mardi 15 octobre 2024

Les destins parallèles de Simon Petlioura et Talat Pacha

 





Simon Petlioura (Symon Petlura) était un dirigeant social-démocrate ukrainien, indépendantiste, président de la République de 1919 à 1920. Talat (Talaat) Bey, puis Talat Pacha, était un dirigeant du Comité Union et progrès (CUP), ministre ottoman de l’Intérieur de 1909 à 1911, puis de nouveau de 1913 à 1917, et finalement grand vizir de 1917 à 1918. Petlioura a été assassiné en 1926 à Paris, par Samuel Schwartzbard, un repris de justice manipulé, armé et renseigné par le renseignement soviétique. Talat a été assassiné en 1921 à Berlin par un terroriste de la Fédération révolutionnaire arménienne, Soghomon Tehlirian, qui avait assassiné un Arménien loyaliste à Istanbul, l’année précédente.

 

Taras Hunczak (professeur d’histoire à l’université Rutgers, États-Unis), Symon Petlura et les Juifs, Paris, Bibliothèque ukrainienne, 1987 (traduction d’un article publié en 1969 par Jewish Social Studies, revue éditée par les Presses universitaires de l’Indiana) :

« Ainsi qu’il a été indiqué plus haut, dès son instauration, en fait, le Directoire [gouvernement ukrainien] adopta une attitude positive à l’égard de la participation des Juifs à la vie politique de l’Ukraine. Non content d’assurer un statut privilégié a la communauté juive, le Directoire lui donna également des droits strictement égaux pour servir dans les diverses administrations du gouvernement ukrainien. Finalement, nous trouvons plusieurs Juifs qui assument des fonctions ministérielles, certains occupant des postes importants au ministère des Affaires étrangères ukrainien, et plus de deux cents autres détenant des fonctions de moindre importance. Conformément aux principes d’égalité sociale, Petlura imposa l’admission des Juifs à l’École des élèves officiers.

La position du Directoire, en ce qui concerne les problèmes d’éducation des Juifs, fut également pleine de sagesse. Sur les conseils d’Abraham Revuts’ky, ministre des Affaires juives, le  gouvernement édicta une loi plaçant l’ensemble des écoles et des établissements d’enseignement juifs sous son contrôle et l’autorisant, par ailleurs, à leur attribuer le neuvième des crédits du ministère de l’Instruction publique. » (pp. 26-27)

« Selon les témoignages de l’époque et dignes de foi, les nombreux appels et ordres de Petlura et de son gouvernement n’étaient pas un vulgaire écran de fumée à l’abri duquel les éléments criminels pouvaient s’adonner librement à leur coupable industrie. Au contraire, ils sont le reflet des actes et de la politique mentionnée par le Directoire. Le colonel Oleksander Dotsenko, qui était l’aide de camp de Petlura, a relate que quatre Ukrainiens furent fusillés, près de Kiev, pour leur participation aux pogroms. De même, un officier nommé Michtchouk et plusieurs cosaques furent fusillés à la suite du pogrom de Raihorod. Ce même colonel a également confirmé l’exécution du fameux otaman [commandant militaire] Semesenko.

Le colonel Kedrovs’ky, qui etait bien place pour le savoir, a rapporté que rien qu’à Smotrytch  (Volhynie) quatorze cosaques furent fusillés, pour participation à un pogrom. Partout, notamment à Orynyn et à Kytaihorod, ainsi qu’à Talny et Vakhnivka, d’autres, jugés coupables de viol, subirent le même sort.

Arnold Margolin parla également d’exécutions nombreuses, pour participation a des pogroms. Le témoignage ci-dessous est particulièrement édifiant :

“Enfin, je possède une transcription, certifiée conforme, du jugement rendu par une cour miUtaire speciale, le 22 août 1920, concernant Varyvan Vynnyk, accusé d’avoir infligé des blessures a Yossel Aster, au village de Zalukivtsi (près de stanyslaviv, en Galicie) — blessures mettant sa vie en danger. Ce cas fut juge à huis clos. La cour qualifia d’‘inhumain’ le comportement de Vynnyk, et le condamna à être fusille. La sentence fut exécutée le jour même.” » (p. 32)

 

Rémy Bijaoui, Le Crime de Samuel Schwartzbard, Paris, Imago, 2018, pp. 150-152 :

« D’abord, un fait incontestable : il n’existe sous la plume de Petlioura aucun écrit, aucun document, aucun discours antisémite. Bien au contraire, nous le verrons. Ses partisans ne manquent pas de rappeler qu’en 1907 il avait même préfacé une pièce de théâtre de Tchirikov, Les Juifs, dénonçant l’oppression des Juifs en Russie. Cette attitude philosémite est au reste constamment rappelée par les personnalités juives qui ont travaillé, pendant ces années de lutte, aux côtés de Simon Petlioura. M. Sliosberg, ancien président du Comité central de secours aux victimes de guerre et des pogromes, qui témoignera contre lui au cours du procès Schwartzbard, rétablit sur ce point capital la vérité :

“Les amis de Petlioura, selon les rapports des journaux, disent que c’était un homme de grandes qualités, un ami des Juifs. Je ne le nie pas. Je n’admets pas qu’il fût antisémite.”

Vladimir Jabotinski, une grande figure du judaïsme mondial dont nous reparlerons, et qui a bien connu Petlioura, réfute également toute idée d’antisémitisme le concernant :

“C’est un fait, ni Petlioura ni Vynnytchenko, ni aucun membre en vue du gouvernement ukrainien n’ont été des instigateurs de pogroms. J’ai grandi avec eux et, à leurs côtés, j’ai combattu l’antisémitisme ; personne ne parviendra jamais à persuader aucun sioniste du sud de la Russie ni moi-même que des gens de cette qualité peuvent mériter le qualificatif d’antisémites.” […]

Rappelons, pour mémoire, que le gouvernement qu’il présidait comptait plusieurs ministres juifs : le professeur Solomon Goldelman, Abraham Revusky, Moïse Silberfarb, P. A. Krasny, Jacob Latzky-Bertholdi, Arnold Margoline. […]

Ce fut d’abord la loi du 27 mai 1919 qui instaura une Commission extraordinaire d’enquête sur les pogromes, composée de représentants juifs. Cette loi non seulement habilitait la Commission à enquêter sur les pogromes perpétrés, mais elle l’autorisait aussi à traduire directement les coupables devant un tribunal militaire. Une Commission spéciale avait été créée quelques semaines auparavant (9 avril) pour enquêter sur le terrible pogrome de Proskourov.

