Missak Manouchian était un militant stalinien, engagé au Parti communiste
« français » à partir de 1934, puis dans les Francs-Tireurs et
Partisans – Main d’œuvre immigrée (FTP-MOI) à partir de 1942, arrêté par la police de
Vichy en 1943, condamné à mort et fusillé par l’occupant allemand en 1944.
Relativement célébré par le PC en 1944-1945, il disparaît presque complètement
de la mémoire officielle du parti (et de la production écrite en France)
jusqu’à la parution du livre de sa veuve, en 1974[1].
L’année de parution est importante. Le PC vient de perdre son statut, acquis en
1945-1946, de premier parti à gauche : le
Parti socialiste l’a dépassé aux élections cantonales de septembre 1973,
et, pour ne pas laisser paraître ce changement du rapport de forces, la
direction du PC vient d’inviter chaudement François Mitterrand à être le
candidat unique de l’Union de la gauche à la présidentielle du printemps 1974.
Par conséquent, le PC cherche n’importe quoi pour tenter de rattraper son
retard : le vote communautariste arménien ou (il n’est pas à une
contradiction près) la xénophobie désinhibée, notamment en
1980-1981. Par ailleurs, depuis le milieu des années 1960, l’URSS
se sert de nouveau de la question arménienne pour déstabiliser la Turquie
et lui créer des problèmes avec ses alliés américain et français.
Toutefois, c’est la polémique créée par le film Des terroristes à la retraite (1985) et par la
calomnie proférée au même moment par la veuve de Missak Manouchian
(calomnie motivée par l’antisémitisme autant que par la volonté de ne pas apparaître
comme l’ex-femme d’un raté) à l’égard de Boris Holban, prédécesseur et
successeur de Manouchian comme cadre des FTP-MOI (elle l’accusait d’avoir trahi son défunt mari, rien de
moins) qui fait revenir ce stalinien dans la mémoire collective, au prix d’une
falsification de l’histoire. La fin de l’URSS (1991), les débuts d’une action
commune entre les associations arméniennes (1993), inimaginable pendant des
décennies, et l’accélération du déclin du PC (qu’il tente de compenser par une
version complètement mythifiée de son passé pendant la Seconde Guerre mondiale)
achève de cristalliser cette convergence d’intérêt entre communautarisme
arménien et réhabilitation du stalinisme « français ».
Dans le cas de Missak Manouchian, le mythe tient en ceci : il aurait
aimé passionnément la France ; il aurait été inconditionnellement
antifasciste ; il aurait été un grand résistant, sans autre but que la
libération du territoire national. Aucun de ces éléments n’entretient de
rapport avec la réalité. Se considérant comme exclusivement arménien
ethniquement parlant, soviétique de cœur, à défaut de l’être juridiquement,
Manouchian s’avère, au regard des faits et des sources, comme un stalinien de
l’espèce la plus sectaire, fixant sa conduite envers les fascistes sur celle de
Staline et voyant dans la « résistance » communiste contre les nazis,
un moyen de staliniser la France. Totalement incompétent en matière de lutte
clandestine, c’est un pion que le PC sacrifie sans état d’âme, dans sa
stratégie de prise du pouvoir par la force, en 1943-1944.
Cela exposé, il va maintenant falloir le prouver, point par point,
référence par référence. La patience des lecteurs est donc requise, autant que
leur attention. Un seul fait pour commencer : comme ses thuriféraires eux-mêmes le rappellent, Manouchian est mort étranger — ce qui signifie que, arrivé en France en 1925, il n’a jamais souhaité bénéficier de la loi du 10 août 1927, facilitant les naturalisations.
L’adhésion à un Parti communiste qui refuse toute unité antifasciste (1934) ; les convictions staliniennes
« MANOUCHIAN,
Missak », Dictionnaire
biographique du mouvement ouvrier français-mouvement social :
« Marqué comme beaucoup d’immigrés par les événements de février 1934,
il adhéra au Parti communiste et participa aux activités du groupe arménien
rattaché à la MOI. »
Voyons donc ces « événements », au-delà des reconstructions
staliniennes a posteriori :
William Schirer, La
Chute de la Troisième République, Paris, Hachette, « Pluriel »,
1990 (1re édition en anglais, 1969, 1re édition en français, 1970), p.
