vendredi 30 juillet 2021

Avignon : un admirateur du terrorisme arménien menace de tabasser un Franco-Turc pacifique

 Un fanatique arménien qui semble habiter Avignon a menacé hier (29 juillet 2021) un Franco-Turc inoffensif. Le tweet a été supprimé aujourd’hui, en début de matinée, par Twitter. En voici le texte (délibérément, l’adresse et le numéro de téléphone ne sont pas reproduits) :


L’auteur de cette menace physique a choisi, comme photographie de profil, un portrait du terroriste d’extrême droite Soghomon Tehlirian, membre de la Fédération révolutionnaire arménienne.

Sans surprise, et même fort logiquement, ce fanatique semble aimer l’humour raciste envers les Noirs :



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jeudi 29 juillet 2021

L’engagement de Patrick Devedjian dans un sous-produit du Service d’action civique (droite extrême, à tendance mafieuse)

 


 

François Audigier, Histoire du S.A.C. La part d’ombre du gaullisme, Paris, Stock, 2003, pp. 492-495 :

« Le 9 décembre 1981, une page entière de publicité [payée avec quel argent ?] dans Le Figaro, Le Monde et Le Quotidien de Paris annonça le lancement d’un mouvement intitulé Solidarité et défense des libertés (SDL). Piloté par Charles Pasqua (SDL siégeait au 63, boulevard des Batignolles, adresse à laquelle on trouvait déjà le Centre d’études sociales, économiques et politiques, une officine présidée par le sénateur RPR) et son ami Paul d’Ornano, ce “rassemblement ferme et résolu” s’adressait à ceux qui refusaient le socialisme et voulaient agir. […] Si certaines figures de l’opposition étaient là pour la vitrine […], on y remarquait aussi la présence de personnalités plus marquées à droite, comme le Dr François Bachelot (secrétaire général de la Chambre des professions libérales et futur député FN en 1986), Jean Roussel (futur député FN en 1986) ou Pierre Lagaillarde, ancien chef des étudiants à Alger. Le responsable du bulletin de SDL, La Vraie Vérité, était un ancien de l’OAS et du SAC [Service d’action civique, service d’ordre truffé de voyous, parfois aussi de véritables truands, dissous en 1982 après le massacre d’une famille par plusieurs membres du SAC], Jean Taousson. Cet ancien des barricades d’Alger avait été arrêté à Nice en 1963 en possession d’armes. Amnistié, il avait rejoint comme d’autres le SAC [en 1968] pour lutter contre la chienlit. Il y avait rencontré Charles Pasqua, qu’il suivait désormais entre deux séjours africains aux finalités mystérieuses. […] Sur le terrain, l’encadrement de SDL était clairement assuré par des membres de l’extrême droite, à l’image de Gérard Écorcheville. Cet ancien d’Ordre nouveau [organisation ouvertement néofasciste, interdite en 1973] et du Parti des forces nouvelles [PFN, issu d’une scission du Front national, en 1974] se vit attribuer par Charles Pasqua le secrétariat administratif de la nouvelle organisation. […] Deux autres rescapés de l’extrême droite, Alain Robert (cet ancien secrétaire général d’Ordre nouveau avait fondé le PFN, il noyautait alors le CNIP de Philippe Malaud) et Patrick Devedjian rejoignirent l’organisation.

Les liens entre SDL et le SAC apparaissaient clairement à Marseille. Quand Charles Pasqua vint inaugurer les nouveaux locaux de la fédération des Bouches-du-Rhône, il put rencontrer des anciens. Le président et le secrétaire général de l’antenne marseillaise de SDL n’étaient autres que Paul Gaillet et Joseph Nicolaï (ancien commandant principal de la police marseillaise), tous deux membres du SAC. Parmi les simples adhérents, les anciens du SAC étaient aussi nombreux. […]

Sur le terrain, SDL ressemblait fortement au SAC. Même discours extrémiste anticommuniste et sécuritaire, mêmes méthodes musclées, même organisation paramilitaire (caractéristique qu’on retrouvait dans une autre structure accueillante pour les anciens du SAC, Unir et Servir). Même tendance aussi au renseignement clandestin. […]

Les médias allaient encore parler du SAC et de Charles Pasqua à l’occasion de l’assassinat, le 15 janvier 1982, de Marcel Francisci. On retrouva dans sa poche une cassette de conversations téléphoniques qu’il avait eues avec l’avocat Paul Lombard, ami de Gaston Defferre. Marcel Francisci, un ancien du SO [service d’ordre] du RPF [Rassemblement du peuple français, parti politique créé par Charles de Gaulle en 1947, mis en sommeil en 1955] qui avait participé aux combats de la France libre, avait eu ensuite des démêlés avec la justice et la police. Alors que le pouvoir de droite avait toujours toléré son empire, Gaston Defferre avait fait fermer le cercle de jeux Haussmann. Pour expliquer le meurtre, on rappela son engagement dans les activités barbouzardes anti-OAS, on évoqua la French connection. Dans leur biographie de Charles Pasqua, Philippe Boggio et Alain Rollat mentionnèrent un fait que les enquêteurs de l’époque ignoraient. Huit jours avant son assassinat, Marcel Francisci avait déjeuné avec un ancien résistant surnommé Ronibus, auquel il aurait confié son intention de révéler à l’Élysée certains chantages financiers du SAC, en échange de la réouverture de son cercle de jeux. L’avait-on assassiné pour l’empêcher de parler ? »


« Une manifestation à Paris — L’extrême droite et le R.P.R. bras dessus, bras dessous », Le Monde, 5 mai 1982 :

« Précédées de jeunes filles portant des drapeaux bleu, blanc, rouge, d’une rangée de jeunes gens en jeans et blouson de cuir, munis d’un brassard tricolore, où l’on pouvait lire “service d’ordre P.F.N.” (Parti des forces nouvelles, mouvement d’extrême droite), environ deux mille personnes ont manifesté, lundi 3 mai, entre 18 h 30 et 20 h 30, à Paris, de la place de l’Aima à la rue Marbeuf, en passant par les Champs-Élysées, pour protester contre “le terrorisme et l’insécurité en France”.

