Nicolas Roussellier, « Gringoire »,
dans Jacques Julliard et Michel Winock (dir.), Dictionnaire des intellectuels français, Paris, Le Seuil, 2009, pp.
667-668 :
« Gringoire prend parti [en 1935-1936] contre les sanctions et pour
la défense de l’Italie fasciste (Raymond Recouly). L’occasion lui est donnée d’aiguiser
un argument qui se répètera et se radicalisera jusqu’en 1939 : une
politique de fermeté inconsidérée est synonyme de risques de guerre. […]
Haine de la gauche, xénophobie et antisémitisme convergent pour nourrir un
mythe du complot à plusieurs têtes : les juifs sont accusés de vouloir la
guerre contre Hitler, d’encourager le communisme qui attise le désordre social intérieur,
désordre lui-même aggravé par l’immigration (“Chassez les métèques” du 10 novembre 1938). […]
Il [Gringoire] embrasse
totalement, à partir de juin-juillet 1940, le parti de l’armistice et de la
“Révolution nationale”. »
Henri Béraud, « Et
les juifs ? », Gringoire,
23 janvier 1941, p. 1 :
« Serons-nous pour ou contre les juifs ? Resterons-nous
indifférents ? Nous défendrons-nous ? D’un mot, est-il bon, est-il
juste, est-il raisonnable de se dire antisémite ? M’étant posé la
question, je réponds : en conscience, oui, il faut être antisémite. Avec
des nuances, avec d’honorables exceptions. Mais il faut l’être parce qu’on n’a
plus le choix ; il faut l’être malgré nous ; il faut l’être pour
obéir à ceux-là même qui nous y contraignent, et qui sont les mauvais juifs ;
il faut l’être malgré nos admirations et nos amitiés ; il faut l’être
parce que le salut de la France est à ce prix. […]
Il [le « problème judéo-français »]
existe même au point qu’il a donné naissance à des lois [celle créant une commission visant à annuler des naturalisations et
celle instituant un statut des Juifs, discriminatoire, même contre ceux
appartenant aux familles devenues françaises de plein droit pendant la
Révolution]. Ces lois nécessaires ne sont pas des lois impitoyables. Encore
moins des actes de vengeance. On a voulu rendre au pays ses droits, qui sont
des droits d’héritage. […]
Au mal que nous ont fait les juifs, nous ne répondrons pas par le mal.
Ainsi le veut notre nature et la religion dans laquelle nous avons grandi. Mais
l’heure est venue de nous défendre. Plus qu’aucune autre nation, la France a
souffert de ce qu’il faut appeler l’enjuivement d’un peuple.
Ils nous ont coûté cher. Si cher qu’on tremble d’en savoir le prix. Ce que
certains prévoyaient, l’expérience Blum, avec son terrible résultat, le dévoile
à tous les yeux. Une perversité orientale, le goût du désordre et l’esprit de
destruction, voilà ce qui nous a conduits où nous sommes [rappelons ici que c’est le Front populaire qui a débloqué les crédits
nécessaires au réarmement de la France, à partir de 1936]. Il est clair que le juif est l’ennemi-né
des traditions nationales, qu’il n’est ni soldat, ni ouvrier, ni paysan.
Comment serait-il digne d’être un chef ? »
« La
République turque a 21 ans », Gringoire,
12 novembre 1943, p. 3 :
« Prédominance paysanne d’autant plus facile à instaurer que toute l’industrie
turque se réduit à la transformation des produits agricoles par un artisanat
campagnard, qui ne laisse pas de place pour un prolétariat urbain [exagérée pour les dernières années de l’époque
ottomane, cette affirmation n’est qu’un boniment pour la Turquie de 1943, après
l‘industrialisation
de l’entre-deux-guerres, ce qui traduit un certain mépris des Turcs].
Et pour parfaire cet ensemble révolutionnaire, un racisme
exaspéré [exaspéré, donc non « raisonnable »,
contrairement au racisme vichyste selon Gringoire : voir ci-dessus], amenant la suppression, par l’expulsion et
même le
massacre (tel celui de 800
000 Arméniens coupables d’avoir collaboré
avec les Anglo-Français) de tout
ce qui n’était pas foncièrement
turc c’est-à-dire des
Grecs, des Arabes, des
Juifs, des
Arméniens, en même temps que, bon gré, malgré, faisaient retour à la
mère-patrie toutes les colonies turques installées en Grèce (380 000), en
Roumanie (81 000), en Bulgarie (69 000), en Syrie, à Chypre, en Crimée, en
Pologne, en Égypte [outre les
contrevérités flagrantes, l’article accumule ici en quelques lignes les
télescopages chronologiques, pour diaboliser la République turque et dire que
les méchants racistes, ce sont les autres, turcs en l’occurrence].
Jamais sultan n’avait osé agir aussi autocratiquement que ce parlement
démocratique [cet adjectif est à noter :
la « dictature » kémaliste n’est pas une bonne dictature pour Gringoire, puisqu’elle est de forme démocratique]
qui en droit peut destituer sur l’heure tout le pouvoir exécutif, y compris le
Président de la République, mais qui en fait subit la dictature morale d’Ismet
Inonu, comme il a subi celle
d’Atatürk son prédécesseur.
Et c’est ce racisme au nom duquel s’est faite la Révolution turque qui a
peut-être valu, à la jeune république, de se tenir à
l’écart de la guerre présente. N’est-ce pas, en effet, par répugnance à
voir se réincorporer à elle des éléments non-turcs (ses ex-sujets arabes,
grecs, bulgares, tartares, syriens ou russes)
que la Turquie a résisté à l’appât d’une récupération possible de ses
territoires d’antan, récupération qui aurait été le prix de sa co-belligérance [aux côtés, par exemple, de l’Allemagne nazie,
avec laquelle Gringoire prône
justement, à cette époque, la collaboration] ? »
Ce n’est pas un hasard si Philippe Henriot, le plus virulent des
éditorialistes de Gringoire, était
lié, dans les années 1930, à Léon Guerdan, dirigeant du parti nationaliste
arménien Ramkavar.
Lire aussi :
L’arménophilie
du régime de Vichy
De
l’anarchisme au fascisme, les alliances très variables d’Archag Tchobanian
L’arménophilie-turcophobie
du pétainiste Henry Bordeaux
L’arménophilie
fasciste, aryaniste et antisémite de Carlo Barduzzi
L’arménophilie
de Johann von Leers
La
turcophilie de Pierre Loti vue par l’antifasciste Victor Snell
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