Marc Ferro, Les Tabous de l’histoire, Paris, Robert
Laffont, 2013 (1re édition, 2002) :
« Chez les Arméniens, le tabou fonctionne de façon inverse. Leur tradition
historique est polarisée par l’idée que les Arméniens sont un peuple martyr.
Depuis trente ans, ils ont pris la relève des Juifs, avant que ne les
concurrencent les Kurdes, les Bosniaques, etc. Aujourd’hui, où l’idéologie des
droits de l’homme a pris le pas sur le culte des États-nations, chaque peuple
fait l’inventaire des crimes dont il a été victime. La mémoire arménienne
actuelle fait ainsi de l’histoire de ce peuple un long martyre dont le
“génocide” de 1915 figure l’apogée. On rappelle néanmoins que les Arméniens ont
constitué le premier État chrétien de l’histoire, avant l’Empire romain : ainsi,
glorification et martyre, les Arméniens sont un peuple merveilleux.
Les historiens arméniens n’insistent pas, pourtant, sur l’étonnante
prospérité des communautés arméniennes du Xe au XVIIIe
siècle : Fernand Braudel l’a décrite dans sa Méditerranée, mais les Arméniens
répugnent à se la rappeler. Martyrs, oui, riches, non. Ces historiens n’aiment
pas se souvenir non plus qu’à la fin du XIXe siècle, avec les
Bulgares, ils ont inauguré la pratique du terrorisme, notamment contre les
institutions de l’État ottoman, telle la Banque d’Istanbul. Sur ce comportement
– qu’ils ont renouvelé dans les années 1970 pour obliger le gouvernement turc à
reconnaître la réalité des massacres de 1915 –, ils sont demeurés discrets
parce que ces méthodes assassines les ancreraient dans la tradition orientale
alors qu’ils se veulent membres de la communauté chrétienne et de l’Occident. »
Les lecteurs attentifs auront remarqué que Marc Ferro ne parlait de « génocide »
qu’entre guillemets.
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