jeudi 3 octobre 2024

La participation de la Fédération révolutionnaire arménienne à la répression sanguinaire des Soviétiques contre les patriotes d’Asie centrale en 1918-1919

 



 Cloé Drieu, « Situation révolutionnaire au Turkestan (février 1917-février 1918). Les dynamiques locales des révolutions russes », Vingtième siècle. Revue d’histoire, juillet-septembre 2017, p. 100 :

« Les combats à Kokand commencent en février 1918 et opposent les forces armées du soviet de Tachkent aux forces musulmanes composées, entre autres, de deux mille hommes mais sans véritable expérience de combat. À la suite des bombardements, des incendies et des pillages, ces forces sont rapidement mises en déroute par les gardes rouges qui ont recruté des militaires stationnés au Turkestan ou démobilisés du front, des prisonniers de guerre allemands et austro-hongrois, ainsi que des milices arméniennes Dashnak [c’est-à-dire de la Fédération révolutionnaire arménienne] composées de rescapés du génocide [affirmation doublement incorrecte : les massacres d’Arméniens ottomans en 1915-1916 ne relèvent pas de la catégorie juridique du génocide, même en laissant de côté de la non-rétroactivité des lois ; et les volontaires arméniens en question étaient soit des Arméniens russes, soit des Arméniens ottomans ayant franchi la frontière en 1914 pour s’engager dans l’armée tsariste. Mme Drieu croit d’ailleurs si peu à cette affirmation qu’elle l’a retirée dans la version anglaise de son article.]. Un tiers de la ville a été détruit et il y a eu dix mille victimes. Le 5 février (18 février), le gouvernement autonome de Kokand est renversé. »

 

Stéphane A. Dudoignon, « Islam et nationalisme en Asie centrale au début de la période soviétique (1924-1937). L’exemple de l’Ouzbékistan, à travers quelques sources littéraires », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 2002 :

« Dans l’un de ces récits de voyage, intitulé tout simplement “Parmi les ruines” et publié de mars à juin 1924 dans la très officielle revue Farghâna [ce qui signifie que, durant la période de relative liberté d’expression sur certains sujets en URSS, de 1922 à 1928, le mécontentement était tel que la critique tolérée apparaissait comme une soupape de sécurité : c’est d’ailleurs cohérent avec le fait que les insurgés d’Asie centrale continuent de combattre l’Armée rouge dans des batailles rangées jusqu’en 1926, puis dans des opérations de guérilla jusqu’en 1934 au moins], Čulpân s’étonne de la continuité d’un système de ségrégation ethnique à l’aube d’une nouvelle ère pourtant censée abolir les excès de la précédente. Le prétexte de cette dénonciation lui est donné par une étude sur l’histoire de quelques lieux de villégiature de Crimée, du Caucase et du Turkestan. L’auteur s’attarde notamment sur la ville de Djalalabad, une station thermale du Ferghana oriental, dont l’accès était réservé sous l’ancien régime à la bourgeoisie russe de Tachkent. La construction de cette station, pendant les dernières décennies de la période impériale, avait occasionné la migration forcée des populations kirghizes et ouzbèques locales. Ces dernières, brutalement privées de leurs terres, s’étaient empressées de rejoindre dès l’été 1916 les bandes armées de “saisonniers” en révolte [contre le régime tsariste], puis celles des “basmatchis” opposés à l’Armée Rouge.

Le discours historique de Čulpân sur les origines sociales de la résistance “bas-matchie” est intéressant dans la mesure où il révèle au nombreux lectorat de la presse soviétique turkestanaise le caractère éminemment “ethnique” des conflits territoriaux et économiques de l’Asie centrale coloniale, à une date où le “basmatchisme” est loin d’avoir disparu du Ferghana. Čulpân accuse le trait en rappelant les massacres des populations musulmanes du Ferghana, pendant les quatre premières années du pouvoir soviétique, par les bandes defedayins arméniens du parti Dachnak (millî dasnâq), utilisées par l’état-major turkestanais de l’Armée Rouge pour venir à bout des “basmatchis”, tout en vengeant dans le sang de populations tûrkes les victimes du génocide caucasien.

C’est une véritable “dictature arménienne” (arman dîktâtûrâsî) enveloppée du drapeau rouge dont Čulpân dénonce l’instauration au Ferghana par le pouvoir soviétique, pour un nettoyage social et ethnique conduit avec une extrême violence, au prétexte de la lutte contre la résistance armée (41). Cette mise au jour des facteurs économiques et sociaux de la “révolte des saisonniers” et de la résistance “basmatchie” replace ces mouvements dans le prolongement logique des grands soulèvements turkestanais de la période coloniale.

