lundi 28 octobre 2024

Une association juive américaine dénonce l’antisémitisme de Dan Bilzerian


 


« Dan Bilzerian », Stopantisemitism.org, 25 octobre 2024 :

« Dan Bilzerian, le tristement célèbre misogyne sur Internet et héritier fortuné, a rejoint les rangs des antisémites qui ont tellement de temps libre que cela en est devenu une obsession malsaine envers le peuple juif. Son ascension vers la célébrité est un peu floue, mais il se murmure que ce “joueur de poker” et “homme d’affaires” a hérité d’une grande partie de sa fortune de son père, le repris de justice Paul Bilzerian. Le passé antisémite de Dan Bilzerian remonte à 2011, lorsqu’il a partagé sa théorie de conspiration dérangeante selon laquelle le peuple juif était responsable des attentats terroristes du 11 septembre.

Les publications de Bilzerian sur les réseaux sociaux n’ont fait que devenir plus viles depuis le massacre du 7 octobre. Il a partagé ses propres théories sur les attentats du 7 octobre, de fausses citations du Talmud et il a exprimé son soutien aux terroristes. Avec un nombre d’abonnés qui s’élève à 1,8 million, il est incompréhensible qu’il soit encore autorisé à avoir une plateforme pour exprimer sa haine.

Dans l’une de ses déclarations les plus flagrantes sur X [Twitter], Bilzerian a publié une vidéo de lui-même niant les viols et les décapitations commis par le Hamas le 7 octobre. Bilzerian semble obsédé par l’idée d’absoudre le Hamas tout en présentant Israël comme l’agresseur. Il propage des affirmations grotesques et déjà démontées, notamment la contrevérité selon laquelle les Israéliens se battent pour un « droit » d’agresser sexuellement des prisonniers palestiniens – dans le seul but d’alimenter sa haine envers les Juifs tout en rejetant les souffrances israéliennes.

Dan Bilzerian nie les atrocités du 7 octobre.

Dans un autre texte, Bilzerian ne montre aucune sympathie pour les Israéliens contraints de se réfugier dans des abris anti-aériens alors que les roquettes pleuvent de tous côtés. Il tente de justifier sa haine envers Israël en accusant l’armée israélienne de cibler des dirigeants étrangers – ignorant commodément que ces « dirigeants » incluent les chefs de groupes désignés comme terroristes comme Nasrallah, Haniyeh et Sinwar. Pour couronner le tout, il affirme que le monde « célèbrera » la disparition d’Israël. Pas une seule fois Bilzerian n’offre un véritable soutien aux Palestiniens ni ne suggère de voies vers la paix. Son objectif est simple : voir la souffrance juive s’intensifier, quel qu’en soit le prix.

Après que l’armée israélienne a éliminé avec succès le terroriste Yahya Sinwar, Bilzerian a honoré sur X le chef du Hamas, le qualifiant de « héros ». Il a fièrement exprimé son adoration pour Sinwar – également connu sous le nom de « Boucher de Khan Younis » – le terroriste responsable du massacre du 7 octobre et de la famine et de la mort de son propre peuple. Bilzerian a en outre affirmé que le Hamas n’est pas un groupe terroriste et que si nous avions plus de gens comme Sinwar, le monde serait meilleur.

Bilzerian qualifie fréquemment Israël de parasite, diffuse des théories de complot dangereuses selon lesquelles Israël contrôlerait le gouvernement américain et aurait des « employés » à sa solde. Il croit fermement et à tort que le suprémacisme juif serait la plus grande menace pour l’Amérique et le monde. »

 

Deux remarques :

1)      Avec 1,8 millions d’abonnés sur Twitter/X, M. Bilzerian est tout sauf un personnage marginal ;

2)  S’il ne saurait être question d’établir une quelconque responsabilité collective, chacun est responsable de ce qu’il dit comme de ce qu’il choisit de ne pas dire, or, le Comité national arménien d’Amérique (lui-même antisémite) n’a pas tweeté une seule fois pour dénoncer M. Bilzerian. Même silence du côté de l’Assemblée arménienne d’Amérique (dominée par le parti Ramkavar) et du Conseil arménien d’Amérique (affilié au parti Hintchak). Pire, le 17 août dernier, Zartonk Media (site nationaliste arménien installé aux États-Unis, sans affiliation partisane discernable, et qui a plus de trente mille abonnés sur Twitter/X) a cité M. Bilzerian  comme une référence… pour s’en prendre à Israël.

 

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dimanche 20 octobre 2024

L’affaire Gilles Veinstein : la liberté des historiens attaquée

 



 Gilles Veinstein, « Trois questions sur un massacre », L’Histoire, n° 187, avril 1995, pp. 40-41 :

« La réalité des massacres, et même leur ampleur ne sont mis en question par personne, y compris en Turquie. En fait, la controverse porte sur trois points principaux, de nature fort différente. En premier lieu, le chiffre d’un million et demi de victimes qui figure sur le monument commémoratif de Marseille, et qui est rituellement répété, est aujourd’hui rejeté par de nombreux historiens, proches ou non des thèses officielles turques. Loin d’être le plus minimaliste, le démographe américain Justin McCarthy, par exemple, estime que l’ensemble des Arméniens d’Anatolie ne dépassait pas un million et demi de personnes à la veille du conflit mondial, et que, compte tenu du chiffre des rescapés, environ 600 000 Arméniens auraient péri en Anatolie en 1915, soit près de la moitié de la communauté [4].

Deuxième point : il y eut aussi de très nombreuses victimes parmi les musulmans tout au long de la guerre, du fait des combats mais aussi des actions menées contre eux par des Arméniens, dans un contexte de rivalité ethnique et nationale [5]. S’il y a des victimes oubliées, ce sont bien celles-là, et les Turcs d’aujourd’hui sont en droit de dénoncer la partialité de l’opinion occidentale à cet égard. Est-ce parce qu’il ne s’agissait que de musulmans qu’on les néglige, ou bien parce qu’on estimerait implicitement que le succès final de leurs congénères les prive du statut de martyrs ? Quel regard porterions-nous donc sur les mêmes faits, si les choses avaient tourné autrement, si les Arméniens avaient finalement fondé, sur les décombres ottomans, un État durable en Anatolie ?

Mais le dernier point, crucial, du débat, par ses implications juridiques et politiques, est de savoir si les massacres perpétrés contre les Arméniens le furent sur ordre du gouvernement jeune-turc, si les transferts n’ont été qu’un leurre pour une entreprise systématique d’extermination, mise en œuvre selon des modalités diverses, mais décidée, planifiée, téléguidée au niveau gouvernemental, ou si les Jeunes-Turcs furent seulement coupables d’avoir imprudemment déclenché des déplacements qui finirent en hécatombes. Le seul fait de poser la question peut sembler absurde et scandaleux. Il est vrai que l’implication étatique est un préalable à la pleine application à la tragédie arménienne du terme de génocide, tel qu’il a été forgé en 1944 et défini par le procès de Nuremberg et la convention des Nations Unies de 1948.

