jeudi 26 septembre 2024

1914-1915 : la mobilisation du nationalisme arménien au service de l’expansionnisme russe

 


 

Sean McMeekin, The Russian Origins of the First World War, Cambridge (Massachusetts)-Londres, Harvard University Press, 2011 :

« Pour le commandement de Tiflis, c’était l’embarras du choix. Les Arméniens du Caucase avaient déjà établi un bureau central de recrutement dans la capitale géorgienne pour enrôler des volontaires arméniens ottomans dans l’armée russe. Ses chefs de file étaient Hampartsum Arakelyan, rédacteur en chef de Mshak, le principal journal en langue arménienne du Caucase, et le général Andranik Toros Ozanian, un vétéran d’innombrables escarmouches avec les Turcs qui avait également combattu dans l’armée bulgare pendant les guerres des Balkans. Andranik arriva à Tiflis, en passant par Varna et Odessa, le 2 août 1914.

Très vite, il y eut tellement de volontaires arméniens que les Russes ne purent trouver suffisamment d’armes légères pour les équiper. Le 31 août 1914, soit deux pleins mois avant que la Porte ne déclarât la guerre, le général Ioudenitch, chef d’état-major de l’armée du Caucase, demanda à Ianouchkevitch et à la Stavka 25 000 fusils supplémentaires et 12 millions de cartouches pour armer les bandes de guérilla arméniennes en cours d’organisation le long de la frontière ottomane. De fait, Ioudenitch exigea expressément que ces armes (et l’argent pour payer les combattants) fussent expédiées avant l’entrée en guerre de la Turquie, car les quelques voies de contrebande encore ouvertes seraient probablement fermées une fois celle-ci survenue.

L’armée russe chercha donc activement à armer les Arméniens ottomans avant même que la Turquie n’entrât en guerre, avec la pleine coopération des Dachnaks [Fédération révolutionnaire arménienne], du général Andranik et des dirigeants arméniens de Tiflis. Le ministère russe des Affaires étrangères était également impliqué, et au plus haut niveau. » (pp. 154-156)

« La planification opérationnelle russe en vue d’un soulèvement général des Arméniens en Anatolie orientale était en cours bien avant Sarıkamış, c’est-à-dire avant même l’entrée en guerre de la Turquie. Conformément à la directive de Sazonov selon laquelle rien ne devait être entrepris “sans nos instructions”, le commandement de Tiflis, en collaboration avec le vice-roi Vorontsov-Dashkov, élabora en septembre 1914 une stratégie minutieuse, étape par étape, visant à donner aux Russes autant de contrôle que possible sur les événements. De petites cellules arméniennes de guérilla (moins de 100 hommes chacune) seraient créées dans les villes frontalières du côté russe de la frontière, notamment Oltu, Sarıkamış, Gizman (Kâğızman) et Igdyr (Iğdır). En plus d’un fusil par homme (avec les munitions correspondantes), chaque cellule recevrait également 250 armes supplémentaires à faire passer en contrebande en Turquie. Des groupes de guérilla similaires se formeraient à Hoy et Dilman, dans le nord-ouest de la Perse. Ces derniers, parce que les voies de contrebande y étaient plus faciles, recevraient chacun 2 000 fusils supplémentaires destinés aux cellules arméniennes en Turquie. Dans les deux cas, les armes seraient distribuées dès que la Turquie déclarerait la guerre, en même temps que la première réserve d’argent liquide.

Au total, le vice-roi estimait qu’il en coûterait à la Russie 100 000 roubles par mois pour mener des opérations de sabotage arméniennes en Turquie. Ces subventions seraient prélevées sur le budget de l’occupation perse, afin de les camoufler. » (p. 161)

« Le 24 septembre 1914, la troisième armée ottomane a rapporté des preuves selon lesquelles les Russes faisaient passer des armes et des munitions en contrebande à travers la frontière, et a averti que quiconque serait surpris en train de faciliter ce trafic “serait immédiatement exécuté”. Tout l’hiver, les zones frontalières ont été animées par une activité intense, alors que des déserteurs arméniens fuyant Van passaient du côté des Russes, tandis que d’autres étaient vus revenir en Turquie. Au début de 1915, la Troisième Armée ottomane avait rassemblé des renseignements exploitables – et en grande partie exacts – sur les “bandes arméniennes” que le commandement de Tiflis avait “mises en place à Oltu, Sarıkamış, Kağızman – que les Russes avaient équipées de mitrailleuses et d’artillerie.” En février et mars 1915, les premiers rapports sur une activité rebelle significative près de Van, Bitlis et Erzurum furent publiés, notamment la coupure de lignes télégraphiques, l’explosion de bombes, des attaques contre des casernes de l’armée et de la police turques et, si l’on en croit le compte rendu plutôt sombre des services de renseignements de l’armée ottomane, le “pillage et la destruction [de] villages musulmans”, les rebelles arméniens “massacrant même les bébés dans leurs berceaux.” Que ces activités partisanes arméniennes aient été ou non approuvées au préalable par le ministère russe des Affaires étrangères, comme l’avait stipulé Sazonov, elles semblaient certainement d’inspiration russe au commandement de la Troisième Armée ottomane, qui commençait à craindre une “catastrophe aux proportions inimaginables”.

Le 13 ou 14 avril 1915, les Turcs connurent leur pire cauchemar : les partisans [arméniens] expulsèrent les forces gouvernementales de Van et érigèrent des barricades autour de la ville. Personne ne sait exactement combien d’hommes les Arméniens réussirent à engager à Van, mais ce nombre dut être important, car ils tinrent finalement la ville pendant plus de quatre semaines contre trois bataillons de la Jandarma (police) ottomane, la première force expéditionnaire envoyée par la troisième armée et un nombre incalculable de miliciens kurdes Hamidiye. » (pp. 168-169)

« Les livres de Vahakn Dadrian et (à quelques exceptions près) de Richard Hovannisian sont plus représentatifs de la ligne arménienne générale d’aujourd’hui. Dans The History of Armenian Genocide (paru en 1995 ; six éditions à ce jour), Dadrian consacre six pages au rôle de la Russie dans “le désastre arménien” — et ces pages couvrent exclusivement la période précédant la Première Guerre mondiale. Hovannisian, dans “The Armenia Question in the Ottoman Empire”, son principal article dans le volume qu’il a récemment édité sur The Armenian People from Ancient to Modern Times (2004), fournit une discussion assez approfondie de la politique arménienne de la Russie — mais encore une fois, uniquement pour la période précédant la Première Guerre mondiale. Ce n’est pas que Hovannisian ne soit pas au courant de la dimension russe de son sujet durant la Première Guerre mondiale — en fait, il a traité ce sujet de manière assez approfondie il y a quarante ans dans “The Allies and Armenia, 1915–18” (1968). Il semble plutôt avoir laissé tout cela de côté dans ses œuvres ultérieures, après être devenu une sorte de porte-parole officiel de la cause arménienne dans le milieu universitaire américain. » (pp. 272-273, n. 3)

« Il est intéressant de noter que, pour réfuter les affirmations turques selon lesquelles il y aurait une menace arménienne importante à Erzurum, où se trouvait le quartier général de la Troisième Armée ottomane, Akçam cite un rapport du consul allemand de cette ville, Scheubner-Richter (le même qui sera plus tard abattu au milieu des partisans d’Hitler lors de leur marche dans Munich après le putsch de la Brasserie). Le consul russe à Erzurum, Adamov, bien mieux informé des activités arméniennes, a fait un rapport tout différent. » (p. 278, n. 75)

 

« Les volontaires arméniens de l’armée russe », L’Homme libre, 22 février 1915, p. 2 :

« Le comité central du parti arménien hentchakiste avait adressé  à tous les Arméniens de l’étranger un appel pour les inviter à apporter l’étranger leur contingent aux alliés, comme quote-part du peuple arménien.

