Béatrice Penati, « “C’est l’Italie qui est
prédestinée par l’histoire” : la Rome fasciste et les nationalistes caucasiens
en exil (1928-1939) », Oriente
Moderno, LXXXVIII-1, 2008, p. 67 :
« [Carlo] Enderle [chargé des relations entre le régime
mussolinien et la diaspora arménienne] noue, on ne sait pas comment, des
relations avec l’Union arméno-géorgienne [organisation
commune à la Fédération révolutionnaire arménienne et aux fascistes géorgiens
de Thetri Guiorgi] et entretient une correspondance avec son représentant,
qui signe Issahakian [Archak Issahakian,
alias Archak Djamalian, ancien ambassadeur d’Arménie en Géorgie, puis ministre
arménien des Communications, pendant la brève indépendance de ces républiques].
Les archives nous restituent un fragment de cette correspondance, relatif à l’automne
1935. Elle nous apprend qu’Issahakian avait proposé la constitution d’une
légion arméno-géorgienne pour l’expédition en Abyssinie. Il aurait spécifié,
dans une conversation personnelle avec Enderle à Rome, qu’il fallait que l’Italie
se dépêche d’activer cette proposition d’une
légion géorgienne, arménienne et cosaque faute de quoi “les éléments aptes à
cela iraient augmenter les rangs allemands”. De plus, l’Union avait promis,
sur demande italienne, de soutenir la cause de Rome dans la guerre d’Ethiopie
en mobilisant les communautés en exil pour “créer
des complications à l’intérieur de la Turquie”, en supposant que celle-ci
entrerait en guerre avec l’Italie. »
John Roy Carlson (Arthur Derounian), Under Cover,
New York, E. P. Dutton, 1943, pp. 81-82 :
« Pour mon grand dégoût pendant que j’étais [infiltré] parmi les Mobilisateurs [organisation américaine d’extrême droite, favorable au Troisième Reich
et hostile à toute intervention des États-Unis contre l’Axe], j’ai
rencontré deux dachnaks [membres de la
Fédération révolutionnaire arménienne], qui, l’un comme l’autre, jouaient
un rôle éminent dans le mouvement des Mobilisateurs. […] L’un était un agent
immobilier nommé Richard Koolian ; l’autre était un jeune homme qui se
faisait appeler Edward C. Adrian, mais dont le véritable nom était Eduard
Masgalajian. Sous ces deux noms, il contribuait à l’Hairenik Weekly, organe dachnak. Mon personnage d’Italien était si
réussi qu’ils ne soupçonnèrent jamais ma véritable identité.
Adrian m’a parlé de la branche de jeunesse de la FRA, le Tzeghagron [littéralement « Religion de la race »,
ou Union des adorateurs de la race, l’organisation a été rebaptisée plus
sobrement Armenian Youth Federation en 1943], nom formé à parti des mots
arméniens tzegh (race) et gron (religion). Le programme et la philosophie de ces “adorateurs de la race” à la mode
fasciste étaient similaires à ceux des Jeunesses hitlériennes, me dit Adrian
avec fierté. »
« Document Reveals
Dashnag Collaboration with Nazis », The
Armenian Mirror-Spectator, 1er septembre 1945, reproduit dans Congressional Record, 1er novembre
1945, p. A4840 :
« (NOTE DE LA RÉDACTION - Le document suivant, traduit en arménien à
partir du texte allemand original et publié dans une brochure en France, est
arrivé récemment dans ce pays [les
États-Unis]. Comme le révèle le document, le soi-disant Conseil national
arménien (à ne pas confondre avec le Conseil national arménien organisé et
fonctionnant actuellement en Amérique) a appelé Alfred
Rosenberg, ministre nazi des zones occupées de l’est (russe) à transformer
l’Arménie soviétique en une colonie allemande. Le conseil était composé des
dirigeants des dachnaks suivants: Président, Professeur Ardashes Abeghian [membre de la Fédération révolutionnaire
arménienne, FRA] ; vice-président, Abraham Gulkhandanian [dirigeant de la FRA, ancien ministre de l’Intérieur
de la République d’Arménie pendant sa brève indépendance] ; secrétaire,
Hairoutune Baghdasarlan ; membres, David Davidkhanian, Garegin Nezhdeh [Nejdeh] (père de Tzeghagron [l’Union des adorateurs de la race, déjà vue
ci-dessus]), Vahan
Papazian (trésorier), [Drastamat]
Dro Ganayan [ancien ministre de la Défense,
principal dirigeant de la FRA jusqu’à sa mort, en 1956] et Der-Tovmasian.)
1. Le Conseil national arménien a été constitué à Berlin, le 15 décembre
1942, sous le patronage du ministère des zones occupées de l’est. Le premier s’efforcera
de mener à bien son programme en maintenant des liens permanents avec le bureau
de l’Est ainsi qu’avec d’autres départements juridictionnels (autorités).
