dimanche 5 mai 2024

L’arménophilie d’Alfred Rosenberg, inspirateur et ministre d’Hitler

 


 

Note sur un entretien de Rosenberg avec Hitler, le 8 mai 1942, au sujet de questions touchant à la politique à l’est, Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international de Nuremberg, Nuremberg, Imprimerie du TMI, tome XXVII, 1948, p. 289 :

« J'ai expliqué [à Hitler] que l'Arménie était la meilleure barrière entre la Turquie et l'Azerbaïdjan, empêchant le mouvement pantouraniste vers l'Est. Le peuple arménien lui-même est en grande partie sédentaire, un peuple agricole doté de nombreux talents industriels. »

 

Jürgen Matthäus et Franck Bajohr (éd.) The Political Diary of Alfred Rosenberg and the Onset of the Holocaust, Lanham, Rowman & Littlefield,  2015, p. 288 :

« Puis, nous passâmes à la question de Crimée. […] Le Führer a une nouvelle fois évoqué les Arméniens, et déclara qu’il avait toujours pensé que c’étaient des escrocs. Évidemment, c’est une vieille image encore présente dans l’esprit du Führer. Il souligna qu’il avait dû corriger certaines choses au fil du temps. J’ai expliqué au Führer que les paysans et petits commerçants arméniens vivaient dans les vallées depuis des siècles, qu’ils travaillaient dur, qu’ils étaient désireux de travailler et que par-dessus tout ils formaient un rempart entre les Turcs et les Azerbaïdjanais. Concernant la forme [administrative] que prendrait le Caucase, je suggérai de ne pas y appliquer la formule du Reichskommissar. À la place, je proposai au Führer quelques noms à choisir, soit Protektor, soit Reichschutzherr, la Géorgie, par exemple, était désignée comme Land plutôt que comme Generalbezirk [en d’autres termes, Rosenberg propose une formule d’autonomie arméno-géorgienne sous protectorat allemand plutôt que l’administration directe]. Le Führer mentionna la proposition de confédération d’États caucasiens, Staatenbund. Je dis au Führer qu’au lieu de Staatenbund, je suggérais le terme caucasien de Länderbund, correspondant aux désignations de Land Georgien, Land Armenien, etc. [notons que l’Azerbaïdjan n’est pas cité comme possible territoire autonome !] Là aussi, le Führer était d’accord. »         

 

ð  Il n’est pas étonnant qu’Hitler ait eu, jusqu’en 1942, des préjugés envers les Arméniens, qu’il considérait alors comme des Aryens trop portés à l’escroquerie ; sa vision des Japonais était encore plus compliquée et il considérait que les Italiens ne méritaient pas Mussolini, ce qui ne l’a pas empêché de faire alliance avec le Japon et l’Italie à partir de 1936. Ce qui est remarquable, c’est que Rosenberg ait convaincu Hitler de revoir sa position sur les Arméniens et d’accepter les plans qu’il lui présentait à leur sujet, de même que Paul Rohrbach (peut-être aidé par Rosenberg) avait obtenu le classement des Arméniens comme Aryens dès juillet 1933.

 

Christopher Walker (auteur britannique très arménophile), Armenia. The Survival of a Nation, Londres, Routledge, 1990, p. 357 :

« Un an plus tard, le 15 décembre 1942, un Conseil national arménien reçut la reconnaissance officielle d’Alfred Rosenberg, le ministre allemand des régions occupées. Le président de ce conseil était le professeur Ardashes Abeghian, son vice-président Abraham Giulkhandanian, et il comptait parmi ses membres Nejdeh et Vahan Papazian [tous membres de la Fédération révolutionnaire arménienne]. À partir de cette date, et jusqu’à la fin de 1944, fut publié un journal hebdomadaire, Armenien, dirigé Viken Shant (le fils de Levon), qui parlait aussi à Radio Berlin. »

 

Ernst Pipper, « Alfred Rosenberg » (traduit de l’allemand par Olivier Mannoni), Revue d’histoire de la Shoah, n° 208, 2018, pp. 228-229 :

