Simon Petlioura (Symon Petlura) était un dirigeant social-démocrate
ukrainien, indépendantiste, président de la République de 1919 à 1920. Talat
(Talaat) Bey, puis Talat Pacha, était un dirigeant du Comité Union et progrès
(CUP), ministre ottoman de l’Intérieur de 1909 à 1911, puis de nouveau de 1913
à 1917, et finalement grand vizir de 1917 à 1918. Petlioura a été assassiné en
1926 à Paris, par Samuel Schwartzbard, un repris de justice manipulé, armé et renseigné par le
renseignement soviétique. Talat a été assassiné en 1921 à Berlin par un
terroriste de la Fédération révolutionnaire arménienne, Soghomon Tehlirian, qui avait assassiné un Arménien
loyaliste à Istanbul, l’année précédente.
Taras Hunczak (professeur
d’histoire à l’université Rutgers, États-Unis), Symon
Petlura et les Juifs, Paris, Bibliothèque ukrainienne, 1987 (traduction
d’un article publié en
1969 par Jewish Social Studies,
revue éditée par les Presses universitaires de l’Indiana) :
« Ainsi qu’il a été indiqué plus haut, dès son instauration, en fait, le
Directoire [gouvernement ukrainien]
adopta une attitude positive à l’égard de la participation des Juifs à la vie
politique de l’Ukraine. Non content d’assurer un statut privilégié a la
communauté juive, le Directoire lui donna également des droits strictement égaux
pour servir dans les diverses administrations du gouvernement ukrainien.
Finalement, nous trouvons plusieurs
Juifs qui assument des fonctions ministérielles, certains occupant des postes
importants au ministère des Affaires étrangères ukrainien, et plus de deux
cents autres détenant des fonctions de moindre importance. Conformément aux
principes d’égalité sociale, Petlura imposa l’admission des Juifs à l’École des
élèves officiers.
La position du Directoire, en ce qui concerne les problèmes d’éducation des
Juifs, fut également pleine de sagesse. Sur les conseils d’Abraham Revuts’ky,
ministre des Affaires juives, le gouvernement
édicta une loi plaçant l’ensemble des écoles et des établissements d’enseignement
juifs sous son contrôle et l’autorisant, par ailleurs, à leur attribuer le
neuvième des crédits du ministère de l’Instruction publique. » (pp. 26-27)
« Selon les témoignages de l’époque et dignes de foi, les nombreux appels
et ordres de Petlura et de son gouvernement n’étaient pas un vulgaire écran de
fumée à l’abri duquel les éléments criminels pouvaient s’adonner librement à
leur coupable industrie. Au contraire, ils sont le reflet des actes et de la
politique mentionnée par le Directoire. Le
colonel Oleksander Dotsenko, qui était l’aide de camp de Petlura, a relate que
quatre Ukrainiens furent fusillés, près de Kiev, pour leur participation aux
pogroms. De même, un officier nommé Michtchouk et plusieurs cosaques furent
fusillés à la suite du pogrom de Raihorod. Ce même colonel a également confirmé
l’exécution du fameux otaman [commandant militaire] Semesenko.
Le colonel Kedrovs’ky, qui etait bien place pour le savoir, a rapporté que
rien qu’à Smotrytch (Volhynie) quatorze
cosaques furent fusillés, pour participation à un pogrom. Partout, notamment à
Orynyn et à Kytaihorod, ainsi qu’à Talny et Vakhnivka, d’autres, jugés
coupables de viol, subirent le même sort.
Arnold Margolin parla également d’exécutions nombreuses, pour participation
a des pogroms. Le témoignage ci-dessous est particulièrement édifiant :
“Enfin, je possède une transcription, certifiée conforme, du jugement rendu
par une cour miUtaire speciale, le 22 août 1920, concernant Varyvan Vynnyk,
accusé d’avoir infligé des blessures a Yossel Aster, au village de Zalukivtsi
(près de stanyslaviv, en Galicie) — blessures mettant sa vie en danger. Ce cas
fut juge à huis clos. La cour qualifia d’‘inhumain’ le comportement de Vynnyk,
et le condamna à être fusille. La sentence fut exécutée le jour même.” » (p.