Elles répondaient à l’appel du mouvement Solidarité et défense des libertés, fondé par M. Charles Pasqua, président du groupe sénatorial R.P.R., pour qui “le gouvernement est responsable de l’aggravation du terrorisme” et pour qui “la suppression de la Cour de sûreté de l’État, et celle de la peine de mort, ont été perçues comme une faiblesse par les terroristes, qui en profitent”. Le mouvement Légitime défense, la Fédération professionnelle indépendante de la police (F.P.I.P.) et plusieurs sections de banlieue du R.P.R. s’étaient associées à la manifestation.

Bras dessus, bras dessous, une dizaine d’élus, dont MM. Paul d’Ornano, sénateur, représentant les Français à l’étranger, Jacques Toubon, député R.P.R. de Paris, Jacques Dominati, député U.D.F. de Paris, et Pierre-Christian Taittinger, sénateur R.I., ainsi que Mme Alice Saunier-Seïté, ancien ministre, ont défilé, reprenant en chœur la Marseillaise, ou des slogans parfois contre le terrorisme, souvent contre le gouvernement : au “Français, dans la rue contre le terrorisme !”, succédaient : “Carlos, Defferre, même combat !”, “Communistes, terroristes, assassins !” et “Defferre, salaud, le peuple aura ta peau!”, pour finir par “Defferre à l’hospice !” en passant par “Le vieux porc à Marseille !”

[N.D.L.R. - La grossièreté semble décidément devenir la marque des ultras de l’opposition. “Voyou”, pour M. Séveno, “moisissure”, pour M. Badinter, “vieux porc”, pour M. Defferre ! Où s’arrêtera la violence verbale et vulgaire de distingués représentants de la droite ?] »

 

Jacques Foccart, Journal de l’Élysée, tome IV, La France pompidolienne. 1971-1972, Paris, Fayard/Jeune Afrique, 2000, p. 523 (les citations en italiques sont de Georges Pompidou, alors président de la République) :

«  Toutefois, il y a quelque chose qui m’ennuie beaucoup, c’est la désignation de Charles Pasqua. “Je n’ai pas compris comment cela a pu se faire ; c’est complètement ridicule. — Je savais qu’il en était question, mais je n’avais pas pu joindre Germain. — Vous auriez dû m’en parler. J’aurais convoqué Messmer et lui aurais dit : ‘Pas d’histoires, je ne veux pas de ce Pasqua ; c’est complètement ridicule.’ Vous voyez ce type, s’il prend à la parole, mettons pour la mort du Général à Colombey, il va faire rigoler la terre entière. — Il n’y a pas que cela, il y a aussi le fait que c’est quelqu’un que je considère personnellement comme douteux. Il appartenait [jusqu’à son éviction en 1967] aux éléments du SAC qui se sont retirés, et vous vous rappelez mon jugement à ce moment-là. Ces gens, à cette époque, avaient dans leur équipe tous les mauvais garçons [euphémisme pour « voyous »] des Bouches-du-Rhône et du Var. C’est à lui aussi qu’est arrivée cette histoire très désagréable : un de ses gardes du corps, qui était un Noir de Marseille, a tué un de ses adversaires socialistes. — Oui, oui, je sais. Enfin, c’est tout à fait déplorable, je ne comprends pas.” »

 

Jean Mauriac, L’Après-de Gaulle. Notes confidentielles, 1969-1989, Paris, Fayard, 2006, pp. 165-166 :

« 7 février 1975

Maurice Couve de Murville [ministre des Affaires étrangères de 1958 à 1968, puis Premier ministre de 1968 à 1969] […] : “Le plus triste à l’UDR [parti gaulliste], c’est le manque de moralité et d’honnêteté de certains. De certains Corses, par exemple. Chirac a barre sur les [René] Tomasini, les Pasqua, les [Alexandre] Sanguinetti. Il les tient parce qu’il sait trop de choses sur eux.” »

 

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lundi 26 juillet 2021

Ce que Lord Curzon pensait de la Fédération révolutionnaire arménienne

 



W. N. Medlicott et Douglas Dakin (éd.), Documents on British Foreign Policy. 1919-1939, First Series, volume XXV, Londres, Her Majesty’s Stationery Office, 1984, pp. 196-199 :

« Notes de M. Obsborne après une conversation avec M. Tchenkeli et M. Khatissian

Foreign Office, 17 juillet 1923

J’ai eu récemment la visite de M. Tchenkeli, représentant géorgien à Paris, et de M. Khatissian, le chef de la délégation arménienne, à Paris. […]

M. Khatissian qui, je pense, était au courant de la teneur du récent mémorandum remis par le secrétaire d’État [c’est-à-dire le ministre des Affaires étrangères au Royaume-Uni, Lord Curzon à l’époque] m’a assuré, non sans peine, que l’idée d’une coopération avec la Turquie n’était pas envisagée sérieusement, et que tous ses efforts, dans l’immédiats, étaient consacrés à fournir de la nourriture et des vêtements à ses compatriotes exilés. Au même moment, il fit valoir qu’ils ne pouvaient pas s’installer de façon permanente en Syrie, en Irak, en Grèce, en Bulgarie, etc., et que la question de leur trouver un foyer national [un territoire vaguement autonome, exactement le projet qui a échoué à Lausanne, en décembre 1922 et janvier 1923, après avoir été vidé de sa substance à la conférence de Paris, en mars 1922] gardait un caractère d’urgence et d’importance suffisant pour rendre essentiel d’examiner toutes les solutions possibles.

Il m’informa, avec une complaisance excusable, qu’il avait passé le week-end dans la famille du Premier ministre et que la dévotion du fils de ce dernier pour leur cause était très encourageante pour eux. Je lui que si cela pouvait être personnellement gratifiant, il ne devait supposer à aucun moment que cela pourrait avoir la moindre importance politique.

M. Khatissian et M. Tchenkeli m’ont demandé si la reconnaissance de jure de la Russie [par le Royaume-Uni ; il s’agit évidemment de la Russie soviétique] était vraisemblable, dans un futur proche, et si, le cas échéant, la possibilité de conditionner cette reconnaissance à l’évacuation, par les Russes, de leurs républiques [Arménie et Géorgie] pouvait être envisagée. Je leur ai dit que les affaires russes ne relevaient pas de ma compétence et que je ne pouvais exprimer aucune opinion.