« En 1922 parut aussi le texte de combat de Rosenberg Pest in Russland. Der Bolschewismus, seine Häupter, Handlanger und Opfer (Peste en Russie. Le bolchevisme, ses chefs, ses hommes de main et ses victimes). Comme Les Fossoyeurs de la Russie d’Eckart, il parut au Deutscher Volksverlag, la maison d’édition de l’antisémite Ernst Boepple. La couverture fut là aussi conçue par Otto von Kursell. Le motif central est un bolchevik portant une étoile de David sur sa casquette. Les deux publications se complètent parfaitement ; le texte de Rosenberg dut toutefois attendre 1924 pour bénéficier d’un deuxième tirage, et fut réimprimé à plusieurs reprises après 1933. Alors que le pamphlet d’Eckart ne contenait que 32 pages, divertissantes et d’une consommation facile avec leurs caricatures antisémites et leurs vers satiriques, Peste en Russie comportait 144 pages, ce qui avait rendu sa publication plus coûteuse. C’était en outre un texte saturé d’un nombre monstrueux de faits concernant un pays lointain, c’est-à-dire une lecture plutôt astreignante. Mais les deux textes contribuèrent indubitablement à implanter dans les cerveaux des Allemands l’image terrifiante de la révolution russe, avec ses assassins bestiaux déchaînés, et à l’associer avec une vision du monde radicale et brutalement antisémite. Le pendant du bolchevisme juif, de la révolution russe comme œuvre du judaïsme mondial [malgré son hostilité aux Russes en général et au régime tsariste en particulier, Rosenberg ne faisait que reproduire un thème inventé et développé par l’extrême droite russe], était le judaïsme allemand comme exécutant du bolchevisme victorieux en Union soviétique. Ce lien entre judaïsme et bolchevisme contribua à ouvrir la voie à l’antisémitisme éliminationniste des nationaux-socialistes, qui trouva ensuite son exutoire dans la guerre d’extermination portée par l’idéologie raciale à l’Est.

On retrouve dans Peste en Russie tous les grands thèmes que le lecteur avait rencontrés dans l’avant-propos écrit par Rosenberg aux Fossoyeurs de la Russie d’Eckart : le Tartaro-Talmouk Lénine [le père de Lénine était effectivement un Kalmouk, mais sa mère était allemande et non tatare ; que Rosenberg l’ait cru et y ait vu un trait négatif est remarquable, encore plus en considérant son arménophilie], qui, à l’aide d’aventuriers et de la “lie du peuple russe”, se hisse à la tête du gouvernement, Trotsky qui est le véritable tyran de la Russie après avoir travaillé pendant vingt-cinq ans à la destruction du pays. C’est avec Trotsky que Zinoviev était arrivé de New York : “Ce Juif gras aux cheveux laineux est peut-être la personnalité la plus répugnante de tout le gouvernement soviétique.” »

 

Anne Quinchon-Caudal, Avant « Mein Kampf ». Les années de formation d’Adolf Hitler, Paris, CNRS, 2023, p. 216 :

« Plus encore : selon toute vraisemblance, c’est [Dietrich] Eckart (et Alfred Rosenberg dans son sillage) qui a convaincu Hitler de la “dangerosité” des Juifs, et à considérer que la race juive serait omniprésente dans l’espace — contrôlant les gouvernements, la presse, les théâtres, ou encore le monde de l’éducation —, mais aussi dans le temps. On constate en effet qu’Hitler élargit de plus en plus [en 1920-1922] sa vision du “péril juif”. D’abord simples alliés des ennemis de l’Allemagne durant la Grande Guerre, le Juif prend progressivement les traits du révolutionnaire “bolchevique” qui rêve de “domination mondiale”. »   

 

« La publication des journaux d’Alfred Rosenberg. Entretien avec Jürgen Matthäus », Revue d’histoire de la Shoah, n° 203, 2015, pp. 364-365 :

« Pourquoi avez-vous décidé de publier une édition critique de ce que l’on appelle les Journaux d’Alfred Rosenberg ? Dans quelle mesure Rosenberg était-il un « dirigeant nazi » à part ? Et dans quelle mesure ses écrits ont-ils une valeur singulière pour l’histoire du national-socialisme ?