Il faut pourtant admettre qu’on ne dispose pas jusqu’à présent de preuve de cette implication gouvernementale. Les documents produits par les Arméniens, des ordres de Talaat Pacha, ministre de l’Intérieur, et d’autres hauts officiels ottomans ordonnant explicitement le massacre des hommes, des femmes, et des enfants arméniens, désignés comme “documents Andonian”, du nom de leur éditeur, n’étaient que des faux, comme la critique historique l’a prouvé par la suite [6]. […]

Au demeurant, quels que soient les indices qu’on estimera pouvoir en tirer en faveur d’une implication du gouvernement ottoman, il restera à expliquer comment dans le même temps les autorités d’Istanbul dénonçaient les exactions commises contre les Arméniens, en interdisaient le renouvellement, traînaient les coupables devant des cours martiales. On a ainsi connaissance de 1 397 cas de condamnations d’agents ottomans pour crimes contre les Arméniens, dont des condamnations à mort [9]. »

 

Pierre Chuvin, « Mauvais procès contre un historien », Libération, 6 janvier 1999 :

« Monsieur Gilles Veinstein, historien de la période classique de l’Empire ottoman (XVIe-XVIIIe siècles), vient d’être élu au Collège de France. Selon le rituel de cette institution, l’élection s’est déroulée en deux étapes séparées par plusieurs mois : décision sur un programme d’études présenté par le candidat, élection nominative du candidat. Malheureusement pour lui, M. Veinstein ne s’est pas contenté de publier des archives de cadis ottomans ou des synthèses, d’ailleurs remarquables, sur la grande époque de Soliman. Aussi son élection, après avoir entraîné un tir de barrage intense dans les couloirs d’une institution qui, malgré plus de six mois de pressions, n’a pas cédé, est-elle maintenant soumise par Libération au tribunal de l’opinion publique.

Qu’a donc fait M. Veinstein ? Il est intervenu pour appeler à un examen dans son contexte historique de la tragédie qui a frappé les Arméniens de l’Empire ottoman au printemps 1915. Il est intervenu à ce sujet une fois et une seule, mais ce fut apparemment beaucoup trop, et assez pour que ses détracteurs parlent au pluriel “des écrits” de M. Veinstein, comme s’il n’avait fait que cela. En avril 1995, sur deux pages de la revue l’Histoire, dans un dossier consacré tout entier aux événements de 1915, il a en effet accepté de présenter le point de vue d’un “ottomanisant”, sachant que son article serait suivi d’une contribution d’Yves Ternon réaffirmant avec énergie qu’il y a bien eu, en 1915, crime de génocide sur le peuple arménien, commis sur ordre du Comité Union et Progrès alors au pouvoir à Istanbul.

Cela suffit-il à faire de M. Veinstein le négateur du génocide arménien ? La cause ne devrait pas avoir à être plaidée : il suffit de lire sa contribution pour voir qu’elle contient ni négation du drame ni remise en cause de son ampleur. Or, il est l’objet d’une violente campagne de dénigrement, fondée fort peu sur ce qu’il a dit et surtout sur les intentions qu’on lui prête : ne le voilà-t-il pas suspecté d’être “arrosé de subventions” par le gouvernement turc, par madame Coquio [enseignante de littérature, qui ne fréquente pas les archives et ne connaît rien à l’histoire ottomane], qui a toutefois l’honnêteté d’avertir qu’“aucune pièce n’atteste que les turcologues français jouissent de ces faveurs” ? Accusé d’avoir dirigé un livre sur les Ottomans et la Mort où il n’est pas question du sort des Arméniens ? On me pardonnera de penser qu’il aurait été totalement déplacé de traiter d’événements dont le détail est insoutenable à côté des rituels funéraires des sultans et de la “mort”-extase des mystiques. »

 

Olivier Roy, « Le savoir, le droit et le sacré », Esprit, février 1999, p. 224 :

« Pour moi, cette campagne n’a de fonctionnalité que symbolique : elle marque un interdit, un espace du sacré. La vérité qu’elle défend n’est pas une vérité historique (car celle-ci a les moyens de se dire et de se défendre), c’est une vérité de foi. On ne punit ni une fraude, ni un mensonge, mais une transgression. Et c’est cela qui est dangereux, pour deux raisons : on remplace l’intelligence par la foi et on l’impose par un effet de “terreur”. Oh, il ne s’agit pas de violence physique, mais de celle qui permet d’ériger un tabou, ce à quoi on ne touche pas. Car il y a de la violence dans cette campagne (dont ne voit d’ailleurs que l’aspect public et écrit : mais il y a les coups de téléphone, les affirmations qui ne peuvent être démenties ou commentées parce que jamais publiées, etc.) »

 

Pierre Vidal-Naquet, « Sur le négationnisme imaginaire de Gilles Veinstein », Le Monde, 3 février 1999 :

« Or tout a été fait [par les nationalistes arméniens], après la définition de la chaire d’histoire turque et ottomane au Collège de France, pour disqualifier celui que l’on savait être le candidat. En vain a-t-on espéré que, une fois l’élection acquise, l’Institut désavouerait le Collège. Voici maintenant qu’on fait appel au pouvoir politique pour annuler une décision universitaire. Tout cela à coups d’injures et de calomnies.

La loi Gayssot, que j’ai toujours condamnée, avait au moins le mérite de combattre des négationnistes authentiques. Qu’elle ait eu des effets pervers a été démontré par l’affaire Garaudy. Un livre aussi nul que celui de ce vieux stalinien n’aurait eu, sans la loi Gayssot, aucun écho. On assiste aujourd’hui à un autre effet pervers, mais il s’agit, cette fois, d’un négationnisme imaginaire. »

 

Pierre Vidal-Naquet, « Réponse à Yves Ternon », Le Monde, 3 décembre 1999 :

« La solidarité communautaire, le poids de la mémoire n'autorisent pas l'emploi d'arguments qui, à la limite, détruisent la cause qu’ils prétendent servir. »

 

« Arméniens », Le Monde, 5 décembre 1999 :

« La leçon inaugurale de Gilles Veinstein au Collège de France a été troublée, vendredi 3 décembre, par des militants du Comité du 24 avril 1915, “regroupement des associations arméniennes de France” pour la “commémoration du génocide”. Dans un tract distribué à l’entrée du Collège, ceux-ci ont reproché au spécialiste de l’histoire de l’Empire ottoman de persister “à cultiver le doute en prétendant qu’on ne dispose pas de preuve suffisante de la décision gouvernementale de l’extermination du peuple arménien”. Le mathématicien et historien [sic] de l’Arménie Claude Mutafian [qui considère comme une source sérieuse l’agent fasciste Paul du Véou, obsédé par les théories du « complot judéo-maçonnique » derrière le Comité Union et progrès et le kémalisme] a tenté de lire à la tribune une déclaration contestant la validité de l’élection de M. Veinstein (voir “Le Monde des livres”, dans Le Monde du 3 décembre). »

 

Site (fermé depuis) du Comité de défense de la cause arménienne (affilié à la Fédération révolutionnaire arménienne, FRA, parti national-socialiste), mai 2000 :

« En 1998, Gilles Veinstein est élu au Collège de France à la Chaire de Turcologie […]

Ce dernier est venu donner un cours à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence le 12 mai 2000. Le CDCA était là pour l’accueillir !