D. G. Osborne

Lord Curzon a commenté par écrit, le 18 juillet : “Ces gens sont incurables. M. Obsborne leur a tenu des paroles sensées. Mais la maladie est mortelle.” »

 

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dimanche 25 juillet 2021

Le soutien de certains Arméno-Américains au traité signé à Lausanne entre les États-Unis et la Turquie (1923)


 

 

Gregory Aftandilian, Armenia, Vision of a Republic. The Independence Lobby in America, 1918-1927, Boston, Charles River Books, 1981, p. 56 :

« Bien que la FRA [Fédération révolutionnaire arménienne] soutînt encore les efforts de [Vahan] Cardashian, la communauté arménienne d’Amérique semble être alors devenue largement indifférente. Ses membres avaient travaillé activement pour la cause de l’indépendance arménienne, mais avec la chute de la République en 1920, puis le retrait des troupes françaises de Cilicie en 1921, beaucoup d’Arméniens sentaient qu’ils ne pouvaient rien faire de plus pour la cause, mis à part perpétuer la culture arménienne en diaspora. D’autres soutenaient le traité de Lausanne, considérant qu’il aiderait les Arméniens qui restaient en Turquie. »

 

Rappelons qu’il y a eu deux traités signés à Lausanne pendant l’été 1923 : un traité de paix avec la France, le Royaume-Uni, l’Italie, la Grèce, etc., le 24 juillet (de loin le plus connu) ; et un traité rétablissant les relations diplomatiques et réglant les litiges, avec les États-Unis seuls (puisque Washington n’avait pas déclaré la guerre à l’Empire ottoman), le 6 août.

 

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samedi 24 juillet 2021

Le rapprochement du dirigeant nationaliste arménien Léon Guerdan avec Charles Maurras et son contexte (1936)



 Léon Guerdan, Je les ai tous connus, New York, Brentano’s, 1942, pp. 86-88 :

« Ceux de ma génération, ayant appris à penser au début de ce siècle, ont eu l’esprit marqué par quelques grands écrivains, et Maurras figure parmi ceux-ci, grâce à des ouvrages tels que Trois idées politiques, L’Avenir de l’intelligence, et, dans un autre domaine, Anthinéa, un des plus sensibles poèmes consacrés par une plume française à l’Hellade immortelle. […]

Ayant achevé, à quelque temps de là [on est alors à l’hiver 1935-1936], une étude sur Tigrane Yergate — un jeune écrivain et patriote arménien, mort à trente ans, qui servit de modèle à l’Astiné Aravian des Déracinés, et dont Maurice Barrès, son ami, évoqué le troublant souvenir dans Le Voyage de Sparte — des amis mon conseillèrent de demander une préface au plus illustre survivant des amis de l’auteur du Jardin de Bérénice. Je présentai donc mon manuscrit à Charles Maurras, qui le lut le jour même et, qui l’ayant trouvé digne d’intérêt, me fit la joie d’accéder à mon désir. Plusieurs soirs de suite, il me convoqua à l’Action française, à l’heure du dîner, quand l’hôtel de la rue du Bocador était à peu près vide et que lui seul et deux ou trois de ses collaborateurs peinaient encore sur quelques articles. Il me recevait aussitôt et me lisait les pages qu’il venait d’écrire, tout en les raturant et me posant des questions sur Tigrane et sur Barrès. Il recommença trois fois la préface. »

 

« Une préface de Charles Maurras », L’Action française, 28 mai 1936, p. 3 :

« Où donc M. Guerdan a-t-il déniché ce dossier tout intime, plus qu’intime peut-être, sur la plus aventureuse et la plus chimérique des figures humaines ? Dossier de famille et d’affaires ; dossier de strictes confessions personnelles, dossier d’affection, d’amitié et d’amour et qui suggère sur Tigrane, sur « Mon ami Tigrane », des réflexions que nul n’attendait. Oui, l’attente était nulle ; mais le vœu, le désir existaient chez tous ceux qui ont lu le Voyage de Sparte et se sont arrêtés, un peu curieux, un peu perplexes, au chapitre de l’Arménien cosmopolite, de l’Arménien conspirateur et révolutionnaire...

Tous les barrésiens, ceux de mon âge autant que les nouveaux, furent disposés à demander à Barrès s’il n’y avait pas une suite… Cette suite impossible, la voici venue : que M. Guerdan soit béni ! Le seul tort de l’heureux éditeur de ce Mémorial sur le “jeune éphémère” est de s’être adressé à moi pour les lignes d’introduction. Que dirai-je qui ne soit dans Barrès ou que M. Guerdan, conduit par ce maître, n’ait parfaitement vu et dit !

[…]

Et, non plus que Leconte de l’Isle et ses Parnassiens, ni Loti, ni Heredia, ni Flaubert, ni même Renan, n’auraient pu être de bons guides. Ou, si l’on met Barrès aux prises avec Fromentin, Lamartine et Chateaubriand, ni les deux grands visionnaires, ni l’exquis notateur attentif, amoureux, ne sont de force à faire oublier, ni même pâlir, leur jeune écolier : on s’y trouve, avec lui, au vif et au fort de ses rêves. Dès le premier de ses opuscules, ses images du Sérapéum d’Alexandrie pourraient être données pour des témoignages de poètes échappés à la fameuse bagarre, comme les messagers de la tragédie : il a vu les ermites dissiper les trésors d’Athéna, à peu près comme, un quart de siècle plus tard, son Levant devait nous apporter sa vision, sa vision oculaire, de l’Allemagne installée en maîtresse dans l’Orient latin, pour en déposséder simultanément deux groupes de races : les indigènes et les Francs.