[…]

Dès le lendemain de la féroce répression de l’Autonomie turkestanaise en février 1918, le pouvoir soviétique est perçu par les auteurs de la dernière génération ðadîd comme un continuateur de l’œuvre d’expropriation territoriale, de ruine économique et de régression culturelle des communautés musulmanes autochtones. Les soviets apparaissent en cela comme un simple avatar de l’administration russe de la période coloniale, défendant les intérêts des colons européens et chrétiens contre la population « locale » musulmane — alors que l’administration impériale avait au moins le mérite de permettre l’initiative autochtone en matière d’organisation communautaire, symbolisée notamment par le rôle du mécénat privé dans le renouveau des maktab-s et des madrasa-s au tournant du XXe siècle. »

 

____________

(41) Pour de rares statistiques sur l’implication de combattants arméniens du Caucase dans la répression de la résistance ferghanaise, à partir du printemps 1918 — un sujet tabou de l’historiographie ouzbèque soviétique et post-soviétique, voir notamment Samagdiev, 1961 : 79-112. »

 

Yu. A. Lysenko, « National Units of the Red Army in the Steppe Region and Turkestan During the Civil War », Vestnik of Saint Petersburg University. History, LXIII-4, 2018, p. 1125 :

« Troisièmement, les raisons de la défiance de la population indigène du Kraï des steppes et du Turkestan envers le gouvernement soviétique et les bolcheviks, sa participation passive à la mobilisation dans l’Armée rouge pourraient s’expliquer par ce qui est appelé la “question arménienne”. Avec des forces limitées au début de 1918, les bolcheviks ont attiré des membres de la branche régionale du parti arménien Dachnaktsutyun pour vaincre l’autonomie de Kokand, les ayant armés et ayant créé des unités de combat de l’Armée rouge. La défaite écrasante de l’autonomie [turcique] s’est accompagnée de massacres de la population musulmane indigène, d’atrocités, de vols et de violences commises par les Arméniens. La coopération militaire entre les bolcheviks et le “Dashnaktsutyun” a continué jusqu’au printemps 1919. De 1918 jusqu’au milieu de 1919, la dictature révolutionnaire et les soviets d’Andijan étaient en fait contrôlés par les Dachnaks. Sous prétexte de combattre les basmachi, ils ont mené des raids sur les villages de la population musulmane et les villes de la région à des fins de réquisition ou de pillage. »

 




Joseph Castagné, Les Basmatchis. Le mouvement national des indigènes d’Asie centrale, de la révolution d’octobre 1917 jusqu’en octobre 1924, Paris, Ernest Leroux, 1925, p. 19 :

« L’incendie de Kokand (30 janvier au 6 février 1918) n’était pas encore éteint que les troupes bolchevistes [unités arméniennes incluses] étaient lancées sur la Boukharie [émirat d’Asie centrale, indépendant de fait en 1918-1920, aussi appelé Boukhara]. Sous aucun prétexte, sinon la soif du pillage, et sans déclaration de guerre préalable, le 10 mars 1918 l’armée rouge entre en Boukharie s’empare de Ziaeddine, le 12 elle occupe Kermineh qu’elle pille. Terrifiés, les habitants s’enfuient vers Boukhara. »

 

Lire aussi, sur la Fédération révolutionnaire arménienne à la même époque :

L’assassinat du maire de Van Bedros Kapamaciyan par la Fédération révolutionnaire arménienne (1912)

1914-1915 : la mobilisation du nationalisme arménien au service de l’expansionnisme russe

Les massacres d’Azéris par les dachnaks et les divisions entre Arméniens à ce sujet (1918-1920)

Les massacres de Juifs par les dachnaks en Azerbaïdjan (1918-1919)

 

Sur l’utilisation du nationalisme arménien par l’URSS :

L’alliance soviéto-nazie (1939-1941) et les projets staliniens contre la Turquie

L’agitation irrédentiste dans l’Arménie soviétique à l’époque de l’alliance entre Staline et Hitler

La popularité du stalinisme dans la diaspora arménienne

De l’anarchisme au fascisme, les alliances très variables d’Archag Tchobanian

L’arménophilie stalinienne de Léon Moussinac

L’Union générale arménienne de bienfaisance et le scandale des piastres

Le stalinisme en France et le mythe Manouchian

 

Sur son héritage contemporain :

Le consensus poutiniste chez les nationalistes arméniens

L’hostilité intangible des nationalistes arméniens à l’égard de l’Ukraine

mardi 1 octobre 2024

Les liens entre arménophilie et antisémitisme chez le vichyste George Montandon et dans sa revue « L’Ethnie française »

 


George Montandon, « Racisme et Juifs », L’Ethnie française, n° 7, janvier 1943, p. 6 :