A l’initiative du Comité de Défense de la Cause Arménienne Marseille Provence et du Nor Seround (Nouvelle Génération Arménienne), un cours de Gilles Veinstein a été perturbé par une trentaine de personnes. Gilles Veinstein qui refuse de reconnaître le Génocide du peuple arménien de 1915 et qui minimise les chiffres des victimes devait donner un cours à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme (M.M.S.H.) le 12 mai dernier. Quelques minutes après le début du cours, 2 membres du CDCA Marseille Provence se sont levés pour distribuer un document de 5 pages expliquant "l’affaire Veinstein". Le service de sécurité de l’Université a tenté de maîtriser énergiquement et d’exclure ces 2 personnes, mais c’était sans compter sur les autres arméniens présents. Un brouhaha a suivi où Gilles Veinstein a été apostrophé. Il a préféré quitter la salle ne souhaitant pas s’expliquer sur sa position. Une rapide entrevue avec les responsables de la MMSH présents a débouché sur l’annulation du cours de Gilles Veinstein ainsi que son départ de l’enceinte universitaire. »

 

« L’actualité à Marseille — Veinsein persiste mais en vain », Haïastan (journal édité par la branche de jeunesse de la FRA), juin 2000, p. 10 :

« Vendredi 12 mai 2000, la Maison méditerranéenne des Sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence accueillait M. Gilles Veinstein, professeur [d’histoire ottomane] au Collège de France, pour un cours sur “Sultanat et califat dans l’Empire ottoman” [aucun rapport avec la question de 1915, donc]. Dans l’assistance, sont présents des historiens, chercheurs et étudiants, mais aussi, pour son tiers des Arméniens.

Le CDCA Marseille, la FRA Nor Seround [organisation de jeunesse de la FRA] sont présents, dispatchés discrètement dans la salle et sont fermes et unanimes : M. Gilles Veinstein ne fera pas son cours. Il est inconcevable [sic !] de laisser un homme faire à travers un cours la propagande politique d’un empire signataire de l’extermination du peuple arménien en 1915.

Ce négationniste du génocide arménien refusait par ses écrits [sic : un seul article] parus dans la revue L’Histoire d’avril 1995 l’emploi du terme “génocide”. Il reste perplexe quant à l’exactitude du chiffre des victimes arméniennes, revendique la reconnaissance des “victimes oubliées” (les victimes turques) [notons au passage le mépris exprimé par les guillemets] et discute “l’implication du gouvernement turc de l’époque”. Par conséquent, il remet en cause la crédibilité des nombreuses preuves apportées, entre autre [sic : faute d’orthographe maintenue ici]  le télégramme de Talat Pacha qui stipule l’extermination totale du peuple arménien au sein de l’Empire ottoman.

[…]

À la question “Monsieur Veinstein, quel est votre prix ?”, accompagnée d’une pluie de pièces de cinq centimes, l’orateur se cacha dans une autre pièce. »

 

Norman Stone (professeur d’histoire à l’université d’Oxford, puis à l’université Bilkent), « Armenia and Turkey », Times Literary Supplement, 15 octobre 2004 : 

« Le très court essai de Veinstein dans L’Histoire d’avril 1995 est un résumé admirablement impartial du débat et de son objet. »

 

Philippe-Jean Catinchi, « Gilles Veinstein, historien, spécialiste de l’Empire ottoman », Le Monde, 12 février 2013 :

« On n’imaginait pas qu’une œuvre si solide pâtisse d’un discrédit médiatique. C’est cependant ce qu’il advint lorsque Veinstein fut pressenti pour le Collège de France. Exhumant l’article d’un dossier consacré trois ans auparavant au "massacre des Arméniens" dans la revue L’Histoire (avril 1995), d’aucuns s’indignèrent que, sans nier le crime de masse de 1915, le savant refuse de le qualifier de "génocide", jugeant que la préméditation et la planification des massacres par l’autorité ottomane ne sont pas irréfutablement établies. Sans doute Veinstein paya-t-il là son soutien à l’historien Bernard Lewis, qui avait, en 1993, évoqué dans Le Monde une "version arménienne" de cette tragédie…

Quoi qu’il en soit, le moment de la consécration fut terni par cet affrontement polémique – même si nombre d’historiens, tant orientalistes (Robert Mantran, Louis Bazin, Maxime Rodinson) que pourfendeurs du négationnisme (Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet), soutinrent publiquement le nouvel élu, qui resta blessé par le score étriqué de sa cooptation (18 oui, 15 non et 2 blancs).

Au Collège comme à l’EHESS, Veinstein manifeste la même volonté d’éclairer la complexité des héritages et des événements contemporains. Mais rien n’y fait. La blessure de 1998 ne se referme pas et le laisse, assurent ses proches, physiquement affecté. »

 

Remarquons ici que des universitaires non juifs, tels que Robert Mantran, Louis Bazin, Paul Dumont, Marc Ferro, Xavier de Planhol, Odile Moreau, etc., qui ont défendu des thèses similaires à celles de Gilles Veinstein (et, dans le cas, notamment, de Xavier de Planhol et a fortiori Marc Ferro, sur un ton bien plus ferme) n’ont jamais eu à subir la même hystérie haineuse que Gilles Veinstein et Bernard Lewis, ou plus tard que Pierre Nora, lesquels se trouvent, eux, être juifs. De la même manière, Robert Badinter a subi, en plus d’attaques explicitement antisémites, un déferlement de haine qui n’a jamais atteint un tel degré pour d’autres adversaires (non juifs) des projets de censure légale sur la question de 1915, par exemple Josselin de Rohan (bien plus véhément, pourtant…), Françoise Chandernagor, Michel Diefenbacher, Gwendal Rouillard, Bariza Khiari, Gaëtan Gorce, Jean-Jacques Hyest, etc.