Il y eut chez Barrès, du Croisé et du pèlerin, mais son vagabondage oriental ne s’arrêtait ni au Saint-Sépulcre ni au Liban, il lui fallait suivre Marco Polo, Tavernier, le Père Huc, et les distancer encore par l’imagination, la fantaisie, le songe. La jeune Astiné Aravian (du Roman de l’énergie nationale) vient de plus loin que le Japon et l’Océanie de Loti. […]

Tigrane, ii est bien vrai, développait un type humain du caractère et de l’accent dont Barrès eut la nostalgie évidente. M. Guerdan a parfaitement marqué ce point central. Avant d’y venir je dois dire que je n’ai pu, quant à moi, me défendre, du charme inhérent à toute une poussière de souvenirs où les hommes de ma génération verront, comme moi, danser bien des atomes familiers. La courte existence de ce jeune déraciné avait pris contact avec un grand nombre de choses et de gens dont le défilé n’a pas quitté notre horizon. Voici le nom de Jacques-Émile Blanche, à propos du fameux, de l’étonnant portrait du jeune Barrès, qui fit tant courir, jaser, disputer : vers 1888 ou 1889, je suppose. Et le nom de lady Helen Vincent fait songer au portrait de la future lady d’Abernon, trônant sur une cathèdre auréolée d’un vitrail archaïque, au Salon d’une année, si vieille, si vieille, qu’il y a pudeur à vouloir se la rappeler. Et voilà la Nouvelle Revue de Madame Juliette Adam, la Revue Internationale de Madame de Rute, le cours de philosophie positive de M. Pierre Laffite et, à peine un peu plus tard (en 1897) la guerre turco-grecque, et les massacres d’Arménie, les oraisons tonnantes de Jaurès, de M. de Pressensé, de Denys Cochin, contre les prudences de M. Hanotaux. Voici les discussions dont vibraient tous les temples de nos jeunesses, rédactions, salons, cafés, salles de cours. Plusieurs émigrés nous faisaient leurs confidences. Je peux transcrire sans étonnement, comme si je les retrouvais dans un coin de ma mémoire, apprises par cœur autrefois, ces phrases d’espoir et de désespoir, lancées par Tigrane quand il fut devenu l’apôtre de sa race et de sa nation : “C’est au milieu des flots de sang, des coups de feu, c’est après vingt défaites écrasantes suivies d’une, deux, trois victoires soudaines que se sont formées, depuis cent ans, la République des États-Unis, les quinze Républiques de l’Amérique du Sud, la Grèce, la Roumanie, la Serbie, l’Italie, la Bulgarie...” Tel était le ton de ces jeunes nationalistes du Centre et du Sud européens. A les entendre, à les suivre, à les précéder, Tigrane s’était fait leur frère paroxyste. Au nom de l’esprit des Croisades, il proposa tranquillement à Barrès la destinée de lord Byron : apparaître à quelqu’une des portes de l’Arménie, essuyer le coup de feu du Turc, électriser les autochtones et mourir en héros. Barrès s’excusait et remerciait. Mais Tigrane, mal consolé, regrettait que notre défaite de 1870 nous eût fait quitter l’idéaliste Don Quichotte pour le réaliste Sancho.

[…]

L’Arménie ? Sans doute. Mais Tigrane ne tient à elle que par le sang et par quelques provinces, faibles, étroites, de sa pensée. Du pays, de la race il ignore à peu près tout. Ce sont les livres qui l’ont instruit. Encore n’a-t-il pu les consulter tous. Il sait mal, ou peu, ou point, la vieille langue ; il n’a pas été bercé, comme d’autres, des contes de nourrice et des chansons d’aïeules : tant d’éléments naturels vont lui faire défaut que, de son propre aveu, il n’a pas trouvé, tout fait ni tout formé en lui, ce qui aurait été le point fixe de l’âme. Il approchait de la trentaine quand l’étude, la réflexion, d’autres artifices peut-être définirent la certitude de sa vie; encore sa liberté d’esprit n’en était-elle point embarrassée ! Il écrivait avec une intelligence aiguë : “Je ne puis m’empêcher de songer qu’obéir à un maître imbécile, dont on se sent le supérieur, vaut mieux qu’une révolution totale à Constantinople.”

Cela est d’autant plus vrai pour lui que jamais, dit-il, l’idée de patrie ne lui fut énoncée de façon tellement précise, et puissante qu’elle sût diriger plus tard dans un sens unique sa pensée et ses actes. Le “sens unique” lui manquait.

D’abord, face au Turc et à l’Islam, que trouve-t-on en Orient ? Le christianisme. Tigrane n’était chrétien ni de cœur, ni d’esprit. Il n’était pas même déiste. S’il désirait voir sa race affirmer sa personnalité, il s’obligeait lui-même à des manières d’excuses en songeant qu’il devait inoculer aux siens certaines haines : non qu’elles l’offusquassent en elles-mêmes, mais parce qu’il s’inquiétait de voir la religion venir s’en mêler. Il en était donc à se demander de temps à autre ce qu’il était et d’où il venait véritablement. S’il était joyeux de sentir vivre en lui tels instincts violents, c’est qu’il se flattait d’y reconnaître sa nature, la vraie, celle qu’il cherchait tant et qui semblait se dérober sans cesse à l’intime rayon ! Le pauvre scrutateur ne pouvait se résoudre à mettre en doute qu’elle existât. Nous n’hésitons pas à le faire.

[…]

Barrès avait pressenti cette conclusion. Un jour il avait dit en souriant au nationaliste arménien :

— Mais vous vous faites Grec ! Mais vous devenez Grec !

Non, cher Barrès ! non, grand poète distrait ! Car Tigrane devenait homme, pour la plus grande gloire et le meilleur service de l’Arménie.

Non, car la Grèce avec la France font la suite du genre humain. »

 

Charles Maurras, « La politique — VI. Blum-la-guerre », L’Action française, 28 mai 1936, p. 1 :

« Voilà, confessée à l’époque où elle pouvait l’être (sans danger, croyait-on), voilà la pensée directrice de M. Blum. Voilà l’orientation qu’il donnait à son monde et à son parti : — La guerre ! La guerre d’idées, de propagande révolutionnaire, la croisade inspirée de l’idée juive, hostile à toute liberté de la vie propre des nations, — et cette guerre révolutionnaire, en éclatant, en se propageant, faisant éclater, bientôt toute pure, la révolution juive à l’intérieur des nations [il s’agit d’un commentaire sur la fermeté prônée, en 1935, par Léon Blum contre l’Italie fasciste, une fermeté identique à celle réclamée par le Royaume-Uni conservateur et par la Turquie kémaliste].

Le Juif nous mène là.

Ne disons pas : Quand nous y serons...

N’attendons pas d’y être.