“Allié naturel de la Triple-Entente, et surtout des armées russes, dit cet appel, notre parti, par tous les moyens politiques, militaires dont il dispose, secondera les victoires russes en Arménie [Anatolie orientale], en Cilicie, au Caucase et dans en Azerbaïdjan [il s’agit de l’Azerbaïdjan iranien, envahi en 1914 par la Russie, malgré la proclamation de neutralité de l’Iran]. En agissant ainsi, le parti aura rempli son devoir suprême aussi bien envers la Russie qu’envers l’Arménie, afin de délivrer du joug sanglant du despotisme turc la patrie arménienne.”

Répondant sont à cet déjà appel, 500 volontaires sont partis de Bulgarie et 1 500 de Roumanie et les premiers contingents de volontaires sont arrivés d’Amérique. »

 


Andranik Ozanian (à droite) et ses hommes (photographie de gauche)


Hovannès Katchaznouni (dirigeant de la Fédération révolutionnaire arménienne jusqu’en 1923, Premier ministre de la République d’Arménie de 1918 à 1919), The Armenian Revolutionary Federation Has Nothing to Do Anymore, New York, Armenian Information Service, 1955, pp. 5-6 (discours prononcé devant le congrès de la Fédération révolutionnaire arménienne à Bucarest, en avril 1923), pp. 5-6 :

« Alors même que la Turquie n’était pas encore entrée en guerre — bien qu’elle en commençât les préparatifs — des groupes de volontaires arméniens se formèrent [à partir d’août-septembre 1914], avec beaucoup de zèle. Malgré la résolution prise par le comité central à Erzurum, quelques semaines plus tôt [en août], la Fédération révolutionnaire arménienne contribua de façon active à la mise en place de ces groupes, et en particulier à leur armement, contre la Turquie.  […]

À l’automne 1914, des bandes de volontaires arméniens s’organisèrent, et combattirent contre les Turcs, parce qu’ils [ses membres] ne pouvaient pas s’en empêcher. Ce fut le résultat inévitable de la mentalité que le peuple arménien avait lui-même développée pendant toute une génération : cette mentalité avait trouvé son aboutissement et s’exprimait.

Si la formation des bandes fut une erreur, les origines de cette erreur doivent être cherchées beaucoup plus loin dans le passé. À présent, il est important de noter seulement cette évidence que nous [Fédération révolutionnaire arménienne-Dachnaktsoutioune, FRA-Dachnak] avons participé à ce mouvement de volontaires de la façon la plus large, en contradiction avec ce qui avait été décidé lors du congrès du parti. […]

Nous avions embrassé la Russie de tout notre cœur, sans aucune hésitation. Sans aucun fondement positif, nous pensions que le gouvernement tsariste nous accorderait une autonomie plus ou moins large dans le Caucase et dans les vilayets arméniens libérés de la Turquie, en récompense de notre loyauté, de nos efforts et de notre aide.

Nous avions créé dans nos esprits une atmosphère dense d’illusions.

Nous avions attribué nos propres désirs aux autres ; nous avions perdu le sens de la réalité et nous étions emportés par nos rêves. De bouche à oreille, d’oreille à oreille passaient des paroles mystérieuses qui semblaient avoir été prononcées dans le palais du vice-roi ; on attirait l’attention sur une sorte de lettre de Vorontzov-Dashkov au Catholicos, présenté comme un document important se trouvant entre nos mains et permettant de faire état de nos droits et de nos revendications — une lettre habilement composée avec des phrases très vagues et des généralités qui pouvaient être interprétées de n’importe quelle manière, selon le désir de chacun. »

 

Stéphane Yerasimos, « Caucase : la grande mêlée », Hérodote, n° 54-55, 4e trimestre 1989, pp. 155-157 :

« Au même moment [été 1914], le catholicos d’Etchmiadzin, patriarche de tous les Arméniens, lance un appel vibrant à Vorontzov-Dachkov, vice-roi du Caucase, demandant à la Russie de protéger les Arméniens et de modifier le statut d’autonomie, déjà acquis à leur profit, avec la nomination d’un gouverneur chrétien choisi par la Russie à la tête des six provinces unifiées. En même temps, Vorontzov-Dachkov contacte les personnalités du Conseil national arménien à Tiflis [regroupement des partis nationalistes, sous la direction de la Fédération révolutionnaire arménienne], dont le maire de la ville Khatissian [membre de la Fédération révolutionnaire arménienne], et promet l’autonomie arménienne dans les six provinces orientales turques, si celles-ci sont conquises avec l’aide arménienne. Les Arméniens proposent alors la création d’unités de volontaires et des télégrammes sont aussitôt envoyés par le Conseil national arménien à toute la communauté, lui demandant de se mobiliser. Entre cette date et le début de la guerre turco-russe, le 1er novembre, quatre détachements de volontaires arméniens, composés d’Arméniens de Turquie — puisque les Arméniens de Russie sont enrôlés dans l’armée  régulièrement formée — sont constitués. Leur quantité est sans doute négligeable dans la masse de l’armée russe, puisque chaque détachement compte environ mille hommes, mais utilisés au début comme éclaireurs et ensuite dans toutes les batailles sensibles mettant en cause des populations kurdes et arméniennes dans les endroits les plus contestés, leur rôle politique fut sans commune mesure avec leur poids réel [il y a là une confusion entre les unités autonomes de volontaires et le total des volontaires recrutés pour l’armée russe, la grande majorité étant intégrée dans des unités régulières de l’armée russe. Fin octobre 1914, le consul britannique estime le total à presque 45 000 hommes : Muammer Demirel, British Documents on Armenians. 1896-1918, Ankara, Yeni Türkiye, 2002, p. 665].