221 :
« Au dernier moment, les communistes décidèrent de passer eux aussi à
l’action. Le matin du 6 [février 1934], leur quotidien L’Humanité appelait tous les membres du parti à se joindre aux
manifestations prévues pour le soir […]. Ainsi, les communistes n’hésitaient
pas à mêler leurs rangs avec ceux de leurs pires ennemis de l’extrême droite
dans des démonstrations violentes, destinées à renverser un gouvernement
républicain. J’avais été témoin de cette duplicité à Berlin, lors des derniers
mois de la République de Weimar, quand les syndicats communistes s’étaient
joints aux syndicats nazis pour déclencher une grève qui paralysa les
transports publics. Ils avaient déclaré qu’ils feraient n’importe quoi pour
provoquer la chute du gouvernement “bourgeois”, qui était d’ailleurs plus
branlant à l’époque que celui de la France le 6 février 1934. En faisant cause commune
avec les chemises brunes, ils y étaient parvenus, seulement, ils avaient été
remplacés par Hitler, qui ne tarda guère à les écraser. Je ne fus donc pas très surpris
de voir sur la place de la Concorde des
communistes aux côtés des royalistes et des fascistes, attaquer la police qui
leur barrait la route du Palais-Bourbon [Chambre des députés]. »
Jacques Fauvet et Alain
Duhamel, Histoire du Parti communiste
français. 1920-1976, Paris, Fayard, 1977, p. 130 :
« En dépit de l’alerte “fasciste” du 6 février [1934], de la riposte
communiste du 9, de la manifestation conjointe du 12, et de nombreuses actions
communes en banlieue et en province, le P.C., Maurice Thorez en tête, n’avait
en rien relâché son offensive verbale contre la S.F.I.O. [Parti socialiste]. On
ressort le slogan du “social-fascisme”, on proclame que le Parti socialiste “ne
veut ni ne peut se battre contre le fascisme” ; on affirme qu’il “se divise,
se scinde, se décompose” ; on l’accuse [jusqu’au 30 mai 1934] d’être “le
principal soutien social de la bourgeoisie”… »
Branko Lazitch, « La stratégie du Komintern », dans Michel Winock (dir.), Les Années trente. De la crise à la guerre, Paris, Le Seuil, 1990, p. 46 :
« Au comité central du PCF, réuni le 14 mars [1934], le rapport politique fut présenté par Marcel Gitton, qui disait en conclusion : “La SFIO reste plus fortement que jamais le parti du social-fascisme.” »
Cyril Le Tallec, La Communauté arménienne de France
(1920-1950), Paris, L’Harmattan, 2001, pp. 136-137 :
« Le plus célèbre de ces nouveaux rédacteurs est le poète Missak
Manouchian, né en 1906. Venu au Parti communiste français par le biais du Comité
de secours pour l'Arménie (H.O.G.), Missak suivait les cours de l'Université
ouvrière. Proche collaborateur de la revue HOC,
il va lancer […] l'hebdomadaire politique Zangou,
ainsi nommé en référence à une rivière d'Erevan (Paris, 1935-1937). […] Dans Zangou, on célèbrera ainsi le début des purges menées en Arménie soviétisée
(1936) […]. »
ð
Le
lecteur a pu se faire un avis sur « l’antifascisme » de Missak
Manouchian — et de presque tous les militants communistes ayant adhéré entre le
tournant imposé par Staline en 1928, consistant à faire de la gauche non communiste
l’ennemi principal, loin devant l’extrême droite, et le revirement du 30 mai
1934, lui aussi imposé par Staline. L’éloge, très peu connu, des purges
staliniennes par Manouchian complète le tableau : en effet, les grandes
purges de 1936-1938 ont, entre autres, pour but d’éliminer ceux qui pourraient
s’opposer à l’alliance avec Hitler que prépare alors Staline ; la
destruction des cadres de l’armée, en 1937, qui prive l’URSS de toute
crédibilité comme allié possible de la France et du Royaume-Uni contre l’Allemagne
nazie (ce qui revient, pour l’URSS, à se jeter dans les bras du Troisième Reich)
et la disgrâce (puis, en mars 1938, l’exclusion) de Willy
Münzenberg, le grand communicant (comme on dirait aujourd’hui) de l’antifascisme
communiste, apportent la confirmation définitive, d’autant que Münzenberg
(comme l’ex-ambassadeur soviétique Alexandre Barmine et l’ex-officier de renseignement
Walter Krivitsky[2]) annonce
l’alliance des totalitarismes nazi et stalinien avant qu’elle n’ait lieu. Il
est impensable qu’une figure, qui plus est étrangère, du Parti communiste « français »
n’ait pas connu Münzenberg et son exclusion.