Barrons. »

 

Laurent Joly, « D’une guerre l’autre. L’Action française et les Juifs, de l’Union sacrée à la Révolution nationale (1914-1944) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2012/4, n° 59-4, pp. 114-116 :

« À l’automne 1935, Maurras rejoue la carte de la menace de mort : afin de “punir” les 140 parlementaires favorables aux sanctions de la Société des Nations (SDN) contre l’Italie, qui a lancé une guerre coloniale contre l’Éthiopie [membre de la SDN aussi], le directeur politique de L’AF encourage les “bons citoyens” à user au besoin de leur “couteau de cuisine” : “Répétons-leur que – sur leur tête, – sur leur tête – qu’ils m’entendent bien, – les misérables nous répondent de la paix […]. Si la paix succombe, ils succomberont un par un.”

[…]

Le 20 février [1936], un informateur des RG note que les dirigeants de l’ex-AF [le mouvement « l’Action française » vient d’être dissous après la tentative d’assassinat contre Léon Blum par une foule composée de militants et d’ex-militants de cette formation politique ; le journal du même nom, dirigé par Maurras, n’est, en revanche, pas interdit avant la Libération de 1944], “dans l’impossibilité où ils se trouvent de poursuivre leur action, ont l’intention de s’employer à provoquer le déclenchement d’un mouvement antisémite”. Lors de la campagne électorale et au moment de la victoire du Front populaire, les ex-Camelots du Roi, continuant à diffuser L’Action française dans la rue, “se montrent plus agressifs encore contre les Juifs que contre les socialistes et les communistes”. Des tracts antisémites sont distribués par milliers, des Juifs sont molestés. La psychose d’une révolution et d’une guerre – le climat international du printemps 1936 est particulièrement tendu avec l’affaire éthiopienne et la réoccupation de la Rhénanie par l’Allemagne nazie – incite Maurras à renouveler ses menaces de mort.

Onze ans après la lettre à Schrameck, il récidive contre “ce vieux chameau sémitique” de Léon Blum, menacé, en cas de déclenchement d’un conflit, d’être tué par “quelques bons couteaux de cuisine” ou sous le couperet de la guillotine — ce qui aurait l’avantage de jeter “un voile noir […] sur ses traits de chameau”. La menace, renouvelée plusieurs jours d’affilée, s’accompagne de propos révélant une assurance fanatique — “Nous disons : Ou l’ACTION FRANÇAISE aura l’audience de tous les Français dignes de ce nom, ou c’est la catastrophe de la Patrie” – et un sentiment de toute-puissance mégalomaniaque. Croyant déceler une évolution du discours de Blum au sujet de l’éventualité de représailles militaires contre l’Italie, Maurras met ce changement sur le compte de ses menaces :

“Dressé, parfaitement dressé, par nos soins : au fouet, – en attendant le Couteau de cuisine. Le type peut faire crier tous les À bas Maurras ! qu’il lui plaira par une horde de Métèques et d’Innocents : il n’est pas en son pouvoir de faire que Maurras recule d’une ligne sur les positions qu’a prises Maurras, alors que lui, le Blum, fout le camp […] devant le simple souvenir de ses propres discours”.

Des poursuites sont immédiatement engagées pour “provocation au meurtre”. Condamné le 23 mai 1936 à huit mois de prison, Charles Maurras sera, après le rejet de son appel, mis en état d’arrestation en octobre 1936. Jusqu’en juillet 1937, le directeur politique de L’AF, âgé de près de soixante-dix ans, passera ses jours et ses nuits à la Santé. Un tel sort, relativement clément en pratique (le vieux polémiste bénéficiant de conditions de détention privilégiées), demeure un cas unique. Aucun homme de lettres n’a ainsi été condamné, pour ses écrits, sous la Troisième République. La lourdeur de la peine montre combien la violence rhétorique de Maurras transgresse les limites admises alors dans la polémique de presse. »


Tal Bruttmann et Laurent Joly, La France antijuive de 1936. L’agression de Léon Blum à la Chambre des députés, Paris, éditions des Équateurs, 2006, p. 119 :

« Au bout du compte, sur les quelque 18 périodiques de notre échantillon qui commentent favorablement la sortie de Xavier Vallat contre Léon Blum, seuls L’Action française et les journaux sous influence maurrassienne, comme Le Charivari, font de la surenchère dans la haine antijuive. Les autres se contentent de rapporter les propos du député de l’Ardèche, agrémentés de commentaires partisans et de sous-entendus antisémites. Même s’ils le pensent en leur for intérieur, rares sont les éditorialistes et les journalistes à déplorer ouvertement l’arrivée d’un juif au pouvoir. » 


Louis Bodin et Jean Touchard, Front populaire 1936, Paris, Armand Colin, 1961, p. 201 :

« Pendant tout le mois de juin [1936], les manchettes de L’Action française reprennent le même thème :

“Les vacances juives de la légalité” (6 juin 1936)

“La question juive à la Chambre” (7 juin 1936)

“Le maître juif est impuissant” (9 juin 1936)

“Tout va très bien, Monsieur le rabbin” (10 juin 1936)

“Le bateau juif à la dérive” (13 juin 1936)

“La Révolution juive chante victoire” (14 juin 1936)

“La grande offensive juive” (21 juin 1936). »

 

Charles Maurras, « La politique — II. Concordances », L’Action française, 28 août 1942, p. 2 :

« Il dépend du vainqueur d’établir, comme il l’a fait aujourd’hui, l’amorce, d’une entente qui serait à deux voix. On a vu, par les communs échanges d’ouvriers contre prisonniers [trois ouvriers français partant en Allemagne contre un seul prisonnier de guerre restitué à sa patrie…] des faits positifs de cette collaboration concrète, qui n’ont aucun rapport avec un collaborationnisme oratoire qui ressemble à un parti ou à un dogme. Ne discutons pas de l’universel, surtout mis au futur, parlons de cas comme aujourd’hui.

Avec toute la France, les prisonniers heureusement libérés remercieront M. Hitler ; avec toute la France et tous les Français, leurs frères de captivité feront des vœux pour que des décisions du même genre ne soient pas limitées à ces cas heureux. »

 

Charles Maurras, « La politique — II. Contre le communisme intérieur », L’Action française, 3 mars 1943, p. 1 :

« Une troisième affaire est en vue : la Milice [formation paramilitaire créée par Vichy et dont les membres prêtaient serment à Hitler, en même temps qu’à Pétain].