Dans le même temps, le gouvernement prit la décision d’allouer trois millions de roubles (une somme importante pour l’époque) pour venir en aide à la population juive victime de pogromes. »

 

Robert Belot (professeur d’histoire à l’université de Saint-Étienne), Vladimir Poutine ou la falsification de l’histoire comme arme de guerre, Lausanne, Fondation Jean-Monnet pour l’Europe, 2024, p. 53 :

« Peut-être parce qu’il fut démontré que ces massacres ont été initiés par des commandants locaux et que Petlioura a tout fait pour y mettre un terme. Peut-être aussi parce qu’il paraît évident que les services spéciaux russes ont renseigné et armé la main du meurtrier. »

 

Alla Lazaréva, « L’affaire Petlioura : une grande manipulation venue de Moscou », The Ukrainian Weekly. Édition française, 21 mai 2023 :

« Pour comprendre pourquoi les Français, à l’exception d’un groupe restreint d’amis de l’Ukraine, n’ont pas voulu commémorer cet assassinat commis rue Racine, le 25 mai 1926, il faut se référer aux documents du procès de Sholem Samuel Schwartzbard, l’assassin de Symon Petlioura, très probablement manipulé par les services soviétiques, vu son passé criminel et sa nature aventurière. Son casier judiciaire comporte deux braquages de banques, à Vienne (1908) et à Budapest (1909), et deux passages en prison. Puis il a servi dans l’armée rouge, en 1917, faisaient de lui une proie facile pour le GPOu, l’ancêtre du KGB, même s’il pouvait se croire tranquille à Paris, dans sa petite boutique d’horloger.

Symon Petluoura a donc été tué le 25 mai 1926 à Paris. Samuel Schwartzbard, vêtu d’une blouse blanche d’horloger, lui a tiré sept balles de revolver. Au poste de police, il a expliqué qu’il avait ainsi décidé de venger les pogroms juifs qui ont eu lieu pendant la Première Guerre mondiale et la guerre de libération de l’Ukraine, de 1917 à 1921. Les enquêteurs ont trouvé un portrait de Petlioura découpé dans un journal d’émigrés ukrainiens lors d’une perquisition à son domicile, et la femme de Schwartzbard a témoigné que quelqu’un avait appelé son mari et qu’il s’était précipité hors de la maison et s’était enfui dans ses vêtements professionnels, pour aller commettre son meurtre.

La personne ayant prévenu Schwarzbard par téléphone que Petlioura était venu déjeuner seul au restaurant Bouillon, sans sa femme et sa fille, a été identifiée assez rapidement. Il s’agit de l’agent tchékiste Mikhail Volodin, qui une fois arrivé à Paris, a passé beaucoup de temps avec Schwartzbard et à l’ambassade soviétique, et a très probablement recruté Schwartzbard pour espionner Petlioura et le tuer. Mais il n’a jamais été jugé par le tribunal français pour complicité de meurtre, contre toute évidence. Il a pu quitter la France rapidement après le meurtre. Pourquoi cela ?

Il faut se rappeler que l’avocat de Schwartzbard, maître Henri Torrès, se rendait régulièrement à l’ambassade soviétique : la presse française en a parlé en 1926, très ouvertement (en particulier, Le Figaro). A l’époque, une habile manipulation, soutenue par une campagne de presse, a su transformer le procès du meurtrier en condamnation sans appel de sa victime, avec un soutien du Parti Communiste Français et de ses amis disposants de multiples relais. Pour appuyer la défense de Schwartzbard, un certain Bernard Lecache qui n’était ni juge d’instruction, ni fondé de pouvoirs dans l’affaire, toujours avec l’aide de l’ambassade de l’URSS, s’est vu faciliter un voyage en Ukraine “pour réunir des preuves” et y sélectionner des documents d’une manière très tendancieuse.

Il n’a pas hésité à utiliser des traductions falsifiées de la presse, comme l’a montré à l’époque un académicien ukrainien, Serhiy Yefremov, dans son Journal intime. Ensuite, à la place des témoins oculaires, ce sont des gens fort éloignés de la scène du crime qui ont pu témoigner lors des audiences. Et enfin, le plus important : pour maître Torrès, l’affaire Schwartzbard est devenue un tremplin pour une carrière fulgurante d’avocat, et pour Lecache, un prétexte pour fonder la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), qui joue un rôle influent en France jusqu’à nos jours. »

ð  Autre manipulation du stalinien Lecache : dans son livre Au pays des pogromes, Paris, éditions du Progrès civique, 1927, il occulte les tueries de Juifs organisées par certains éléments de l’Armée rouge, et à qui Lénine, contrairement à Petlioura, avait garanti l’impunité, y compris après la victoire des communistes, en 1921-1922 (sans joie, il est vrai, mais sans hésitation non plus). Par ailleurs, la nature du régime était dénuée de toute ambiguïté, dès cette époque, notamment après l’invasion de la Géorgie en 1921, en violation du traité russo-géorgien de mai 1920, le procès inique la « conjuration de Tagantsev », toujours en 1921 (96 personnes condamnées à mort et fusillées, sur la base d’accusations fabriquées), l’expulsion d’un groupe d’intellectuels en 1922 et le procès-spectacle, à Moscou, la même année, des sociaux-révolutionnaires (opposants de gauche aux communistes), etc. Ce procès a d’ailleurs conduit l’écrivain Anatole France à rompre avec le communisme (il avait cessé, plus discrètement, de soutenir le nationalisme arménien vers la fin de la Première Guerre mondiale).

 

Odile Moreau, L’Empire ottoman à l’âge des réformes. Les hommes et les idées du « Nouvel Ordre » militaire (1826-1914), Paris, Maisonneuve et Larose, 2007, pp. 70-71 :

« Après la “révolution jeune-turque”, l’École militaire de Harbiye fut ouverte aux élèves non-musulmans en 1910 [Talat est alors ministre de l’Intérieur]. En 1912, les premiers officiers non-musulmans furent promus à l’issue du nouveau cursus de deux ans. Sur 394 officiers, il y avait 3 Grecs, 4 Arméniens et un Israélite. L’un des Grecs était classé parmi les seize premiers, auxquels le sultan remit en cadeau une montre en or. Le sultan, le prince héritier, le ministre et les hautes autorités militaires assistaient à la cérémonie ainsi que le patriarche œcuménique, le grand rabbin et les représentants de l’exarque bulgare et du patriarche arménien. […]

Les musulmans dirent “vallâhi bi-Allâhi” sur le Coran, les chrétiens prêtèrent serment sur l’Évangile et les Israélites sur le Talmud. »

 

« La crise turque — Le nouveau cabinet », Le Temps, 18 juin 1913, p. 2 :

« Le nouveau ministère est officiellement constitué. Il sera constitué comme suit :

Grand vizir : Said Halim Pacha.