 

Lire aussi, sur le terrorisme intellectuel de la FRA et d’autres nationalistes arméniens :

L’affaire Bernard Lewis (1993-1995)

Le terrorisme arménien (physique et intellectuel) envers des historiens, des magistrats, des parlementaires et de simples militants associatifs

Le terroriste d’extrême droite Franck « Mourad » Papazian s’en prend à TF1 ; deux de ses lecteurs appellent au meurtre ; un seul commentaire est effacé

Un nostalgique de l’ASALA menace de mort des journalistes français

Les violences commises par des manifestants arméniens à Paris et Los Angeles (juillet 2020)

 

Sur les indignations sélectives des nationalistes arméniens et de leurs perroquets :

Les massacres de musulmans et de juifs anatoliens par les nationalistes arméniens (1914-1918)

Le « négationnisme » d’Yves Ternon et Pierre Tévanian

Turcs, Arméniens : les violences et souffrances de guerre vues par des Français

1917-1918 : la troisième vague de massacres de musulmans anatoliens par les nationalistes arméniens

Nationalisme arménien et nationalisme assyrien : insurrections et massacres de civils musulmans

 

Sur les Arméniens ottomans durant la Première Guerre mondiale :

1914-1915 : la mobilisation du nationalisme arménien au service de l’expansionnisme russe

La nature contre-insurrectionnelle du déplacement forcé d’Arméniens ottomans en 1915

Talat Pacha et les Arméniens

Le grand vizir Sait Halim Pacha et les Arméniens

Hamit (Kapancı) Bey et les Arméniens

Le rôle des Arméniens loyalistes dans l’Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale

Le loyalisme constant de Manuk Azaryan envers les Turcs

Artin Boşgezenyan : un Jeune-Turc à la Chambre des députés ottomane

Florilège des manipulations de sources dont s’est rendu coupable Taner Akçam

 

Sur l’historiographie nationaliste arménienne en France :

Le soutien d’Arthur Beylerian à la thèse du « complot judéo-maçonnico-dönme » derrière le Comité Union et progrès

Paul de Rémusat (alias Paul du Véou) : un tenant du « complot judéo-maçonnique », un agent d’influence de l’Italie fasciste et une référence pour le nationalisme arménien contemporain

L’antijudéomaçonnisme de Jean Naslian, référence du nationalisme arménien contemporain

L’approbation du terrorisme par les polygraphes de la cause arménienne

samedi 19 octobre 2024

La Fédération révolutionnaire arménienne, toujours aussi poutiniste, souhaite ouvertement la victoire de Donald Trump

 


 

Tweet du Comité national arménien d’Amérique (ANCA, affilié à la Fédération révolutionnaire arménienne), 17 octobre 2024 :

« L’équipe de politique étrangère Biden-Harris semble déterminée à faire perdre cette élection à Kamala Harris, remettant du sel sur les plaies des électeurs — parmi lesquels les Arméniens — dans les États clés qu’il faut absolument remporter. »

 

L’ANCA reproche ici à M. Biden et à Mme Harris, d’une part des ventes d’armes et des licences de fabrication à la Turquie et d’autre part l’absence de sanctions significatives contre l’Azerbaïdjan après que ce pays eut repris le contrôle de son territoire internationalement reconnu (y compris par les États-Unis et, depuis 2022, l’Arménie), en septembre 2023. Or, M. Trump, s’il a payé de mots les nationalistes arméniens, n’a prononcé aucune sanction contre Bakou durant la guerre de 2020 et n’a jamais cessé les ventes de matériel militaire américain à la Turquie.

 

Lire aussi, sur les dernières années :

L’arménophilie électoraliste de Donald Trump

Le consensus poutiniste chez les nationalistes arméniens

Jean-Marc « Ara » Toranian relaie la désinformation russe contre l’Ukraine et la Turquie

L’hostilité intangible des nationalistes arméniens à l’égard de l’Ukraine

Les séparatistes arméniens de Khankendi (« Stepanakert ») hissent une nouvelle fois des drapeaux russes

Les séparatistes arméniens de Khankendi (« Stepanakert »), sous contrôle russe, célèbrent l’anniversaire de V. Poutine et en appellent à Moscou

Les États-Unis sanctionnent une entreprise arménienne pour son soutien à l’effort de guerre russe contre l’Ukraine

 

Sur la période soviétique :

La participation de la Fédération révolutionnaire arménienne à la répression sanguinaire des Soviétiques contre les patriotes d’Asie centrale en 1918-1919

La popularité du stalinisme dans la diaspora arménienne

L’alliance soviéto-nazie (1939-1941) et les projets staliniens contre la Turquie

L’agitation irrédentiste dans l’Arménie soviétique à l’époque de l’alliance entre Staline et Hitler

L’arménophilie de Walter Duranty (falsificateur au bénéfice de Staline)

L’Union générale arménienne de bienfaisance et le scandale des piastres

 

Sur la période tsariste :

1914-1915 : la mobilisation du nationalisme arménien au service de l’expansionnisme russe

Le caractère mûrement prémédité de la révolte arménienne de Van (avril 1915)

Arthur Tchérep-Spiridovitch : arménophile militant, antisémite professionnel, raciste aryaniste et inspirateur du nazisme

L’évolution de Jean Jaurès sur la question arménienne et l’Empire ottoman

La crise arménienne de 1895 vue par la presse française

mardi 15 octobre 2024

Les destins parallèles de Simon Petlioura et Talat Pacha

 





Simon Petlioura (Symon Petlura) était un dirigeant social-démocrate ukrainien, indépendantiste, président de la République de 1919 à 1920. Talat (Talaat) Bey, puis Talat Pacha, était un dirigeant du Comité Union et progrès (CUP), ministre ottoman de l’Intérieur de 1909 à 1911, puis de nouveau de 1913 à 1917, et finalement grand vizir de 1917 à 1918. Petlioura a été assassiné en 1926 à Paris, par Samuel Schwartzbard, un repris de justice manipulé, armé et renseigné par le renseignement soviétique. Talat a été assassiné en 1921 à Berlin par un terroriste de la Fédération révolutionnaire arménienne, Soghomon Tehlirian, qui avait assassiné un Arménien loyaliste à Istanbul, l’année précédente.

 

Taras Hunczak (professeur d’histoire à l’université Rutgers, États-Unis), Symon Petlura et les Juifs, Paris, Bibliothèque ukrainienne, 1987 (traduction d’un article publié en 1969 par Jewish Social Studies, revue éditée par les Presses universitaires de l’Indiana) :

« Ainsi qu’il a été indiqué plus haut, dès son instauration, en fait, le Directoire [gouvernement ukrainien] adopta une attitude positive à l’égard de la participation des Juifs à la vie politique de l’Ukraine. Non content d’assurer un statut privilégié a la communauté juive, le Directoire lui donna également des droits strictement égaux pour servir dans les diverses administrations du gouvernement ukrainien. Finalement, nous trouvons plusieurs Juifs qui assument des fonctions ministérielles, certains occupant des postes importants au ministère des Affaires étrangères ukrainien, et plus de deux cents autres détenant des fonctions de moindre importance. Conformément aux principes d’égalité sociale, Petlura imposa l’admission des Juifs à l’École des élèves officiers.

La position du Directoire, en ce qui concerne les problèmes d’éducation des Juifs, fut également pleine de sagesse. Sur les conseils d’Abraham Revuts’ky, ministre des Affaires juives, le  gouvernement édicta une loi plaçant l’ensemble des écoles et des établissements d’enseignement juifs sous son contrôle et l’autorisant, par ailleurs, à leur attribuer le neuvième des crédits du ministère de l’Instruction publique. » (pp. 26-27)

« Selon les témoignages de l’époque et dignes de foi, les nombreux appels et ordres de Petlura et de son gouvernement n’étaient pas un vulgaire écran de fumée à l’abri duquel les éléments criminels pouvaient s’adonner librement à leur coupable industrie. Au contraire, ils sont le reflet des actes et de la politique mentionnée par le Directoire. Le colonel Oleksander Dotsenko, qui était l’aide de camp de Petlura, a relate que quatre Ukrainiens furent fusillés, près de Kiev, pour leur participation aux pogroms. De même, un officier nommé Michtchouk et plusieurs cosaques furent fusillés à la suite du pogrom de Raihorod. Ce même colonel a également confirmé l’exécution du fameux otaman [commandant militaire] Semesenko.