32)
Rémy Bijaoui, Le
Crime de Samuel Schwartzbard, Paris, Imago, 2018, pp. 150-152 :
« D’abord, un fait incontestable : il n’existe sous la plume de
Petlioura aucun écrit, aucun document, aucun discours antisémite. Bien au
contraire, nous le verrons. Ses partisans ne manquent pas de rappeler qu’en
1907 il avait même préfacé une pièce de théâtre de Tchirikov, Les Juifs,
dénonçant l’oppression des Juifs en Russie. Cette attitude philosémite est au
reste constamment rappelée par les personnalités juives qui ont travaillé,
pendant ces années de lutte, aux côtés de Simon Petlioura. M. Sliosberg, ancien
président du Comité central de secours aux victimes de guerre et des pogromes,
qui témoignera contre lui au cours du procès Schwartzbard, rétablit sur ce
point capital la vérité :
“Les amis de Petlioura, selon les rapports des journaux, disent que c’était
un homme de grandes qualités, un ami des Juifs. Je ne le nie pas. Je n’admets
pas qu’il fût antisémite.”
Vladimir Jabotinski, une grande figure du judaïsme mondial dont nous
reparlerons, et qui a bien connu Petlioura, réfute également toute idée d’antisémitisme
le concernant :
“C’est un fait, ni Petlioura ni Vynnytchenko, ni aucun membre en vue du
gouvernement ukrainien n’ont été des instigateurs de pogroms. J’ai grandi avec
eux et, à leurs côtés, j’ai combattu l’antisémitisme ; personne ne parviendra jamais
à persuader aucun sioniste du sud de la Russie ni moi-même que des gens de
cette qualité peuvent mériter le qualificatif d’antisémites.” […]
Rappelons, pour mémoire, que le gouvernement qu’il présidait comptait
plusieurs ministres juifs : le professeur Solomon Goldelman, Abraham Revusky,
Moïse Silberfarb, P. A. Krasny, Jacob Latzky-Bertholdi, Arnold Margoline. […]
Ce fut d’abord la loi du 27 mai 1919
qui instaura une Commission extraordinaire d’enquête sur les pogromes, composée
de représentants juifs. Cette loi non seulement habilitait la Commission à
enquêter sur les pogromes perpétrés, mais elle l’autorisait aussi à traduire
directement les coupables devant un tribunal militaire. Une Commission spéciale
avait été créée quelques semaines auparavant (9 avril) pour enquêter sur le
terrible pogrome de Proskourov.
Dans le même temps, le gouvernement prit la décision d’allouer trois
millions de roubles (une somme importante pour l’époque) pour venir en aide à
la population juive victime de pogromes. »
Robert Belot (professeur
d’histoire à l’université de Saint-Étienne), Vladimir
Poutine ou la falsification de l’histoire comme arme de guerre,
Lausanne, Fondation Jean-Monnet pour l’Europe, 2024, p. 53 :
« Peut-être
parce qu’il fut démontré que ces massacres ont été initiés par des commandants
locaux et que Petlioura a tout fait pour y mettre un terme. Peut-être aussi
parce qu’il paraît évident que les services spéciaux russes ont renseigné et
armé la main du meurtrier. »
Alla Lazaréva, « L’affaire
Petlioura : une grande manipulation venue de Moscou », The Ukrainian Weekly. Édition française,
21 mai 2023 :
« Pour comprendre pourquoi les Français, à l’exception d’un groupe
restreint d’amis de l’Ukraine, n’ont pas voulu commémorer cet assassinat commis
rue Racine, le 25 mai 1926, il faut se référer aux documents du procès de
Sholem Samuel Schwartzbard, l’assassin de Symon Petlioura, très probablement
manipulé par les services soviétiques, vu son passé criminel et sa nature
aventurière. Son casier judiciaire comporte deux braquages de banques, à Vienne
(1908) et à Budapest (1909), et deux passages en prison. Puis il a servi dans
l’armée rouge, en 1917, faisaient de lui une proie facile pour le GPOu,
l’ancêtre du KGB, même s’il pouvait se croire tranquille à Paris, dans sa
petite boutique d’horloger.
