« L’évolution de
la situation diplomatique », L’Ouest-Éclair,
28 octobre 1939, p. 3 :
« Paris, 27 octobre (de notre rédaction parisienne). Les informations
de source anglaise concernant la concentration de 300 000 soldats turcs sur la frontière
soviétique, près de la République d’Arménie sont confirmées.
Simple précaution, nous disait une personnalité compétente. En voici la raison.
Quand, en
1920, l’Arménie fut bolchevisée, Moscou céda à la Turquie, dont il
sollicitait à ce moment l’appui, des territoires arméniens Kars
et Ardahan [c’est légèrement plus
compliqué : en décembre 1920, le dernier gouvernement dachnak
(nationaliste) d’Arménie signe le traité
de Gümrü, qui prévoit un référendum pour la région de Kars, à majorité
musulmane ; en février 1921, avec l’autorisation du dernier gouvernement
géorgien indépendant, la Turquie reprend Ardahan, revendiquée par l’Arménie
mais jusque-là sous contrôle géorgien ; puis, en octobre 1921, le
gouvernement arménien soviétique, le gouvernement géorgien soviétique et la
Russie soviétique signent avec la Turquie le traité de Kars, qui
consacre les provinces de Kars et d’Ardahan comme turques]. Il s’agissait
de deux régions moins importantes pour leur richesse que pour leur valeur
stratégique. Bien que soumis aux Soviets, les Arméniens protestèrent. La perte
de ces territoires exposait leur jeune République, soi-disant autonome, au
danger d’une invasion turque. Moscou mit fin à cette réaction par ses méthodes
habituelles.
On peut s’imaginer après cela l’étonnement de M. Saradjoglou, le ministre
des Affaires étrangères turc, quand, au
cours de ses négociations à Moscou, l’autre semaine, il s’entendit réclamer la
cession de Kars et Ardahan. Naturellement, Ankara a repoussé cette
prétention, en même temps que les autres formulées au sujet des Balkans et de
la Mer Noire.
Presque aussitôt une
agitation irrédentiste a éclaté en Arménie, près de la frontière turque :
des meetings ont été organisés à Erivan et Léninakan, et ailleurs, sous les
auspices des autorités soviétiques On y vote des motions et des adresses à
Staline, afin que les
frères de race soumis à
la Turquie soient libérés bientôt. On avait entendu des slogans semblables
en U.R.S.S., à la veille de la libération des Ukrainiens
et des Blancs Russes [Biélorusses] opprimés
par les Polonais.
Résolu à couper court à la manœuvre, le gouvernement d’Ankara a pris des
dispositions militaires appropriées, celles qui ont été annoncées hier. Très
probablement, le dictateur rouge laissera traîner les choses dans le Sud,
pendant qu’il est occupé encore dans le Nord avec la Finlande. »
« Turquie et URSS »,
Le Populaire, 15 décembre 1939, p. 3 :
« Une information arrive de Turquie : le président de la République,
le maréchal Ismet Inönü, s’est rendu à Erzeroum, où la population s’est lui a
fait un accueil enthousiaste. Il est difficile de ne pas mettre en liaison ce
voyage avec l’importance prise au cours de ces derniers mois par la frontière
russo-turque.
[…]
Aujourd’hui, Moscou [a] envie de se servir du nationalisme arménien contre
Ankara, en profitant des griefs
historiques de cette nation à l’égard de l’ancienne
Turquie. Des fêtes ont été données cet automne dans la capitale soviétique
en l’honneur de l’Arménie, dont on a célébré les traditions et la littérature.
L’Arménie a perdu sous le régime stalinien toute autonomie et les patriotes
arméniens ont été massacrés
et déportés tout comme les nationalistes ukrainiens,
géorgiens, caucasiens. Mais Staline veut améliorer la situation stratégique de
son Empire face à la Turquie et sur la mer Noire, et les aspirations
arméniennes peuvent lui fournir une base d’action, suivant la méthode
hitlérienne qu’il a adoptée
d’emblée et dont il se propose de tirer tout le profit possible. »
Mary Kilbourne Matossian, The
Impact of the Soviet Policies in Armenia, Leyde, E. J. Brill, 1962, p. 163 :
« Le point décisif était : si les sentiments et les valeurs du
nationalisme arménien se trouvaient servir les objectifs communistes, ils
étaient encouragés ; sinon, ils étaient supprimés. Il se trouve que durant la
Seconde Guerre mondiale et juste après, le nationalisme arménien était utile
aux communistes. »
Lire aussi :
L’alliance
soviéto-nazie (1939-1941) et les projets staliniens contre la Turquie
La
popularité du stalinisme dans la diaspora arménienne
Les
Arméniens dans la Turquie de Mustafa Kemal Atatürk
Le stalinisme en France et le mythe Manouchian
L’arménophilie
stalinienne de Léon Moussinac
L’engagement
(non regretté) d’Henri Leclerc (avocat de terroristes arméniens) au PCF
stalinien
L’arménophilie
de Walter Duranty (falsificateur au bénéfice de Staline)
L’Union
générale arménienne de bienfaisance et le scandale des piastres
François
Rigaux : apologiste des Khmers rouges, soutien apprécié du nationalisme
arménien
La
nature contre-insurrectionnelle du déplacement forcé d’Arméniens ottomans en
1915
Le
caractère mûrement prémédité de la révolte arménienne de Van (avril 1915)
L’hostilité
intangible des nationalistes arméniens à l’égard de l’Ukraine
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