était rien en comparaison avec la migration vers les États-Unis. Même certains de ceux qui avaient émigré et installés dans le Sud-Ouest africain allemand nourrissaient clairement l’ambition de partir un jour pour l’Amérique, puisqu’ils enregistrèrent leurs nouvelles fermes sous des noms tels que Dixie, Alabama et Georgia.

Pour aider à attirer davantage de colons dans la colonie, Rohrbach s’était vu accorder un budget de 300 000 marks et avait reçu un mandat spécial. Il devait rendre compte directement au Département des Colonies de Berlin, un arrangement qui, en théorie, faisait de lui le plus haut fonctionnaire de la colonie après le gouverneur Leutwein.

Dans son livre Der Deutsche Gedanke in der Welt (Les Politiques mondiales allemandes), écrit en 1912, Rohrbach décrit, avec une franchise à couper le souffle, les principes qui, selon lui, devraient régir la colonisation de l’Afrique :

“Il n’est pas juste, ni entre les nations, ni entre les individus, que des gens qui ne peuvent rien créer aient droit à la préservation. Aucune fausse philanthropie ou théorie raciale ne peut prouver aux gens raisonnables que la préservation d’une tribu de Cafres nomades d’Afrique du Sud […] est plus importante pour l’avenir de l’humanité que l’expansion des grandes nations européennes ou de la race blanche dans son ensemble. Le peuple allemand devrait-il renoncer à la possibilité de devenir plus fort et de garantir une marge de manœuvre à ses fils et à ses filles, parce que […] telle tribu de nègres […] a vécu son existence inutile sur une bande de terre où dix mille familles allemandes peuvent mener une existence florissante et renforcer ainsi la sève même de notre peuple ?”

En 1903, Rohrbach, comme le gouverneur Theodor Leutwein, comprit que les Africains, une fois dépossédés et pacifiés, pouvaient devenir une ressource économique considérable. Cependant, l’expérience qu’il a acquise dans le Sud-Ouest africain l’a amené plus tard à conclure que des nations africaines entières pouvaient être légitimement exterminées. En 1907, il publie Deutsche Kolonialwirtschaft (Commerce colonial allemand), dans lequel il déclare : “Afin d’assurer une colonisation blanche tranquille contre la tribu native du lieu, qui est mauvaise, sans culture et prédatrice, il est possible que la véritable éradication de cette dernière puisse devenir nécessaire, dans certaines conditions.” » 

 

« Namibie : cinq choses à savoir sur le génocide des Héréros et des Namas », Francetvinfo.fr, 29 mai 2021 :

« Au total, environ 65 000 Héréros et 10 000 Namas ont péri [en Namibie, à la suite de la politique d’extermination menée par les autorités allemandes locales], soit respectivement 75% et 50% de la population d’origine de chaque communauté. »

 

Paul Rohrbach, Deutschlands Koloniale Forderung, Hambourg, 1935, cité et traduit dans Les Exigences coloniales du IIIe Reich, Paris, Comité international Paix et liberté, 1937, p. 14 :

« L’infériorité des races africaines n’est pas momentanée, mais durera toujours ; elles auront toujours besoin d’être guidées par nous […] Nous proclamons notre droit sur une partie du travail des races indigènes africaines. C’est seulement quand il aura appris à créer des valeurs au service de la race supérieure que l’indigène se sera acquis un droit moral à l’existence. »

 

Robert Bouchez (vice-consul de France à Munich au lendemain de la Première Guerre mondiale), Hitler que j’ai vu naître, Paris, Jacques Melot, 1945, p. 37 :

« En tout cas, dans son livre, Hitler cite parmi ses maîtres Houston Stewart Chamberlain [idéologue d’extrême droite, Britannique naturalisé allemand], qu’il a connu par [Alfred] Rosenberg. Et nombre de thèses de Mein Kampf semblent calquées sur celles de Rohrbach.