Symon Petluoura a donc été tué le 25 mai 1926 à Paris. Samuel Schwartzbard,
vêtu d’une blouse blanche d’horloger, lui a tiré sept balles de revolver. Au
poste de police, il a expliqué qu’il avait ainsi décidé de venger les pogroms
juifs qui ont eu lieu pendant la Première Guerre mondiale et la guerre de
libération de l’Ukraine, de 1917 à 1921. Les enquêteurs ont trouvé un portrait
de Petlioura découpé dans un journal d’émigrés ukrainiens lors d’une
perquisition à son domicile, et la femme de Schwartzbard a témoigné que
quelqu’un avait appelé son mari et qu’il s’était précipité hors de la maison et
s’était enfui dans ses vêtements professionnels, pour aller commettre son
meurtre.
La personne ayant prévenu Schwarzbard par téléphone que Petlioura était
venu déjeuner seul au restaurant Bouillon, sans sa femme et sa fille, a été
identifiée assez rapidement. Il s’agit de l’agent tchékiste Mikhail Volodin,
qui une fois arrivé à Paris, a passé beaucoup de temps avec Schwartzbard et à
l’ambassade soviétique, et a très probablement recruté Schwartzbard pour
espionner Petlioura et le tuer. Mais il n’a jamais été jugé par le tribunal
français pour complicité de meurtre, contre toute évidence. Il a pu quitter la
France rapidement après le meurtre. Pourquoi cela ?
Il faut se rappeler que
l’avocat de Schwartzbard, maître Henri Torrès, se rendait régulièrement à
l’ambassade soviétique :
la presse française en
a parlé en 1926, très ouvertement (en particulier, Le Figaro). A l’époque, une habile manipulation, soutenue par une
campagne de presse, a su transformer le procès du meurtrier en condamnation
sans appel de sa victime, avec un soutien du Parti Communiste Français et de
ses amis disposants de multiples relais. Pour appuyer la défense de
Schwartzbard, un certain Bernard Lecache
qui n’était ni juge d’instruction, ni fondé de pouvoirs dans l’affaire,
toujours avec l’aide de l’ambassade de l’URSS, s’est vu faciliter un voyage en
Ukraine “pour réunir des preuves” et y sélectionner des documents d’une manière
très tendancieuse.
Il n’a pas hésité à utiliser
des traductions falsifiées de la presse, comme l’a montré à l’époque un académicien
ukrainien, Serhiy Yefremov, dans son Journal intime. Ensuite, à la place des
témoins oculaires, ce sont des gens fort éloignés de la scène du crime qui ont
pu témoigner lors des audiences. Et enfin, le plus important : pour maître
Torrès, l’affaire Schwartzbard est devenue un tremplin pour une carrière
fulgurante d’avocat, et pour Lecache, un prétexte pour fonder la Ligue
internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), qui joue un rôle
influent en France jusqu’à nos jours. »
ð
Autre
manipulation du stalinien Lecache : dans son livre Au pays des pogromes, Paris, éditions du Progrès civique, 1927, il
occulte les tueries de Juifs organisées par certains éléments de l’Armée rouge, et à qui
Lénine, contrairement à Petlioura, avait garanti l’impunité, y compris après la
victoire des communistes, en 1921-1922 (sans joie, il est vrai, mais sans
hésitation non plus). Par ailleurs, la nature du régime était dénuée de toute ambiguïté, dès cette époque, notamment après l’invasion de la Géorgie en 1921, en violation du traité russo-géorgien de mai 1920, le procès inique la « conjuration de Tagantsev », toujours en 1921 (96 personnes condamnées à mort et fusillées, sur la base d’accusations fabriquées), l’expulsion d’un groupe d’intellectuels en 1922 et le procès-spectacle, à Moscou, la même année, des sociaux-révolutionnaires (opposants de gauche aux communistes), etc. Ce procès a d’ailleurs conduit l’écrivain Anatole France à rompre avec le communisme (il avait cessé, plus discrètement, de soutenir le nationalisme arménien vers la fin de la Première Guerre mondiale).