Ô bonheur [sic], pour celle-là !, les légitimes recommandations ne sont plus à faire. […]

Sans armée, sans marine, sans machines, même sans armes qui nous soient propres, que pourrions-nous donc apporter à la guerre antibolcheviste ? Mais avec le concours d’une sûre et solide police, nous pourrons frapper d’inhibition tout velléité révolutionnaire et toute tentative d’appuyer les hordes de l’Est, en même temps que nous défendrons, avec nos personnes, nos biens, nos foyers, notre civilisation toute entière. »

 

« Le procès Maurras », Le Monde, 30 janvier 1945 :

« Après une heure et demie de délibération la cour rendit un verdict affirmatif pour Maurras et ne retint que la question subsidiaire a l’encontre de Pujo ; elle accorda néanmoins les circonstances atténuantes à Maurras, qui fut condamné à la réclusion perpétuelle et à la dégradation nationale. À Pujo furent infligés cinq ans de prison, 20 000 francs d’amende et la dégradation nationale.

Aussitôt l’arrêt rendu, Pujo cria “Vive la France!” et Maurras : “C’est la revanche de Dreyfus !” Quelques camelots du roi qui se trouvaient au fond du prétoire acclamèrent Maurras, et la foule s’écoula lentement. »

 

Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, tome III, Paris, Plon, 1959, pp. 259-260 :

« Léon Blum n’objecta rien à mon éventuel départ [en janvier 1946], ce qui me donnait à comprendre qu’il l’admettait volontiers. Mais, répondant au projet que j’évoquais pour lui-même [c’est-à-dire prendre sa succession comme chef du gouvernement provisoire de la République française] : “Cela, je ne le veux pas, déclara-t-il, parce que j’ai été, si longtemps tellement honni et maudit par une partie de l’opinion que je répugne, désormais, à l’idée même d’exercer le pouvoir. Et puis, je ne le peux pas, pour cette raison que la fonction de chef du gouvernement est proprement épuisante et que mes forces n’en supporteraient pas la charge.” […] J’avoue que, pensant aux expériences que le pays venait de faire et dont lui-même avait été victime, j’en éprouvais de la tristesse. »


Remarquons que l’Association culturelle arménienne de Marne-la-Vallée n’éprouve aucune gêne à reproduire, sur son site et sans précaution, la préface écrite par un traître à la France, dûment condamné comme tel.

 

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jeudi 22 juillet 2021

L’arménophilie-turcophobie de l’hebdomadaire vichyste « Gringoire »

 


 

Nicolas Roussellier, « Gringoire », dans Jacques Julliard et Michel Winock (dir.), Dictionnaire des intellectuels français, Paris, Le Seuil, 2009, pp. 667-668 :

« Gringoire prend parti [en 1935-1936] contre les sanctions et pour la défense de l’Italie fasciste (Raymond Recouly). L’occasion lui est donnée d’aiguiser un argument qui se répètera et se radicalisera jusqu’en 1939 : une politique de fermeté inconsidérée est synonyme de risques de guerre. […]

Haine de la gauche, xénophobie et antisémitisme convergent pour nourrir un mythe du complot à plusieurs têtes : les juifs sont accusés de vouloir la guerre contre Hitler, d’encourager le communisme qui attise le désordre social intérieur, désordre lui-même aggravé par l’immigration (“Chassez les métèques” du 10 novembre 1938). […]

Il [Gringoire] embrasse totalement, à partir de juin-juillet 1940, le parti de l’armistice et de la “Révolution nationale”. »

 

Henri Béraud, « Et les juifs ? », Gringoire, 23 janvier 1941, p. 1 :

« Serons-nous pour ou contre les juifs ? Resterons-nous indifférents ? Nous défendrons-nous ? D’un mot, est-il bon, est-il juste, est-il raisonnable de se dire antisémite ? M’étant posé la question, je réponds : en conscience, oui, il faut être antisémite. Avec des nuances, avec d’honorables exceptions. Mais il faut l’être parce qu’on n’a plus le choix ; il faut l’être malgré nous ; il faut l’être pour obéir à ceux-là même qui nous y contraignent, et qui sont les mauvais juifs ; il faut l’être malgré nos admirations et nos amitiés ; il faut l’être parce que le salut de la France est à ce prix. […]

Il [le « problème judéo-français »] existe même au point qu’il a donné naissance à des lois [celle créant une commission visant à annuler des naturalisations et celle instituant un statut des Juifs, discriminatoire, même contre ceux appartenant aux familles devenues françaises de plein droit pendant la Révolution]. Ces lois nécessaires ne sont pas des lois impitoyables. Encore moins des actes de vengeance. On a voulu rendre au pays ses droits, qui sont des droits d’héritage. […]

Au mal que nous ont fait les juifs, nous ne répondrons pas par le mal. Ainsi le veut notre nature et la religion dans laquelle nous avons grandi. Mais l’heure est venue de nous défendre. Plus qu’aucune autre nation, la France a souffert de ce qu’il faut appeler l’enjuivement d’un peuple.

Ils nous ont coûté cher. Si cher qu’on tremble d’en savoir le prix. Ce que certains prévoyaient, l’expérience Blum, avec son terrible résultat, le dévoile à tous les yeux. Une perversité orientale, le goût du désordre et l’esprit de destruction, voilà ce qui nous a conduits où nous sommes [rappelons ici que c’est le Front populaire qui a débloqué les crédits nécessaires au réarmement de la France, à partir de 1936]. Il est clair que le juif est l’ennemi-né des traditions nationales, qu’il n’est ni soldat, ni ouvrier, ni paysan. Comment serait-il digne d’être un chef ? »

 

« La République turque a 21 ans », Gringoire, 12 novembre 1943, p. 3 :

« Prédominance paysanne d’autant plus facile à instaurer que toute l’industrie turque se réduit à la transformation des produits agricoles par un artisanat campagnard, qui ne laisse pas de place pour un prolétariat urbain [exagérée pour les dernières années de l’époque ottomane, cette affirmation n’est qu’un boniment pour la Turquie de 1943, après l‘industrialisation de l’entre-deux-guerres, ce qui traduit un certain mépris des Turcs].