« Il est arrivé à bien des groupements historiques, au cours des temps, de subir de éclipses. Ce fut le cas des Grecs, qui, pendant près d’un demi-millénaire, ont été sous la domination turque, c’est encore le cas du groupe ethnique des Arméniens, disloqué entre trois autres pays (Russie, Turquie êt Perse). Or, quelle fut l’attitude de ces peuples et de presque tous ceux qui se sont trouvés dans le même cas et avaient une vitalité suffisante pour ne pas disparaître ? Tout en continuant à entretenir ce qui faisait de chacun d’eux une entité propre, ils ont participé à la vie des nouvelles unités nationales au sein desquelles ils étaient englobés comme des femmes qui, soit légitimement, soit de fait, sont mariées à un homme. Ainsi, pour en revenir à un peuple dont il y a lieu de comparer le comportement, sur environ 3 millions d’Arméniens existants, il n’y en a pas beaucoup plus d’un demi-million qui soient dispersés sur le .globe, où ils ne constituent aucun danger social ou politique pour les pays qui les hébergent, tandis que 2 millions ½ d’entre eux restent enracinés sur l’étendue des trois pays dont fait partie l’Arménie, et que l’ethnie arménienne met avec persévérance ses dons et ses efforts au bénéfice presque exclusif du Proche-Orient et de leur terre d’origine.

En est-il de même des Juifs ? Il existe de 16 à 20 millions de Juifs de par le monde. Une statistique de 1937, portant sur l 6 millions d’individus, donnait la répartition suivante :

10 millions de Juifs en Europe,

5 millions en Amérique,

moins d’un million dans toute l’Asie,

et un demi-million en Afrique.

Si l’on compare les pourcentages, on constate que 96 % des Arméniens vivent dans les trois· pays dont est faite l’Arménie, et 50 % dans cette Arménie même, où la majorité sont laboureurs, tandis que les Juifs ont déserté leur pays pour s’incruster chez d’autres, puis qu’il n’y a que 5 % des Juifs dans l’Asie entière.

Le fait de se réclamer de nationalismes multiples comme le font les Juifs — sans oublier de trahir pour Sion, dès qu’il leur est possible — n’est comparable qu’à la ligne de conduite de la femme publique qui se donne à tous. La communauté juive vit sur le globe en état de prostitution ethnique. »




 

Georges Mauco (membre du Parti populaire français de Jacques Doriot, collaborationniste), « La situation démographique de la France », ibid., p. 15 :

« Dans un précédent article n° 6 de L’ETHNIE FRANÇAISE consacré à l’immigration étrangère en France, nous avons été amené à faire un exposé — qui a été jugé sévère — des inconvénients de l’immigration des réfugiés arméniens. C’est que nous n’avons établi qu’un bilan imposé par 20 ans d’expérience, et non une étude détaillée de la population arménienne en France.

Une telle étude ferait apparaître des exceptions heureuses, les qualités de certaines familles laborieuses, le courage de quelques Arméniens adaptés au travail manuel dans l’industrie et même dans l’agriculture.

Elle mettrait en valeur l’origine ethnique et la formation chrétienne des Arméniens qui facilitent l’assimilation ; l’existence d’une patrie à laquelle ils restent attachés et l’absence d’une activité politique internationale agissante. Toutes choses qui distinguent nettement les réfugiés arméniens des réfugiés et apatrides juifs. »

 

Valérie de Graffenried, « L’ethnologue devenu antisémite », Le Temps, 29 décembre 2014 :

« Dès 1938, il [George Montandon] entre en contact avec Louis-Ferdinand Céline [écrivain qui appelait à une alliance avec Hitler dès 1937, collaborationniste sous l’Occupation allemande], dont Bagatelles pour un massacre semble influencé par ses travaux. Dans Féerie pour une autre fois, l’écrivain dira de lui: “Il ne savait pas rire Montandon, il était gris de figure, de col, d’imperméable, de chaussures, tout… mais quel bel esprit ! Tout gris certes ! Pas une parole plus haute que l’autre ! Mais quelles précisions admirables !”

Montandon approuve les lois raciales italiennes relatives aux Juifs, va jusqu’à publier un article, dans une revue raciste italienne, intitulé L’Etnia putana. […]

En juillet 1940, on le retrouve comme directeur de la revue L’Ethnie française. Il publie notamment Comment reconnaître le Juif ?, dont 30 pages sont consacrées aux “traits du masque juif”, et contribue à l’organisation de l’exposition de Berlitz, “Le Juif et la France”. A partir de 1941, George Montandon est attaché au Commissariat général aux questions juives en qualité d’ethnologue. Il pratique des “visites raciales”, dont les conclusions sont adressées aux autorités de la police de Vichy.