Odile Moreau, L’Empire ottoman à l’âge des réformes. Les
hommes et les idées du « Nouvel Ordre » militaire (1826-1914),
Paris, Maisonneuve et Larose, 2007, pp. 70-71 :
« Après la “révolution jeune-turque”, l’École militaire de Harbiye fut
ouverte aux élèves non-musulmans en 1910 [Talat
est alors ministre de l’Intérieur]. En
1912, les premiers officiers non-musulmans furent promus à l’issue du nouveau
cursus de deux ans. Sur 394 officiers, il y avait 3 Grecs, 4 Arméniens
et un Israélite. L’un des Grecs était classé parmi les seize premiers, auxquels
le sultan remit en cadeau une montre en or. Le sultan, le prince héritier, le
ministre et les hautes autorités militaires assistaient à la cérémonie ainsi
que le patriarche œcuménique, le grand rabbin et les représentants de l’exarque
bulgare et du patriarche arménien. […]
Les musulmans dirent “vallâhi bi-Allâhi” sur le Coran, les chrétiens
prêtèrent serment sur l’Évangile et les Israélites sur le Talmud. »
« La crise turque — Le
nouveau cabinet », Le Temps, 18
juin 1913, p. 2 :
« Le nouveau ministère est officiellement constitué. Il sera constitué
comme suit :
Grand vizir : Said Halim Pacha.
[…]
Intérieur : Talaat bey.
[…]
Postes et télégraphes: Oskan [Mardikyan]
Effendi (unioniste) [c’est-à-dire membre
du Comité Union et progrès, le CUP, appelé à l’étranger « les Jeunes-Turcs »]
»
Şinasi Orel et Sürreya Yuca,
Les
« Télégrammes » de Talât Pacha. Fait historique ou fiction ?, Paris,
Triangle, 1986, p. 125 :
« DOCUMENT AUTHENTIQUE N° LII
Télégramme chiffré du ministère de l’Intérieur aux préfectures de
Hudavendigâr, Ankara, Konya, Adana, Alep, Sivas, Mamuretilaziz, Diyarbakır,
Erzurum; aux sandjaks d’Izmit, Maraş, Urfa, Zor, Kütahya, Karesi, Niğde,
Karahisârisahib, Kayseri.
“L’objectif visé par le gouvernement en faisant déplacer les Arméniens de
leurs lieux de résidence vers les régions prévues est d’empêcher leurs agissements
contre le gouvernement et de les neutraliser afin qu’ils renoncent à leurs
aspirations relatives à la création d’un gouvernement arménien.
L’objectif visé par le
gouvernement n’étant pas l’extermination des innocents, le gouvernement exige
que toutes les mesures adéquates soient prises pour la protection des Arméniens
pendant le transport et pour leur ravitaillement grâce aux allocations des
émigrés. Il ordonne de ne
plus déplacer les Arméniens, sauf ceux qui sont déjà en train de l’être, de ne
plus transférer, comme il a été indiqué auparavant, les familles des soldats,
ainsi que les artisans dont on a besoin et les Arméniens protestants et
catholiques.
Procéder immédiatement à des enquêtes judiciaires afin de punir sévèrement
d’une part les personnes qui s’attaquent aux convois, qui commettent des vols,
qui, emportées par des sentiments bestiaux, violent des femmes et d’autre part
les fonctionnaires et les gendarmes qui les ont incitées. Limoger les
fonctionnaires qui sont mêlés à ce genre d’affaires, les traduire devant les
tribunaux militaires et communiquer leurs noms. Dans ce genre d’incident, la
responsabilité incomberait à la préfecture/au sandjak.