Le colonel Kedrovs’ky, qui etait bien place pour le savoir, a rapporté que rien qu’à Smotrytch  (Volhynie) quatorze cosaques furent fusillés, pour participation à un pogrom. Partout, notamment à Orynyn et à Kytaihorod, ainsi qu’à Talny et Vakhnivka, d’autres, jugés coupables de viol, subirent le même sort.

Arnold Margolin parla également d’exécutions nombreuses, pour participation a des pogroms. Le témoignage ci-dessous est particulièrement édifiant :

“Enfin, je possède une transcription, certifiée conforme, du jugement rendu par une cour miUtaire speciale, le 22 août 1920, concernant Varyvan Vynnyk, accusé d’avoir infligé des blessures a Yossel Aster, au village de Zalukivtsi (près de stanyslaviv, en Galicie) — blessures mettant sa vie en danger. Ce cas fut juge à huis clos. La cour qualifia d’‘inhumain’ le comportement de Vynnyk, et le condamna à être fusille. La sentence fut exécutée le jour même.” » (p. 32)

 

Rémy Bijaoui, Le Crime de Samuel Schwartzbard, Paris, Imago, 2018, pp. 150-152 :

« D’abord, un fait incontestable : il n’existe sous la plume de Petlioura aucun écrit, aucun document, aucun discours antisémite. Bien au contraire, nous le verrons. Ses partisans ne manquent pas de rappeler qu’en 1907 il avait même préfacé une pièce de théâtre de Tchirikov, Les Juifs, dénonçant l’oppression des Juifs en Russie. Cette attitude philosémite est au reste constamment rappelée par les personnalités juives qui ont travaillé, pendant ces années de lutte, aux côtés de Simon Petlioura. M. Sliosberg, ancien président du Comité central de secours aux victimes de guerre et des pogromes, qui témoignera contre lui au cours du procès Schwartzbard, rétablit sur ce point capital la vérité :

“Les amis de Petlioura, selon les rapports des journaux, disent que c’était un homme de grandes qualités, un ami des Juifs. Je ne le nie pas. Je n’admets pas qu’il fût antisémite.”

Vladimir Jabotinski, une grande figure du judaïsme mondial dont nous reparlerons, et qui a bien connu Petlioura, réfute également toute idée d’antisémitisme le concernant :

“C’est un fait, ni Petlioura ni Vynnytchenko, ni aucun membre en vue du gouvernement ukrainien n’ont été des instigateurs de pogroms. J’ai grandi avec eux et, à leurs côtés, j’ai combattu l’antisémitisme ; personne ne parviendra jamais à persuader aucun sioniste du sud de la Russie ni moi-même que des gens de cette qualité peuvent mériter le qualificatif d’antisémites.” […]

Rappelons, pour mémoire, que le gouvernement qu’il présidait comptait plusieurs ministres juifs : le professeur Solomon Goldelman, Abraham Revusky, Moïse Silberfarb, P. A. Krasny, Jacob Latzky-Bertholdi, Arnold Margoline. […]

Ce fut d’abord la loi du 27 mai 1919 qui instaura une Commission extraordinaire d’enquête sur les pogromes, composée de représentants juifs. Cette loi non seulement habilitait la Commission à enquêter sur les pogromes perpétrés, mais elle l’autorisait aussi à traduire directement les coupables devant un tribunal militaire. Une Commission spéciale avait été créée quelques semaines auparavant (9 avril) pour enquêter sur le terrible pogrome de Proskourov.

Dans le même temps, le gouvernement prit la décision d’allouer trois millions de roubles (une somme importante pour l’époque) pour venir en aide à la population juive victime de pogromes. »

 

Robert Belot (professeur d’histoire à l’université de Saint-Étienne), Vladimir Poutine ou la falsification de l’histoire comme arme de guerre, Lausanne, Fondation Jean-Monnet pour l’Europe, 2024, p. 53 :

« Peut-être parce qu’il fut démontré que ces massacres ont été initiés par des commandants locaux et que Petlioura a tout fait pour y mettre un terme. Peut-être aussi parce qu’il paraît évident que les services spéciaux russes ont renseigné et armé la main du meurtrier. »

 

Alla Lazaréva, « L’affaire Petlioura : une grande manipulation venue de Moscou », The Ukrainian Weekly. Édition française, 21 mai 2023 :

« Pour comprendre pourquoi les Français, à l’exception d’un groupe restreint d’amis de l’Ukraine, n’ont pas voulu commémorer cet assassinat commis rue Racine, le 25 mai 1926, il faut se référer aux documents du procès de Sholem Samuel Schwartzbard, l’assassin de Symon Petlioura, très probablement manipulé par les services soviétiques, vu son passé criminel et sa nature aventurière. Son casier judiciaire comporte deux braquages de banques, à Vienne (1908) et à Budapest (1909), et deux passages en prison. Puis il a servi dans l’armée rouge, en 1917, faisaient de lui une proie facile pour le GPOu, l’ancêtre du KGB, même s’il pouvait se croire tranquille à Paris, dans sa petite boutique d’horloger.

Symon Petluoura a donc été tué le 25 mai 1926 à Paris. Samuel Schwartzbard, vêtu d’une blouse blanche d’horloger, lui a tiré sept balles de revolver. Au poste de police, il a expliqué qu’il avait ainsi décidé de venger les pogroms juifs qui ont eu lieu pendant la Première Guerre mondiale et la guerre de libération de l’Ukraine, de 1917 à 1921. Les enquêteurs ont trouvé un portrait de Petlioura découpé dans un journal d’émigrés ukrainiens lors d’une perquisition à son domicile, et la femme de Schwartzbard a témoigné que quelqu’un avait appelé son mari et qu’il s’était précipité hors de la maison et s’était enfui dans ses vêtements professionnels, pour aller commettre son meurtre.

La personne ayant prévenu Schwarzbard par téléphone que Petlioura était venu déjeuner seul au restaurant Bouillon, sans sa femme et sa fille, a été identifiée assez rapidement. Il s’agit de l’agent tchékiste Mikhail Volodin, qui une fois arrivé à Paris, a passé beaucoup de temps avec Schwartzbard et à l’ambassade soviétique, et a très probablement recruté Schwartzbard pour espionner Petlioura et le tuer. Mais il n’a jamais été jugé par le tribunal français pour complicité de meurtre, contre toute évidence. Il a pu quitter la France rapidement après le meurtre. Pourquoi cela ?