Nommé en 1943 directeur de l’Institut d’études des questions juives et ethnoraciales, qui publie Le Cahier jaune, le Neuchâtelois fait notamment distribuer, aux étudiants de médecine, une traduction du Manuel d’eugénique et d’hérédité humaine du nazi Otmar von Verschuer. Et propose, dans Le Cahier jaune, de pratiquer une “opération défigurante pour les belles juives”. »

 

Marie-Anne Matard-Bonucci, L’Italie fasciste et la persécution des Juifs, Paris, Perrin, 2007, pp. 293-294 :

« Parmi les idéologues de l’Hexagone, le professeur Montandon bénéficia d’une certaine notoriété dans les milieux racistes italiens. La Difesa della razza [revue doctrinaire du racisme fasciste, à laquelle contribuait l’arménophile Carlo Barduzzi] avait joué un rôle important dans sa promotion. C’est à la revue italienne qu’il livra la primeur de ses cogitations sur “l’ethnie putain”, l’intégration des Juifs au sein des nations étant assimilable à une “forme de prostitution”. Fier de ce qu’il considérait comme une innovation “conceptuelle”, sa publication en avant-première dans La Difesa della Razza avait contribué à sa diffusion, le concept étant depuis lors, pouvait-on lire, “couramment accepté” : la légitimation fonctionnaire à double sens. »

 

Michaël R. Marrus et Robert O. Paxton, Vichy et les Juifs, Paris, Librairie générale française, « Le livre de poche », 2004, p. 138 :

« [Xavier] Vallat [qui dirigeait alors le Commissariat général aux Questions juives, C.G.Q.J.] demanda au Dr George Montandon, ethnologue suisse raciste, charlatan, de faire partie de ses services. Montandon semble être resté plutôt isolé dans le C.G.Q.J. de Vallat, mais avec lui entraient les formes les plus sommaires de la phrénologie et des mensurations crâniennes. »


Précisons pour finir que Marc Knobel, l’un des défenseurs les plus fanatiques du nationalisme arménien dans la France contemporaine, est l’auteur d’une étude sur Montandon, publiée en 1988 (le seul travail de M. Knobel qui soit paru dans une revue à comité de lecture). Il est donc impossible qu’il soit passé à côté des textes ci-dessus, ou de l’article de R. Khérumian (lié au vichyste arménophile André Faillet) paru dans L’Ethnie française de janvier 1943. Or, quand on lui parle de l’antisémitisme du nationalisme arménien, M. Knobel choisit le déni grossier.

 

Lire aussi :

L’arménophilie du régime de Vichy

De l’anarchisme au fascisme, les alliances très variables d’Archag Tchobanian

Aram Turabian : raciste, antisémite, fasciste et référence du nationalisme arménien en 2020

Paul Chack : d’un conservatisme républicain, philosémite et turcophile à une extrême droite collaborationniste, antisémite, turcophobe et arménophile

L’arménophilie-turcophobie du pétainiste Henry Bordeaux

Camille Mauclair : tournant réactionnaire, antisémitisme, turcophobie, soutien à la cause arménienne, vichysme

Paul de Rémusat (alias Paul du Véou) : un tenant du « complot judéo-maçonnique », un agent d’influence de l’Italie fasciste et une référence pour le nationalisme arménien contemporain

L’helléniste Bertrand Bareilles : arménophilie, turcophobie et antisémitisme (ensemble connu)

Maurice Barrès : de l’antisémite arménophile au philosémite turcophile

 

Sur d’autres pays :

L’arménophilie fasciste, aryaniste et antisémite de Carlo Barduzzi

L’arménophilie fasciste de Lauro Mainardi

La précocité du rapprochement entre la Fédération révolutionnaire arménienne et l’Italie fasciste (1922-1928)

La collaboration de la Fédération révolutionnaire arménienne avec le Troisième Reich

Paul Rohrbach : militant arménophile, référence du nationalisme arménien, théoricien de l’extermination des Hereros et inspirateur d’Hitler

L’arménophilie d’Alfred Rosenberg, inspirateur et ministre d’Hitler

L’arménophilie nazie de Johann von Leers

Le Hossank, l’autre parti nazi arménien

L’arménophilie du nazi norvégien Vidkun Quisling

Arthur Tchérep-Spiridovitch : arménophile militant, antisémite professionnel, raciste aryaniste et inspirateur du nazisme

La participation de la Fédération révolutionnaire arménienne à la répression sanguinaire des Soviétiques contre les patriotes d’Asie centrale en 1918-1919

    Cloé Drieu, « Situation révolutionnaire au Turkestan (février 1917-février 1918). Les dynamiques locales des révolutions russes » , Vi...

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