16 août 1331 (29 août 1915)
Le Ministre de l’Intérieur [54].” »
Ibid., p. 104 :
« DOCUMENT AUTHENTIQUE N° IX
Télégramme chiffré du ministère de l’Intérieur au sandjak de Kal’a-i
Sultaniye (Çanakkale).
“Réponse à la lettre du 16 mai 1331 (29 mai 1915).
Il n’y a aucun inconvénient au voyage du sous-préfet de Bayramiç,
Karabet Efendi [un Arménien, comme son
nom l’indique], à Istanbul. 23 mai 1331 (5 juin 1915) [9].” »
Télégramme de Talat, 22
juillet 1915, traduit dans Erman Şahin, «
Review Essay : the Armenian Question », Middle
East Policy, XVII-1, printemps 2010, p. 155 :
« En conséquence, il est de la plus haute importance de renforcer
vigoureusement la sécurité publique aux limites de la province [de Diyarbakır], en particulier sur la
route empruntée par les convois d’Arméniens, et d’éviter tout retard dans le
transport militaire. Les résultats des mesures prises devront être rapportés. »
Télégramme de Talat à la
préfecture d’Ankara, 29 août 1915, Hikmet Özdemir et Yusuf Sarınay, Turkish-Armenian
Conflict Documents, Ankara, TBMM, 2007, p. 235 :
« La question arménienne qui se posait dans les provinces orientales est
résolue. Pour autant, il est inutile d’endommager l’image de notre nation et de
notre gouvernement par des actes de cruautés qu’aucune nécessité ne justifie.
En particulier, l’attaque récente qui a eu lieu contre des Arméniens près
d’Ankara a causé beaucoup de regret au ministre, qui a constaté que l’évènement
s’est produit suite à l’évidente incompétence des officiers chargés de
superviser le transfert des Arméniens, et à l’audace de gendarmes et
d’habitants de la région, qui ont agi en suivant leurs instincts bestiaux,
violant et volant les Arméniens. Le transfert d’Arméniens, qui doit être
appliqué dans l’ordre et avec prudence, ne doit jamais, à l’avenir être confié
à des individus animés d’une hostilité fanatique, et les Arméniens — tant ceux qui sont transférés que les autres — doivent
absolument être protégés contre toute agression, contre toute attaque. Dans les
lieux où une telle protection ne pourrait pas être assurée, le transfert doit
être reporté. À partir de maintenant, les officiers chargés [du transfert] seront tenus pour
responsables, compte tenu de leur rang, de toute attaque qui se produirait,
et renvoyés en cour martiale. Il est nécessaire de donner des ordres très
stricts à cet égard, au personnel concerné.
Le ministre [de l’Intérieur Talat].
»
Télégramme de Talat à la
préfecture de Konya, 9 septembre 1915, ibid., p. 261 :
« Ahmed de Siroz et son ami Halil ont été transférés à Konya
aujourd’hui, afin d’être jugés devant une cour martiale de la 4e armée,
pour avoir assassiné des Arméniens et dérobé leurs biens. Il faut veiller à ce
qu’ils ne s’échappent pas, à ce qu’ils soient mis sous bonne garde, jusqu’à
réception des instructions de Cemal Paşa à leur égard.
Le ministre [de l’Intérieur Talat].