Ainsi, dès le 24 octobre, une semaine avant le début des hostilités, le deuxième  détachement volontaire arménien, dont le commandant en second est un député arménien au Parlement ottoman [Garéguine Pasdermadjian, député de 1908 à 1912], part d’Igdir en direction de Van. La région allant du lac de Van à celui d’Ourmia est un des endroits clés du conflit, parce qu’elle constitue le chemin le plus court entre le Caucase russe et Mossoul, le centre de la haute Mésopotamie, d’où la jonction avec les Britanniques, qui attendaient déjà au Koweït la déclaration de la guerre pour occuper Basra, était possible. En même temps, cette région était considérée comme le “ventre mou” de la défense turque parce que peuplée par des chrétiens. La seule région en Anatolie où les Arméniens étaient en majorité était celle du lac de Van [affirmation discutable : il n’est pas avéré que fût véritablement une majorité] ; Ourmia était peuplée d’Assyriens et le massif de Hakkâri abritait des tribus nestoriennes.

Le deuxième détachement arménien sera arrêté par les Turcs le 1er novembre, Mais, dès le début des hostilités, les troupes russes pénètrent en territoire turc en se servant des détachements de volontaires arméniens comme éclaireurs. De leur côté, les Turcs mobilisent les Kurdes en les utilisant comme cavalerie irrégulière Dès le premier contact avec les Russes, dix mille de ces cavaliers, sur un total de treize mille, désertent et se dispersent dans les villages des environs, où ils sont reçus à coups de fusil. De même, les fantassins kurdes et arméniens, mobilisés dans l’armée régulière, désertent et vont avec leurs armes protéger leurs villages. Dès le premier mois de la guerre, la confusion est totale.

Après l’échec de la première pénétration vers Van, les Russes décident d’utiliser le territoire iranien8. En novembre, le khan de Maku est déposé et remplacé par un cousin plus docile. Une colonne russe, accompagnée du premier détachement de volontaires arméniens, dirigé par Antranik, le chef arménien le plus célèbre, traverse Khoy et Qotur et occupe Saray, à l’intérieur du territoire turc et à 70 kilomètres de Van. […]

Après l’échec de la grande offensive turque, la région Van-Ourmia retrouve son importance. En février, les Russes réoccupent les territoires iraniens et Simko bascule encore une fois dans le camp russe. Mais cette fois les Turcs préparent à Mossoul une division, sous la direction de Halil Bey (futur pacha), oncle d’Enver Pacha, qui quitte cette ville en mars en direction d’Ourmia, à travers les défilés du Grand Zab. C’est à cette occasion que des émissaires russes sont envoyés chez Mar Shimoun, le patriarche (dans le sens biblique du terme) des nomades nestoriens qui tiennent, conjointement avec les Kurdes, cette région. En même temps les 2e, 3e, 4e et 5e (nouvellement créé) détachements de volontaires arméniens sont réunis en un corps spécial, chargé de marcher sur Van. La région est en effervescence depuis le début du printemps et, le 20 avril, la révolte arménienne de Van éclate. »

 

Grégoire Tchalkhouchian, Le Livre rouge, Paris, Imprimerie Veradzenount, 1919 (initialement rédigé en russe), p. 105 :

« Nous n’avons pas seulement su, à l’égal des soldats russes, mourir comme sujets de la Russie, mais nous avons fourni des volontaires par dizaines de mille. »

 

Gabriel Korganoff (Gorganian, officier et membre de Fédération révolutionnaire arménienne), La Participation des Arméniens à la guerre mondiale sur le front du Caucase (1914-1918), Paris, Massis, 1927 :

« Après de nombreux pourparlers, au milieu du mois de Septembre, le “Bureau National Arménien” de Tiflis reçut l’autorisation de former au Caucase 4 légions de volontaires arméniens. Leur formation fut terminée vers la fin du mois d’octobre 1914, c’est-à-dire au moment même de la déclaration de la guerre par la Turquie. L’effectif de ces légions atteignait [autour du 1er novembre 1914, et sans compter les dizaines de milliers de volontaires intégrés dans des unités régulières] 2.500 hommes, ayant 600 hommes en réserve.

Le commandement en fut confié à des héros nationaux arméniens, à Andranik, Dro, Amazaspe et Ken, tous les quatre des partisans éprouvés dans la lutte contre les Turcs.

Les Légions ne furent pas réunies en unités supérieures, mais attachées à divers corps et groupes du vaste front du Caucase, car on les considérait utiles surtout pour le service de reconnaissance; ceci explique leur répartition presque égale sur tout le front. » (p. 10)

« Chaque légion comptant [en 1915] 1.000 hommes, l’effectif total des légions arméniennes représentait une force de 6.000 combattants [toujours sans compter la majorité des volontaires arméniens, intégrés, eux, à des unités régulières]. Complétées ci renforcées pendant leur court répit, elles furent de nouveau envoyées au front de l’armée, quatre d’entre elles (les 2e, 3e, 4e, et 5e) entrant dans le détachement de Van.

Une telle répartition de quatre légions dans le même détachement s’explique premièrement par la tâche imposée à ce dernier. C’est à Van que la population arménienne s’était soulevée contre les Turcs et se défendait héroïquement ; mais, entourée de tous côtés d’ennemis mieux organisés et armés, die demandait d’urgence d’être secourue. Ensuite, par la composition de ces légions qui, originaires de cette région, connaissaient à perfection le terrain sur lequel les opérations militaires devaient se dérouler. La 1re légion resta, comme auparavant, attachée au détachement d’Azerbaïdjan du Général Tchernozouboff, tandis que la 6e, de nouvelle formation, fut incorporée dans le détachement du Général Baratoff (groupe de Sarikamiche). » (p. 21)

« Comme nous l’avons dit plus haut, les 2e, 3e, 4e et 5e  légions avaient été dirigées sur Van au printemps de 1915, et nous avons indiqué les raisons d’une pareille concentration de ces quatre légions dans un même groupe et du choix d’une direction opérative déterminée d’avance.

Les légions formèrent un détachement indépendant, appelé détachement de l’Ararat, commande par Vartan. Peu dc temps avant sa rentrée en campagne, la 5e légion fut dissoute, ses cadres servant à compléter et renforcer les 2e, 3e et 4e légions.

Parti d’Erivan le 28 avril, le détachement dc l’Ararat franchit le 4 mai le col de Tchinghil (sur l’ancienne frontière russo-turque) et atteignit le même jour les approches de Kizil-Diza, situé au pied du mont Tapariz, sur la route de la vallée de Bayazid à Van.

Le 11 mai ce détachement, formant l’avant-garde du détachement du Général Nikolaieff, s’empara de Beghni-Kala.

Le 14 mai le détachement passa de nouveau à l’offensive, le lendemain elle emporta le village de Djanik et entra le 18 mai dans le village Alour, où la population de Van, libérée d’un long siège, fit un accueil enthousiaste au détachement. Les troupes turques se retirèrent en toute hâte le long de la rive sud du lac de Van, dans la direction de Vostan.