[…]

Intérieur : Talaat bey.

[…]

Postes et télégraphes: Oskan [Mardikyan] Effendi (unioniste) [c’est-à-dire membre du Comité Union et progrès, le CUP, appelé à l’étranger « les Jeunes-Turcs »] »

 

Şinasi Orel et Sürreya Yuca, Les « Télégrammes » de Talât Pacha. Fait historique ou fiction ?, Paris, Triangle, 1986, p. 125 :

« DOCUMENT AUTHENTIQUE N° LII

Télégramme chiffré du ministère de l’Intérieur aux préfectures de Hudavendigâr, Ankara, Konya, Adana, Alep, Sivas, Mamuretilaziz, Diyarbakır, Erzurum; aux sandjaks d’Izmit, Maraş, Urfa, Zor, Kütahya, Karesi, Niğde, Karahisârisahib, Kayseri.

“L’objectif visé par le gouvernement en faisant déplacer les Arméniens de leurs lieux de résidence vers les régions prévues est d’empêcher leurs agissements contre le gouvernement et de les neutraliser afin qu’ils renoncent à leurs aspirations relatives à la création d’un gouvernement arménien.

L’objectif visé par le gouvernement n’étant pas l’extermination des innocents, le gouvernement exige que toutes les mesures adéquates soient prises pour la protection des Arméniens pendant le transport et pour leur ravitaillement grâce aux allocations des émigrés. Il ordonne de ne plus déplacer les Arméniens, sauf ceux qui sont déjà en train de l’être, de ne plus transférer, comme il a été indiqué auparavant, les familles des soldats, ainsi que les artisans dont on a besoin et les Arméniens protestants et catholiques.

Procéder immédiatement à des enquêtes judiciaires afin de punir sévèrement d’une part les personnes qui s’attaquent aux convois, qui commettent des vols, qui, emportées par des sentiments bestiaux, violent des femmes et d’autre part les fonctionnaires et les gendarmes qui les ont incitées. Limoger les fonctionnaires qui sont mêlés à ce genre d’affaires, les traduire devant les tribunaux militaires et communiquer leurs noms. Dans ce genre d’incident, la responsabilité incomberait à la préfecture/au sandjak.

16 août 1331 (29 août 1915)

Le Ministre de l’Intérieur [54].” »

 

Ibid., p. 104 :

« DOCUMENT AUTHENTIQUE N° IX

Télégramme chiffré du ministère de l’Intérieur au sandjak de Kal’a-i Sultaniye (Çanakkale).

“Réponse à la lettre du 16 mai 1331 (29 mai 1915).

Il n’y a aucun inconvénient au voyage du sous-préfet de Bayramiç, Karabet Efendi [un Arménien, comme son nom l’indique], à Istanbul. 23 mai 1331 (5 juin 1915) [9].” »

 

Télégramme de Talat, 22 juillet 1915, traduit dans Erman Şahin, « Review Essay : the Armenian Question », Middle East Policy, XVII-1, printemps 2010, p. 155 :

« En conséquence, il est de la plus haute importance de renforcer vigoureusement la sécurité publique aux limites de la province [de Diyarbakır], en particulier sur la route empruntée par les convois d’Arméniens, et d’éviter tout retard dans le transport militaire. Les résultats des mesures prises devront être rapportés. »

 

Télégramme de Talat à la préfecture d’Ankara, 29 août 1915, Hikmet Özdemir et Yusuf Sarınay, Turkish-Armenian Conflict Documents, Ankara, TBMM, 2007, p. 235 :

« La question arménienne qui se posait dans les provinces orientales est résolue. Pour autant, il est inutile d’endommager l’image de notre nation et de notre gouvernement par des actes de cruautés qu’aucune nécessité ne justifie. En particulier, l’attaque récente qui a eu lieu contre des Arméniens près d’Ankara a causé beaucoup de regret au ministre, qui a constaté que l’évènement s’est produit suite à l’évidente incompétence des officiers chargés de superviser le transfert des Arméniens, et à l’audace de gendarmes et d’habitants de la région, qui ont agi en suivant leurs instincts bestiaux, violant et volant les Arméniens. Le transfert d’Arméniens, qui doit être appliqué dans l’ordre et avec prudence, ne doit jamais, à l’avenir être confié à des individus animés d’une hostilité fanatique, et les Arméniens — tant ceux qui sont transférés que les autres — doivent absolument être protégés contre toute agression, contre toute attaque. Dans les lieux où une telle protection ne pourrait pas être assurée, le transfert doit être reporté. À partir de maintenant, les officiers chargés [du transfert] seront tenus pour responsables, compte tenu de leur rang, de toute attaque qui se produirait, et renvoyés en cour martiale. Il est nécessaire de donner des ordres très stricts à cet égard, au personnel concerné.

Le ministre [de l’Intérieur Talat]. »

 

Télégramme de Talat à la préfecture de Konya, 9 septembre 1915, ibid., p. 261 :

« Ahmed de Siroz et son ami Halil ont été transférés à Konya aujourd’hui, afin d’être jugés devant une cour martiale de la 4e armée, pour avoir assassiné des Arméniens et dérobé leurs biens. Il faut veiller à ce qu’ils ne s’échappent pas, à ce qu’ils soient mis sous bonne garde, jusqu’à réception des instructions de Cemal Paşa à leur égard.

Le ministre [de l’Intérieur Talat]. »

 

Yusuf Sarınay, « Le jugement des agents ayant transgressé les dispositions relatives au transfert des Arméniens devant la Cour martiale »

« Ahmed de Siroz et son ami Halil, jugés pour homicides et vols commis contre les Arméniens avaient été emprisonnés à Konya sur ordre du général Cemal Pacha afin d’empêcher une éventuelle évasion lors de leur transfert de la cour martiale de la 4ème Armée vers Konya, puis jugés devant la cour martiale de Syrie, ils furent pendus à Damas (BOA, HR, SYS, nr.2882/29-25) (BOA, DH, SFR, nr.55 A /177) »

ð  Cette double exécution est aussi mentionnée par Hilmar Kaiser, historien partisan de la qualification de « génocide arménien », mais sans citer l’intervention de Talat, qu’il ne peut pourtant pas ignorer.