»
Yusuf Sarınay, « Le
jugement des agents ayant transgressé les dispositions relatives au transfert
des Arméniens devant la Cour martiale »
« Ahmed de Siroz et son ami Halil, jugés pour homicides et vols commis
contre les Arméniens avaient été emprisonnés à Konya sur ordre du général Cemal
Pacha afin d’empêcher une éventuelle évasion lors de leur transfert de la cour
martiale de la 4ème Armée vers Konya, puis jugés devant la cour martiale de
Syrie, ils furent pendus à Damas
(BOA, HR, SYS, nr.2882/29-25) (BOA, DH, SFR, nr.55 A /177) »
ð
Cette
double exécution est aussi mentionnée par
Hilmar Kaiser, historien partisan de la qualification de « génocide
arménien », mais sans citer l’intervention de Talat, qu’il ne peut
pourtant pas ignorer.
Yusuf Sarınay,
« The
Relocations (Tehcir) of Armenians and the Trials of 1915–16 », Middle East Critique, XX-3, automne
2011, p. 307 :
« En conséquence, après le mémorandum du ministre de l'Intérieur Talat
Pacha du 28 septembre 1915, le Cabinet a décidé de créer trois commissions
d'enquête. Cette décision importante reflétait la position du gouvernement
ottoman : les preuves évidentes de mauvaise conduite et de violation de la loi par
certains fonctionnaires et citoyens locaux lors de la réinstallation ont
nécessité la création de ces commissions, chacune ayant pour tâche d'enquêter
sur les conditions locales, d'identifier les personnes responsables et de les
traduire devant les cours martiales. […]
Avant même que cette décision ne fût prise par le cabinet, le gouvernement
avait ordonné aux membres de chaque commission de se préparer à cette
responsabilité, ce qui montre à quel point il était sensible aux rapports sur
l'échec de certains responsables locaux à empêcher une rupture de l'ordre
public pendant la réinstallation forcée. »
Kâmuran Gürün, Le
Dossier arménien, Paris, Triangle, 1984 :
« La note codée du 14 juin 1915 (1er juin 1331) est assez
importante :
“La préfecture d’Erzurum nous a informé qu’une colonie de 500 Arméniens
qu’on avait fait partir d’Erzurum a été tuée par des tribus entre Erzincan et
Erzurum. Il faudra veiller à défendre la vie des Arméniens que l’on met sur les
routes ; il faudra, bien entendu, châtier ceux qui, pendant leur transfert,
tenteront de fuir ainsi que ceux qui attaqueront les personnes chargées de la
protection. Mais il ne faudra jamais mêler à cela la population. Nous ne devons
laisser absolument aucune possibilité à ce que se reproduise ce genre
d’événements. En conséquence, il faudra
prendre toutes les mesures qui s’imposent pour protéger les Arméniens contre
les attaques des tribus et des villageois ; il sera également nécessaire
de punir sévèrement les meurtriers et les voleurs.” » (p.
256)
« Ceux qui furent reconnus coupables furent déférés au tribunal de
siège. Voici le nombre des cas dans quelques provinces et
arrondissements :
Sivas : 648
Mamuretelaziz : 223
Diyarbakir : 70
Bitlis : 25
Eskisehir : 29
Sebinkarahisar : 6
Nigde : 8
Izmit : 33
Ankara : 32
Kayseri : 69
Syrie : 27
Hüdavendigar : 12
Konya : 12
Urfa : 189
Canik : 14 » (pp. 258-259)
Norman Stone (professeur d’histoire
à l’université d’Oxford, puis à l’université Bilkent), « Armenia and Turkey »,
Times Literary Supplement, 15 octobre
2004 :
« Il y a une erreur qui ruine vraiment les efforts de [Peter] Balakian. Il s’appuie sur un
faux qui a été révélé comme tel il y a plus de quatre-vingts ans, les “documents
Naim-Andonian”. Il écrit ici, page 344 : “Les Britanniques ont libéré, à l’été
1921, quarante-trois prisonniers turcs accusés d’avoir perpétré les massacres
arméniens” ; il suggère que cela s’est produit parce que les Turcs