Quand celui-ci écrit que l’Allemagne doit ravir à la Russie “ses territoires du nord-ouest sur la côte de la Baltique, c’est-à-dire la Finlande, les trois provinces baltiques et la Lituanie, sans quoi le travail de sept siècles de germanisation du Niemen jusqu’au golfe de Finlande deviendrait vain et les grandioses résultats de l’esprit allemand et de la culture allemande seraient détruits sans même laisser de traces”, ne croirait-on pas entendre Hitler ? Certaines formules de Rohrbach, comme celle-ci : “L’Allemagne sera une puissance mondiale ou bien elle ne sera pas” ont même été textuellement reproduites dans Mein Kampf. »

 

Yves Vaughan, « Hitler et les Russes blancs, de 1919 à 1943 », France (quotidien paraissant à Londres), 26 octobre 1943, p. 2 :

« Tel était le cas de Paul Rohrbach, qui, après avoir enseigné en Russie, était passé au service de l’Allemagne, avait professé à l’université de Berlin et à celle de Strasbourg [à l’époque où Strasbourg était possédée par l’Allemagne], puis finalement avait été mis, pendant la guerre, à la tête de l’Office impérial central d’information étrangère. En matière de politique mondiale, “Mein Kampf” n’est qu’un résumé de ses théories. Constamment sous la plume de Rohrbach, on retrouvait avant 1914 ces mots caractéristiques : Weltvolk, Weltmacht, Weltherrschaft, Weltpolitik [c’est-à-dire : « peuple mondial », « puissance mondiale », « domination mondiale » et « politique mondiale »]. Pendant la guerre [la Première Guerre mondiale], il s’était fait l’apôtre fervent de l’expansion allemande dans le “Baltikum” [la région de la Baltique, côté russe, dont Rohrbach était originaire] […]. En fait, Paul Rohrbach fut pour Hitler le théoricien prestigieux de la marche vers l’Est. »     

 

Fritz Fischer, Germany’s Aims in the First World War, New York, W. W. Norton, 1967, p. 171 :

« À cela s’ajoutait l’idée völkisch [courant raciste apparu au XIXe siècle en Allemagne, en Autriche et en Suisse germanophone, et qui annonçait certains aspects du nazisme, auquel une partie des völkisch se rallient d’ailleurs en 1933] avancée à plusieurs reprises par Paul Rohrbach, Sering et d’autres, de freiner la croissance des masses slaves et russes en “décomposant” la Russie, en érigeant un “mur frontière” germanisé à l’est et en une politique démographique active, une voie pour laquelle l’Est offrait une possibilité unique. »

ð  C’est un véritable brouillon de la politique nazie à l’est, rédigé durant la Première Guerre mondiale. La principale différence est que Rohrbach, sans se faire une haute idée des Biélorusses ou des Ukrainiens, désignait les Russes comme l’ennemi principal, alors qu’Hitler nourrissait un racisme indifférencié contre les Slaves, notamment les Slaves de l’est — jusqu’à faire incarcérer et même exécuter des nationalistes ukrainiens qui étaient pourtant prêts à s’allier avec le diable contre Staline.

 

André Chevrillon, de l’Académie française, La Menace allemande, Paris, Plon, 1934 :

« “L’idée allemande qui se lève sur le monde” (Rohrbach) engage la lutte décisive contre l’idée française lancée par les hommes de 89. » (p. 75)

« De cet Empire, tel qu’on le conçoit en 1914, le noyau serait formé par la Grande-Allemagne, c’est-à-dire l’Allemagne d’avant la guerre, accrue d’une partie de la France du Nord, des pays baltes, du Luxembourg et de toutes les petites nations indépendantes qui font partie du Volk allemand (1). “Car le monde, dit M. Paul Rohrbach, n’a plus besoin de petites nationalités, et celles-ci ne peuvent se développer qu’en s’incorporant à la puissance mondiale de l’Allemagne pour assurer une large base à leur civilisation.”

__________

(1)    Volk a un sens plus large que le mot peuple; il comprend les divers groupes politiques de même langue, de même culture, de mêmes mœurs, et que l’on imagine de même race. » (p. 92)

ð  Ce soutien à l’annexionnisme allemand vis-à-vis de la Belgique (entre autres) allait de pair, chez Rohrbach, avec un soutien à l’indépendance des Arméniens d’Anatolie, pourtant minoritaires partout…

 

Houri Berberian, « From Nationalist-Socialist to National Socialist? The Shifting Politics of Abraham Giulkhandanian », dans Bedross Der Matossian (dir.), The First Republic of Armenia (1918-1920) on Its Centenary: Politics, Gender, and Diplomacy, Fresno, California State University, 2020, p. 70 :