De la même manière, Manouchian ne peut pas ignorer
que les Arméniens communistes dont il célèbre l’exécution, en 1936, par les
bourreaux de Staline, sont innocents des crimes dont ils sont accusés. En
effet, avant d’adhérer au Parti communiste « français », il militait
au Comité de secours pour l’Arménie (HOG), instrument de la propagande
stalinienne dans la diaspora arménienne, et dont Staline, par pure paranoïa,
décide finalement de débarrasser.
Léon Blum, À l’échelle humaine, Paris, Gallimard,
1971 (écrit en 1941, publié pour la première fois en 1945), pp. 110-111 :
« Ainsi, il était devenu patent que la direction du Parti communiste français ne lui appartenait pas en propre, mais lui était imposée du dehors. Il obéissait aveuglément aux ordres dictés, non point par une organisation internationale, mais par une puissance, un État qui les transformait lui-même au gré de ses intérêts nationaux. Il n’était donc pas un parti internationaliste, mais un parti nationaliste étranger. La distinction est capitale. L’internationalisme repose sur le postulat qu’entre toutes les nations parvenues au même moment de l’évolution économique existent un certain nombre d’intérêt indivis et d’idéaux communs. […] Le Parti communiste au contraire se manifestait comme un parti nationaliste étranger, puisqu’il reposait sur le postulat que la cause des travailleurs dans les autres pays dépend de l’intérêt particulier d’un État unique, non pas de son intérêt idéal et permanent, mais des modalités changeantes de son intérêt temporel et politique.
Or, depuis août 1939, Staline avait décidé que l’intérêt de la République des Soviets était de s’allier à Hitler, ennemi de la France. Il était donc inévitable que durant la guerre et au lendemain de la défaite, la soumission communiste à Staline apparût comme une trahison envers le pays. […]
Au lendemain de la victoire, […] on se retrouvera toujours face à l’insupportable anomalie que représente l’insertion dans la vie politique française d’un parti nationaliste étranger. […] [J’espère] que le communisme français perdra son caractère d’une secte étrangère à la nation. »
L’appartenance maintenue à un PC traître à la France et ouvertement antisémite (1939-1941)
André Rossi, Deux ans d’alliance germano-soviétique. Août
1939-juin 1941, Paris, Fayard, 1949 :
« Les conversations [germano-soviétiques pour une alliance contre la
Pologne, la France, le Royaume-Uni, etc.] du 27 [août 1939] et surtout celles
du 28-29 s’achèvent dans une atmosphère d’euphorie. […] Un dîner est offert par
[Molotov, ministre soviétique des Affaires étrangères] en l’honneur de
Ribbentrop [son homologue nazi], auquel participe Staline lui-même avec
plusieurs de ses principaux collaborateurs : Mikoyan, Lazare Kaganovitch,
Vorochilov, Beria, etc. Staline est rayonnant. Ribbentrop dira plus tard à un
de ses amis qu’il s’est trouvé au Kremlin comme au milieu de vieux Partei-Genossen [camarades de parti]
nazis. Il le confirmera à Ciano [ministre fasciste des Affaires étrangères],
lors de son entretien du 10 mars 1940 à Rome. » (pp. 84-85)
« Et c’est, entre janvier et fin juin 1940, la création [par le Parti
communiste] d’une presse [clandestine] destinée spécialement aux soldats
[français] du front, qu’on invite à “en finir au plus vite”, à s’unir “pour
mettre fin au carnage”, à “fraterniser” avec les soldats allemands. Dans une Lettre aux soldats français, diffusée en