nationalistes avaient capturé des officiers britanniques. Mais le fait est que
les officiers de police judiciaire ont indiqué qu’il n’y avait aucune charge
contre ces Turcs (internés à Malte). Certains documents les incriminant ont été
retrouvés, colportés par un certain Andonian, sur la base de prétendues confessions
d’un certain Naim (“Massacrez tout le monde mais gardez le secret”, telle était
la teneur générale, et, à la page 346, Balakian en reproduit une partie). Mais
les juristes [britanniques] ont
écarté les documents comme étant des faux, et les avocats allemands [de la défense] au procès
de l’assassin
de Talaat Pacha en 1921 ont également écarté Andonian (préférant, de manière
assez bizarre, le témoignage par ouï-dire d’un ecclésiastique nommé, en
l’occurrence, Balakian). »
La Licra n’a jamais fait amende honorable pour avoir été fondée par un
propagandiste stalinien — pas plus que pour avoir relayé, encore en 1952, la propagande stalinienne, cette fois contre le réarmement de l’Allemagne, dans un contexte de guerre froide paroxystique. Bien au contraire, en 2006, son président d’alors,
Patrick Gaubert (ancien conseiller de Charles Pasqua, homme
probe s’il en est…) s’était fendu d’une tribune
diffamatoire dans Le Monde,
contre Petlioura, et contre les Ukrainiens en général, dont « la belle
aventure “atlantiste” » (pourquoi cet adjectif plutôt qu’« européenne »,
« occidentale » ou tout simplement « démocratique » ?)
commencée en 2004 aurait « viré au cauchemar » (exactement le
vocabulaire qu’aime lire l’ambassade de Russie à Paris), avec pour unique
« argument » une commémoration de Petlioura en Ukraine et une autre à
Paris. Cela provoqua une
réplique très argumentée de Daniel Beauvois, professeur émérite d’histoire
à l’université de Paris-I-Sorbonne, que Le
Monde n’eut pas le courage de publier — pas plus qu’il n’avait eu le
courage de publier un droit de réponse de Bernard Lewis en
1995. En 2012, la Licra a publié un
éloge de l’assassin, salissant encore sa victime, au mépris de toute vérité
historique. En 2017, elle est allée encore plus loin dans le délire, en qualifiant
Petlioura de « génocidaire », pas moins. Or, c’était après l’invasion
de la Crimée, après celle du Donbas, après qu’un avion civil d’une compagnie
néerlandaise fut abattu par
les forces russes et après la
tentative de faire élire Marine Le Pen en France.
Encore en 2021, alors que les menaces russes contre l’Ukraine se
multipliaient et que la propagande poutiniste battait son plein, la Licra
n’a rien trouvé de mieux que d’y apporter sa contribution en réitérant
sa calomnie contre Petlioura et en approuvant l’acquittement de son
assassin. Le texte ajoute : « On peut ainsi rapprocher le geste de
Schwartzbard de celui de Soghomon Tehlirian sur la personne de Talaat Bey, en
1921. Cet Arménien dont la famille avait été exterminée au cours du génocide de
1915 avait identifié l’ancien ministre de l’intérieur de l’Empire ottoman
réfugié à Berlin et l’avait abattu. »
Ce faisant, la Licra répétait un
mensonge de Tehlirian à son procès : en réalité, son père, son frère
et ses deux oncles avaient déménagé à Belgrade avant 1914, pour des raisons de
pure opportunité professionnelle, et ils y sont décédés de mort naturelle bien
après 1918 ; par ailleurs, il n’a jamais eu de sœur, or il a prétendu, au
procès, avoir vu sa sœur se faire violer puis tuer. La Licra omettait aussi de
préciser que Tehlirian s’est engagé, dès 1914, et bien qu’il ne fût pas de
nationalité russe mais ottomane, dans l’armée de Nicolas II, le tsar le plus
antisémite de l’histoire russe, qui finançait la propagande antijuive et couvrait les
auteurs de… pogromes.