 

Yusuf Sarınay, « The Relocations (Tehcir) of Armenians and the Trials of 1915–16 », Middle East Critique, XX-3, automne 2011, p. 307 :

« En conséquence, après le mémorandum du ministre de l'Intérieur Talat Pacha du 28 septembre 1915, le Cabinet a décidé de créer trois commissions d'enquête. Cette décision importante reflétait la position du gouvernement ottoman : les preuves évidentes de mauvaise conduite et de violation de la loi par certains fonctionnaires et citoyens locaux lors de la réinstallation ont nécessité la création de ces commissions, chacune ayant pour tâche d'enquêter sur les conditions locales, d'identifier les personnes responsables et de les traduire devant les cours martiales. […]

Avant même que cette décision ne fût prise par le cabinet, le gouvernement avait ordonné aux membres de chaque commission de se préparer à cette responsabilité, ce qui montre à quel point il était sensible aux rapports sur l'échec de certains responsables locaux à empêcher une rupture de l'ordre public pendant la réinstallation forcée. »

 

Kâmuran Gürün, Le Dossier arménien, Paris, Triangle, 1984 :

« La note codée du 14 juin 1915 (1er juin 1331) est assez importante :

“La préfecture d’Erzurum nous a informé qu’une colonie de 500 Arméniens qu’on avait fait partir d’Erzurum a été tuée par des tribus entre Erzincan et Erzurum. Il faudra veiller à défendre la vie des Arméniens que l’on met sur les routes ; il faudra, bien entendu, châtier ceux qui, pendant leur transfert, tenteront de fuir ainsi que ceux qui attaqueront les personnes chargées de la protection. Mais il ne faudra jamais mêler à cela la population. Nous ne devons laisser absolument aucune possibilité à ce que se reproduise ce genre d’événements. En conséquence, il faudra prendre toutes les mesures qui s’imposent pour protéger les Arméniens contre les attaques des tribus et des villageois ; il sera également nécessaire de punir sévèrement les meurtriers et les voleurs.” » (p. 256) 

« Ceux qui furent reconnus coupables furent déférés au tribunal de siège. Voici le nombre des cas dans quelques provinces et arrondissements :

Sivas : 648

Mamuretelazi: 223

Diyarbakir : 70

Bitlis : 25

Eskisehir : 29

Sebinkarahisar : 6

Nigde : 8

Izmit : 33

Ankara : 32

Kayseri : 69

Syrie : 27

Hüdavendigar : 12

Konya : 12

Urfa : 189

Canik : 14 » (pp. 258-259)

 

Norman Stone (professeur d’histoire à l’université d’Oxford, puis à l’université Bilkent), « Armenia and Turkey », Times Literary Supplement, 15 octobre 2004 :  

« Il y a une erreur qui ruine vraiment les efforts de [Peter] Balakian. Il s’appuie sur un faux qui a été révélé comme tel il y a plus de quatre-vingts ans, les “documents Naim-Andonian”. Il écrit ici, page 344 : “Les Britanniques ont libéré, à l’été 1921, quarante-trois prisonniers turcs accusés d’avoir perpétré les massacres arméniens” ; il suggère que cela s’est produit parce que les Turcs nationalistes avaient capturé des officiers britanniques. Mais le fait est que les officiers de police judiciaire ont indiqué qu’il n’y avait aucune charge contre ces Turcs (internés à Malte). Certains documents les incriminant ont été retrouvés, colportés par un certain Andonian, sur la base de prétendues confessions d’un certain Naim (“Massacrez tout le monde mais gardez le secret”, telle était la teneur générale, et, à la page 346, Balakian en reproduit une partie). Mais les juristes [britanniques] ont écarté les documents comme étant des faux, et les avocats allemands [de la défense] au procès de l’assassin de Talaat Pacha en 1921 ont également écarté Andonian (préférant, de manière assez bizarre, le témoignage par ouï-dire d’un ecclésiastique nommé, en l’occurrence, Balakian). »

 

La Licra n’a jamais fait amende honorable pour avoir été fondée par un propagandiste stalinien. Bien au contraire, en 2006, son président d’alors, Patrick Gaubert (ancien conseiller de Charles Pasqua, homme probe s’il en est…) s’était fendu d’une tribune diffamatoire dans Le Monde, contre Petlioura, et contre les Ukrainiens en général, dont « la belle aventure “atlantiste” » (pourquoi cet adjectif plutôt qu’« européenne », « occidentale » ou tout simplement « démocratique » ?) commencée en 2004 aurait « viré au cauchemar » (exactement le vocabulaire qu’aime lire l’ambassade de Russie à Paris), avec pour unique « argument » une commémoration de Petlioura en Ukraine et une autre à Paris. Cela provoqua une réplique très argumentée de Daniel Beauvois, professeur émérite d’histoire à l’université de Paris-I-Sorbonne, que Le Monde n’eut pas le courage de publier — pas plus qu’il n’avait eu le courage de publier un droit de réponse de Bernard Lewis en 1995. En 2012, la Licra a publié un éloge de l’assassin, salissant encore sa victime, au mépris de toute vérité historique. En 2017, elle est allée encore plus loin dans le délire, en qualifiant Petlioura de « génocidaire », pas moins. Or, c’était après l’invasion de la Crimée, après celle du Donbas, après qu’un avion civil d’une compagnie néerlandaise fut abattu par les forces russes et après la tentative de faire élire Marine Le Pen en France.

Encore en 2021, alors que les menaces russes contre l’Ukraine se multipliaient et que la propagande poutiniste battait son plein, la Licra n’a rien trouvé de mieux que d’y apporter sa contribution en réitérant sa calomnie contre Petlioura et en approuvant l’acquittement de son assassin. Le texte ajoute : « On peut ainsi rapprocher le geste de Schwartzbard de celui de Soghomon Tehlirian sur la personne de Talaat Bey, en 1921. Cet Arménien dont la famille avait été exterminée au cours du génocide de 1915 avait identifié l’ancien ministre de l’intérieur de l’Empire ottoman réfugié à Berlin et l’avait abattu. »  Ce faisant, la Licra répétait un mensonge de Tehlirian à son procès : en réalité, son père, son frère et ses deux oncles avaient déménagé à Belgrade avant 1914, pour des raisons de pure opportunité professionnelle, et ils y sont décédés de mort naturelle bien après 1918 ; par ailleurs, il n’a jamais eu de sœur, or il a prétendu, au procès, avoir vu sa sœur se faire violer puis tuer. La Licra omettait aussi de préciser que Tehlirian s’est engagé, dès 1914, et bien qu’il ne fût pas de nationalité russe mais ottomane, dans l’armée de Nicolas II, le tsar le plus antisémite de l’histoire russe, qui finançait la propagande antijuive et couvrait les auteurs de… pogromes.