Et pour parfaire cet ensemble révolutionnaire, un racisme exaspéré [exaspéré, donc non « raisonnable », contrairement au racisme vichyste selon Gringoire : voir ci-dessus], amenant la suppression, par l’expulsion et même le massacre (tel celui de 800 000 Arméniens coupables d’avoir collaboré avec les Anglo-Français) de tout ce qui n’était pas foncièrement turc c’est-à-dire des Grecs, des Arabes, des Juifs, des Arméniens, en même temps que, bon gré, malgré, faisaient retour à la mère-patrie toutes les colonies turques installées en Grèce (380 000), en Roumanie (81 000), en Bulgarie (69 000), en Syrie, à Chypre, en Crimée, en Pologne, en Égypte [outre les contrevérités flagrantes, l’article accumule ici en quelques lignes les télescopages chronologiques, pour diaboliser la République turque et dire que les méchants racistes, ce sont les autres, turcs en l’occurrence].

Jamais sultan n’avait osé agir aussi autocratiquement que ce parlement démocratique [cet adjectif est à noter : la « dictature » kémaliste n’est pas une bonne dictature pour Gringoire, puisqu’elle est de forme démocratique] qui en droit peut destituer sur l’heure tout le pouvoir exécutif, y compris le Président de la République, mais qui en fait subit la dictature morale d’Ismet Inonu, comme il a subi celle d’Atatürk son prédécesseur.

Et c’est ce racisme au nom duquel s’est faite la Révolution turque qui a peut-être valu, à la jeune république, de se tenir à l’écart de la guerre présente. N’est-ce pas, en effet, par répugnance à voir se réincorporer à elle des éléments non-turcs (ses ex-sujets arabes, grecs, bulgares, tartares, syriens ou russes) que la Turquie a résisté à l’appât d’une récupération possible de ses territoires d’antan, récupération qui aurait été le prix de sa co-belligérance [aux côtés, par exemple, de l’Allemagne nazie, avec laquelle Gringoire prône justement, à cette époque, la collaboration] ? »

 

Ce n’est pas un hasard si Philippe Henriot, le plus virulent des éditorialistes de Gringoire, était lié, dans les années 1930, à Léon Guerdan, dirigeant du parti nationaliste arménien Ramkavar.

 

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mercredi 21 juillet 2021

L’amitié liant le fasciste Philippe Henriot au dirigeant nationaliste arménien Léon Guerdan, dans les années 1930


  

François Korber (historien qui préparait alors une thèse de doctorat sur Philippe Henriot), « Il y a trente ans, Philippe Henriot », Le Monde, 1er juillet 1974 :

« “J'ai entendu Mussolini parler à trente mille jeunes hommes dans le Colisée, sous un ciel incandescent sillonné d'avions. J'ai vu Hitler soulever, comme à bras tendus, l'enthousiasme de trente mille fanatiques, au Palais des sports à Berlin. J'affirme que le dynamisme oratoire de Philippe Henriot dépasse le leur Dieu me garde de lui prédire, ni de lui vouloir, pas même de lui souhaiter le destin de ces deux hommes ou de l'en croire ambitieux : sans doute vise-t-il ailleurs...” Datées du 16 décembre 1933, ces phrases de François Le Grix (la Revue hebdomadaire) semblent d'autant plus prophétiques qu' Henriot n'est alors qu'un simple député de la quatrième circonscription de Bordeaux — approximativement celle de M. Chaban-Delmas aujourd'hui. […]

Ténor de la Fédération républicaine de Louis Marin, il se présente de 1932 à 1940 comme un député nationaliste, parlementaire antiparlementaire qui, semblable à beaucoup d'hommes de droite, voit dans les assemblées d'alors le reflet des divisions du pays légal, opposé à l'unité nécessaire du pays réel.

 

L'affaire Stavisky

 

L'affaire Stavisky lui donne l'occasion d'exercer ses talents d'inquisiteur et de polémiste, ses dénonciations entraînant, au cours du débat sur le scandale la chute du ministère Chautemps. Déçu par l'échec du 6 février, dégoûté des jeux politiciens, durci par la victoire du Front populaire, il apparaît souvent dans les années 1936-1940, comme un ultra, la violence de ses attaques préfigurant la période d'occupation. Sans doute éprouve-il alors, comme beaucoup d'intellectuels, la “tentation fasciste”, saluant en Benito Mussolini — qu'il a rencontré en Italie — “l'homme qui, à l'heure où les capitulations, les concessions et les lâchetés tenaient lieu de doctrine à tant de peuples, montra aux siens l'altière noblesse de certaines intransigeances” (1). 

(1) Conférence aux Ambassadeurs [sic : il s’agit de la conférence des ambassadeurs, dirigée par son ami Léon Guerdan, et qui, contrairement à ce que son nom pompeux pourrait faire penser, n’était pas liée au ministère des Affaires étrangères], le 15 décembre 1934. »

 

Pascal Ory, Les Collaborateurs, Paris, Le Seuil, « Points-histoire », 1980, pp. 81-82 :

« Philippe Henriot (1889) a suivi un itinéraire plus complexe avant d’atteindre une renommée supérieure. […] Sans doute sa virulence antisémite et antirépublicaine surprend-elle parfois [dans les années 1930], mais elle peut passer pour des excès de tribune, intempérance de plume coutumière à un collaborateur attitré de Gringoire [journal de droite musclée ayant viré à l’extrême droite fascisante et xénophobe en 1934, antisémite à partir de 1936]. »

 

Léon Guerdan, Je les ai tous connus, New York, Bretano’s, 1942, pp. 76-78 :

« Philippe Henriot tint parole. Vers la mi-janvier [1934], à la rentrée des Chambres [c’est-à-dire du Parlement], il prononça un violent réquisitoire contre la collusion d’une certaine finance véreuse et de la politique (affaire Stavisky) et provoqua la chute du cabinet Camille Chautemps. Son nom fut aussitôt connu à travers la France. Dans l’espace de vingt-quatre heures, la feuille de location de la Conférence [dite « des ambassadeurs »] fut couverte et, devant l’affluence d’autres demandes, il fut annoncé que l’Envers du décor au Palais-Bourbon serait répété le 7 février 1934.

Son succès, je devrais dire son triomphe, dépassa nos prévisions les plus optimistes. Un auditoire enthousiaste hacha de ses applaudissements chaque période de l’orateur, dont l’éloquence, selon les connaisseurs, s’apparentait sur plus d’un point à celle d’Aristide Briand. Du Pèlerin de la paix [surnom donné à Aristide Briand dans les dernières années de sa vie], il possédait, en effet, la voix de violon, chaude et virile ; de plus, il connaissait l’art de transmettre son émotion au public. Devant son regard brûlé de fièvre comme celui d’un Savonarole et la passion qu’il mettait en prononçant des mots tels que patrie, France, probité, devoir, plus d’un, parmi l’assistance, eut la conviction d’avoir découvert le jeune sauveur inconnu que toute la France [sic] attendait.

