Procès de Nuremberg (1945-1946).
Une des falsifications les plus maladroites — et pourtant aussi une des
plus durablement utilisés dans la propagande nationaliste arménienne[1]
— est une phrase attribuée à Adolf Hitler. L’origine de cette phrase est un
livre publié par l’ancien correspondant de l’Associated Press, livre où l’auteur
reproduit ce qui est censé être une transcription du discours prononcé le 22
août 1939 par le Führer : Louis Lochner, What
About Germany?, New York, Dod, Mead, & C°, 1942, pp. 1-2. Outre que
même dans la version Lochner, il n’est nullement question des Juifs mais de la
Pologne (sans aucune référence à sa minorité israélite), du racisme antislave
et non de l’antisémitisme, cette version a été rejetée par tout le monde lors
du procès de Nuremberg.
Procès
des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international de
Nuremberg, Nuremberg, Imprimerie du TMI, tome II, Débats. 14 novembre 1945-30 novembre 1945,
1947 :
« M. [Sidney] ALDERMAN [procureur américain]. — […] En présentant ces
documents accablants, relatifs au déclenchement de la guerre en septembre 1939,
je dois attirer l’attention du Tribunal sur un groupe de documents concernant
un discours, ou plutôt une allocution adressée par Hitler, le 22 août 1939, à
ses grands chefs militaires à Obersalzberg, juste une semaine avant l’attaque
de la Pologne. Nous avons trois de ces documents ; ils se tiennent et
constituent un groupe unique. Je ne vais pas déposer le premier. Je vous
présenterai les deux autres.
La raison en est la suivante: le
premier de ces trois documents, qui nous est parvenu par l’intermédiaire d’un
journaliste américain [Louis Lochner], prétendait être le compte rendu
original de cette réunion d’Obersalzberg, remis à ce journaliste américain par
une tierce personne, mais nous n’avons aucune preuve que le document ait
été réellement remis à cet intermédiaire par celui qui avait pris les notes.
Ce document n’a donc servi qu’à donner l’éveil à notre Ministère Public et à
lui faire chercher des documents plus
satisfaisants. Heureusement, nous avons pu obtenir les deux autres documents,
qui montrent que Hitler prononça, ce jour-là, deux discours, un le matin
peut-être et l’autre l’après-midi comme le montrait le compte rendu original
que nous avons saisi. En rapprochant ces deux documents du premier, nous
arrivons à la conclusion que le premier document était une combinaison
légèrement tronquée des deux discours.
Le 22 août 1939, Hitler avait convoqué à Obersalzberg, les trois chefs
suprêmes des trois armes de la Wehrmacht, ainsi que les généraux portant le
titre d’« Oberbefehlshaber», ou Commandants en chef.
Je vous ai dit comment, ce premier document découvert, le Ministère Public s’est mis à la recherche de preuves plus solides
des événements de cette journée. Il y est parvenu. Dans les dossiers de l’OKW,
ou Oberkommando der Wehrmacht, à Flensburg, nous avons découvert deux discours
prononcés par Hitler à Obersalzberg, le 22 août 1939. Ces pièces portent les
numéros PS-798 et PS-1014 dans nos séries de documents. » (pp. 289-290)
« Dr OTTO STAHMER (avocat de l’accusé Goring). — Puis-je faire une
courte déclaration, Monsieur le Président, au sujet des deux documents qui
viennent d’être lus ? La Défense ne reconnaît pas les deux documents qui
viennent d’être lus ainsi que le troisième qui ne l’a pas été, mais auquel on s’est
référé [donc, le premier chronologiquement, celui de Lochner]. […]
Quant au troisième document qui n’a pas été lu, d’après la photocopie, il s’agit
d’un texte simplement dactylographié, déposé à la section de documentation de
la Défense. Il n’est fait mention ni de la date, ni du lieu où il a été établi.
LE PRÉSIDENT. — Le troisième
document ne nous intéresse pas puisqu’il n’a pas été lu.
Dr STAHMER. — Monsieur le Président, ce document a pourtant été publié dans
la presse qui semble l’avoir reçu des mains du Ministère Public. C’est pourquoi
il est d’une extrême importance pour la Défense et les accusés, que quelques
brèves explications soient données sur ces documents.
LE PRÉSIDENT. — Le Tribunal juge d’après les preuves déposées et non d’après
les articles parus dans les journaux. Le troisième document n’a pas été déposé
devant le Tribunal. » (pp. 294-295)
Le compte-rendu sténographique du procès de Nuremberg est limpide : l’accusation
considérait la version Lochner comme apocryphe, la défense comme un faux
grossier et le président comme un texte dépourvu de toute valeur. Dans la
controverse qui a opposé Türkkaya Ataöv, alors directeur du département des
sciences politique à l’université d’Ankara, et Norman Ravitch, alors professeur
à l’université de Californie, Riverside, M. Ravitch s’est soigneusement abstenu
de répondre quoi que ce fût sur la phrase faussement attribuée à Hitler, et qu’il
avait malencontreusement citée, reconnaissant implicitement s’être trompé :
Türkkaya Ataöv et Norman Ravitch, « The Armenian
Question », Encounter, mai 1982, pp.
91-94.
Une dernière observation : entre autres manipulations, Vahakn Dadrian cite
dans son Histoire du génocide arménien,
Paris, Stock, 1996, un entretien prétendument accordé par Hitler en 1931, et
resté inédit de son vivant, pour des raisons inconnues, puis publié pour la
première fois en 1969 par le journaliste italo-croate Édouard Calic. Dans cet
entretien, un des passages attribués à Hitler lie le déplacement forcé d’Arméniens
ottomans en 1915-1916 à ses projets d’expansion à l’est (mais là encore, rien
sur les Juifs). Or, l’authenticité de cet entretien a été critiquée dès les
années 1970 et l’évolution de la controverse tourna tellement au désavantage de
Calic dans les années 1980, qu’il cessa de prétendre que ce texte était authentique. Calic est mort en 2003 sans avoir su répondre aux preuves de la falsification. Sur ce sujet,
voir Benjamin Carter Hett, Burning the
Reichstag. An Investigation into the Third Reich’s Enduring Mystery,
Oxford-New York, Oxford University Press, 2014, pp. 309-314.
Lire aussi :
[1] Peter Balakian, The Burning Tigris, New York, Perennial,
2004, p. 129 ; Comité de soutien à Max Kilndjian, Les Arméniens en cour d’assises. Terroristes ou résistants ?,
Roquevaire, Parenthèses, 1983, p. 199 (plaidoirie d’Henri
Leclerc) ; Jacques Nazarian, Robert Donikian et Vartkès Solakian, Le Deuil national arménien, Lyon, Centre
d’études arméniennes, 1965, p. 129. Plus récemment, Vincent
Duclert, qui n’en rate
pas une, a encore repris ce faux dans La
France face au génocide des Arméniens, Paris, Fayard, 2015.
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