En effet, la Licra s’est placée, depuis les années 1990 au moins, du côté du nationalisme arménien. On vit ainsi, en 1995, cet effarant spectacle de la Licra se joignant à Patrick Devedjian — l’ancien cogneur néofasciste, condamné au moins deux fois, complice de François Duprat dans la dissémination du négationnisme à l’extrême droite, puis apologiste enflammé de l’ASALA, groupe terroriste à l’antisémitisme meurtrier — contre l’historien anglo-américain Bernard Lewis.

Obsédée par la répression légale de ce qui ne va pas dans le sens de l’ultranationalisme arménien, la Licra fut ensuite, en 2015, tiers intervenant devant la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Perinçek contre Suisse, en soutien au très poutiniste gouvernement arménien de l’époque — lequel soutenait le point de vue russe sur la famine en Ukraine de 1932-1933… La Grande chambre a confirmé la décision de la 2e chambre, qui donnait raison à M. Perinçek. La Licra n’a tiré aucune leçon de cet échec, bien au contraire. Inversement, elle n’a jamais jugé utile de poursuivre l’antisémite Jean Varoujan Sirapian, ancien vice-président du Conseil de coordination des associations arméniennes de France, pas plus qu’elle n’a poursuivi ne fût-ce qu’un seul des innombrables agitateurs arméniens qui ont déversé leur haine raciste contre Robert Badinter.

 

Lire aussi, sur la politique arménienne des jeunes-turcs :

Talat Pacha et les Arméniens

Le grand vizir Sait Halim Pacha et les Arméniens

Hamit (Kapancı) Bey et les Arméniens

Le rôle des Arméniens loyalistes dans l’Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale

Artin Boşgezenyan : un Jeune-Turc à la Chambre des députés ottomane

Le rôle du député jeune-turc Dikran Barsamian dans la reconstitution du Comité Union et progrès, fin 1918

Florilège des manipulations de sources dont s’est rendu coupable Taner Akçam

L’urologue Yves Ternon : menteur sous serment

 

Sur l’assassinat de Talat :

L’assassin et menteur Soghomon Tehlirian : un modèle récurrent pour le terrorisme arménien contemporain

Le mensonge selon lequel cinq des « documents Andonian » auraient été « authentifiés » au procès Tehlirian (1921)

 

Sur le rôle de la Russie tsariste, de l’URSS et de la Russie poutinienne :

Arthur Tchérep-Spiridovitch : arménophile militant, antisémite professionnel, raciste aryaniste et inspirateur du nazisme

1914-1915 : la mobilisation du nationalisme arménien au service de l’expansionnisme russe

Le caractère mûrement prémédité de la révolte arménienne de Van (avril 1915)

La participation de la Fédération révolutionnaire arménienne à la répression sanguinaire des Soviétiques contre les patriotes d’Asie centrale en 1918-1919

L’alliance soviéto-nazie (1939-1941) et les projets staliniens contre la Turquie

L’agitation irrédentiste dans l’Arménie soviétique à l’époque de l’alliance entre Staline et Hitler

La popularité du stalinisme dans la diaspora arménienne

Le consensus poutiniste chez les nationalistes arméniens

Margarita Simonyan (Russia Today) en appelle à « la famine »

 

Sur l’ukrainophobie démentielle et compulsive que manifestent beaucoup de nationalistes arméniens :

La rage ukrainophobe des nationalistes arméniens : des exemples en septembre 2023

L’hostilité intangible des nationalistes arméniens à l’égard de l’Ukraine

 

Sur leurs combats contre la liberté d’expression :

4 mai 2011 : le Sénat de la République française dit non au tribalisme et au terrorisme arméniens

La triple défaite des nationalistes arméniens devant le Conseil constitutionnel (2012, 2016, 2017)

La Cour constitutionnelle belge rejette les prétentions liberticides du Comité des Arméniens de Belgique

Quand l’avocat Philippe Krikorian se prenait pour la justice française

lundi 7 octobre 2024

Agnès Vahramian défend la dictature des mollahs

 



 Agnès Vahramian, déclaration dans l’émission C dans l’air, 5 octobre 2024 :

 « Pour l’instant, les Iraniens n’ont pas visé des cibles civiles, et ça, ça fait toute la différence. »

 

« Cibles, missiles interceptés, dégâts : ce que révèlent les images de l’attaque de l’Iran contre Israël », Liberation.fr, 3 octobre 2024 :

« Des photographies prises par l’AFP montrent des bâtiments effondrés et des toits de maison endommagés à Hod Hasharon, dans la banlieue nord de Tel-Aviv. »

 

« Frappes iraniennes sur Israël : ce que révèlent les premières images des dégâts », France24.com, 2 octobre 2024 :

« D’autres images ont montré qu’une école de la municipalité de Gedera, située à quatre kilomètres de la base partiellement endommagée. Cette vidéo, vérifiée par @nemoanno, montre un cratère de plusieurs mètres de diamètre dans ce qui semble être la cour de l’établissement. Sur les images, l’une des façades du bâtiment est également endommagée. »

 

« L’Iran tire 180 missiles sur Israël, la plupart interceptés », Lesechos.fr, 2 octobre 2024 :

« L’attaque a fait deux blessés légers en Israël, selon les secours, et un Palestinien a été tué par des éclats de missile en Cisjordanie occupée, selon un responsable palestinien. »

 

Il faudrait encore ajouter que l’Iran mène une guerre par procuration contre les Israéliens, via le Hamas, le Djihad islamique palestinien et le Hezbollah (notamment), qui visent tous des civils.