février 1940, au moment où l’on réclame de plusieurs côtés une conduite plus
énergique de la guerre, le Parti communiste français s’adresse ainsi aux
combattants du front : “Il faut, chers amis soldats, que tous ensemble
nous arrêtions le bras des assassins qui rêvent d’offensives meurtrières” ;
il faut s’unir pour chasser le gouvernement et lui “imposer la paix” et
empêcher ainsi les “prochains massacres”. […]
Une telle propagande, poursuivie avec une singulière richesse de moyens, a
atteint le moral des troupes françaises et facilité d’autant la poussée de la
Wehrmacht. […]
Mais il y eut aussi des formes de collaboration directe, comme nous l’apprend
l’aveu fait par Ribbentrop à Mussolini, dans la conversation qu’il a eu avec
lui à Rome le 10 mars 1940. Comme
Mussolini s’étonne des journaux communistes publiés en France malgré l’interdiction
dont ils sont frappés, le ministre des Affaires étrangères du Reich lui
signale, en souriant, “que certains de ces journaux sont imprimés en Allemagne”. » (pp. 119-121)
Stéphane Courtois, Denis
Peschanski et Adam Rayski, Le Sang de l’étranger.
Les immigrés de la M.O.I. dans la Résistance, Paris, Fayard, 1994, p.
76 :
« […] il faut insister sur cette foi sans partage [des militants de la MOI,
Missak Manouchian comme les autres] dans la patrie de “l’utopie réalisée”
[l’URSS], et dans son chef, Staline. »
Jean-Pierre Besse et Claude
Pennetier, Juin 40. La négociation
secrète, Paris, L’Atelier, 2006, p. 83 :
« Dès 1951, A. Rossi avait dressé un relevé non exhaustif des
différents sabotages [communistes] effectués durant la période [qui va de l’automne
1939 à juin 1940] : poudrerie de Sorgues, établissements Renault [qui
fabriquent alors des chars], établissements Farman, établissements Weitz à
Lyon, SOMUA [Société d'outillage mécanique et d'usinage d'artillerie] à
Vénissieux, Compagnie générale de construction à Saint-Denis, CAPRA à
Courbevoie… […]
Jean-Pierre Azéma mentionne aussi des sabotages dans diverses usines
pyrotechniques [travaillant pour l’artillerie], à Bourges en particulier, et
Charles Tillon [dirigeant du Parti communiste], dans ses Mémoires, reconnaît l’existence
de l’appel aux sabotages des usines. »
« Travailleurs
français et soldats allemands », L’Humanité
(clandestine), 4 juillet 1940 :
« Il est particulièrement réconfortant, en ces temps de malheur, de
voir de nombreux travailleurs parisiens s’entretenir amicalement avec des
soldats allemands, soit dans la rue, soit au bistro du coin.
Bravo, camarade[s], continuez, même si cela ne plaît pas à certains
bourgeois aussi stupides que malfaisants.
La fraternité des peuples ne sera pas toujours une espérance, elle
deviendra une réalité vivante. »
Michel Lefebvre, « Quand
le PCF négociait avec les nazis », Le Monde, 10 décembre 2006 :
« Le document central [des négociations du Parti communiste « français »
pour la reparution de son quotidien L’Humanité
hors de la clandestinité et sous contrôle nazi] est une liasse de notes saisie
par la police française sur une militante communiste, Denise Ginollin, arrêtée,
le 20 juin 1940, près de la station de métro Saint-Martin à Paris. Depuis
l’interdiction de la presse communiste, en août 1939, puis la dissolution du
parti lui-même, en septembre, la police traque les dirigeants et les militants
soupçonnés de reconstituer leur organisation dans la clandestinité. La défaite
et l’Occupation n’ont pas interrompu le travail des policiers.