« En 1926, il [Ardachès Apeghian, membre de la Fédération révolutionnaire arménienne et de l’Association Allemagne-Arménie cofondée avec Lepsius et Rohrbach] rejoignit la faculté de l’Université de Berlin (Friedrich-Wilhelms-Universität) où il resta professeur d’études arméniennes sous le régime nazi jusqu’en 1945 [on se demande bien pourquoi il a cessé d’y enseigner cette année-là…]. Abeghian consacra une grande partie de son temps et de ses efforts à promouvoir l’amitié germano-arménienne, via l’association créée par Johannes Lepsius et à la publication de son organe de langue allemande, Hayastan (Arménie). L’hebdomadaire impliquait une étroite collaboration avec le commissaire à l’implantation en Afrique du Sud-Ouest, Paul Rohrbach.

Abeghian s’est efforcé de contrecarrer les amalgames entre Arméniens et Juifs à travers un certain nombre d’articles, par exemple sur la culture arménienne et les liens germano-arméniens. Son essai sur les “types nordiques parmi les Arméniens » parut dans Armeniertum-Ariertum (Arménité-Aryanité), sous sa direction en 1934. Le livre comprenait plusieurs chapitres sur l’histoire et la culture arméniennes, ainsi que de pseudo-science écrite par d’éminents Allemands, tous avec le but de prouver les origines “aryennes” des Arméniens. Abeghian a également demandé l’intervention de Rohrbach et d’autres [et il les a obtenues : Rohrbach est l’un des contributeurs de ce volume]. »




 

Stefano Riccioni, « Armenian Art and Culture from the Pages of the Historia Imperii Mediterranei », Venezia Arti, n° 27, décembre 2018, p. 123 :

« Armeni Ariani (Arméniens aryens) est une étude sur les caractéristiques raciales des Arméniens, traduite de l’édition originale allemande publiée en 1934 par la Société germano-arménienne de Berlin [le volume évoqué ci-dessus], dédiée à la mémoire de l’orientaliste Josef Markwart (1864-1930), historien et philologue. Comme la “Note” à la traduction italienne l’indique : “Ce travail […] offre un ensemble de preuves concluantes quant à l’aryanité du peuple arménien, à la suite du décret pris le 3 juillet 1933 par le gouvernement national-socialiste”. Le décret stipulait que […] les Arméniens devaient être considéré comme intégralement aryens. »

 

Lire aussi, sur l’arménophilie d’extrême droite :

L’arménophilie fasciste, aryaniste et antisémite de Carlo Barduzzi

L’arménophilie du nazi norvégien Vidkun Quisling

L’arménophilie du régime de Vichy

Paul Chack : d’un conservatisme républicain, philosémite et turcophile à une extrême droite collaborationniste, antisémite, turcophobe et arménophile

Camille Mauclair : tournant réactionnaire, antisémitisme, turcophobie, soutien à la cause arménienne, vichysme

L’arménophilie vichyste d’André Faillet — en osmose avec l’arménophilie mussolinienne et collaborationniste

La place tenue par l’accusation de « génocide arménien » dans le discours soralien

Dissolution du groupuscule néonazi « Les zouaves », fervent soutien du nationalisme arménien

 

Sur l’osmose entre nationalisme arménien et fascismes :

Aram Turabian : raciste, antisémite, fasciste et référence du nationalisme arménien en 2020

De l’anarchisme au fascisme, les alliances très variables d’Archag Tchobanian

La popularité du fascisme italien et du nazisme dans la diaspora arménienne et en Arménie même

La collaboration de la Fédération révolutionnaire arménienne avec le Troisième Reich

Le Hossank, l’autre parti nazi arménien

La Fédération révolutionnaire arménienne rend encore hommage à son ex-dirigeant Garéguine Nejdeh (nazi)

Manifestation néonazie à Erevan

 

Et par contraste :

La turcophilie de Pierre Loti vue par l’antifasciste Victor Snell

Les milieux coloniaux français face à la fin de l’Empire ottoman, au conflit turco-arménien et au conflit turco-grec

La gauche française et la question turco-arménienne dans les années 1920 

L’arménophilie nazie de Johann von Leers

  Johann von Leers, « Armeniertum und Ariertum », Armeniertum und Ariertum , Postdam, Deutsch-Armenischen Gesellschaft, 1934, pp. 10-11 : ...

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