 

Mme Vahramian a contribué au journal de la Fédération révolutionnaire arménienne en France, France-Arménie. Pour rappel, en 2009, un éditorial de France-Arménie, rédigé par son directeur d’alors, Laurent Leylekian (condamné depuis pour diffamation), n’hésitait pas à affirmer, dans le plus pur style nazi :

« Alors oui, les “maudits Turcs” restent coupables ; ils restent tous coupables quelle que soient leur bonne volonté, leurs intentions ou leurs actions. Tous, de l’enfant qui vient de naître au vieillard qui va mourir, l’islamiste comme le kémaliste, celui de Sivas comme celui de Konya, le croyant comme l’athée, le membre d’Ergenekon comme Orhan Kemal Cengiz qui est “défenseur des droits de l’homme, avocat et écrivain” et qui travaille pour “le Projet kurde des droits de l’homme”. Aussi irrémédiablement coupables que Caïn, coupables devant les Arméniens, devant eux-mêmes, devant le tribunal de l’Histoire et devant toute l’Humanité. »

Julius Streicher, directeur du Stürmer, condamné à mort et pendu à Nuremberg en 1946, disait quant à lui :

« Une grande guerre — la Guerre mondiale — s’était déchaînée et n’avait finalement laissé qu’un monceau de décombres. De cette guerre effroyable, un seul peuple était sorti victorieux, un peuple dont le Christ disait qu’il avait le Diable pour père. Ce peuple avait ruiné le peuple allemand corps et âme.

[…] [Grâce à Hitler], l’humanité sera libérée de ce peuple qui, marqué du signe de Caïn a erré sur le globe pendant des siècles et des millénaires. » (Julius Streicher, discours du 22 juin 1935, cité dans Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, Paris, Gallimard, 2006, tome I, p. 48)

 

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jeudi 3 octobre 2024

La participation de la Fédération révolutionnaire arménienne à la répression sanguinaire des Soviétiques contre les patriotes d’Asie centrale en 1918-1919

 



 Cloé Drieu, « Situation révolutionnaire au Turkestan (février 1917-février 1918). Les dynamiques locales des révolutions russes », Vingtième siècle. Revue d’histoire, juillet-septembre 2017, p. 100 :

« Les combats à Kokand commencent en février 1918 et opposent les forces armées du soviet de Tachkent aux forces musulmanes composées, entre autres, de deux mille hommes mais sans véritable expérience de combat. À la suite des bombardements, des incendies et des pillages, ces forces sont rapidement mises en déroute par les gardes rouges qui ont recruté des militaires stationnés au Turkestan ou démobilisés du front, des prisonniers de guerre allemands et austro-hongrois, ainsi que des milices arméniennes Dashnak [c’est-à-dire de la Fédération révolutionnaire arménienne] composées de rescapés du génocide [affirmation doublement incorrecte : les massacres d’Arméniens ottomans en 1915-1916 ne relèvent pas de la catégorie juridique du génocide, même en laissant de côté de la non-rétroactivité des lois ; et les volontaires arméniens en question étaient soit des Arméniens russes, soit des Arméniens ottomans ayant franchi la frontière en 1914 pour s’engager dans l’armée tsariste. Mme Drieu croit d’ailleurs si peu à cette affirmation qu’elle l’a retirée dans la version anglaise de son article.]. Un tiers de la ville a été détruit et il y a eu dix mille victimes. Le 5 février (18 février), le gouvernement autonome de Kokand est renversé. »

 

Stéphane A. Dudoignon, « Islam et nationalisme en Asie centrale au début de la période soviétique (1924-1937). L’exemple de l’Ouzbékistan, à travers quelques sources littéraires », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 2002 :

« Dans l’un de ces récits de voyage, intitulé tout simplement “Parmi les ruines” et publié de mars à juin 1924 dans la très officielle revue Farghâna [ce qui signifie que, durant la période de relative liberté d’expression sur certains sujets en URSS, de 1922 à 1928, le mécontentement était tel que la critique tolérée apparaissait comme une soupape de sécurité : c’est d’ailleurs cohérent avec le fait que les insurgés d’Asie centrale continuent de combattre l’Armée rouge dans des batailles rangées jusqu’en 1926, puis dans des opérations de guérilla jusqu’en 1934 au moins], Čulpân s’étonne de la continuité d’un système de ségrégation ethnique à l’aube d’une nouvelle ère pourtant censée abolir les excès de la précédente. Le prétexte de cette dénonciation lui est donné par une étude sur l’histoire de quelques lieux de villégiature de Crimée, du Caucase et du Turkestan. L’auteur s’attarde notamment sur la ville de Djalalabad, une station thermale du Ferghana oriental, dont l’accès était réservé sous l’ancien régime à la bourgeoisie russe de Tachkent. La construction de cette station, pendant les dernières décennies de la période impériale, avait occasionné la migration forcée des populations kirghizes et ouzbèques locales. Ces dernières, brutalement privées de leurs terres, s’étaient empressées de rejoindre dès l’été 1916 les bandes armées de “saisonniers” en révolte [contre le régime tsariste], puis celles des “basmatchis” opposés à l’Armée Rouge.

Le discours historique de Čulpân sur les origines sociales de la résistance “bas-matchie” est intéressant dans la mesure où il révèle au nombreux lectorat de la presse soviétique turkestanaise le caractère éminemment “ethnique” des conflits territoriaux et économiques de l’Asie centrale coloniale, à une date où le “basmatchisme” est loin d’avoir disparu du Ferghana. Čulpân accuse le trait en rappelant les massacres des populations musulmanes du Ferghana, pendant les quatre premières années du pouvoir soviétique, par les bandes defedayins arméniens du parti Dachnak (millî dasnâq), utilisées par l’état-major turkestanais de l’Armée Rouge pour venir à bout des “basmatchis”, tout en vengeant dans le sang de populations tûrkes les victimes du génocide caucasien.

C’est une véritable “dictature arménienne” (arman dîktâtûrâsî) enveloppée du drapeau rouge dont Čulpân dénonce l’instauration au Ferghana par le pouvoir soviétique, pour un nettoyage social et ethnique conduit avec une extrême violence, au prétexte de la lutte contre la résistance armée (41). Cette mise au jour des facteurs économiques et sociaux de la “révolte des saisonniers” et de la résistance “basmatchie” replace ces mouvements dans le prolongement logique des grands soulèvements turkestanais de la période coloniale.