Ce texte mérite d’être cité assez longuement, avec sa syntaxe
approximative.
“1°) Vous avez laissé paraître journaux communistes dans autres pays
Danemark, Norvège, Belgique
Sommes venus normalement demander autorisation
2°) Sommes communistes avons appliqué ligne PC sous Daladier, Reynaud, juif
Mandel
Juif Mandel après Daladier
nous a emprisonnés. Fusillé des ouvriers qui sabotaient défense nationale.
Sommes PC français pas eu peur
3°) Pas cédé face dictature juif Mandel et du défenseur des intérêts capitalistes
anglais Reynaud
courage ouvriers français ouvriers parisiens et quand ce sont des ouvriers
français ou parisiens c’est le PCF
4°) Sommes une force, (…) nous représentons une force qui dépasse les
frontières françaises, vous comprenez, derrière nous l’URSS/c’est une force
l’URSS/vous en avez tenu compte/pacte germano-soviétique le prouve. On ne fait
pas un pacte avec des faibles mais avec des hommes forts (…)
Notre défense du pacte
Cela vous a avantagé
Pour l’URSS nous avons bien
travaillé par conséquent par ricochet pour vous
5°) (…) En interdisant L’Huma vous montrez que vous voulez combattre les
masses ouvrières et petites-bourgeoises de France, que vous voulez combattre
l’URSS à Paris (…)
6°) (…) Nous voulons tout pour que les masses ne subissent pas événements
douloureux, voulons les aider avec votre collaboration si vous voulez :
réfugiés, enfants
nous ne ferons rien pour vous mais rien contre vous (…)”
La date de rédaction n’est pas connue, ni les circonstances de la prise de
notes. Par trois fois, il est fait mention du “juif Mandel” : Georges Mandel,
ministre de l’intérieur du gouvernement Paul Reynaud de mars à juin 1940, sera
assassiné par la Milice, force de collaboration pétainiste, en juillet 1944. Le texte attribue à Mandel la responsabilité
d’avoir “fusillé des ouvriers qui sabotaient défense nationale”, rare exemple
de reconnaissance des consignes de sabotage données par le parti, en
1939-1940, aux militants communistes travaillant dans les usines
d’armement. »
Sylvain Boulouque, L’Affaire de « L’Humanité »,
Paris, Larousse, 2010, p. 196 :
« Il [Maurice Tréand, principal négociateur communiste avec les nazis
pour faire reparaître L’Humanité sous
leur contrôle] s’occupe encore de la Main d’œuvre immigrée [la MOI où se trouve
Missak Manouchian] et confie [en août 1940] à Louis Gronowski la réorganisation
de la MOI. »
ð
Comme
Maurice Tréand est encore le contrôleur de la MOI pendant les négociations avec l’occupant nazi, Missak Manouchian
est fort bien placé pour savoir à quel point son parti, qu’il n’entend
nullement quitter, va loin dans les propositions collaborationnistes.
Fédération des jeunesses
communistes de France, Jeunesse
de France, janvier 1941, p. 20 :
« Quand, au début de la guerre, nous avons dénoncé l’Impérialisme
français [pour le PC, défendre la Pologne contre la double agression
hitlérienne et stalinienne, c’était une manifestation de « l’impérialisme
français »] on nous a dit : “Alors, vous changez encore ! Vous faites un
nouveau tournant ! Vous renoncez à faire la guerre pour abattre le nazisme ?”
Nous n’avons pas à renoncer à ce projet, car nous ne l’avions jamais conçu.