À l’occasion de la prise de Van, le Commandant du 4e Corps d’Armée envoya un télégramme de félicitations au Catholicos de tous les Arméniens […] » (pp. 23-24)

 

Kâmuran Gürün, Le Dossier arménien, Paris, Triangle, 1984, p. 237 :

« Un message envoyé par l’état-major général à l’état-major de la IIIe armée le 25 septembre, précisait que les membres du Dachnaksoutioun au Caucase et les membres du comité Hentchak s’étaient mis d’accord avec la Russie pour pousser les Arméniens de Turquie à s’insurger.

Le 8 octobre 1914, le gouverneur de Trabzon, Cemal Azmi Bey, dans un message envoyé au ministère de l’Intérieur, précisait :

“Une bande de 800 hommes, constituée d’Arméniens de Turquie et de Russie, a été armée par les Russes et envoyée du côté d’Artvin. Ils se déploieront entre Artvin et Ardanuç, leur effectif sera porté à 7 000 hommes, et ceux-ci seront employés à susciter des désordres en territoire ottoman.”

Le 11 octobre 1914, le commandant de la IIIe armée envoya à l’état-major général le message suivant :

“Il a été établi que les Russes ont armé et constitué dans le Caucase des bandes de francs-tireurs formés d’Arméniens de Turquie, et de Russie ainsi que de Grecs. Ces bandes ont été envoyées dans notre pays pour élargir leur organisation et le nombre des déserteurs arméniens est en train d’augmenter.”

Le 13 octobre 1914, le commandant de la IIe division de cavalerie faisait savoir au commandant de la IIIe armée que les Russes distribuaient des fusils aux Arméniens de Narman. Le 14 octobre 1914, le gouverneur de Beyazit envoyait ce message au ministère de l’Intérieur :

“Le 26 septembre, un comitadji arménien répondant au nom de Sehpat est arrivé à Hoy avec 600 volontaires arméniens puis s’est rendu à Selmas. Une grande majorité de ces Arméniens sont nos sujets et appartiennent à la population de Van, Mus, Bitlis, Kars et Gümrü. On a appris qu’ils attendent l’arrivée de leur commandant Antranik.

Dans la région de Van, le pharmacien Rupen Migirditchian, Toros Karakachian et Portakalian tous trois habitants d’Ercis et Surin, qui s’occupe de commerce à Beyazit, ont projeté de passer à Selmas avec les forces qu’ils ont réunies dans les régions d’Igdir ; de Revan les nommés Melkon et Ohannes de Hoy ont été envoyés à Van, dans le but de faire de la propagande. (...)”

Le 22 octobre 1914, le commandant de la IIe division de cavalerie fit savoir au commandant de l’armée que des volontaires arméniens de Mus, Van et Bitlis étaient mobilisés, que des bandits arméniens rodaient à proximité des frontières et que 30 à 40 bandits avaient été découverts dans le village de Pertos. »

 

Lire aussi, sur la Première Guerre mondiale :

Le caractère mûrement prémédité de la révolte arménienne de Van (avril 1915)

La nature contre-insurrectionnelle du déplacement forcé d’Arméniens ottomans en 1915

Talat Pacha et les Arméniens

Le mensonge selon lequel cinq des « documents Andonian » auraient été « authentifiés » au procès Tehlirian (1921)

Le grand vizir Sait Halim Pacha et les Arméniens

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Les massacres de musulmans et de juifs anatoliens par les nationalistes arméniens (1914-1918)

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Florilège des manipulations de sources dont s’est rendu coupable Taner Akçam

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Sur l’utilisation du nationalisme arménien par la Russie tsariste :

Arthur Tchérep-Spiridovitch : arménophile militant, antisémite professionnel, raciste aryaniste et inspirateur du nazisme

L’évolution de Jean Jaurès sur la question arménienne et l’Empire ottoman

La crise arménienne de 1895 vue par la presse française

 

Et par l’URSS :

L’alliance soviéto-nazie (1939-1941) et les projets staliniens contre la Turquie

L’agitation irrédentiste dans l’Arménie soviétique à l’époque de l’alliance entre Staline et Hitler

La popularité du stalinisme dans la diaspora arménienne

De l’anarchisme au fascisme, les alliances très variables d’Archag Tchobanian

L’arménophilie stalinienne de Léon Moussinac

L’Union générale arménienne de bienfaisance et le scandale des piastres

 

Sur la russophilie du nationalisme arménien contemporain :

Le consensus poutiniste chez les nationalistes arméniens

Jean-Marc « Ara » Toranian relaie la désinformation russe contre l’Ukraine et la Turquie

Les séparatistes arméniens de Khankendi (« Stepanakert ») hissent une nouvelle fois des drapeaux russes

Les États-Unis sanctionnent une entreprise arménienne pour son soutien à l’effort de guerre russe contre l’Ukraine

L’hostilité intangible des nationalistes arméniens à l’égard de l’Ukraine

 

Et par contraste :

L’hostilité de l’opinion française (presse, Parlement) au traité de Sèvres (Grande Arménie incluse)

Les milieux coloniaux français face à la fin de l’Empire ottoman, au conflit turco-arménien et au conflit turco-grec

La France briando-poincariste contre l’axe FRA-Hoyboun (alliance de nationalistes arméniens et kurdes)

L’ASALA et ses scissionnistes contre la France socialiste de François Mitterrand

Quand Jean-Marc « Ara » Toranian menaçait d’attentats la France de la première cohabitation (1986)

 

mardi 17 septembre 2024

L’agitation irrédentiste dans l’Arménie soviétique à l’époque de l’alliance entre Staline et Hitler

 



« L’évolution de la situation diplomatique », L’Ouest-Éclair, 28 octobre 1939, p. 3 :

« Paris, 27 octobre (de notre rédaction parisienne). Les informations de source anglaise concernant la concentration de 300 000 soldats turcs sur la frontière soviétique, près de la République d’Arménie sont confirmées.

Simple précaution, nous disait une personnalité compétente. En voici la raison.

Quand, en 1920, l’Arménie fut bolchevisée, Moscou céda à la Turquie, dont il sollicitait à ce moment l’appui, des territoires arméniens Kars et Ardahan [c’est légèrement plus compliqué : en décembre 1920, le dernier gouvernement dachnak (nationaliste) d’Arménie signe le traité de Gümrü, qui prévoit un référendum pour la région de Kars, à majorité musulmane ; en février 1921, avec l’autorisation du dernier gouvernement géorgien indépendant, la Turquie reprend Ardahan, revendiquée par l’Arménie mais jusque-là sous contrôle géorgien ; puis, en octobre 1921, le gouvernement arménien soviétique, le gouvernement géorgien soviétique et la Russie soviétique signent avec la Turquie le traité de Kars, qui consacre les provinces de Kars et d’Ardahan comme turques]. Il s’agissait de deux régions moins importantes pour leur richesse que pour leur valeur stratégique. Bien que soumis aux Soviets, les Arméniens protestèrent. La perte de ces territoires exposait leur jeune République, soi-disant autonome, au danger d’une invasion turque. Moscou mit fin à cette réaction par ses méthodes habituelles.