[…] Avec cette édition, nous avons voulu, Frank Bajohr et moi-même, mettre en lumière avant toute chose l’importance politique de Rosenberg – non seulement parce qu’il n’écrit pratiquement rien dans son Journal sur sa vie privée, mais avant tout parce que la recherche présente sur ce point des déficits manifestes. Même l’historiographie sur la Shoah, qui a connu une forte croissance ces dernières années, n’a traité Rosenberg qu’en marge – et ce bien que la transition entre la persécution des Juifs et l’extermination systématique des Juifs ait d’abord eu lieu dans la région d’Europe de l’Est placée sous son administration. Notre édition apporte aussi les preuves documentées du fait que Rosenberg a contribué de manière déterminante, pendant l’automne 1941, aux plans de la direction nationale-socialiste visant à mener à bien la “Solution finale de la question juive” par le biais de l’assassinat de masse dans sa zone d’influence. Le 18 novembre 1941, Rosenberg affirme dans un discours que “cet Est [était] appelé à résoudre une question posée aux peuples d’Europe : il s’agit de la question juive”. Cette question, poursuit Rosenberg, “ne peut être résolue que par une élimination biologique de tout le judaïsme en Europe”. Pour lui, l’objectif était fermement défini ; pour ce qui concernait la mise en œuvre, il s’est adapté aux possibilités existantes. »

 

Christopher Browning, « La décision concernant la Solution finale », Colloque de l’École des hautes études en sciences sociales, L’Allemagne nazie et le génocide juif, Paris, Le Seuil/Gallimard, 1985 p. 208 :

« L’autorisation donnée en juillet à Göhring se référait à un plan incluant la totalité de la sphère d’influence allemande en Europe et datait d’une époque où on comptait encore sur une victoire rapide en Russie. En août, avant qu’un tel plan ait pu être établi et alors que l’espoir d’une victoire proche était encore vivace, Hitler résista aux pressions de Heydrich et Goebbels et s’opposa à la déportation des Juifs d’Allemagne “pendant la guerre”. Le 13 septembre encore, Eichmann annonça de même au ministère des Affaires étrangères qu’il n’était pas possible de déporter les Juifs serbes vers le Gouvernement général ou vers la Russie puisqu’on ne pouvait même pas y loger les Juifs allemands. L’espoir d’une victoire totale dès l’automne s’évanouissant alors rapidement, Hitler semble avoir brusquement changé d’avis. Le 14 septembre, Rosenberg insista auprès de Hitler pour qu’il autorisât la déportation immédiate des Juifs allemands en réponse à la déportation vers la Sibérie des Allemands de la Volga décidée par les Russes. Quatre jours plus tard, Himmler informait Geiser, Gauleiter du Wartheland, que des déportations provisoires avaient lieu vers Lodz parce que le Führer souhaitait voir l’ancien Reich [l’Allemagne dans ses frontières de 1937] et le Protectorat [la République tchèque actuelle, moins les Sudètes] judenrein [c’est-à-dire sans Juifs] aussi rapidement que possible, de préférence avant la fin de l’année. Peu après, Heydrich déclara de même que, dans la mesure du possible, les Juifs allemands fussent déportés vers Lodz, Riga et Minsk avant la fin de l’année. »         

 

Lire aussi :

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L’arménophilie du régime de Vichy

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Camille Mauclair : tournant réactionnaire, antisémitisme, turcophobie, soutien à la cause arménienne, vichysme

L’arménophilie vichyste d’André Faillet — en osmose avec l’arménophilie mussolinienne et collaborationniste

La place tenue par l’accusation de « génocide arménien » dans le discours soralien

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Sur les amis arméniens de Rosenberg :

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Le racisme aryaniste, substrat idéologique du nationalisme arménien

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Sur la prégnance du complotisme antisémite dans ces milieux :

Aram Turabian : raciste, antisémite, fasciste et référence du nationalisme arménien en 2020

Paul de Rémusat (alias Paul du Véou) : un tenant du « complot judéo-maçonnique », un agent d’influence de l’Italie fasciste et une référence pour le nationalisme arménien contemporain

L’antijudéomaçonnisme de Jean Naslian, référence du nationalisme arménien contemporain

L’antisémitisme de Mevlanzade Rifat, nationaliste kurde, menteur et référence du nationalisme arménien contemporain

Le soutien d’Arthur Beylerian à la thèse du « complot judéo-maçonnico-dönme » derrière le Comité Union et progrès

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