»
Comité central du Parti
communiste, Pour
le salut du peuple de France !, février 1941 :
« I. POLITIQUE EXTERIEURE
[…]
2° Établissement de rapports
fraternels entre le peuple français et le peuple allemand en rappelant
l'action menée par les communistes et par le peuple français contre le traité
de Versailles, contre l'occupation du bassin de la Ruhr [bref, contre des
garanties pratiques qui devaient prémunir la France du revanchisme allemand],
contre l'oppression d'un peuple contre un autre peuple. »
Un pion volontaire au service des desseins staliniens de prise du pouvoir en France
Anahide Ter Minassian, « La diaspora arménienne », Hérodote, n° 53, 2e trimestre
1989, p. 147 :
« Pour lui, lutter contre les Allemands signifie lutter contre le
fascisme [on vient de voir ci-dessus la réalité de cet « antifascisme »
purement stalinien et opportuniste] et défendre “sa patrie”, l'Arménie soviétique,
confondue avec l'URSS, la “patrie de la classe ouvrière”. »
Sylvain Boulouque et
Stéphane Courtois, « “L'armée
du crime” de Robert Guédiguian, ou la légende au mépris de l'histoire »,
Le Monde, 15 novembre 2009 :
« La vérité historique établit que le fondateur et le chef des FTP-MOI
parisiens depuis avril 1942 était le vieux communiste roumain Boris Holban (en
réalité Bruhman), qui avait été démis de ses fonctions par Rol-Tanguy en
juillet 1943, précisément parce qu'il refusait d'appliquer des directives qui,
pour les besoins du communiqué de la direction du PCF, risquaient d'envoyer les
combattants à la catastrophe. C'est [Missak]
Manouchian qui a remplacé Holban d'août à novembre 1943 et appliqué les
directives sans discuter. Et c'est lui qui, filé durant des semaines, a
mené les policiers à son chef, Joseph Epstein.
Enfin, dans la scène de l'arrestation, le cinéaste montre un Manouchian
désarmé et un Epstein le revolver à la main. Or les rapports de police sont
formels : Manouchian était armé d'un
6.35, une balle engagée dans le canon, et ne s'est pas défendu ;
Epstein, non armé, a tout fait pour échapper aux policiers, sans y parvenir.
Tout ceci a été exposé il y a déjà vingt ans, en détail et sur la base des
archives des FTP-MOI et de la justice, par des historiens (Le Sang de l'étranger, Fayard, 1994) et par Boris Holban (Testament, Calmann-Lévy, 1989). A force
de vouloir, pour des raisons idéologiques et communautaristes, construire une
légende et donner force à un mythe, Robert Guédiguian n'a pas rendu hommage à
la mémoire de ces résistants en méprisant aussi ouvertement leur propre
histoire. »
Quelles étaient donc ces directives, que Missak Manouchian a appliquées « sans
discuter », et pour l’application desquelles il a été promu (il n’a d’ailleurs
été promu que pour cela) ?
Stéphane Courtois, Denis
Peschanski et Adam Rayski, Le Sang de l’étranger.
Les immigrés de la M.O.I. dans la Résistance, Paris, Fayard, 1994 :
« Deux textes fondamentaux, diffusés au début de l’automne [1943],
fournissent les bases d’une stratégie qui fixe comme objectif prioritaire l’insurrection
nationale. » (p. 330)
« Les objectifs définis dans ces deux textes, comme la multiplication des
fronts nationaux et de libération dans les immigrations à partir de l’été 1943,
traduisent donc une réorientation fondée sur l’image du peuple en armes en vue
de l’insurrection nationale qui doit être placée sous l’égide des FTP
[Francs-tireurs et partisans, dominés par les communistes]. Le temps est au
dépassement de la guérilla urbaine, dans des actions armées de masse — sur le
modèle de la guérilla des maquis — afin
d’assurer au Parti communiste une position dominante dans la France libérée. »
(p. 333)
Philippe Buton, Les Lendemains qui déchantent. Le Parti
communiste français à la Libération, Paris, Presses de Sciences Po, 1993 :
« À la lumière des sources aujourd’hui disponibles, le PCF apparaît
comme un parti qui a effectivement tenté de conquérir le pouvoir à la
Libération, en deux temps fort distincts. Pendant l’Occupation, il veut asseoir
son contrôle sur la Résistance intérieure et imposer, lors de la Libération, la
primauté de celle-ci sur le général de Gaulle. Malheureusement pour lui, l’échec
de l’insurrection nationale, l’intelligente politique gaullienne et les
contraintes internationales lui interdisent de franchir le Rubicon et, après
hésitation, il abandonne ses prétentions à la fin de l’année 1944. » (p.