On peut s’imaginer après cela l’étonnement de M. Saradjoglou, le ministre des Affaires étrangères turc, quand, au cours de ses négociations à Moscou, l’autre semaine, il s’entendit réclamer la cession de Kars et Ardahan. Naturellement, Ankara a repoussé cette prétention, en même temps que les autres formulées au sujet des Balkans et de la Mer Noire.

Presque aussitôt une agitation irrédentiste a éclaté en Arménie, près de la frontière turque : des meetings ont été organisés à Erivan et Léninakan, et ailleurs, sous les auspices des autorités soviétiques On y vote des motions et des adresses à Staline, afin que les frères de race soumis à la Turquie soient libérés bientôt. On avait entendu des slogans semblables en U.R.S.S., à la veille de la libération des Ukrainiens et des Blancs Russes [Biélorusses] opprimés par les Polonais.

Résolu à couper court à la manœuvre, le gouvernement d’Ankara a pris des dispositions militaires appropriées, celles qui ont été annoncées hier. Très probablement, le dictateur rouge laissera traîner les choses dans le Sud, pendant qu’il est occupé encore dans le Nord avec la Finlande. »

 

« Turquie et URSS », Le Populaire, 15 décembre 1939, p. 3 :

« Une information arrive de Turquie : le président de la République, le maréchal Ismet Inönü, s’est rendu à Erzeroum, où la population s’est lui a fait un accueil enthousiaste. Il est difficile de ne pas mettre en liaison ce voyage avec l’importance prise au cours de ces derniers mois par la frontière russo-turque.

[…]

Aujourd’hui, Moscou [a] envie de se servir du nationalisme arménien contre Ankara, en profitant des griefs historiques de cette nation à l’égard de l’ancienne Turquie. Des fêtes ont été données cet automne dans la capitale soviétique en l’honneur de l’Arménie, dont on a célébré les traditions et la littérature.

L’Arménie a perdu sous le régime stalinien toute autonomie et les patriotes arméniens ont été massacrés et déportés tout comme les nationalistes ukrainiens, géorgiens, caucasiens. Mais Staline veut améliorer la situation stratégique de son Empire face à la Turquie et sur la mer Noire, et les aspirations arméniennes peuvent lui fournir une base d’action, suivant la méthode hitlérienne qu’il a adoptée d’emblée et dont il se propose de tirer tout le profit possible. »

 

Mary Kilbourne Matossian, The Impact of the Soviet Policies in Armenia, Leyde, E. J. Brill, 1962, p. 163 :

« Le point décisif était : si les sentiments et les valeurs du nationalisme arménien se trouvaient servir les objectifs communistes, ils étaient encouragés ; sinon, ils étaient supprimés. Il se trouve que durant la Seconde Guerre mondiale et juste après, le nationalisme arménien était utile aux communistes. »

 

Lire aussi :

L’alliance soviéto-nazie (1939-1941) et les projets staliniens contre la Turquie

La popularité du stalinisme dans la diaspora arménienne

Les Arméniens dans la Turquie de Mustafa Kemal Atatürk

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François Rigaux : apologiste des Khmers rouges, soutien apprécié du nationalisme arménien

La nature contre-insurrectionnelle du déplacement forcé d’Arméniens ottomans en 1915

Le caractère mûrement prémédité de la révolte arménienne de Van (avril 1915)

L’hostilité intangible des nationalistes arméniens à l’égard de l’Ukraine

Les séparatistes arméniens de Khankendi (« Stepanakert ») hissent une nouvelle fois des drapeaux russes

lundi 9 septembre 2024

Arthur Tchérep-Spiridovitch : arménophile militant, antisémite professionnel, raciste aryaniste et inspirateur du nazisme


 

Général Arthur Tchérep-Spiridovitch (aristocrate russe), L’Europe sans Turquie. La sécurité de la France l’exige, Paris, éditions de la Ligue franco-slave (dirigée par le même général), 1913 :

« À qui serait-il profitable que la Turquie, presque disloquée en Europe, continuât à se décomposer sur le territoire des peuples chrétiens et empoisonnât de la sorte l’air des deux continents ?

Nommez donc le pays qui perdrait quelque chose, à ce que les hordes turques quittent enfin la ville de Constantin le Grand [Istanbul, appelée Constantinople jusqu’en 1453] pour rentrer chez elles, en Asie [sic : le même considérait que les Russes étaient « chez eux » à Vladivostok, en Pologne et dans les pays baltes…] ? Toutes les puissances y gagneraient, sans exception, même la Turquie, car son état d’agonie perpétuelle ne peut lui occasionner que des souffrances. Il en est de même pour un voleur trop avide, qui serait embarrassé d’un trop lourd butin [écrit par un apologiste de l’expansion russe…].

L’Empire ottoman ne peut que voir se dérouler les soulèvements journaliers, sans pouvoir les réfréner, n’en ayant ni la force, ni les moyens [on a vu depuis qui avait les moyens de perdurer]. Si les puissances avaient liquidé ce fantôme d’empire, — en réalité depuis longtemps inexistant, — et avaient aidé ses sujets à se dégager du “nœud coulant” historique, d’une pléiade d’ennemis extérieurs et intérieurs qui se concentrent continuellement autour de Constantinople, ils auraient sauvé avant tout la Turquie elle-même. […]

Que de sang ont versé les Turcs pour tenter de retenir sous leur joug les peuples autrefois enchaînés, mais que par la suite, ils étaient incapables de garder ? N’est-il pas évident qu’ils seront obligés de libérer enfin les Grecs, les Arméniens, les Arabes, les Syriens, le Liban, etc., s’ils veulent éviter des révoltes sans fin

Si les patriotes turcs s’étaient élevés au-dessus des préjugés des temps barbares, ils auraient reconnu enfin que la force de la nation réside uniquement dans l’union du peuple et non pas dans l’étendue du territoire et dans le nombre de ses habitants. » (p. 89)

« Pour accomplir l’Union des Églises, tant désirée par des centaines de millions de chrétiens, il faut avant tout épurer Constantinople de la présence du gouvernement turc et remplacer par la Croix sainte le Croissant sur Sainte-Sophia [l’ancienne église Sainte-Sophie, devenue la mosquée Ayasofya en 1453, puis un musée en 1935] ! » (p. 91)