Le 7 février, tandis que les dernières charges de cavalerie, place de la Concorde, se faisaient encore entendre jusque dans la salle, à travers les fenêtres brisées, la veille, au cours de l’émeute [durant laquelle des militants d’extrême droite tentèrent de s’emparer de la Chambre des députés ; Henriot a évidemment pris leur parti], une foule encore plus frénétique que la précédente suivit Henriot dans l’avenue Gabriel, l’acclamant, le pressant contre lui, chantant la Marseillaise, arrêtant le trafic et l’invitant à agir, comme d’autres foules, jadis, y avaient convié le général Boulanger. Paris, ce jour-là, j’en suis certain, aurait suivi Henriot à l’Élysée ou ailleurs, si celui-ci eût possédé, en dehors de sa voix et de son bon vouloir, l’étoffe d’un dictateur.

Pendant près d’un an, Henriot fut l’idole de Paris et de la Province (bien entendu, je parle des milieux de l’ordre, à l’exception de leurs chefs jaloux qui, au lieu d’utiliser ce merveilleux instrument, usèrent des pires méthodes pour le discréditer). Il parla un millier de fois ou davantage. Chaque fois que je me rendais chez lui, je voyais augmenter sur la carte de France le nombre de petits drapeaux indiquant les villes où il s’était fait entendre. Le gouvernement de Gaston Doumergue, auquel participèrent quelques-uns des hommes qu’Henriot avait attaqués, et qui ne faisait rien pour revigorer la maison France, s’émut aussi de son activité. Plusieurs de ses réunions furent interdites, provoquant des bagarres sanglantes entre la police et ses partisans ou entre ceux-ci et les éléments de gauche déchaînés contre lui.

[…]

On peut lui reprocher, certes, ses imprudences oratoires, ses attaques souvent sans fondement contre d’excellents patriotes, ses emballements en faveur de dictateurs qui détestaient la France [remarque qui ne manque pas d’audace venant de Guerdan : voir ci-dessous], aussi dangereux que ses ostracismes, mais on ne pouvait lui dénier sa sincérité et sa probité. En tout cas, ce n’est pas lui qui créa sa légende. Il connaissait trop bien la limite de ses forces et son incapacité d’offrir un programme constructif, pour avoir jamais aspiré à un autre rôle que celui de critique. S’il fut grisé (qui ne l’eût pas été devant un aussi prodigieux succès ?), il ne perdit pas la tête. […]

Ce régime [la Troisième République] était amendable, et Philippe Henriot s’apercevra, un jour, qu’en tout état de cause, il valait mieux que la révolution à rebours dont se fait le champion l’hebdomadaire [Gringoire] auquel il collabore toujours.

[…]

L’amitié qui me liait à Philippe Henriot souffre cruellement de le voir associé à des méthodes aussi abominables et je tremble à la pensée du sort qui l’attend. »

 



A. Meliksetian, « Léon Guerdan », Armenian Affairs, I-2, printemps 1950, pp. 204-205 :

« Léon Guerdan (né Goumouchguerdan), écrivain, journaliste et conférencier, en Amérique et en France, est mort à New York, le 15 décembre 1949. Né à Constantinople (Istanbul), il commença ses études supérieures au Robert College, puis partit à Paris pour les terminer. […]

Au moment de sa mort, M. Guerdan était vice-président du directoire de l’Union générale arménienne de bienfaisance (UGAB), dont il avait été trésorier pendant vingt ans. Quand ce directoire partit du Caire à Paris, Boghos Nubar, le fondateur de l’UGAB, l’invita à rejoindre cet organe dirigeant. […] En 1947, il [Léon Guerdan] présida la campagne de l’UGAB visant à collecter un million de dollars pour le rapatriement [en Arménie d’Arméniens de la diaspora, à la demande de Staline]. […]

De 1919 à 1922, M. Guerdan fut conseiller de la Délégation [nationale] arménienne à la conférence de la paix. Il fut alors étroitement associé à Boghos Nubar, et se consacra à faire connaître les revendications et les aspirations des Arméniens dans les milieux intellectuels et politiques de France. Plus tard, lorsque K. Noradungian devint président de la délégation arménienne, M. Guerdan resta son conseiller et, après la dissolution de la délégation, servit comme membre du comité central consacré aux intérêts des immigrants arméniens. »

 

Commentaires :

1) Il apparaît à l’évidence que l’amitié entre Léon Guerdan et Philippe Henriot n’était pas seulement personnelle mais aussi, dans le contexte des années 1930, politique. Même en 1942, quand Henriot a choisi la collaboration enthousiaste avec l’Allemagne nazie, à la différence de Guerdan (exilé volontaire à New York depuis 1941 et futur rédacteur en chef, de 1943 à 1944, du journal publié par la France libre aux États-Unis), ce dirigeant Ramkavar ne peut pas s’empêcher d’écrire que le Henriot déjà fasciste de 1934-1935 était un « merveilleux instrument », dont la droite et l’extrême droite françaises auraient dû se servir. Guerdan va même jusqu’à exposer sans déplaisir la possibilité (ratée) d’un coup d’État d’extrême droite en février 1934, ce qui prouve que sa phrase sur la Troisième République (« régime amendable ») est, sinon hypocrite, du moins marquée par une certaine évolution entre les années 1930 et 1942 ;

2) Cette amitié politique n’a rien d’une aberration : Guerdan s’est rapproché de Charles Maurras en 1936 et, vers la même époque (1936-1939), ce dirigeant Ramkavar animait le Comité de la Méditerranée aux côtés de Paul de Rémusat, alias Paul du Véou, agent d’influence de l’Italie fasciste (ce qui se voyait dans ses livres comme le nez au milieu de la figure) et des frères Tharaud, passés du centre droit et de la turcophilie à une droite réactionnaire, antisémite, antiturque et favorable, jusqu’à un certain point du moins, au nationalisme arménien ;

3) Son ralliement à Staline après 1944 n’est pas isolé non plus, mais représentatif du Ramkavar, et notamment de l’autre animateur de ce parti en France à l’époque, Archag Tchobanian.

 

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