Il faut se rappeler que l’avocat de Schwartzbard, maître Henri Torrès, se rendait régulièrement à l’ambassade soviétique : la presse française en a parlé en 1926, très ouvertement (en particulier, Le Figaro). A l’époque, une habile manipulation, soutenue par une campagne de presse, a su transformer le procès du meurtrier en condamnation sans appel de sa victime, avec un soutien du Parti Communiste Français et de ses amis disposants de multiples relais. Pour appuyer la défense de Schwartzbard, un certain Bernard Lecache qui n’était ni juge d’instruction, ni fondé de pouvoirs dans l’affaire, toujours avec l’aide de l’ambassade de l’URSS, s’est vu faciliter un voyage en Ukraine “pour réunir des preuves” et y sélectionner des documents d’une manière très tendancieuse.

Il n’a pas hésité à utiliser des traductions falsifiées de la presse, comme l’a montré à l’époque un académicien ukrainien, Serhiy Yefremov, dans son Journal intime. Ensuite, à la place des témoins oculaires, ce sont des gens fort éloignés de la scène du crime qui ont pu témoigner lors des audiences. Et enfin, le plus important : pour maître Torrès, l’affaire Schwartzbard est devenue un tremplin pour une carrière fulgurante d’avocat, et pour Lecache, un prétexte pour fonder la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), qui joue un rôle influent en France jusqu’à nos jours. »

ð  Autre manipulation du stalinien Lecache : dans son livre Au pays des pogromes, Paris, éditions du Progrès civique, 1927, il occulte les tueries de Juifs organisées par certains éléments de l’Armée rouge, et à qui Lénine, contrairement à Petlioura, avait garanti l’impunité, y compris après la victoire des communistes, en 1921-1922 (sans joie, il est vrai, mais sans hésitation non plus). Par ailleurs, la nature du régime était dénuée de toute ambiguïté, dès cette époque, notamment après l’invasion de la Géorgie en 1921, en violation du traité russo-géorgien de mai 1920, l’écrasement de la révolte libertaire de Cronstadt au même moment, le procès inique la « conjuration de Tagantsev », toujours en 1921 (96 personnes condamnées à mort et fusillées, sur la base d’accusations fabriquées), l’expulsion d’un groupe d’intellectuels en 1922 et le procès-spectacle, à Moscou, la même année, des sociaux-révolutionnaires (opposants de gauche aux communistes), etc. Ce procès a d’ailleurs conduit l’écrivain Anatole France à rompre avec le communisme (il avait cessé, plus discrètement, de soutenir le nationalisme arménien vers la fin de la Première Guerre mondiale).

 

Odile Moreau, L’Empire ottoman à l’âge des réformes. Les hommes et les idées du « Nouvel Ordre » militaire (1826-1914), Paris, Maisonneuve et Larose, 2007, pp. 70-71 :

« Après la “révolution jeune-turque”, l’École militaire de Harbiye fut ouverte aux élèves non-musulmans en 1910 [Talat est alors ministre de l’Intérieur]. En 1912, les premiers officiers non-musulmans furent promus à l’issue du nouveau cursus de deux ans. Sur 394 officiers, il y avait 3 Grecs, 4 Arméniens et un Israélite. L’un des Grecs était classé parmi les seize premiers, auxquels le sultan remit en cadeau une montre en or. Le sultan, le prince héritier, le ministre et les hautes autorités militaires assistaient à la cérémonie ainsi que le patriarche œcuménique, le grand rabbin et les représentants de l’exarque bulgare et du patriarche arménien. […]

Les musulmans dirent “vallâhi bi-Allâhi” sur le Coran, les chrétiens prêtèrent serment sur l’Évangile et les Israélites sur le Talmud. »

 

« La crise turque — Le nouveau cabinet », Le Temps, 18 juin 1913, p. 2 :

« Le nouveau ministère est officiellement constitué. Il sera constitué comme suit :

Grand vizir : Said Halim Pacha.

[…]

Intérieur : Talaat bey.

[…]

Postes et télégraphes: Oskan [Mardikyan] Effendi (unioniste) [c’est-à-dire membre du Comité Union et progrès, le CUP, appelé à l’étranger « les Jeunes-Turcs »] »

 

Şinasi Orel et Sürreya Yuca, Les « Télégrammes » de Talât Pacha. Fait historique ou fiction ?, Paris, Triangle, 1986, p. 125 :

« DOCUMENT AUTHENTIQUE N° LII

Télégramme chiffré du ministère de l’Intérieur aux préfectures de Hudavendigâr, Ankara, Konya, Adana, Alep, Sivas, Mamuretilaziz, Diyarbakır, Erzurum; aux sandjaks d’Izmit, Maraş, Urfa, Zor, Kütahya, Karesi, Niğde, Karahisârisahib, Kayseri.

“L’objectif visé par le gouvernement en faisant déplacer les Arméniens de leurs lieux de résidence vers les régions prévues est d’empêcher leurs agissements contre le gouvernement et de les neutraliser afin qu’ils renoncent à leurs aspirations relatives à la création d’un gouvernement arménien.

L’objectif visé par le gouvernement n’étant pas l’extermination des innocents, le gouvernement exige que toutes les mesures adéquates soient prises pour la protection des Arméniens pendant le transport et pour leur ravitaillement grâce aux allocations des émigrés. Il ordonne de ne plus déplacer les Arméniens, sauf ceux qui sont déjà en train de l’être, de ne plus transférer, comme il a été indiqué auparavant, les familles des soldats, ainsi que les artisans dont on a besoin et les Arméniens protestants et catholiques.

Procéder immédiatement à des enquêtes judiciaires afin de punir sévèrement d’une part les personnes qui s’attaquent aux convois, qui commettent des vols, qui, emportées par des sentiments bestiaux, violent des femmes et d’autre part les fonctionnaires et les gendarmes qui les ont incitées. Limoger les fonctionnaires qui sont mêlés à ce genre d’affaires, les traduire devant les tribunaux militaires et communiquer leurs noms. Dans ce genre d’incident, la responsabilité incomberait à la préfecture/au sandjak.

16 août 1331 (29 août 1915)

Le Ministre de l’Intérieur [54].” »

 

Ibid., p. 104 :

« DOCUMENT AUTHENTIQUE N° IX

Télégramme chiffré du ministère de l’Intérieur au sandjak de Kal’a-i Sultaniye (Çanakkale).

“Réponse à la lettre du 16 mai 1331 (29 mai 1915).