« Passons aux fameuses “réformes turques”. Même en parlant des massacres hideux qui font dresser les cheveux, l’homme le plus triste, le plus irrité, ne peut, malgré lui, s’empêcher de rire, aussitôt qu’on prononce ces paroles “réformés turques”. Sérieusement, qui donc a connu ou vu une seule “réforme”  opérée par les Turcs, s’ils n’y étaient pas contraints par la force ou par une menace immédiate de bombardement, etc… [outre que Tchérep-Spiridovich commet là une faute de ponctuation (on ne met pas de points de suspension après « etc. »), les réformes de Mahmut II et les Tanzimat ont commencé sans aucune pression extérieure, de même que l’ouverture de l’École d’officiers aux non-musulmans, en 1909] ? L’éminent M. T. Roosevelt n’a-t-il pas dit : “Le Turc ne peut pas être changé” [le même Theodore Roosevelt, à ne pas confondre avec son neveu par alliance Franklin Roosevelt, également président des États-Unis, écrivait en 1891 que le lynchage de onze Italiens, à la Nouvelle-Orléans, était « plutôt une bonne chose » ; et en 1916, que « la grande majorité des Nègres du Sud sont indignes de voter ».]. M. Thouvenel, ancien diplomate à Constantinople déclare : “Pour réformer un Turc, il faut commencer par l’empaler !” [mort en 1866, Thouvenel ne plaçait pas les chrétiens d’Orient plus haut que les Turcs dans son estime.] » (p. 106)

« Une annexion à la Russie est, de toutes manières, avantageuse pour les Arméniens, car c’est dans ce pays qu’ils se sont créé de hautes situations, des fortunes considérables [ou comment ignorer les millionnaires arméniens d’Istanbul et d’Izmir]. C’est en Russie surtout qu’ils ont joui d’une entière liberté d’existence [pas un mot sur la restriction à leur liberté de culte entre 1903 et 1912, époque toute récente au moment où l’auteur écrit]. Par exemple, le général Loris-Melikoff qui fut créé comte et a occupé un poste équivalent à celui de Premier Ministre (et même de Chancelier d’Empire), Mantacheff qui y amassa une énorme fortune, etc. Il y a des dizaines de milliers d’Arméniens en Russie occupant une place marquante et respectée. (1)

De même, il faut prendre en considération la Russie constitutionnelle, qui, établie depuis 1905, commence à se manifester seulement aujourd’hui. Cette Russie “nouvelle” qui compte à la Douma plusieurs Arméniens mettra vite un terme à tous les abus de la bureaucratie inférieure et des petits fonctionnaires qui profiteraient de l’éloignement de la capitale pour abuser de la bonhomie et de la patience arméniennes. Aujourd’hui c’en est fait de ces abus et les Arméniens jouissent en Russie de tous leurs droits civils.

Et puis il est certain que les Arméniens de Perse peuvent profiter du chaos qui s’y est installé et demander leur annexion à la Russie. Tel fut aussi l’ancien plan de Milan de Serbie s’annexer à l’Autriche pour réunir tous les Serbes en une seule province, et plus tard se séparer des Habsbourg et redevenir le roi indépendant de tous les Serbes !

Les Arméniens des trois Empires réunis, représenteraient déjà près de trois millions d’hommes, formant un petit pays avec lequel on aurait à compter !

Qui sait si après quelques générations, en se multipliant, se fortifiant et s’enrichissant, les Arméniens ne pourraient devenir indépendants, en profitant d’un choc des Blancs et des Jaunes ?

Groupés dans un seul pays, protégés par les vingt millions de baïonnettes slaves (car telle doit devenir l’armée slave pour se défendre contre les Jaunes), les Arméniens accapareront tout le commerce et l’industrie qui va naître en Anatolie autour des mers Caspienne, Noire et du Golfe Persique.

Au nord, les Slaves préoccupés par les grands problèmes mondiaux et par leur défense contre les Jaunes, contre les Musulmans et les Teutons, au midi les Turcs paresseux, indolents et ignorants donnent toutes opportunités aux Arméniens réunis de se créer dans le même empire un joli avenir.

Laborieux, sobres, intelligents, doux, ils n’ont besoin pour le moment que de sécurité, d’une liberté constitutionnelle et d’un vaste terrain pour leur fébrile activité commerciale, industrielle et financière. La Russie, transformée en Empire Slave offrira aux Arméniens toutes les chances d’arriver à ce port heureux et tranquille et un marché de Prague à Vladivostok. » (pp. 109-110)

 

ð  Mis à part la perspective (sincère ou non) d’un État arménien à terme, ces passages (et le livre en général) collent exactement avec la politique russe de 1912-1914 : turcophobie tous azimuts, soutien au nationalisme arménien (qui passe très volontiers au service du tsar), expansionnisme mal dissimulé. D’une façon remarquable, malgré l’alliance franco-russe, Tchérep-Spiridovich, qui avait fait parler de lui dans la presse française en 1904, 1905, 1908 et 1910, ne rencontre à peu près aucun succès auprès de la critique pour son livre de 1913.

 

 Général Arthur Tchérep-Spiridovitch, Vers la débâcle, Paris, Chapelot, 1914, p. 12 :

« C’est la France qui stimule le plus grand danger menaçant le Franco-Slavisme : le Panasiatisme ! C’est elle qui le nourrit, qui lui apporte le nerf de la guerre, les 625 millions nécessaires pour attaquer la Triple-Entente !

L’emprunt des Chinois contre celle-ci [la Chine a été l’alliée de la France et du Royaume-Uni contre l’Allemagne, durant la Première Guerre mondiale], le dédain témoigné par la France à l’Alliance balkanique (son meilleur atout pour se défendre contre l’“Alliance fatale”) et l’absurde Austro-germano-sino-turcophilisme, qui se dévoile chaque jour, conduiront ce splendide pays à une fin fatale, prévue du reste par MM. Rouvier, Sembat et autres Français notoires. »

 

Général Arthur Tchérep-Spiridovitch, L’Union des Blancs et le triomphe de la France, Paris, Chapelot, 1914, p. 83 :

« L’Abattoir humain en Arménie fait toujours des victimes ! »


ð  La sécurité en Anatolie orientale (« l’Arménie ») s’est notablement accrue de 1908 à 1911. Elle s’est indéniablement détériorée de 1912 à 1913, mais seulement dans les provinces des Bitlis et de Van, avant de s’améliorer à nouveau, de façon spectaculaire, en 1913-1914.

 

« À l’Oxford Carlton Club (lettre de Londres) », La Tribune juive, n° 48, 26 novembre 1920, p. 6 :

« Une conférence a été tenue récemment à l’Oxford Carlton Club (club tory) sur le thème suivant : le Bolchevisme, Une foule considérable assista à ce meeting. Prirent la parole Mme Pollock (c’est-à-dire Mme lavorskaïa) qui continue à s’intituler, on ne sait pourquoi, “Princesse Bariantinsky”, M. Pollock et “le général-comte” Tcherep-Spiridovitch.