[…]

Dès le lendemain de la féroce répression de l’Autonomie turkestanaise en février 1918, le pouvoir soviétique est perçu par les auteurs de la dernière génération ðadîd comme un continuateur de l’œuvre d’expropriation territoriale, de ruine économique et de régression culturelle des communautés musulmanes autochtones. Les soviets apparaissent en cela comme un simple avatar de l’administration russe de la période coloniale, défendant les intérêts des colons européens et chrétiens contre la population « locale » musulmane — alors que l’administration impériale avait au moins le mérite de permettre l’initiative autochtone en matière d’organisation communautaire, symbolisée notamment par le rôle du mécénat privé dans le renouveau des maktab-s et des madrasa-s au tournant du XXe siècle. »

 

____________

(41) Pour de rares statistiques sur l’implication de combattants arméniens du Caucase dans la répression de la résistance ferghanaise, à partir du printemps 1918 — un sujet tabou de l’historiographie ouzbèque soviétique et post-soviétique, voir notamment Samagdiev, 1961 : 79-112. »

 

Yu. A. Lysenko, « National Units of the Red Army in the Steppe Region and Turkestan During the Civil War », Vestnik of Saint Petersburg University. History, LXIII-4, 2018, p. 1125 :

« Troisièmement, les raisons de la défiance de la population indigène du Kraï des steppes et du Turkestan envers le gouvernement soviétique et les bolcheviks, sa participation passive à la mobilisation dans l’Armée rouge pourraient s’expliquer par ce qui est appelé la “question arménienne”. Avec des forces limitées au début de 1918, les bolcheviks ont attiré des membres de la branche régionale du parti arménien Dachnaktsutyun pour vaincre l’autonomie de Kokand, les ayant armés et ayant créé des unités de combat de l’Armée rouge. La défaite écrasante de l’autonomie [turcique] s’est accompagnée de massacres de la population musulmane indigène, d’atrocités, de vols et de violences commises par les Arméniens. La coopération militaire entre les bolcheviks et le “Dashnaktsutyun” a continué jusqu’au printemps 1919. De 1918 jusqu’au milieu de 1919, la dictature révolutionnaire et les soviets d’Andijan étaient en fait contrôlés par les Dachnaks. Sous prétexte de combattre les basmachi, ils ont mené des raids sur les villages de la population musulmane et les villes de la région à des fins de réquisition ou de pillage. »

 




Joseph Castagné, Les Basmatchis. Le mouvement national des indigènes d’Asie centrale, de la révolution d’octobre 1917 jusqu’en octobre 1924, Paris, Ernest Leroux, 1925, p. 19 :

« L’incendie de Kokand (30 janvier au 6 février 1918) n’était pas encore éteint que les troupes bolchevistes [unités arméniennes incluses] étaient lancées sur la Boukharie [émirat d’Asie centrale, indépendant de fait en 1918-1920, aussi appelé Boukhara]. Sous aucun prétexte, sinon la soif du pillage, et sans déclaration de guerre préalable, le 10 mars 1918 l’armée rouge entre en Boukharie s’empare de Ziaeddine, le 12 elle occupe Kermineh qu’elle pille. Terrifiés, les habitants s’enfuient vers Boukhara. »

 

Lire aussi, sur la Fédération révolutionnaire arménienne à la même époque :

L’assassinat du maire de Van Bedros Kapamaciyan par la Fédération révolutionnaire arménienne (1912)

1914-1915 : la mobilisation du nationalisme arménien au service de l’expansionnisme russe

Les massacres d’Azéris par les dachnaks et les divisions entre Arméniens à ce sujet (1918-1920)

Les massacres de Juifs par les dachnaks en Azerbaïdjan (1918-1919)

 

Sur l’utilisation du nationalisme arménien par l’URSS :

L’alliance soviéto-nazie (1939-1941) et les projets staliniens contre la Turquie

L’agitation irrédentiste dans l’Arménie soviétique à l’époque de l’alliance entre Staline et Hitler

La popularité du stalinisme dans la diaspora arménienne

De l’anarchisme au fascisme, les alliances très variables d’Archag Tchobanian

L’arménophilie stalinienne de Léon Moussinac

L’Union générale arménienne de bienfaisance et le scandale des piastres

Le stalinisme en France et le mythe Manouchian

 

Sur son héritage contemporain :

Le consensus poutiniste chez les nationalistes arméniens

L’hostilité intangible des nationalistes arméniens à l’égard de l’Ukraine

mardi 1 octobre 2024

Les liens entre arménophilie et antisémitisme chez le vichyste George Montandon et dans sa revue « L’Ethnie française »

 


George Montandon, « Racisme et Juifs », L’Ethnie française, n° 7, janvier 1943, p. 6 :

« Il est arrivé à bien des groupements historiques, au cours des temps, de subir de éclipses. Ce fut le cas des Grecs, qui, pendant près d’un demi-millénaire, ont été sous la domination turque, c’est encore le cas du groupe ethnique des Arméniens, disloqué entre trois autres pays (Russie, Turquie êt Perse). Or, quelle fut l’attitude de ces peuples et de presque tous ceux qui se sont trouvés dans le même cas et avaient une vitalité suffisante pour ne pas disparaître ? Tout en continuant à entretenir ce qui faisait de chacun d’eux une entité propre, ils ont participé à la vie des nouvelles unités nationales au sein desquelles ils étaient englobés comme des femmes qui, soit légitimement, soit de fait, sont mariées à un homme. Ainsi, pour en revenir à un peuple dont il y a lieu de comparer le comportement, sur environ 3 millions d’Arméniens existants, il n’y en a pas beaucoup plus d’un demi-million qui soient dispersés sur le .globe, où ils ne constituent aucun danger social ou politique pour les pays qui les hébergent, tandis que 2 millions ½ d’entre eux restent enracinés sur l’étendue des trois pays dont fait partie l’Arménie, et que l’ethnie arménienne met avec persévérance ses dons et ses efforts au bénéfice presque exclusif du Proche-Orient et de leur terre d’origine.

En est-il de même des Juifs ? Il existe de 16 à 20 millions de Juifs de par le monde. Une statistique de 1937, portant sur l 6 millions d’individus, donnait la répartition suivante :

10 millions de Juifs en Europe,

5 millions en Amérique,

moins d’un million dans toute l’Asie,

et un demi-million en Afrique.

Si l’on compare les pourcentages, on constate que 96 % des Arméniens vivent dans les trois· pays dont est faite l’Arménie, et 50 % dans cette Arménie même, où la majorité sont laboureurs, tandis que les Juifs ont déserté leur pays pour s’incruster chez d’autres, puis qu’il n’y a que 5 % des Juifs dans l’Asie entière.