Il n’y a aucun inconvénient au voyage du sous-préfet de Bayramiç, Karabet Efendi [un Arménien, comme son nom l’indique], à Istanbul. 23 mai 1331 (5 juin 1915) [9].” »

 

Télégramme de Talat, 22 juillet 1915, traduit dans Erman Şahin, « Review Essay : the Armenian Question », Middle East Policy, XVII-1, printemps 2010, p. 155 :

« En conséquence, il est de la plus haute importance de renforcer vigoureusement la sécurité publique aux limites de la province [de Diyarbakır], en particulier sur la route empruntée par les convois d’Arméniens, et d’éviter tout retard dans le transport militaire. Les résultats des mesures prises devront être rapportés. »

 

Télégramme de Talat à la préfecture d’Ankara, 29 août 1915, Hikmet Özdemir et Yusuf Sarınay, Turkish-Armenian Conflict Documents, Ankara, TBMM, 2007, p. 235 :

« La question arménienne qui se posait dans les provinces orientales est résolue. Pour autant, il est inutile d’endommager l’image de notre nation et de notre gouvernement par des actes de cruautés qu’aucune nécessité ne justifie. En particulier, l’attaque récente qui a eu lieu contre des Arméniens près d’Ankara a causé beaucoup de regret au ministre, qui a constaté que l’évènement s’est produit suite à l’évidente incompétence des officiers chargés de superviser le transfert des Arméniens, et à l’audace de gendarmes et d’habitants de la région, qui ont agi en suivant leurs instincts bestiaux, violant et volant les Arméniens. Le transfert d’Arméniens, qui doit être appliqué dans l’ordre et avec prudence, ne doit jamais, à l’avenir être confié à des individus animés d’une hostilité fanatique, et les Arméniens — tant ceux qui sont transférés que les autres — doivent absolument être protégés contre toute agression, contre toute attaque. Dans les lieux où une telle protection ne pourrait pas être assurée, le transfert doit être reporté. À partir de maintenant, les officiers chargés [du transfert] seront tenus pour responsables, compte tenu de leur rang, de toute attaque qui se produirait, et renvoyés en cour martiale. Il est nécessaire de donner des ordres très stricts à cet égard, au personnel concerné.

Le ministre [de l’Intérieur Talat]. »

 

Télégramme de Talat à la préfecture de Konya, 9 septembre 1915, ibid., p. 261 :

« Ahmed de Siroz et son ami Halil ont été transférés à Konya aujourd’hui, afin d’être jugés devant une cour martiale de la 4e armée, pour avoir assassiné des Arméniens et dérobé leurs biens. Il faut veiller à ce qu’ils ne s’échappent pas, à ce qu’ils soient mis sous bonne garde, jusqu’à réception des instructions de Cemal Paşa à leur égard.

Le ministre [de l’Intérieur Talat]. »

 

Yusuf Sarınay, « Le jugement des agents ayant transgressé les dispositions relatives au transfert des Arméniens devant la Cour martiale »

« Ahmed de Siroz et son ami Halil, jugés pour homicides et vols commis contre les Arméniens avaient été emprisonnés à Konya sur ordre du général Cemal Pacha afin d’empêcher une éventuelle évasion lors de leur transfert de la cour martiale de la 4ème Armée vers Konya, puis jugés devant la cour martiale de Syrie, ils furent pendus à Damas (BOA, HR, SYS, nr.2882/29-25) (BOA, DH, SFR, nr.55 A /177) »

ð  Cette double exécution est aussi mentionnée par Hilmar Kaiser, historien partisan de la qualification de « génocide arménien », mais sans citer l’intervention de Talat, qu’il ne peut pourtant pas ignorer.

 

Yusuf Sarınay, « The Relocations (Tehcir) of Armenians and the Trials of 1915–16 », Middle East Critique, XX-3, automne 2011, p. 307 :

« En conséquence, après le mémorandum du ministre de l'Intérieur Talat Pacha du 28 septembre 1915, le Cabinet a décidé de créer trois commissions d'enquête. Cette décision importante reflétait la position du gouvernement ottoman : les preuves évidentes de mauvaise conduite et de violation de la loi par certains fonctionnaires et citoyens locaux lors de la réinstallation ont nécessité la création de ces commissions, chacune ayant pour tâche d'enquêter sur les conditions locales, d'identifier les personnes responsables et de les traduire devant les cours martiales. […]

Avant même que cette décision ne fût prise par le cabinet, le gouvernement avait ordonné aux membres de chaque commission de se préparer à cette responsabilité, ce qui montre à quel point il était sensible aux rapports sur l'échec de certains responsables locaux à empêcher une rupture de l'ordre public pendant la réinstallation forcée. »

 

Kâmuran Gürün, Le Dossier arménien, Paris, Triangle, 1984 :

« La note codée du 14 juin 1915 (1er juin 1331) est assez importante :

“La préfecture d’Erzurum nous a informé qu’une colonie de 500 Arméniens qu’on avait fait partir d’Erzurum a été tuée par des tribus entre Erzincan et Erzurum. Il faudra veiller à défendre la vie des Arméniens que l’on met sur les routes ; il faudra, bien entendu, châtier ceux qui, pendant leur transfert, tenteront de fuir ainsi que ceux qui attaqueront les personnes chargées de la protection. Mais il ne faudra jamais mêler à cela la population. Nous ne devons laisser absolument aucune possibilité à ce que se reproduise ce genre d’événements. En conséquence, il faudra prendre toutes les mesures qui s’imposent pour protéger les Arméniens contre les attaques des tribus et des villageois ; il sera également nécessaire de punir sévèrement les meurtriers et les voleurs.” » (p. 256) 

« Ceux qui furent reconnus coupables furent déférés au tribunal de siège. Voici le nombre des cas dans quelques provinces et arrondissements :

Sivas : 648

Mamuretelazi: 223

Diyarbakir : 70

Bitlis : 25

Eskisehir : 29

Sebinkarahisar : 6

Nigde : 8

Izmit : 33

Ankara : 32

Kayseri : 69

Syrie : 27

Hüdavendigar : 12

Konya : 12

Urfa : 189

Canik : 14 » (pp. 258-259)

 

Norman Stone (professeur d’histoire à l’université d’Oxford, puis à l’université Bilkent), « Armenia and Turkey », Times Literary Supplement, 15 octobre 2004 :  

« Il y a une erreur qui ruine vraiment les efforts de [Peter] Balakian. Il s’appuie sur un faux qui a été révélé comme tel il y a plus de quatre-vingts ans, les “documents Naim-Andonian”. Il écrit ici, page 344 : “Les Britanniques ont libéré, à l’été 1921, quarante-trois prisonniers turcs accusés d’avoir perpétré les massacres arméniens” ; il suggère que cela s’est produit parce que les Turcs nationalistes avaient capturé des officiers britanniques. Mais le fait est que les officiers de police judiciaire ont indiqué qu’il n’y avait aucune charge contre ces Turcs (internés à Malte). Certains documents les incriminant ont été retrouvés, colportés par un certain Andonian, sur la base de prétendues confessions d’un certain Naim (“Massacrez tout le monde mais gardez le secret”, telle était la teneur générale, et, à la page 346, Balakian en reproduit une partie). Mais les juristes [britanniques] ont écarté les documents comme étant des faux, et les avocats allemands [de la défense] au procès de l’assassin de Talaat Pacha en 1921 ont également écarté Andonian (préférant, de manière assez bizarre, le témoignage par ouï-dire d’un ecclésiastique nommé, en l’occurrence, Balakian). »

 