Le meeting fut un continuel scandale. Au lieu de parler du bolchevisme russe, les orateurs prononcèrent simplement des discours de pogrom. […]

Lorsque Tchercp-Spiridovilch commença à parler, la moitié du public quitta la salle. Le reste ne fit que rire. Ensuite, son discours pogromiste, prononcé en anglais lamentable, indigna les auditeurs. À la sortie de l’assemblée on distribuait des feuillets de propagande. L’un s’appelait The Jew-alition et invitait les Anglais à se dresser contre l’invasion juive dans leur pays. Sa conclusion était la suivante: “Qui doit être envoyé en Palestine et n’être jamais autorisé à rentrer ? Le Juif”. Un autre feuillet faisait des révélations sur les pseudonymes juifs et démontrait que de Valera [nationaliste irlandais, plusieurs fois Premier ministre à partir de 1932, et catholique pratiquant] ainsi que Kemal-Pacha [le futur Atatürk, de famille turque sunnite ; la prétendue judéité de Kemal fut inventée par Damat Ferit Pacha, de l’Entente libérale] étaient juifs !! Tout cela produisit un effet comique et les discours n’eurent aucun effet.

Il faut ajouter que le Carlton Club n’est en rien une organisation antisémite, qu’à sa tête se trouvent des hommes très honorables, que beaucoup de membres sont Juifs, et que dans la salle principale est placé un grand portrait de Beaconsfield [Benjamin Disraeli, comte de Beaconsflied, Premier ministre britannique de 1874 à 1880, Juif converti à l’anglicanisme]. Évidemment, les orateurs avaient été invités par ignorance. L’Aider Society, c’est-à-dire la société juive à l’Université, veut envoyer au Carlton-Club une protestation et demander des excuses. »

 

Général Arthur Tchérep-Spiridovitch, The Secret World Government or “the Hidden Hand”, New York, The Anti-Bolshevist Publishing Association, 1926 :

« C’est pourquoi tout ce qui concerne les affaires du monde et l’avenir de l’Amérique comme de la race aryenne m’apparaît clairement, alors que tous les hommes d’État, écrivains, prédicateurs et politiciens sont perplexes. […]

Parce que le CHRIST a dit clairement qu’il existe une “soif de Satan pour le meurtre et que les Juifs - ses fils – en commettront”. Et l’Histoire, comme nous le verrons, confirme quotidiennement cet avertissement de NOTRE SAUVEUR qui signifie : “Gentils, éloignez-vous des Juifs !” Le Talmud est aujourd’hui prêché dans toutes les synagogues ! Il enseigne : “Tu (Juif) frapperas les autres nations, que le Seigneur livre entre tes mains (juives)”… “tu tueras les meilleurs” (les gentils). [ces citations n’ont jamais existé que dans l’imagination d’auteurs antisémites.] […]

Édouard Rothschild V à Paris et les 300 judéo-mongols, qui composent le gouvernement mondial (la main cachée) ont gagné 100 milliards avec cette Première Guerre mondiale. Bien sûr, sans compter leur “soif de meurtre”, ils sont prêts à organiser une Seconde Guerre mondiale. Ils la préparent contre la riche Amérique. Contrôlant la presse mondiale, ils peuvent facilement organiser n’importe quelle guerre. […]

Nous assistons à un tremblement de terre politique en Russie, en fait sur un sixième de la surface de notre globe. Par les nouvelles de ce pays, nous recevons des informations quotidiennes selon lesquelles “de nombreuses personnes condamnées pour activité contre-révolutionnaire ont été fusillées aujourd’hui. » La raison pour laquelle tant de personnes sont tuées n’est pas à cause de leur activité contre-révolutionnaire, mais ce n’est rien de plus ni de moins que le meurtre délibéré des classes aryennes intelligentes afin de les remplacer par les Asiatiques. » (pp. 1-3)

« Même les Américains les mieux informés ignorent le fait qu’ils sont aujourd’hui confrontés simultanément à trois ennemis mongols :

(1) Le gouvernement mondial judéo-mongol – “la main cachée”, qui contrôle en 1925 : (a) trois cents milliards de dollars de capital disponible ; (b) la presse mondiale et (c) de nombreux gouvernements.

(2) Le Japon mongol, dont l’assaut est inévitable, comme l’ont prédit M. H. G. Wells et d’autres. Le Japon conspire aujourd’hui avec les Soviets judéo-mongols de Moscou [le Japon a été l’une des puissances les plus résolues à faire tomber le régime soviétique, durant la guerre civile de 1917-1922 ; il n’a retiré ses troupes de l’Extrême-Orient russe/soviétique qu’en octobre 1922, à la demande insistante des gouvernements anglo-saxons], et tous deux utilisent tous les moyens pour prendre le contrôle total de la Chine et la forcer à se joindre à eux pour écraser la race aryenne.

(3) Le bolchevisme judéo-mongol, qui, selon le défunt Samuel Gompers, est financé à coups de millions par les soi-disant banquiers internationaux (“germano-anglo-américains”), qui sont tous des judéo-mongols [Gompers, juif et sioniste, n’a évidemment rien dit de tel, et d’ailleurs, aucune source n’est donnée]. Le bolchevisme enflamme au moins cinq millions de judéo-mongols et trois ou quatre millions de “judéo-mongols secrets” en Amérique ; ainsi que les têtes de douze millions de nègres ici, et sept millions de plus de toutes sortes de “rouges“, “roses”, “radicaux”, “utopistes”, “pacifistes” et autres personnes mécontentes aux États-Unis, qui sont prêts à “améliorer”+ la situation, comme ce fut fait en Russie… (p. 7)

« Un Juif, Mustapha-Kemal, dictateur de Turquie, a chassé le patriarche œcuménique de Constantinople, où les patriarches de l’Église catholique orientale ont vécu pendant mille ans [encore une fois, Kemal Atatürk était un Turc de famille sunnite ; le patriarche œcuménique n’a pas été « chassé », mais remplacé, tardivement d’ailleurs (décembre 1923) ; l’Assemblée nationale turque était pluraliste en 1926, un constat fort difficile à concilier avec l’accusation de « dictature » ; l’expression « Église catholique orientale » est grotesque, vu l’anticatholicisme véhément de l’Église grecque-orthodoxe].

Un Juif, Masaryk, président à vie (bien que cela soit contraire à la Loi) [Masaryk n’était ni juif ni président à vie…], se prépare à chasser de Prague l’envoyé du Pape [affirmation dépourvue de fondement]. Un Juif, H. Gluck, a expulsé le métropolite russe d’Amérique.

Les Juifs de France, dirigés par E. Rothschild V, exhortent leur franc-maçonnerie “française” à provoquer la rupture de toutes les relations diplomatiques avec le Saint-Père, contre la volonté de la quasi-totalité de la nation française [la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican figurait au programme du Cartel des gauches, que le baron Édouard de Rothschild, situé plutôt à droite, ne soutenait pas, au contraire]. La Main cachée n’est pas touchée par les discours de colombe du général Dawes et de tous les “pacifistes”. Elle souhaite “accomplir le désir du meurtre”. » (p. 26)

« Mais qu’est-ce que le bolchevisme ? C’est le masque juif du communisme !