En effet, la Licra s’est placée, depuis les années 1990 au moins, du côté
du nationalisme arménien. On vit ainsi, en 1995, cet effarant spectacle de la
Licra se
joignant à Patrick
Devedjian — l’ancien cogneur néofasciste, condamné au moins deux fois, complice
de François Duprat dans la dissémination du négationnisme à l’extrême
droite, puis apologiste
enflammé de l’ASALA, groupe terroriste à l’antisémitisme meurtrier
— contre l’historien anglo-américain Bernard
Lewis.
Obsédée par la répression légale de ce qui ne va pas dans le sens de
l’ultranationalisme arménien, la Licra fut ensuite, en 2015, tiers intervenant
devant la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme dans
l’affaire Perinçek contre
Suisse, en soutien au très
poutiniste gouvernement arménien de l’époque — lequel soutenait le point de vue
russe sur la famine en Ukraine de 1932-1933… La Grande chambre a confirmé la
décision de la 2e chambre, qui donnait raison à M. Perinçek. La
Licra n’a tiré aucune leçon de cet échec, bien au contraire.
Inversement, elle n’a jamais jugé utile de poursuivre l’antisémite Jean
Varoujan Sirapian, ancien vice-président du Conseil de coordination des
associations arméniennes de France, pas plus qu’elle n’a poursuivi ne fût-ce
qu’un seul des innombrables agitateurs arméniens qui ont déversé leur haine
raciste contre Robert
Badinter.
Lire aussi, sur
la politique arménienne des jeunes-turcs :
Talat
Pacha et les Arméniens
Le
grand vizir Sait Halim Pacha et les Arméniens
Hamit
(Kapancı) Bey et les Arméniens
Le
rôle des Arméniens loyalistes dans l’Empire ottoman durant la Première Guerre
mondiale
Artin
Boşgezenyan : un Jeune-Turc à la Chambre des députés ottomane
Le
rôle du député jeune-turc Dikran Barsamian dans la reconstitution du Comité Union
et progrès, fin 1918
Florilège
des manipulations de sources dont s’est rendu coupable Taner Akçam
L’urologue
Yves Ternon : menteur sous serment
Sur l’assassinat
de Talat :
L’assassin
et menteur Soghomon Tehlirian : un modèle récurrent pour le terrorisme arménien
contemporain
Le
mensonge selon lequel cinq des « documents Andonian » auraient été «
authentifiés » au procès Tehlirian (1921)
Sur le rôle de la
Russie tsariste, de l’URSS et de la Russie poutinienne :
Arthur
Tchérep-Spiridovitch : arménophile militant, antisémite professionnel, raciste
aryaniste et inspirateur du nazisme
1914-1915
: la mobilisation du nationalisme arménien au service de l’expansionnisme russe
Le
caractère mûrement prémédité de la révolte arménienne de Van (avril 1915)
La
participation de la Fédération révolutionnaire arménienne à la répression
sanguinaire des Soviétiques contre les patriotes d’Asie centrale en 1918-1919
L’alliance
soviéto-nazie (1939-1941) et les projets staliniens contre la Turquie
L’agitation
irrédentiste dans l’Arménie soviétique à l’époque de l’alliance entre Staline
et Hitler
La
popularité du stalinisme dans la diaspora arménienne
Le
consensus poutiniste chez les nationalistes arméniens
Margarita
Simonyan (Russia Today) en appelle à « la famine »
Sur l’ukrainophobie démentielle et compulsive que manifestent beaucoup de
nationalistes arméniens :
La
rage ukrainophobe des nationalistes arméniens : des exemples en septembre 2023
L’hostilité
intangible des nationalistes arméniens à l’égard de l’Ukraine
Sur leurs combats
contre la liberté d’expression :
4
mai 2011 : le Sénat de la République française dit non au tribalisme et au
terrorisme arméniens
La
triple défaite des nationalistes arméniens devant le Conseil constitutionnel
(2012, 2016, 2017)
La
Cour constitutionnelle belge rejette les prétentions liberticides du Comité des
Arméniens de Belgique
Quand
l’avocat Philippe Krikorian se prenait pour la justice française