La Licra n’a jamais fait amende honorable pour avoir été fondée par un propagandiste stalinien — pas plus que pour avoir relayé, encore en 1952, la propagande stalinienne, cette fois contre le réarmement de l’Allemagne, dans un contexte de guerre froide paroxystique. Bien au contraire, en 2006, son président d’alors, Patrick Gaubert (ancien conseiller de Charles Pasqua, homme probe s’il en est…) s’était fendu d’une tribune diffamatoire dans Le Monde, contre Petlioura, et contre les Ukrainiens en général, dont « la belle aventure “atlantiste” » (pourquoi cet adjectif plutôt qu’« européenne », « occidentale » ou tout simplement « démocratique » ?) commencée en 2004 aurait « viré au cauchemar » (exactement le vocabulaire qu’aime lire l’ambassade de Russie à Paris), avec pour unique « argument » une commémoration de Petlioura en Ukraine et une autre à Paris. Cela provoqua une réplique très argumentée de Daniel Beauvois, professeur émérite d’histoire à l’université de Paris-I-Sorbonne, que Le Monde n’eut pas le courage de publier — pas plus qu’il n’avait eu le courage de publier un droit de réponse de Bernard Lewis en 1995. En 2012, la Licra a publié un éloge de l’assassin, salissant encore sa victime, au mépris de toute vérité historique. En 2017, elle est allée encore plus loin dans le délire, en qualifiant Petlioura de « génocidaire », pas moins. Or, c’était après l’invasion de la Crimée, après celle du Donbas, après qu’un avion civil d’une compagnie néerlandaise fut abattu par les forces russes et après la tentative de faire élire Marine Le Pen en France.

Encore en 2021, alors que les menaces russes contre l’Ukraine se multipliaient et que la propagande poutiniste battait son plein, la Licra n’a rien trouvé de mieux que d’y apporter sa contribution en réitérant sa calomnie contre Petlioura et en approuvant l’acquittement de son assassin. Le texte ajoute : « On peut ainsi rapprocher le geste de Schwartzbard de celui de Soghomon Tehlirian sur la personne de Talaat Bey, en 1921. Cet Arménien dont la famille avait été exterminée au cours du génocide de 1915 avait identifié l’ancien ministre de l’intérieur de l’Empire ottoman réfugié à Berlin et l’avait abattu. »  Ce faisant, la Licra répétait un mensonge de Tehlirian à son procès : en réalité, son père, son frère et ses deux oncles avaient déménagé à Belgrade avant 1914, pour des raisons de pure opportunité professionnelle, et ils y sont décédés de mort naturelle bien après 1918 ; par ailleurs, il n’a jamais eu de sœur, or il a prétendu, au procès, avoir vu sa sœur se faire violer puis tuer. La Licra omettait aussi de préciser que Tehlirian s’est engagé, dès 1914, et bien qu’il ne fût pas de nationalité russe mais ottomane, dans l’armée de Nicolas II, le tsar le plus antisémite de l’histoire russe, qui finançait la propagande antijuive et couvrait les auteurs de… pogromes.

En effet, la Licra s’est placée, depuis les années 1990 au moins, du côté du nationalisme arménien. On vit ainsi, en 1995, cet effarant spectacle de la Licra se joignant à Patrick Devedjian — l’ancien cogneur néofasciste, condamné au moins deux fois, complice de François Duprat dans la dissémination du négationnisme à l’extrême droite, puis apologiste enflammé de l’ASALA, groupe terroriste à l’antisémitisme meurtrier — contre l’historien anglo-américain Bernard Lewis.

Obsédée par la répression légale de ce qui ne va pas dans le sens de l’ultranationalisme arménien, la Licra fut ensuite, en 2015, tiers intervenant devant la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Perinçek contre Suisse, en soutien au très poutiniste gouvernement arménien de l’époque — lequel soutenait le point de vue russe sur la famine en Ukraine de 1932-1933… La Grande chambre a confirmé la décision de la 2e chambre, qui donnait raison à M. Perinçek. La Licra n’a tiré aucune leçon de cet échec, bien au contraire. Inversement, elle n’a jamais jugé utile de poursuivre l’antisémite Jean Varoujan Sirapian, ancien vice-président du Conseil de coordination des associations arméniennes de France, pas plus qu’elle n’a poursuivi ne fût-ce qu’un seul des innombrables agitateurs arméniens qui ont déversé leur haine raciste contre Robert Badinter.

 

Lire aussi, sur la politique arménienne des jeunes-turcs :

Talat Pacha et les Arméniens

Le grand vizir Sait Halim Pacha et les Arméniens

Hamit (Kapancı) Bey et les Arméniens

Le rôle des Arméniens loyalistes dans l’Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale

Artin Boşgezenyan : un Jeune-Turc à la Chambre des députés ottomane

Le rôle du député jeune-turc Dikran Barsamian dans la reconstitution du Comité Union et progrès, fin 1918

Florilège des manipulations de sources dont s’est rendu coupable Taner Akçam

L’urologue Yves Ternon : menteur sous serment

 

Sur l’assassinat de Talat :

L’assassin et menteur Soghomon Tehlirian : un modèle récurrent pour le terrorisme arménien contemporain

Le mensonge selon lequel cinq des « documents Andonian » auraient été « authentifiés » au procès Tehlirian (1921)

 

Sur le rôle de la Russie tsariste, de l’URSS et de la Russie poutinienne :

Arthur Tchérep-Spiridovitch : arménophile militant, antisémite professionnel, raciste aryaniste et inspirateur du nazisme

1914-1915 : la mobilisation du nationalisme arménien au service de l’expansionnisme russe

Le caractère mûrement prémédité de la révolte arménienne de Van (avril 1915)

La participation de la Fédération révolutionnaire arménienne à la répression sanguinaire des Soviétiques contre les patriotes d’Asie centrale en 1918-1919

L’alliance soviéto-nazie (1939-1941) et les projets staliniens contre la Turquie

L’agitation irrédentiste dans l’Arménie soviétique à l’époque de l’alliance entre Staline et Hitler

La popularité du stalinisme dans la diaspora arménienne

Le consensus poutiniste chez les nationalistes arméniens

Margarita Simonyan (Russia Today) en appelle à « la famine »

 

Sur l’ukrainophobie démentielle et compulsive que manifestent beaucoup de nationalistes arméniens :

La rage ukrainophobe des nationalistes arméniens : des exemples en septembre 2023

L’hostilité intangible des nationalistes arméniens à l’égard de l’Ukraine

 

Sur leurs combats contre la liberté d’expression :

4 mai 2011 : le Sénat de la République française dit non au tribalisme et au terrorisme arméniens

La triple défaite des nationalistes arméniens devant le Conseil constitutionnel (2012, 2016, 2017)

La Cour constitutionnelle belge rejette les prétentions liberticides du Comité des Arméniens de Belgique

Quand l’avocat Philippe Krikorian se prenait pour la justice française

Le régime baasiste s’effondre en Syrie : la Fédération révolutionnaire arménienne perd un allié historique

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