“Le bolchevisme est un judaïsme militant, l’extermination des races blanches et la substitution des parasites asiatiques aux Aryens. C’est l’œuvre d’assassins juifs dans le but de provoquer une nouvelle domination du monde par une secte criminelle.” (Sir Patrick Hamilton). [Tchérep-Spiridovitch reprend ici le mythe du « judéo-bolchevisme », fondamental dans l’idéologie nazie comme dans celle de l’extrême droite russe (voir ci-dessous) et encore plus faux en 1926 qu’en 1917-1922. En effet, Lev Kamenev, haut dirigeant bolchevique de famille juive, a été politiquement vaincu par Staline, ancien séminariste, en 1925 ; il est finalement condamné à mort et exécuté en 1936] » (p. 27)

« Tous les efforts des Juifs et de leurs valets pour prouver que les “Protocoles” seraient un faux [les fameux Protocoles des Sages de Sion, qui sont effectivement un faux grossier, comme l’a démontré Philip Graves, correspondant du Times à Istanbul, en 1921 ; le nom même de Graves et ses articles ne sont évidemment pas cités une seule fois par Tchérep-Spiridovitch] échouent : nous les voyons tous les jours se réaliser ! » (p. 28)

« Les meilleurs auteurs et patriotes d’Europe disent la même chose des Rothschild, qui d’un seul mot peuvent provoquer la chute d’un Lloyd George [David Lloyd George est tombé en 1922, en partie à cause d’un coup monté, mais aucun de ceux décidés à le faire tomber n’était juif et la famille Rothschild n’a rien eu à voir là-dedans], sans parler des sinistres dictateurs juifs : de Russie (Trotzky) ; de France (Millerand-Kahn) ; d’Italie (Shanzer) ; d’Allemagne (Rathenau) ; de Tchécoslovaquie (Masaryk) ; de Turquie (Mustapha) ; d’Asie centrale (Enver Pacha) de Grèce (E. Venizelos) et d’autres. [Trotski ne se considérait pas comme juif et a envoyé au diable les représentants israélites qui lui demandaient d’agir contre les pogromes, durant la guerre civile ; ni Alexandre Millerand, ni Carlo Schanzer, ni Kemal Atatürk, ni Thomas Masaryk, ni Enver Pacha, ni E. Venizelos n’étaient juifs.] » (p. 46)

 




Pierre-André Taguieff, « Hitler, les Protocoles des Sages de Sion et Mein Kampf », Revue d’Histoire de la Shoah, n° 208, 2018/1, pp. 251-252 et 257 :

« En tant que spécialiste réputé de la “question juive”, Brasol faisait partie, avec son ami le comte Arthur I. Cherep-Spiridovitch (1858-1926) – idéologue conspirationniste professant un antisémitisme apocalyptique [54]–, du groupe de collaborateurs que s’était donné Henry Ford [55], conseillé par son secrétaire Ernest Gustav Liebold (1884-1956), lorsqu’il avait décidé de lancer une campagne à la fois anticommuniste et antijuive aux États-Unis [ce qui signifie que Tchérep-Spiridovitch et son ami Brasol ont coécrit, avec Henry Ford, Le Juif international, série d’articles réimprimée en volumes, signée par le seul Ford et lue avec passion par les nazis : voir ci-après]. Or Brasol entretenait des relations avec les milieux de l’émigration russe en Allemagne qui, au sein de l’organisation antisémite Aufbau (Reconstruction), préparaient la contre-révolution russe en collaboration avec les nationaux-socialistes – notamment Max von Scheubner-Richter, Max Amann, Arno Schickedanz [56]. Alfred Rosenberg [inspirateur et plus tard ministre d’Hitler] était membre d’Aufbau, et Dietrich Eckart [mentor d’Hitler] en était proche. Parmi les Russes blancs qui introduisirent en Allemagne le thème du “judéo-bolchevisme”, les plus actifs ont été le colonel Vinberg et les lieutenants Chabelski-Bork et Sergueï Taboritsky. Brasol était le représentant aux États-Unis du grand-duc Cyrille, l’un des prétendants au trône en exil, dont le général Vladimir Biskupsky, de Munich, orchestrait la propagande anticommuniste, jusqu’au putsch dit “de la brasserie” (9 novembre 1923). C’est vraisemblablement grâce à Brasol que l’émissaire du NSDAP, Kurt G. W. Lüdecke, qui lui avait rendu visite en 1921, est entré en relations avec le grand-duc Cyrille. Comme Henry Ford – auquel Lüdecke rendit visite à Détroit en 1922 –, le grand-duc Cyrille et son épouse Victoria ont largement financé le mouvement nazi à ses débuts.

Après la publication aux États-Unis, à la fin de l’été 1920, d’une première traduction des Protocoles des Sages de Sion, présentés comme la bonne grille de lecture de la révolution bolchevique, l’amalgame polémique “judéo-bolchevisme” commence à fonctionner comme un topos du discours antijuif, pour devenir rapidement le plus puissant vecteur de la haine des Juifs. La publication, entre novembre 1920 et mai 1922, des quatre tomes du recueil d’articles publiés sous l’égide de Ford, The International Jew, dans lequel sont diffusés et mis au goût du jour les thèmes conspirationnistes des Protocoles, a fortement contribué à nourrir la propagande antijuive aux États-Unis ainsi qu’à favoriser son internationalisation [57]. À la peur de la “corruption” du peuple américain par les Juifs de la finance et de la culture populaire s’ajoute chez Ford celle de la subversion des États-Unis par un ennemi intérieur, le révolutionnaire communiste, le “nomade” juif. Le “Juif international” devient la base de réduction de l’internationale financière et de l’internationale révolutionnaire, destructrice de l’ordre social [58]. […]

Entre l’été 1920 et le printemps 1923, Hitler, à la tête du NSDAP, s’impose comme le principal leader de la lutte contre le « péril juif » à deux faces, la capitaliste-ploutocratique et la révolutionnaire-bolchevique [75]. Il rejoint ainsi le combat antijuif mené par Ford depuis le printemps 1920, et s’en montre fort conscient. Hitler déclarera en 1931 à un reporter américain de Détroit : “Je considère Ford comme ma source d’inspiration [76].” Dans ses discours de 1922-1923 comme dans Mein Kampf, on trouve en effet des traces de l’influence de Ford [77] – la traduction allemande du Juif international avait été publiée par Theodor Fritsch en 1921 (t. I) et 1922 (t. II). Hitler lut non seulement Le Juif international mais aussi l’autobiographie de Ford, My Life and Work (1922). […]

Entre 1921 et 1924, la plupart des dirigeants nazis lurent la traduction allemande du Juif international, Hitler et Alfred Rosenberg en tête. »


John Roy Carlson, Under Cover, New York, E. P. Dutton, 1943, p. 133 :

« Et les publications recommandées par le Service mondial [service international de propagande créé par le régime nazi]

Water Flowing Eastward, par Ms. Leslie Fry [pseudonyme de Louise Chandor de Chichmarev, Américaine mariée à un aristocrate russe et rémunérée par le Troisième Reich] ;

The Secret World Government, par le général de division Tchérep-Spiridovitch. »


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