Ainsi, le Conseil national arménien s’engage à être un agent entre l’Allemagne
et les Arméniens, et à cette fin, il est prêt à servir le peuple et, bien
entendu, en harmonie avec les autres peuples européens.
2. D’une part, le Conseil national arménien s’efforce de libérer l’Arménie
du joug bolchevique et de la domination russe ; et d’autre part, il
encourage les efforts de la nation arménienne pour la liberté et l’autonomie
politique de l’Arménie.
3. Afin de réaliser librement ces buts et ces objectifs, de les atteindre
et de les établir fermement, le Conseil national arménien considère la protection politique du Reich allemand
sur l’Arménie comme la garantie la plus sûre. À cet égard, le Conseil national
arménien est animé par l’idée que, de cette manière, la politique suivie par
les dirigeants arméniens du Moyen Âge peut être relancée et établie ; selon
cette politique, le puissant Reich allemand était considéré comme le libérateur
de l’Arménie et du peuple arménien.
4. Pour la bonne exécution de son programme, le Conseil national arménien
juge impératif de rassembler toutes les forces vives nationales arméniennes [allusion possible au mouvement Hossank,
distinct de la Fédération révolutionnaire arménienne, mais tout aussi nazi].
Il s’efforcera d’atteindre cet objectif par des méthodes orales ou écrites.
5. Le Conseil national arménien juge impératif le retour progressif dans la
patrie de ses ressortissants qui, dans des conditions historiques ou politiques
déterminées, contre leur gré, ont été contraints d’émigrer et de vivre
désormais dans divers pays. Dans cette catégorie se trouvent d’abord les
artisans, les ouvriers qualifiés, les agriculteurs, ainsi que les médecins, les
infirmières, les écrivains et l’intelligentsia, etc. et le progrès du pays — et
c’est cette force qui a été acceptée et appréciée par les voyageurs et les scientifiques
renommés d’Europe.
6. Le Conseil national arménien, pour le seconder dans son programme,
appellera l’attention de son gouvernement patron [le Troisième Reich] sur les besoins territoriaux de l’Arménie
actuelle. Le Conseil national arménien, dans la mesure de ses capacités,
tentera de résoudre ce problème avec justice en Transcaucasie [allusion aux revendications territoriales
contre la Géorgie et surtout l’Azerbaïdjan] et, si nécessaire, fera appel
au jugement du Reich.
7. Le Conseil national arménien est convaincu que les efforts de son peuple
doivent être couronnés de succès car l’Arménie, grâce à l’aide puissante du
Reich allemand, deviendra un pays autonome et, en tant que tel, se développera.
Ce n’est qu’ainsi que le peuple arménien pourra développer librement sa culture
natale et sa vie nationale dans toutes ses aspects : langue, littérature,
industrie, économie, administration, justice, etc., et, bien sûr, de nouvelles
manières et de nouvelles directions.
8. Le Conseil national arménien fera
tout pour faciliter le travail de son gouvernement patron, y compris la
richesse nationale qu’est la terre, en tenant compte de la reconstruction
économique de l’Arménie et des intérêts des deux peuples.
9. Sous la protection du
Reich allemand, l’Arménie s’efforcera, autant qu’elle le pourra, de renforcer l’influence
allemande au
Proche-Orient. A cet
égard, le Conseil national arménien juge impératif d’évaluer les amères
déceptions et la terrible misère que la Russie, ainsi que l’Angleterre, ont
causé aux Arméniens au cours de l’histoire. C’est une bonne raison pour le
peuple arménien de se détourner gouvernements susmentionnés, de les abandonner
pour toujours. À cet égard, le Conseil national arménien voudrait évoquer le
combat de longue date que le peuple arménien a mené contre la tyrannie russe,
qu’elle fût bolchevique ou tzariste.
À cette occasion, il faut se souvenir de la révolte générale du peuple du 18
février 1921, à la suite de laquelle le despotisme bolchevique a été renversé
et un gouvernement national a été établi [après
une première bolchevisation, de décembre 1920 à février 1921], même si ce n’est
que pour une courte période [ironie, cet
éphémère gouvernement de la Fédération révolutionnaire arménienne a demandé l’aide
de la Turquie].
10. En outre, le Conseil national arménien s’efforcera de cultiver des
relations avec tous les peuples voisins, et en particulier avec les peuples du
Caucase et leurs organes nationaux, et, bien entendu, sur la base d’une
compréhension mutuelle et d’intérêts communs.
11. Conscient de l’intimité des liens historiques, politiques, économiques
et culturels entre la grande Allemagne
et son protectorat, l’Arménie, le Conseil national arménien considèrera
qu’il est de son devoir de renforcer ces liens et de les rendre indissociables.