13)
« Cette aspiration à contrôler l’ensemble de la Résistance intérieure
s’étend au domaine de l’action armée. La déclaration du comité central [du
Parti communiste] de janvier 1943, qui confère au Front national [dominé par le
PC] sa nouvelle fonction de direction de la Résistance, estime que les forces
armées du Front national, les Francs-tireurs et partisans français, doivent
acquérir un statut identique dans le domaine militaire : “Il s’agit, en
développant les FTP, de créer en définitive le noyau de la future armée
nationale en France.” » (p. 22)
« Le débarquement sur les plages normandes le 6 juin 1944 — pas plus
que l’entrée [du Parti communiste] dans le CFLN [Comité français de libération
nationale, devenu ensuite gouvernement provisoire de la République française] —
ne modifie nullement les trois piliers de la stratégie communiste [établie en
1943] : conquérir la direction de la Résistance intérieure, rendre
celle-ci indépendante du gouvernement d’Alger [le gouvernement provisoire,
justement], et assurer la réussite de l’insurrection nationale. » (p. 81)
Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, tome III, Paris,
Plon, 1959, p. 39 :
« Or, en dépit des instructions données [pendant l’été 1944],
plusieurs organisations, avant tout le “Front national” [dominé par les
communistes], s’obstinent à conserver à leur disposition des éléments
paramilitaires. Ces “milices patriotiques” prétendent empêcher “un retour
offensif du fascisme.” Mais, aussi, on les sent prêtes à appuyer une pression
qui serait tentée sur le pouvoir pour le contraindre ou pour le conquérir. »
Pour finir : il est parfaitement possible qu’il ait existé un ou plusieurs membres arménien(s) du PC, appartenant à une autre génération que celle de 1928-1934, qui ai(en)t déchiré sa (leur) carte en 1939 (comme Paul Nizan) et qui ai(en)t fait le choix d’une Résistance authentique, comme Georges Guingouin (défendre le sol national et la restauration de la République) ; il est tout aussi possible qu’un immigré arménien naturalisé ait fait le choix d’un autre parti, non totalitaire (SFIO, Parti radical, Jeune République, Alliance démocratique...) et d’une Résistance également authentique ; ce serait même le contraire qui serait étonnant. Seulement, si de telles personnes ont existé, alors elles ne bénéficient pas, aujourd’hui, du centième des hommages posthumes rendus au stalinien Missak Manouchian.
Lire aussi :
La
popularité du stalinisme dans la diaspora arménienne
La
vision communiste du conflit turco-arménien (avant le tournant turcophobe
imposé par Staline)
De
l’anarchisme au fascisme, les alliances très variables d’Archag Tchobanian
L’arménophilie
stalinienne de Léon Moussinac
L’engagement
(non regretté) d’Henri Leclerc (avocat de terroristes arméniens) au PCF
stalinien
[1] Mélinée Manouchian, Manouchian, Paris, Les éditeurs français réunis, 1974.
[2] Alexandre Barmine, Vingt ans au service de l’URSS, Paris,
Albin Michel, 1939, pp. 28-37, 133, 240 et passim (ouvrage terminé en juin
1938, paru en anglais à Londres à l’automne de la même année, puis en français
en janvier 1939 : il est donc antérieur, non seulement aux pactes d’août
et septembre 1939 mais aussi au discours de Staline annonçant publiquement son
intention de s’entendre avec Hitler, le 10 mars 1939) ; Walter Krivitsky, Agent de Staline, Paris, Coopération,
1940 (ouvrage initialement paru en feuilleton, aux États-Unis, au printemps
1939).
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