Le fait de se réclamer de nationalismes multiples comme le font les Juifs — sans oublier de trahir pour Sion, dès qu’il leur est possible — n’est comparable qu’à la ligne de conduite de la femme publique qui se donne à tous. La communauté juive vit sur le globe en état de prostitution ethnique. »




 

Georges Mauco (membre du Parti populaire français de Jacques Doriot, collaborationniste), « La situation démographique de la France », ibid., p. 15 :

« Dans un précédent article n° 6 de L’ETHNIE FRANÇAISE consacré à l’immigration étrangère en France, nous avons été amené à faire un exposé — qui a été jugé sévère — des inconvénients de l’immigration des réfugiés arméniens. C’est que nous n’avons établi qu’un bilan imposé par 20 ans d’expérience, et non une étude détaillée de la population arménienne en France.

Une telle étude ferait apparaître des exceptions heureuses, les qualités de certaines familles laborieuses, le courage de quelques Arméniens adaptés au travail manuel dans l’industrie et même dans l’agriculture.

Elle mettrait en valeur l’origine ethnique et la formation chrétienne des Arméniens qui facilitent l’assimilation ; l’existence d’une patrie à laquelle ils restent attachés et l’absence d’une activité politique internationale agissante. Toutes choses qui distinguent nettement les réfugiés arméniens des réfugiés et apatrides juifs. »

 

Valérie de Graffenried, « L’ethnologue devenu antisémite », Le Temps, 29 décembre 2014 :

« Dès 1938, il [George Montandon] entre en contact avec Louis-Ferdinand Céline [écrivain qui appelait à une alliance avec Hitler dès 1937, collaborationniste sous l’Occupation allemande], dont Bagatelles pour un massacre semble influencé par ses travaux. Dans Féerie pour une autre fois, l’écrivain dira de lui: “Il ne savait pas rire Montandon, il était gris de figure, de col, d’imperméable, de chaussures, tout… mais quel bel esprit ! Tout gris certes ! Pas une parole plus haute que l’autre ! Mais quelles précisions admirables !”

Montandon approuve les lois raciales italiennes relatives aux Juifs, va jusqu’à publier un article, dans une revue raciste italienne, intitulé L’Etnia putana. […]

En juillet 1940, on le retrouve comme directeur de la revue L’Ethnie française. Il publie notamment Comment reconnaître le Juif ?, dont 30 pages sont consacrées aux “traits du masque juif”, et contribue à l’organisation de l’exposition de Berlitz, “Le Juif et la France”. A partir de 1941, George Montandon est attaché au Commissariat général aux questions juives en qualité d’ethnologue. Il pratique des “visites raciales”, dont les conclusions sont adressées aux autorités de la police de Vichy.

Nommé en 1943 directeur de l’Institut d’études des questions juives et ethnoraciales, qui publie Le Cahier jaune, le Neuchâtelois fait notamment distribuer, aux étudiants de médecine, une traduction du Manuel d’eugénique et d’hérédité humaine du nazi Otmar von Verschuer. Et propose, dans Le Cahier jaune, de pratiquer une “opération défigurante pour les belles juives”. »

 

Marie-Anne Matard-Bonucci, L’Italie fasciste et la persécution des Juifs, Paris, Perrin, 2007, pp. 293-294 :

« Parmi les idéologues de l’Hexagone, le professeur Montandon bénéficia d’une certaine notoriété dans les milieux racistes italiens. La Difesa della razza [revue doctrinaire du racisme fasciste, à laquelle contribuait l’arménophile Carlo Barduzzi] avait joué un rôle important dans sa promotion. C’est à la revue italienne qu’il livra la primeur de ses cogitations sur “l’ethnie putain”, l’intégration des Juifs au sein des nations étant assimilable à une “forme de prostitution”. Fier de ce qu’il considérait comme une innovation “conceptuelle”, sa publication en avant-première dans La Difesa della Razza avait contribué à sa diffusion, le concept étant depuis lors, pouvait-on lire, “couramment accepté” : la légitimation fonctionnaire à double sens. »

 

Michaël R. Marrus et Robert O. Paxton, Vichy et les Juifs, Paris, Librairie générale française, « Le livre de poche », 2004, p. 138 :

« [Xavier] Vallat [qui dirigeait alors le Commissariat général aux Questions juives, C.G.Q.J.] demanda au Dr George Montandon, ethnologue suisse raciste, charlatan, de faire partie de ses services. Montandon semble être resté plutôt isolé dans le C.G.Q.J. de Vallat, mais avec lui entraient les formes les plus sommaires de la phrénologie et des mensurations crâniennes. »


Précisons pour finir que Marc Knobel, l’un des défenseurs les plus fanatiques du nationalisme arménien dans la France contemporaine, est l’auteur d’une étude sur Montandon, publiée en 1988 (le seul travail de M. Knobel qui soit paru dans une revue à comité de lecture). Il est donc impossible qu’il soit passé à côté des textes ci-dessus, ou de l’article de R. Khérumian (lié au vichyste arménophile André Faillet) paru dans L’Ethnie française de janvier 1943. Or, quand on lui parle de l’antisémitisme du nationalisme arménien, M. Knobel choisit le déni grossier.

 

Lire aussi :

L’arménophilie du régime de Vichy

De l’anarchisme au fascisme, les alliances très variables d’Archag Tchobanian

Aram Turabian : raciste, antisémite, fasciste et référence du nationalisme arménien en 2020

Paul Chack : d’un conservatisme républicain, philosémite et turcophile à une extrême droite collaborationniste, antisémite, turcophobe et arménophile

L’arménophilie-turcophobie du pétainiste Henry Bordeaux

Camille Mauclair : tournant réactionnaire, antisémitisme, turcophobie, soutien à la cause arménienne, vichysme

Paul de Rémusat (alias Paul du Véou) : un tenant du « complot judéo-maçonnique », un agent d’influence de l’Italie fasciste et une référence pour le nationalisme arménien contemporain

L’helléniste Bertrand Bareilles : arménophilie, turcophobie et antisémitisme (ensemble connu)

Maurice Barrès : de l’antisémite arménophile au philosémite turcophile

 

Sur d’autres pays :

L’arménophilie fasciste, aryaniste et antisémite de Carlo Barduzzi

L’arménophilie fasciste de Lauro Mainardi

La précocité du rapprochement entre la Fédération révolutionnaire arménienne et l’Italie fasciste (1922-1928)

La collaboration de la Fédération révolutionnaire arménienne avec le Troisième Reich

Paul Rohrbach : militant arménophile, référence du nationalisme arménien, théoricien de l’extermination des Hereros et inspirateur d’Hitler

L’arménophilie d’Alfred Rosenberg, inspirateur et ministre d’Hitler

L’arménophilie nazie de Johann von Leers

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