À cette fin sont déjà appelées, et
seront appelées par la suite, ces forces arméniennes auxiliaires qui sont
maintenant actives et combattent avec les Allemands pour la victoire finale et
la libération [unités arméniennes de
la Wehrmacht et de la Waffen-SS].
12. Le Conseil national arménien est un agent de la période de transition
actuelle. Sa juridiction et son activité cesseront au moment où, sous la
direction de l’Allemagne et avec l’aide du Conseil national arménien, un
nouveau gouvernement est créé en Arménie. »
[Arthur Derounian], « Document Shows Dashnags as Nazi Collaborators », The Propaganda Battlefront, septembre 1945, reproduit idib. :
« Une preuve concluante du caractère fasciste de la Fédération
révolutionnaire américaine (Dashnag) a été fournie récemment par la découverte
d’un document allemand montrant que huit hauts responsables de la FRA ont
conclu un accord avec Alfred Rosenberg pour servir de dirigeants, comme [le nazi norvégien Vidkund] Quisling
lors de la conquête du Caucase par l’Allemagne [rappelons au passage que Quisling était arménophile].
Le document et les photographies supplémentaires montrent que le 12
décembre 1942, les dirigeants de l’ARF à Berlin, dirigés par le notoire général
Dro Ganayan, ont formé un comité national arménien pour servir d’agent entre l’Allemagne
et les Arméniens. Les traîtres du Dashnag considéraient “la protection
politique du Reich allemand sur l’Arménie comme la garantie la plus sûre“ et
considéraient les nazis comme des “libérateurs de l’Arménie”.
Les dirigeants de la FRA à Boston,
Douben Dasbinian et Simon Vratzian, ont, dans un premier temps, nié
frénétiquement l’authenticité du document, mais finalement admis dans l’organe
du parti, Hairenik, qu’il était authentique. »
Houri Berberian, « From Nationalist-Socialist to National Socialist?
The Shifting Politics of Abraham Giulkhandanian », dans Bedross Der Matossian
(dir.), The First Republic of Armenia
(1918-1920) on Its Centenary: Politics, Gender, and Diplomacy, Fresno,
California State University, 2020 :
« Beaucoup a été écrit sur [Drastamat
« Dro »] Kanayan et Nzhdeh [les
deux dirigeants de la Fédération révolutionnaire arménienne les plus compromis
avec le Troisième Reich], mais principalement dans une perspective
nationaliste et même apologétique. Une contribution critique et scientifique
concernant les deux hommes serait une intervention bienvenue qui pourrait informer
et améliorer notre compréhension du contexte général de la Seconde Guerre
mondiale. » (p. 62)
« En 1924, quelques années seulement après la défaite écrasante subie par
la Première République arménienne [en
1920] et la signature du traité d’Alexandropol et dans une tentative d’expliquer
la nécessité de maintenir vivante la question arménienne par la lutte,
Giulkhandanian [futur vice-président du
Conseil national arménien créé à Berlin en 1942, et décrit ci-dessus] a
trahi à la fois ses craintes et ses préjugés. En avril de cette année-là, il a
dit dans le mensuel Hayrenik : “C’est
le combat qui maintiendra notre question vivante […] C’est ce combat qui sauvera
le peuple arménien face au danger de judaïsation [hrēanalu vtangits’] ; enfin, c’est
ce combat qui sauvera au jour le jour, les Arméniens de Turquie, subjugués.” La
crainte exprimée par Giulkhandanian est claire. Son inquiétude en 1924 était
que les Arméniens fussent “judaïsés”, et par là il entendait devenir lâche et
faible — un lieu commun de l’antisémitisme —, ce qui trahit ses vues sur les
Juifs et peut expliquer, au moins en partie, sa décision, prise moins de deux
décennies plus tard, de collaborer avec l’Allemagne nazie. » (pp. 65-66)
Remarque : pour sa thèse de doctorat, qui portait sur les Arméniens d’Iran
entre 1905 et 1911, Mme Berberian a eu accès aux archives de la FRA ;
pour cet article, non. Pourquoi ?
Lire aussi :
Le
racisme aryaniste, substrat idéologique du nationalisme arménien
La
popularité du fascisme italien et du nazisme dans la diaspora arménienne et en
Arménie même
Misak
Torlakian : du terrorisme de Némésis au renseignement du Troisième Reich
L’arménophilie
d'Alfred Rosenberg
L’arménophilie
de Johann von Leers
Racisme
antiturc et antirusse dans la pensée de l’arménophile nazi Paul Rohrbach
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minuscule monument commémoratif de la Shoah d’Erevan a encore été vandalisé
Après
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(Talat Pacha) et Ernst Jäckh ?
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