Jean Naslian, Les Mémoires de Mgr Jean Naslian, évêque de Trébizonde, sur les événements politico-religieux en Proche-Orient, de 1914 à 1928, Vienne (Autriche), Imprimerie Méchithariste, 1955, tome II :
« […] Kémal qui, prenant conscience de cette nouvelle force et de la
politique soviétique contre les Alliés, entreprit vigoureusement la lutte dite
de «Libération nationale», qui n’était au fond que la lutte pour l’élimination
du chrétien, sous le couvert d’abord d’une insurrection contre l’autorité
du Sultan “emprisonné” (?) par les Alliés [évidemment,
pas un mot sur le débarquement grec à İzmir, le 15 mai 1919, et sur
les massacres de Turcs qui commencèrent tout de suite ; ni les
négociations menées avec succès par Naslian
lui-même avec les kémalistes, en 1922].
Aussi, c’est d’abord en Arménie turque [Anatolie
orientale, où les Arméniens étaient minoritaires depuis le XVIe
siècle au moins] que les fonctionnaires et officiers francs-maçons de la nouvelle
Turquie commencèrent [en 1919] à
résister aux ordres du gouvernement central [du
sultan, aux mains des Britanniques]] et à faire leurs essais. […]
L’appui des Francs-maçons d’Europe était d’avance acquis aux Unionistes [membres du Comité Union et progrès, au
pouvoir dans l’Empire ottoman de 1913 à 1918, ici confondu, de façon
tendancieuse, avec le mouvement national turc mené par Mustafa Kemal (Atatürk)]
et le franc-maçon Ahmed Riza s’établissait tranquillement et royalement à Paris
avec trois millions de budget de presse [affirmation
portée sans preuve, et dont aucune trace ne se trouve aux Archives nationales,
dans les cartons contenant les rapports de police parlant d’Ahmet Rıza[1]], ayant derrière lui toutes ces
organisations Unionistes et les Francs-maçons d’Europe, qui dominaient tous les
partis de gauche [rappelons ici que la
double appartenance à la franc-maçonnerie et à un parti communiste était alors
interdite].
[…] La grande Loge d’Italie faisait parvenir 750.000 lires à la Grande
Assemblée pour la continuation de la guerre contre ses propres alliés [contrevérité plagiée, comme celle
concernant Ahmet Rıza, d’un livre de Paul
de Rémusat, agent d’influence de l’Italie fasciste]. » (pp. 17-18)
« Kémal Moustafa [Atatürk], d’après
Damad
Férid [grand vizir aux mains des
Britanniques, démissionnaire en octobre 1920], d’origine juive [affirmation délirante : il venait d’une
famille de Türkmènes yörürk ; du reste, judaïser et diaboliser un
adversaire est typiquement antisémite] ; il avait commencé ses études à l’école
militaire de Pancaldi et les avait terminées en Allemagne [faux]. Ancien attaché militaire à Sofia, il se faisait passer pour
germanophile [c’est le contraire qui est
vrai], comme presque tous les officiers ottomans [affirmation très exagérée]. » (p. 596)
« Au moment où le Patriarche grec luttait contre le révolté “Papa
Eftim” [fondateur du patriarcat turc
orthodoxe] pour maintenir la position séculaire de son Patriarcat, que de
notre côté, nous tâchions de consolider les bases juridiques de la position de
notre Patriarcat [arménien catholique],
et que le Patriarcat [arménien] grégorien
s’efforçait de se réorganiser par l’élection de son Patriarche, la communauté
israélite, par instigation du club judaïque Béné-bérith (Loge maçonnique) et
sous la pression et direction d’un certain Moustafa Fevzi, député à Ankara et
président de la commission pour les droits minoritaires des Israélites, renonça
la première et avec ostentation à ses droits minoritaires. [Ce qui revient à dire que les francs-maçons juifs ont puissamment aidé
le gouvernement kémaliste à imposer la laïcisation du droit de la famille aux
communautés non-musulmanes, préalable à l’adoption du Code civil suisse en 1926 ;
or, Naslian consacre des pages entières, dans ses Mémoires, à dire tout le mal
possible de cette mesure de laïcisation.] »
(pp. 773-774)
Jean Naslian demeure une référence appréciée dans l’historiographie
arménienne. Raymond Kévorkian le cite volontiers dans Le Génocide des Arméniens, Paris, Odile Jacob, 2006, p. 466 (en se
trompant, soit dit en passant, sur la date de publication : M. Kévorkian n’est
pas à une erreur près). Vahakn Dadrian, « historien » par excellence
de l’Arménie comme de la diaspora, sur la question de 1915, décoré par la
République d’Arménie, s’appuie également sur Naslian (« Children as Victims of
Genocide: The Armenian Case », Journal of
Genocide Research, V-3, septembre 2003, p. 437, n. 31), ce qui n’est pas
étonnant, puisque feu Dadrian croyait
lui aussi à la théorie du « complot judéo-maçonnico-dönme »
derrière le Comité Union et progrès. Burçin Gerçek et Taner Akçam (élève de feu
Dadrian) citent Naslian pas moins de quatre fois dans leur livret Turkish Rescuers, publié en 2015 (pp. 18,
45, 50 et 66).
De même, c’est sans aucun avertissement que l’Association pour la recherche
l’archivage de la mémoire arménienne (ARAM, Marseille) a mis
en ligne les Mémoires de Naslian. Le seul commentaire qui figure dans la
présentation de cet ouvrage par l’Association culturelle arménienne de
Marne-la-Vallée est apologétique : « Au milieu des années 1950, où
les études d’historiens étaient encore très rares sur l’extermination des
Arméniens en 1914-1918, Jean NASLIAN a accompli un véritable travail d’historien
d’investigation […]. »
Quant à l’urologue Yves
Ternon, il est certes beaucoup plus critique, mais ne voit pas la nécessité
de citer l’antijudéomaçonnisme de Naslian : « Cet ouvrage contient
trop d’erreurs flagrantes pour être retenu, à l’exception des mémoires
personnels de l’évêque […] » (Yves Ternon, Les Arméniens, histoire d’un génocide, Paris, Le Seuil, 1996, p.
397, n. 42). Donc, croire au « complot judéo-maçonnique » est une « erreur »
selon lui (à condition, bien entendu, de porter un nom en -ian).
Lire aussi :
La
grécophilie, l’arménophilie et l’antijudéomaçonnisme fort peu désintéressés de
Michel Paillarès
La
remarquable complaisance d’Aurore Bruna pour l’antisémitisme visant Kemal
Atatürk
L’helléniste
Bertrand Bareilles : arménophilie, turcophobie et antisémitisme (ensemble
connu)
L’arménophilie
de Johann von Leers
Non,
il n’y a pas eu de « massacre d’Arméniens » à Kars en 1920 (ce fut le contraire)
Les
catholiques (y compris les Arméniens catholiques) et la guerre d’indépendance
turque
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